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16/08/2024

OMER BARTOV
En tant qu'ancien soldat des FDI et historien du génocide, j'ai été profondément troublé par ma récente visite en Israël

Cet été, des étudiants d'extrême droite ont protesté contre l'une de mes conférences. Leur rhétorique rappelait certains des moments les plus sombres de l'histoire du XXe siècle et recoupait de manière choquante les opinions de la majorité israélienne.

Omer Bartov, The Guardian, 13/8/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 19 juin 2024, je devais donner une conférence à l'université Ben-Gourion du Néguev (BGU) à Be'er Sheva, en Israël. Ma conférence s'inscrivait dans le cadre d'un événement sur les manifestations universitaires mondiales contre Israël, et j'avais prévu d'aborder la guerre à Gaza et, plus largement, la question de savoir si les manifestations étaient des expressions sincères d'indignation ou si elles étaient motivées par l'antisémitisme, comme certains l'ont prétendu. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.

05/12/2022

SHAY HAZKANI
Qui a peur de révéler les “secrets” palestiniens de 1948 ?

Shay Hazkani, Haaretz, 4/12/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Shay Hazkani est professeur associé d'histoire à l'université du Maryland. Son livre “Dear Palestine: A Social History of the 1948 War a remporté le Korenblat Book Award in Israel Studies pour 2022. Un documentaire basé sur ses recherches, “L'opinion du soldat”, a été présenté en première au Festival du film de Jérusalem en 2022. Le Dr Hazkani a participé à diverses luttes concernant les politiques de déclassification des archives en Israël. En 2019, il a adressé une pétition à la Cour suprême israélienne avec l'Association pour les droits civils, afin de contraindre le service de renseignement intérieur israélien, le Shin Bet, à ouvrir ses archives au public. Avant sa carrière universitaire, Shay a travaillé comme journaliste couvrant la Cisjordanie et l'armée israélienne.

Lorsque les Archives de l'État d'Israël refusent de diffuser des documents pillés aux Palestiniens sous prétexte que cela « porterait atteinte à la sécurité nationale », il est clair qu'il s'agit d'une couverture pour une crainte totalement différente.

Des réfugiés palestiniens quittant leur village, lieu inconnu, 1948. Photo : UNRWA

 

Vous vous êtes sans doute demandé à un moment donné, comme moi, quel genre d'État arabe les Palestiniens envisageaient en 1948 s'ils avaient gagné la guerre. Quels étaient leurs plans ? Où avaient-ils l'intention de construire leur version de l'autoroute Ayalon ? Voulaient-ils aussi assécher le marécage de Hula pour rendre plus disponibles les terres agricoles ?

 

Oh, et que pensaient-ils des 628 000 Juifs qui vivaient dans ce qui est maintenant Israël à la veille de la guerre ? Qu'avaient-ils l'intention de faire d'eux ?

 

Chaque semaine, le chroniqueur Ben-Dror Yemini raconte à ses lecteurs dans le Yedioth Ahronoth que les dirigeants arabes de 1948 ont appelé à jeter les Juifs à la mer. En d'autres termes, ils avaient l'intention de procéder à un massacre systématique.

 

Ainsi, sans accabler les lecteurs de Haaretz avec une recherche académique aride, je pense qu'il est utile de les informer qu'en 15 ans de recherche, au cours desquels j'ai lu des centaines de documents de propagande de 1947 à 1949, je n'ai rencontré qu'un seul cas dans lequel un dirigeant arabe a mentionné “mer” et “Juifs” dans la même phrase. Il s'agissait de l'Égyptien Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans, dans un appel à expulser les Juifs d'Égypte.

 

Les citations plus familières (comme celle attribuée au secrétaire général de la Ligue arabe de l'époque, Azzam Pacha) ne sont pas étayées par des sources arabes fiables, et il n'est pas certain qu'elles aient jamais été prononcées.

 

Quoi qu'il en soit, je n'ai trouvé aucun appel au meurtre de Juifs au seul motif qu'ils étaient Juifs, que ce soit dans la propagande ou dans le matériel éducatif destiné aux Palestiniens et aux combattants arabes en 1948. À en juger par les documents que j'ai rassemblés pour mon dernier livre, les affirmations concernant un plan arabe visant à “jeter les Juifs à la mer” sont en fait ancrées dans la propagande sioniste officielle. Cette propagande a commencé pendant la guerre, peut-être pour encourager les combattants juifs à laisser aussi peu de Palestiniens que possible dans les zones qui allaient faire partie d'Israël. (Soit dit en passant, une comparaison de la propagande arabe et juive en 1948 révèle que la propagande des Forces de défense israéliennes et de leur précurseur, la Haganah, était beaucoup plus violente).

 

J'ai récemment pensé qu'une occasion en or d'en apprendre un peu plus sur les plans des Palestiniens en cas de victoire  en 1948 m'était tombée dessus. Cinq ans après avoir demandé l'autorisation d'examiner plusieurs dossiers qui avaient été pillés dans des institutions palestiniennes pendant la guerre et dont l'existence avait été dissimulée, les Archives de l'État d'Israël m'ont fourni une liste de dossiers provenant d'un département secret du ministère des Affaires étrangères appelé “département politique” (qui est devenu plus tard le Mossad). En 1948 et 1949, il était dirigé par un agent de renseignement nommé Boris Guriel.

 

Deux dossiers de la liste ont immédiatement attiré mon attention. Le premier, le dossier MFA 5/6100, était intitulé « Palestine - un État arabe indépendant ». Il contenait des documents produits par la Ligue arabe, apparemment dans le cadre de sa correspondance avec le gouvernement en exil de “Toute la Palestine” qui s'est installé dans la bande de Gaza pendant la guerre.

 

Selon les archives, ce dossier contenait « de la correspondance et des rapports sur la création d'un État arabe indépendant ». Mais il est tellement secret que ce n'est que 90 ans après sa création - c'est-à-dire en 2040 - que je serai autorisé à le lire.

 

Bien, ai-je pensé. Peut-être qu'ils ne peuvent pas me dire ce que les Palestiniens prévoyaient pour leur État indépendant, mais chaque enfant en Israël sait que lorsqu'il s'agit du célèbre mufti de Jérusalem, tout est déjà connu et ouvert à l'examen. Après tout, les liens d'Amin al-Husseini avec de hauts responsables du parti nazi et l'horrible propagande qu'il a diffusée à la radio pendant la Seconde Guerre mondiale sont les sujets favoris de la machine de diplomatie publique d'Israël depuis maintenant sept décennies.

 

Mais il s'avère que je me suis encore trompé. Les dossiers du département politique comprenaient également des documents écrits par le mufti entre 1946 et 1948 (dossier MFA 3/6100). Or, les archives m'ont informé que ces documents ne pouvaient être consultés que 90 ans après leur rédaction.

 

Mais ne vous inquiétez pas, ils ont accepté de partager la correspondance du mufti avec de hauts responsables nazis. Seule la question triviale de savoir ce que faisait le leader du mouvement national palestinien pendant la guerre ne peut être révélée.

 

Ces deux dossiers ne sont que la partie émergée de l'iceberg du patrimoine politique et culturel palestinien dissimulé dans les archives d'Israël. Ces documents ont été pris comme butin aux institutions et aux individus palestiniens en 1948, 1956, 1967 et 1982 (et bien sûr aussi dans les décennies suivantes), mais seule une partie d'entre eux peut être consultée.

 

Selon mes estimations, des dizaines de milliers de pages de documents arabes qui n'ont pas encore été mis à la disposition du public se trouvent dans les archives de l'État d'Israël, les archives des Forces de défense israéliennes, les archives du Mossad et les archives du service de sécurité Shin Bet. Ce dernier, selon un témoignage, a brûlé une partie de ces documents dans les années 1960.

 

Le fait que les archives du Shin Bet soient complètement fermées au grand public, avec l'approbation de la Haute Cour de justice, rend impossible de savoir ce qu'elles contiennent ou non. Mais même dans les autres archives, de nombreux dossiers pillés sont gardés cachés ; dans certains cas, même une liste de leur contenu n'est pas disponible.

 

D'ailleurs, il ne s'agit pas seulement de documents de l'élite politique palestinienne. À ma demande, un petit nombre de dossiers palestiniens pillés dans les archives de l'armée israélienne ont récemment été mis à disposition, contenant des milliers de pages de documents sur des personnes ordinaires.

 

L'un de ces dossiers, consacré à un homme nommé Wadia Iskander Azzam, comprend toute sa vie : le document d'enregistrement de sa maison à Safed, son certificat de mariage, les cartes de visite qu'il a collectionnées au cours de sa vie, son journal intime et quelques poèmes qu'il a écrits - tout un monde de documents sur une personne dont le monde a été détruit en 1948.

 

Lorsque les Archives de l'État d'Israël refusent de divulguer les documents pillés aux Palestiniens sous prétexte que cela « porterait atteinte à la sécurité nationale », il est clair que cela cache une toute autre crainte. Il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de secrets d'État dans les documents arabes écrits par les Palestiniens, comme leurs plans pour un État palestinien indépendant ou les documents d'un orphelinat de Jaffa.

 

Le plus grand secret est l'existence même de ces documents, qui sont un mémorial à une civilisation palestinienne détruite. Ce « secret », craignent les fonctionnaires responsables de la déclassification des documents, pourrait ébranler le récit sioniste israélien et susciter des doutes chez les personnes désireuses d'examiner l'histoire d'un œil critique.

 

Imaginez qu'un autre pays possède les archives d'une communauté juive d'Europe de l'Est qui a été détruite pendant l'Holocauste, ou d'une communauté juive dans un pays musulman. Bien sûr, il n'y a pas de comparaison possible, mais que dirait Yad Vashem ? Ou les organisations juives des USA ? Le gouvernement usaméricain interviendrait-il pour mettre ces documents en sécurité ?

 

En fait, vous n'avez pas besoin d'imaginer, car il y a eu une pléthore de cas comme celui-ci au cours des 70 dernières années. L'un d'entre eux, toujours en cours, concerne les archives de la communauté juive de Bagdad, que les forces d'occupation usaméricaines ont prises au siège des services de renseignement irakiens en 2003.

 

Les USAméricains ont scanné l'ensemble des archives et les ont mises en ligne, et ils prévoient maintenant de les rendre au gouvernement irakien. Mais les représentants de la communauté juive irakienne exigent que les documents de Bagdad, où il ne reste plus de Juifs, ne soient pas rendus. La bataille fait toujours rage.

 

Israël aussi aura du mal à continuer à conserver l'héritage culturel d'un autre peuple, surtout lorsque la plupart des membres de ce peuple n'ont pas le droit d'accéder aux archives israéliennes pour étudier cet héritage. Tout comme d'autres aspects du conflit israélo-palestinien ont été internationalisés, le vol et la possession illégale par Israël du patrimoine des Palestiniens finiront par être portés devant les tribunaux internationaux. Israël serait bien avisé d'empêcher cela en publiant systématiquement les documents qu'il détient et en les rendant accessibles.

15/04/2022

L’art de réécrire l’histoire
Chroniques d’un pêcheur de perles

 FG, BastaYekfi! 15/4/2022

Depuis quelques semaines, je lis, je regarde et j’écoute ce qui se dit dans le monde virtuel suite à « l’attaque défensive/préventive » de la Russie contre l’est de l’Ukraine. J’aimerais répondre à quelques perles pêchées au passage.

1

«(…) l'Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie ou, pour être plus précis, par la Russie bolchevique et communiste. Ce processus a commencé pratiquement tout de suite après la révolution de 1917, et Lénine et ses associés l'ont fait d'une manière extrêmement dure pour la Russie - en séparant, en coupant ce qui est historiquement une terre russe. Personne n'a demandé aux millions de personnes qui vivaient là ce qu'elles pensaient.» (Vladimir Vladimirovitch Poutine, 21/2/2022, intégralité du discours ici)

Mince alors ! Moi qui croyais que le Varègue Oleg le Sage, après avoir chassé les Khazars, avait fondé la Rous’ de Kiev au IXème siècle ! Que celle-ci, au XIème siècle, était le plus vaste État d’Europe. Que, après avoir passé quelques siècles sous la férule galicienne puis polono-lituanienne et turco-tatare, l’Ukraine est proclamée par les Cosaques avant de passer sous la domination russe, ottomane et austro-hongroise. Et enfin, qu’à partir du milieu du XIXème siècle, là comme ailleurs en Europe, de l’Irlande à la Serbie, une revendication nationale ukrainienne se développe, aussi bien chez les intellectuels « russifiés » que chez les paysans. Dans le chaos qui suit la révolution de 1917 et la fin de la guerre, les républiques populaires fleurissent en Ukraine. À la Conférence de la paix de Paris (1919), Polonais et Roumains sont admis à faire valoir leurs revendications, mais pas les Ukrainiens. Une guerre de tous contre tous éclate, entre les Blancs (tsaristes), les Rouges (bolcheviks) et les Noirs (anarchistes de Makhno). Les Rouges l’emportent et l’Ukraine désormais socialiste intègre l’URSS, créée en 1922. Sous Staline est pratiquée la politique dite d’ « indigénisation », consistant donner plus de place aux Ukrainiens « ethniques », à leur langue et à leur culture, qui connaît un coup d’arrêt dès 1929, avec une première vague de procès fabriqués contre des intellectuels « nationalistes » ukrainiens. L’Ukraine a connu trois famines : en 1922, en 1937 et en 1947. Rien de tel pour encourager les sentiments nationalistes dans un sens anti-russe (et accessoirement anti-polonais), sans oublier bien sûr le Goulag.

Bref, pour répondre à Poutine, si l’Ukraine a longtemps appartenu à la Russie impériale puis soviétique, elle a autant de raisons historiques de faire valoir ses droits nationaux que l’Irlande, l’Écosse, La Catalogne, le Groenland ou le Québec. Que ses dirigeants croient que ces droits seraient assurés en rejoignant l’Union Européenne peut à juste titre paraître délirant mais peut se comprendre [comprendre ne veut pas dire approuver]. En revanche, ils semblent avoir définitivement compris qu’une adhésion à l’OTAN signifierait la mort pure et simple de l’Ukraine. Concluons avec cette sentence d’Ernest Renan : « L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation (…) l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».

 

2

« Mai 68 était une révolution de couleur déclenchée par les USA pour éliminer de Gaulle, favorable à une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » » (Majed Nehmé, ancien rédacteur en chef du défunt Afrique-Asie)

Mince alors ! Moi qui étais persuadé avoir été un agent chinois, voilà que je découvre qu’en fait, je n’avais été qu’un agent yankee. On savait déjà que la Révolution de 89 était un coup des Juifs et des Francs-Maçons, que la Commune de Paris était un coup des Prussiens, que la Révolution tunisienne de 2010-2011 un coup de l’OTAN/CIA pour se débarrasser de Ben Ali qui refusait l’installation d’une base yankee-otanesque sur son territoire, que la révolution syrienne de 2011 n’était qu’un complot pour faire passer un gazoduc du Qatar à la Turquie. Mais ça, sur 68, c’est nouveau. Le camarade Nehmé aurait pu préciser « une révolution orange avec l’appui de la Mafia sicilienne ». En effet, quand nous occupions la Sorbonne, des mystérieux « Cubains » nous avaient contactés et donné rendez-vous dans un café de la rue Soufflot. Là, ils nous proposèrent de nous vendre des armes. Ils avaient un drôle d’accent pour des Cubains. En fait, c’étaient de vulgaires malfrats siciliens qui cherchaient à fourguer des flingues contre espèces sonnantes et trébuchantes. On a bien rigolé et on leur a dit « Ciao, belli ». C’est peut-être pour ça que « notre révolution de couleur » a échoué.

30/11/2021

OFRI ILANY
Shlomo Sand, historien post-sioniste : « La gauche mondiale est en train de mourir, et avec elle le mythe de l'égalité »

Ofri Ilany,(bio), Haaretz, 26/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans son nouveau livre, l'historien Shlomo Sand, auteur du provocateur «Comment le peuple juif fut inventé », affirme que la social-démocratie a échoué (elle n'a jamais eu la moindre chance en Israël), que le capitalisme renforce en fait l'égalité et que la gauche, en Israël et ailleurs, est confrontée à un avenir sombre.

Shlomo Sand. "Parfois, on coupe des têtes pour obtenir l'égalité." Photo : Daniel Tchetchik

La première fois que Shlomo Sand a été déçu par la classe ouvrière, c'était quand il avait 16 ans. Il venait d'être renvoyé du lycée de Jaffa et avait commencé à travailler dans une usine. « J'étais un garçon qui travaillait », raconte le professeur. « Je suis allé travailler et j'étais plein d'enthousiasme à      l'égard du prolétariat, à la lumière des valeurs qui m'avaient été inculquées par mon père, qui était communiste. Mais j'ai été très déçu : le mépris des anciens pour les jeunes, leur exploitation de moi et des autres jeunes travailleurs. Comme j'étais plus jeune, je devais les servir. Je devais balayer l'usine. Je disais à mon père : "Regarde ton prolétariat". J'étais déçu ».

Quelques années plus tard, après avoir participé à la guerre des Six Jours en 1967, le jeune Sand rejoint le Matzpen, une organisation radicale socialiste et antisioniste. Là, le jeune homme de Jaffa fait la connaissance d'un groupe d'intellectuels, pour la plupart issus de familles aisées. « C'était un groupe de bobos sympathiques avec de grandes âmes. Mais le fossé entre l'utopie et la réalité était trop grand. Il y avait des tensions entre eux et moi : j'étais un travailleur manuel, donc je trouvais leurs fantasmes de révolution improbables. Je croyais en une lutte, mais pas en une révolution prolétarienne. Et c'était en fait sur la base de ma connaissance des ouvriers. J'ai quitté le Matzpen sans jérémiades ».

Sand, 75 ans, est l'un des intellectuels de gauche les plus connus en Israël. Ayant acquis sa notoriété principalement grâce à son livre controversé Comment le peuple juif fut inventé (publié en hébreu et en français en 2008, et en anglais l'année suivante), il est identifié à des thèses scandaleuses qui ont été perçues comme une attaque contre les fondements de l'idéologie sioniste.

Aujourd'hui, l'historien post-sioniste jette un regard critique sur son camp d'origine : la gauche. Dans son nouveau livre, "Une brève histoire de la gauche" (publié en hébreu par Resling, à paraître en français au éditions La Découverte le 20 janvier 2022 sous le titre Une brève histoire mondiale de la gauche), Sand examine de manière tranchante l'histoire de la gauche au début de l'ère moderne, ses métamorphoses à travers le monde et aussi ses profonds échecs.

Son point de départ est la sombre situation actuelle de la gauche dans le monde. « J'ai décidé d'écrire ce livre en raison de l'état actuel de la gauche », dit-il. « Comme je me suis toujours considéré comme une personne de gauche, toute ma vie, la situation actuelle m'a parlé, et j'ai aussi pensé que je pouvais résumer certaines choses. Le livre est donc aussi une sorte d'autobiographie ».

15/08/2021

TIM PARKS
La Sicile, éternelle colonie
Notes de lecture

Tim Parks, The New York Review of Books, 19/8/2021
Traduit par Fausto Giudice

Tim Parks (Manchester, 1954) est un écrivain, traducteur, critique littéraire et enseignant britannique vivant à Vérone en Italie depuis 1981. Il est l'auteur de nombreux romans, traductions et ouvrages de non-fiction, dont le plus récent est The Hero's Way : Walking with Garibaldi from Rome to Ravenna (Août 2021). Bibliographie. 

En Sicile, il existe depuis des siècles un décalage dysfonctionnel entre les nombreuses communautés locales différentes et les idées et plans de ceux qui gouvernent l'île de loin.

 

Livres recensés

The Invention of Sicily: A Mediterranean History
(L'invention de la Sicile : une histoire méditérannéenne)

by Jamie Mackay

Verso, 296 pp., $26.95

Sicily: An Island at the Crossroads of History
(La Sicile : une île au carrefour de l'histoire)

by John Julius Norwich

Random House, 362 pp., $32.00

Under the Volcano: Revolution in a Sicilian Town
(Sous le volcan : révolution dans une ville sicilienne)

by Lucy Riall

Oxford University Press, 278 pp., $73.00

 

La cathédrale de Syracuse, en Sicile, 1988. D'anciennes colonnes doriques sont incorporées dans les murs. Ferdinando Scianna/Magnum Photos

Qui gouverne la Sicile ? Est-ce important ? Avec une population de cinq millions d'habitants (semblable à celle de l'Écosse, plus importante que celle de la Croatie), cette île de 25 711 km2 située au bout de la botte italienne jouit d'une autonomie particulière au sein de l'État italien : elle possède son propre parlement régional et élabore ses propres lois dans des domaines tels que l'agriculture, la pêche, l'environnement et le patrimoine culturel. En même temps, elle est très largement gouvernée par Rome et subventionnée par Rome de manière beaucoup plus généreuse que les autres régions qui ne bénéficient pas d'une telle autonomie. L'Italie est elle-même, dans une certaine mesure, gouvernée par l'Union européenne et dépendante de celle-ci, ce qui n'est apparu que trop clairement au cours des premiers mois de 2021, lorsque l'UE n'a pas été en mesure de garantir un approvisionnement en vaccins Covid en temps voulu, une responsabilité qu'elle avait reprise de ses États membres. D'autre part, elle met à disposition un fonds de relance de 200 milliards d'euros pour remettre l'économie italienne sur les rails, à condition que l'Italie dépense l'argent d'une manière autorisée par l'UE. Certains États membres ont laissé entendre qu'une grande partie de cet argent pourrait finir dans les mains de la mafia sicilienne.

De nombreuses autres petites régions distinctes d'Europe - la Catalogne, la Corse, l'Écosse - sont ou étaient dans une situation similaire, bénéficiant de pouvoirs législatifs limités et d'une certaine latitude dans la distribution des fonds provenant de leurs capitales, mais sans la responsabilité ultime du bien-être de leur population. La question qui se pose avec une certaine force à la lecture de The Invention of Sicily de Jamie Mackay, un récit dynamique des presque trois mille ans d'histoire de l'île, est la suivante : que se passe-t-il lorsque, pendant des siècles, il y a non seulement un décalage dysfonctionnel entre des identités locales fortement ressenties et ceux qui gouvernent à distance, mais aussi un flou fréquent quant à l'endroit où réside réellement le pouvoir, qui l'exerce et dans quel but ?

Mackay, un journaliste britannique vivant à Florence, commence son récit à l'époque classique et cherche tout au long à célébrer la Sicile comme un lieu où se rencontrent de nombreuses ethnies et cultures ; il approuve lorsqu'elles se mélangent, ou du moins cohabitent pacifiquement, et déplore les périodes de conflit et d'intolérance. Si cette approche risque de réduire l'histoire à une galerie de héros et de méchants - le cosmopolitisme est bon, le nationalisme mauvais - elle donne au moins à son récit une puissante cohésion. De 800 avant J.-C. à nos jours, nous suivons avec un mélange de sympathie et de consternation les façons apparemment infinies dont un peuple peut être mal gouverné, son potentiel contrecarré et ses ressources dilapidées, le tout dans un paysage que l'on pourrait parfois prendre pour un paradis.