Chers associés, camarades et amis de l’Association
Nationale des Partisans Italiens, ANPI,
En ces jours d’anniversaires importants -
le 80e anniversaire du 8 septembre 1943, qui a marqué le début
symbolique de la révolution des partisans en Italie et la libération du Donbass
de l’occupation nazi-fasciste – c’est avec une profonde consternation que j’ai
appris le soutien tacite de l’ANPI de la province de Milan à une exposition
intitulée « Eyes of Mariupol - Un regard dans les yeux des défenseurs de Mariupol»[1]. Cette exposition, installée dans la Via
Dante et au Musée du Risorgimento, est parrainée par la Ville de Milan et la
Zone 1 et concerne le bataillon Azov, connu pour ses positions
nazies-fascistes, antisémites et ultranationalistes.[2]Elle a été organisée et promue avec l’aide
des associations Azov One et Kvyatkovskyy Family Foundation, toutes deux
affiliées au bataillon susmentionné, dans le cadre de leur campagne visant à “nettoyer”
la réputation de cette unité controversée.
Dans l’exposition en question, une
tentative délibérée a été faite pour dissimuler le logo du bataillon, qui était
en revanche visible dans l’édition de l’exposition présentée à Lviv. Cet acte
délibéré de la part des organisateurs met encore plus en évidence la nature
problématique de l’exposition. Comme l’a clairement exprimé l’ANPI de Porta
Genova (Milan), les images exposées mettent les forces militaires au premier
plan au lieu de documenter les souffrances des populations touchées par la
guerre. En outre, ces images font appel à un symbolisme qui évoque des régimes
et des périodes sombres de l’histoire.
Il est essentiel de souligner que le
bataillon Azov tire ses origines des milices néo-fascistes affiliées au Pravy
Sektor [Secteur droit], qui ont ensuite été légalement incorporées dans les
forces armées ukrainiennes.[3]Le symbole qui identifie ce bataillon est
le crochet de loup ou crampon [Wolfsangel], un
emblème qui était initialement associé au parti nazi avant qque celui-ci n’adopte
la croix gammée. Ce symbole a ensuite été intégré à l’ensemble des symboles
runiques utilisés par les S.S. et a également été adopté par huit divisions de
la Wehrmacht, dont la 2e Division blindée S.S. “Das Reich"” Il
convient de noter que le parti social-nationaliste ukrainien - Svoboda -
a également utilisé ce symbole distinctif.[4]
L’image emblématique de l’exposition, une
photographie en noir et blanc, est un portrait de Denys Prokopenko, un
commandant du bataillon Azov connu pour son idéologie suprémaciste blanche.[5] Prokopenko a entamé sa carrière
militaire d’abord au sein du “Club des Garçons Blancs”, un groupe d’ultras
néo-nazis, avant de rejoindre la division Borodach. Cette dernière se distingue
par l’utilisation du symbole nazi de la tête de mort et des tibias croisés.
Prokopenko n’est qu’un des nombreux membres controversés de cette unité
paramilitaire, dont les adeptes arborent des tatouages faisant référence à des
symboles racistes, suprématistes, homophobes, antisémites et nazis-fascistes.[6]
Le bataillon Azov a été impliqué dans des
actes effroyables de cruauté et de non-droit, y compris des exterminations, des
déportations et la suppression totale de la liberté et de la dignité humaines.
Il a même procédé à des crucifixions et à des mises à mort sur des bûchers.[7] Contrairement au récit véhiculé par l’exposition
en question, les membres du bataillon Azov ne sont donc pas des héros, mais
plutôt des meurtriers cruels et lâches. Leur prison secrète, connue sous le nom
de “La Bibliothèque” était située dans l’aéroport de Mariupol sous la direction
du SBU [service secret], un lieu de torture et de meurtre pour les
miliciens des républiques populaires du Donbas, les communistes, les
antifascistes et les anti-maïdanistes.[8] Un lieu qui évoque de tristes
similitudes avec le Stade national de Santiago du Chili.[9] Dans un tel contexte, aurait-il été
acceptable d’accueillir une exposition sur Pinochet et ses exécuteurs à Via
Dante ou au Museo del Risorgimento en 1973 ? Pour illustrer le malaise
généralisé et les contradictions que cette exposition a suscités, il convient
de noter que le quotidien turinois La Stampa a modifié de manière
significative le titre d’un de ses articles relatifs à cette exposition. Le
titre original, « [...] l’exposition au centre sur les néo-nazis du
Bataillon Azov », a ensuite été remplacé par « [...] l’exposition sur
la résistance ukrainienne à Mariupol », atténuant ainsi le caractère
controversé de l’événement.[10]
Dans le cadre de la célébration du 20e anniversaire
d’El Periscopio, je me suis entretenu avec trois des organisateurs de cette
activité : Alfredo Vivono, de Rosario, Luis Larpin, de Santa Fe, et Augusto
Saro, de Buenos Aires.
Pour les anciens prisonniers politiques de la prison
de Coronda, dans la province de Santa Fe, en Argentine, la mémoire est une
passion. Vingt ans après la publication de leur livre Del otro lado de la
mirilla [De l'autre côté du judas], ils ont célébré samedi 3 juin leurs deux décennies de militantisme
associatif contre l’oubli dans le sinistre ancien quartier général de la police
de la ville de Rosario (300 kilomètres au nord-ouest de Buenos Aires).
Dans le bâtiment de l’ancien
quartier général de la police de l’unité régionale II de Rosario, le service d’information
(SI), le plus grand centre d’enlèvements illégaux de la région, opérait sous la
direction du deuxième corps d’armée, au centre de la ville de Rosario. On
estime qu’environ 2000 personnes y ont été enlevées, torturées et, dans de
nombreux cas, victimes de disparitions forcées. L’ancien service d’information a été récupéré par l’État provincial en vue
de la création d’un espace de mémoire, pour la défense, la
promotion et l’expansion des droits.
Le 25 mai 2003, ils ont fondé l’association El
Periscopio et lancé, non sans hésitation, la première édition de leurs
témoignages collectifs et anonymes, avec une préface d’Adolfo Pérez Esquivel.
Et à partir de ce moment, l’association El Periscopio - ce petit instrument
clandestin utilisé par les prisonniers de Coronda pour suivre depuis les
cellules les mouvements des gardiens dans le bloc cellulaire - n’a cessé de
multiplier les initiatives en faveur de la Mémoire, de la Vérité et de la
Justice. Au cours des vingt dernières années,
trois éditions du livre ont été publiées en espagnol, avec plus de 10 000
exemplaires vendus. En 2020, au plus fort de la pandémie en Europe, Ni fous
ni morts l’édition française - déjà épuisée – a été publiée par les
Éditions de l’Aire, de Vevey, en Suisse. En septembre dernier, c’était au tour
de la version italienne, cyniquement intitulée Grand Hotel Coronda, publiée
par la prestigieuse maison d’édition romaine Albatros Il Filo. Et avant la fin
de l’année 2023, une édition portugaise est prévue, en collaboration avec la
maison d’édition Expressão Popular de São Paulo, étroitement liée aux acteurs
sociaux brésiliens les plus dynamiques, en particulier le Mouvement des
travailleurs ruraux sans terre (MST).
Dès le début, le mot d’ordre d’El Periscopio était clair
: « Il faut militer pour le livre ». Des centaines d’activités
publiques dans les quartiers, les écoles, les universités, les centres
culturels, les théâtres, les cinémas, les paroisses et les syndicats, tant en
Argentine qu’en Europe, ont accompagné la promotion de ce témoignage écrit. Les
plus récentes ont été les sept
présentations durant la deuxième quinzaine de mai dans six villes de
Sicile, auxquelles ont participé plus de 350 personnes, principalement des
jeunes des lycées d’Agrigente et de Favara, dans le sud de l’île.
Dans le cadre de la célébration du 20e anniversaire d’El
Periscopio, je me suis entretenu avec trois des organisateurs de l’événement :
Alfredo Vivono, de Rosario, Luis Larpin, de Santa Fe, et Augusto Saro, de
Buenos Aires.
Alfredo Vivono
Histoire collective
« Lorsque nous avons imaginé de célébrer notre vingtième anniversaire,
nous avons décidé de le faire simplement et dans un lieu qui nous aiderait à
nous souvenir à la fois de la répression dictatoriale et de la résistance
contre celle-ci - comme l’ancien siège de la police de Rosario. Et nous avons
décidé de nous réunir avec d’autres personnes qui, comme nous, ont été
impliquées dans la résistance collective et ont toujours continué à contribuer
à la construction de la mémoire », se souvient Alfredo Vivono. Il ajoute :
« Nous faisons partie d’un ensemble qui a connu de nombreuses formes de
lutte contre le même ennemi et sa méthode quotidienne de terrorisme d’État ».
Enfin, explique Vivono, « Celebrar vient de celebrare, celeber,
qui signifie nombreux, encombré, abondant. Ce à quoi El Periscopio ajoute
également les concepts de collectif et d’unitaire. Collectif et unitaire, comme
l’a toujours été tout ce que nous avons fait: depuis cette merveilleuse
résistance dans les prisons de Cordoba jusqu’à cette célébration à
Rosario. De la première édition de Del otro lado de la mirilla aux
centaines de présentations et d’initiatives que nous avons inlassablement
promues en Argentine et à l’étranger ».
Luis Larpin
Luis Larpin, également membre du conseil d’administration d’El Periscopio,
souligne : « Notre expérience est aussi collective que l’a été la
résistance populaire à la dictature dans les prisons, dans les centres de
détention illégaux, dans la lutte pour les droits humains, dans les rues, dans
la solidarité internationale ». Comment célébrer aujourd’hui le 20ème
anniversaire de l’association en cohérence avec cet “esprit périscopien” qui
animait la résistance unie et fraternelle de Coronda, s’interroge Larpin. La
réponse est toute trouvée : « En invitant des représentants de
quelques-unes des nombreuses initiatives qui œuvrent à la recréation collective
de la mémoire. En les reconnaissant et en nous reconnaissant en eux ».
Absences La célébration à Rosario s’est ouverte par un montage
audiovisuel avec des images de ses 20 ans d’existence. Elle s’est achevée par
le non moins émouvant film de 12 minutes, Retorno a Coronda, d’Alberto
Marquardt, cinéaste argentin basé en France et ancien prisonnier de Coronda. Il
s’agit d’un témoignage de la visite effectuée en octobre 2019 par huit anciens
détenus politiques à la prison de Santa Fe.
Dans le cadre de cette activité, El Periscopio a remis
des plaques de reconnaissance à près de 30 associations, groupes et personnes,
tels que les anciennes prisonnières politiques de la prison de Devoto, autrices
du livre Nosotras, l’Instituto Venadense por Memoria, Verdad y Justicia
(Venado Tuerto), les anciens prisonniers politiques de la prison de Mendoza,
qui ont publié No nos podían et le Colectivo de la Memoria de Santa Fe,
entre autres. Le programme Postas de la Memoria, les auteurs de Historias de
Vida, dela Sonrisa no se rinde, La Mirada et Capitana Editorial et
leur ouvrage Impresas Políticas, ainsi que lequotidien Página
12 ont également été honorés. Graciela Camino et Gabriela Robles, deux
personnalités importantes du monde du théâtre et de la communication
audiovisuelle, ont également été récompensées. La première a dirigé, avec María
Moreno, Coronda en Acción, qui a connu un grand succès en
2006, tandis que Robles a coordonné une expérience audiovisuelle en quarantaine
sur Coronda pendant la pandémie.
La liste comprenait également des noms individuels,
pour la plupart d’anciens prisonniers politiques ou des membres de leur famille
qui, de par leur position professionnelle/militante (dans des domaines tels que
la communication, le syndicalisme, la performance artistique, la peinture, l’historiographie,
etc.), ont soutenu et soutiennent la lutte pour la mémoire : Victorio Paulón,
Daniel Gollán, Hugo Soriani, Raúl Viso, Jorge Miceli, Raúl Borsatti, Jorge
Giles, Alba Acosta, Rubén Mensi, Luciano Sánchez, Carlos Samojedny et Carlos
del Frade. En outre, des syndicats ou des institutions qui ont toujours fait
preuve d’une solidarité active avec les anciens prisonniers de Coronda. Entre
autres, Puerto Libro, les syndicats SADOP et CTERA, ainsi que le Secrétariat
des droits humains de Santa Fe.
Luis Larpín souligne : « Nous nous reconnaissons
dans chacun·e d’entre eux·elles, qui ne sont pas seulement des “allié·es” de
notre histoire commune, mais aussi des points de référence pour poursuivre
notre propre chemin ». C’est pourquoi il ne s’agissait pas de décerner des
distinctions ou des prix. « Il s’agissait simplement de les reconnaître
pour tout ce qu’ils·elles ont fait et continuent de faire pour une autre
Argentine possible. Notre reconnaissance est une gratitude. Notre hommage
signifie de plus grands défis pour l’avenir et l’impossibilité d’abandonner ou
de s’arrêter en pensant que la tâche est déjà accomplie ».
Absences
« Le bonheur profond éprouvé en ce moment de
retrouvailles ne nous empêche pas de ressentir - avec non moins d’émotion - les
nombreuses absences », explique Augusto Saro, président du conseil d’administration
d’El Periscopio.
« Nous sommes une génération marquée au fer rouge
par le vide », souligne-t-il. « C’est le prix que nous payons pour la
générosité de ce dévouement inconditionnel et sans limite. Ce sont les 30 000
disparus, ainsi que Daniel Gorosito, Luis Alberto Hormaeche, Raúl San Martín et
Juan Carlos Voisard, nos quatre camarades assassinés à Coronda. Ce sont aussi
ceux qui nous ont été enlevés au cours des deux dernières décennies. Ils font
tous partie de l’essence de notre collectif. Ils nous manquent beaucoup, même
si nous sentons que nous continuons à marcher ensemble ».
Saro a cette réflexion : « Quel immense privilège
de penser que, lors de cette célébration à Rosario, nous sommes en train de
récolter la vie ! Dans ce lieu (l’ancien siège de la police), où les
génocidaires ont semé la torture et la mort. Nous voyons dans cet espace au
symbolisme si particulier que, avec nous, il y a les mères, les grands-mères et
les fils. Et les ex-prisonniers, ainsi que beaucoup de nos proches.La vérité a triomphé, dit Saro. Une pause, un
silence et une affirmation catégorique : « Tout comme la justice a prévalu ».
Et il rappelle la victoire juridique qu’El Periscopio a obtenue avec le soutien
de l’équipe juridique de HIJOS [association des enfants de disparus] à
Santa Fe dans le procès dit de Coronda. En mai 2018, les deux commandants de la
gendarmerie nationale qui avaient dirigé la prison pendant la dictature ont été
condamnés à de lourdes peines de prison : la justice a établi que le
régime quotidien et les décès qui ont eu lieu à Coronda constituaient des
crimes contre l’humanité.
Internationalisation de la mémoire
Alfredo Vivono, qui en septembre 2022 a participé en
Suisse, en France et en Italie au lancement de la version italienne de Del
otro lado de la mirilla, anticipe l’émotion produite par la célébration à
Rosario et ne peut éviter une réflexion complémentaire : en tant que collectif,
des frontières planétaires ont été franchies. « Nous sommes à Rosario et
nous penserons là-bas, loin et près, à des milliers de kilomètres, où nous
voyons les visages de femmes et d’hommes que nous sentons déjà comme des frères
et des sœurs. Depuis 5 ans, nous marchons avec des Suisses et des Suissesses,
des Français et des Françaises, des Italiens et des Italiennes. Del otro
lado de la mirilla ; Ni fous ni morts ; Grand Hôtel Coronda :
une succession sans fin de volontés qui revendiquent la même passion/obsession
pour la Mémoire, la Vérité et la Justice ».
Augusto Saro
Augusto Saro, qui faisait également partie de la délégation périscopienne chargée
de présenter le livre en Europe, partage cet avis : « Nous avons découvert
dans El Periscopio la magie d’une planète globale ». Selon lui, ces
visages lointains - à plus de 11 000 kilomètres de distance et 45 ans plus tard
- qui s’émeuvent aujourd’hui de l’histoire des prisons et des centres de
détention clandestins de la dictature argentine, « ne vibrent pas par
volontarisme mais par nécessité. Nous lire, nous traduire, nous publier, nous
écouter, c’est pour eux faire partie d’un dialogue ouvert. Ce qu’ils ont vécu à
Coronda, Devoto, Mendoza, Rawson, Córdoba, Resistencia, Caseros, dans chaque
centre de détention, les rapproche de leurs propres histoires continentales de
lutte, hier et aujourd’hui ».
Don Luigi Ciotti, prêtre anti-mafia et point de
référence pour les sans-papiers arrivant en Italie, a introduit dans sa préface
à Grand Hôtel Coronda une réflexion généreuse dédiée à El Periscopio,
étendue à tous les militants des droits humains en Argentine et dans le monde :
« Votre dévouement est un acte de grande générosité. La générosité de la
mémoire n’est jamais un devoir, (surtout pour ceux qui sont passés par le
territoire le plus extrême de la douleur), mais un choix, un chemin, un don ».
Rappelant ce qu’il a vécu lors de sa tournée européenne, Augusto Saro conclut :
« Lorsque nous présentons nos témoignages, les héritiers des partigiani
résistants italiens sont émus, les jeunes qui cherchent désespérément des
alternatives à la planète qui bout ou à la domination patriarcale sous toutes
ses formes sont interpellés... Bénie soit la résistance unie, nous disent-ils
avec émotion ». Heureuse la résistance unie, nous disent-ils avec émotion ».
Bénit soit l’Autre Monde possible et de plus en plus nécessaire, répond El
Periscopio.
Moments d'une immense
carrière musicale et d'une vie bien remplie
Christos Paridis, LIFO,
2/9/2021
Traduit du grec par Jacques Boutard, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Christos Paridis est um journaliste
indépendant et traducteur grec, né à Thessalonique et vivant à Athènes, qui a
étudié le théâtre et le cinéma au Bard College de New York. Il est le directeur
artistique de la « Boîte Noire », une plateforme théâtrale et
musicale de la Fondation Mikhalis Cacoyannis. @rueLepsius
Lorsque Mikis Theodorakis a rencontré Konstantinos Karamanlispendant la période houleuse que fut l'été
1974,marqué par le débarquement à
Chypre, l'effondrement du régime des colonels et le danger imminent de guerre
avec la Turquie, l'homme d’état lui demanda s'il participerait à un
gouvernement de salut national, il répondit par un refus : « Quand je
dirige l'orchestre, je m’habille en noir et je deviens le « prêtre de la
démocratie », c'est mon rôle, j'utilise mes mains comme si j'embrassais
tout l’orchestre et que le monde entier chantait avec moi. Si vous êtes sur la
bonne voie, celle à laquelle je crois, je serai de votre côté. »
Mikis Theodorakis à Londres en 1970
Cette description du style familier avec lequel il dirigeait l'orchestre lors
de ses concerts, était en même temps l’admission de sa part d’un extrême
dévouement envers les Grecs et la Grèce qui a joué un rôle clé dans ses choix
musicaux et politiques. Ce dévouement envers le pays lui a servi de boussole à
toutes les périodes de sa longue vie, provoquant d'innombrables malentendus
chez ses admirateurs comme chez ses compatriotes, car cette attitude était
parfois la source de réactions enthousiastes et, à d'autres moments, de
brouilles, voire d’une guerre acharnée contre lui.
Dans les nombreuses interviews qu'il a accordées une fois parvenu à l’âge de sa
plus grande maturité, il disait souvent : « Je suivrais le diable pour
défendre mon pays ». Pour la majorité des progressistes grecs, c'était
comme s'il était effectivement « parti avec le diable », lorsqu'il a
prononcé son fameux « Karamanlis ou les chars », l’été de la chute de
la junte - bien qu'il ne l'ait pas dit exactement comme ça, c'est une phrase
qui lui a été attribuée dans un titre du journal « Vradini » et qui
est restée dans la mémoire historique collective, faisant de la plus grande
idole des Jeunes communistes (KNE) un « traître ». Cette étiquette
l'a suivi toute sa vie. Ses choix et positions politiques ont souvent envenimé
ses relations avec eux, seules les luttes et les épreuves qu’il avait subies
dans sa jeunesse le « rachetaient » à leurs yeux.
Il était né à Chios en 1925. Sa mère était originaire de Çeşmeen
Asie Mineure et son père,originaire du
bourg de Galata dans le dème de La Canée en Crète, était un haut fonctionnaire
partisan d’Elefthérios Venizélos. Ils s’étaient rencontrés à Urla [entre Smyrne
et Chios], où il avait été affecté à l’époque du Haut-Commissariat grec, juste
avant la Grande Catastrophe de 1922, et quand la tragédie est survenue, ils ont
fait ensemble la traversée en barque afin de sauver leur vie et prendre un
nouveau départ.