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14/09/2025

GIDEON LEVY
“Un père de 10 enfants qui a travaillé en Israël pendant plus de 30 ans : comment les soldats peuvent-ils le tuer si facilement ?”

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 12/09/2025
Traduit par Tlaxcala

Exécution au poste de contrôle : Un éleveur de volailles palestinien quitte un mariage et se rend acheter des plateaux de carton pour ses œufs dans une ville voisine. Des soldats israéliens à un poste de contrôle lui tirent près de 20 balles à bout portant, alors qu’il était déjà blessé.


Des proches en deuil chez Ahmed Shahadeh, au village d’Urif, non loin de Naplouse

Un coup de feu, puis un autre, puis un troisième. À travers les fentes entre les blocs de béton, on distingue un homme s’effondrer, étendu sur le dos, bras écartés sur la route. Le tir continue, balle après balle.

Deux soldats israéliens se tiennent sous un toit de toile rouge à un poste de contrôle, visant leur victime de leurs fusils, alors qu’elle gît blessée. À ce moment-là, il est déjà certainement mort. En un clin d’œil, un père de dix enfants est abattu. Sa voiture est garée à proximité. La vidéo entière dure 22 secondes, y compris le moment où, pour une raison obscure, la caméra est tournée ailleurs.

C’est ce qui s’est passé vendredi dernier au crépuscule. Le poste de contrôle d’Al-Murabba’a, au sud-ouest de Naplouse, est l’un des rares points de passage restés ouverts pour entrer et sortir de la ville, après que le poste principal de Hawara a été fermé lorsque la guerre à Gaza a éclaté il y a presque deux ans.


Le corps d’Ahmed Shahadeh, entouré de soldats israéliens. Photo fournie par la famille

C’est une barrière de blocs de béton avec une installation de fortune pour les soldats, derrière laquelle se dresse une grille de fer jaune. Parfois les soldats contrôlent les voitures et leurs conducteurs, parfois non. Vendredi dernier, ils ont contrôlé la voiture de leur victime.

Que s’est-il passé durant les instants où l’éleveur de volailles, Ahmed Shahadeh – qui avait travaillé des décennies en Israël et parlait hébreu couramment – est sorti de son véhicule, apparemment sur ordre des soldats, avant d’être abattu par près de vingt balles tirées à bout portant ?

Peut-être ne le saura-t-on jamais. La vidéo – on ne sait pas qui l’a publiée – diffusée sur les réseaux sociaux montre peu et dissimule beaucoup. On n’y comprend pas pourquoi les soldats ont tiré sur leur victime avec une telle rage.

Il est douteux qu’Ahmed ait représenté un danger, même un instant. Mais alors qu’il gisait blessé sur la route, près du poste de contrôle, les soldats ont apparemment décidé de l’exécuter coûte que coûte. Qu’est-ce qui a bien pu provoquer un tel acte ?

Un appartement du village d’Urif, près de Naplouse. C’est le troisième jour de deuil de la famille. Au rez-de-chaussée, un petit poulailler, avec son odeur désagréable. Le défunt vivait à l’étage avec son épouse malade ; dans un autre appartement du même immeuble vivait l’un de ses fils avec sa famille. Depuis le 7 octobre 2023, deux attentats ont été perpétrés par des habitants d’Urif.

Ahmed Shahadeh avait travaillé en Israël durant des décennies, comme certains de ses enfants avant la guerre. Âgé de 57 ans, il avait travaillé dans une imprimerie à Holon, dans la banlieue de Tel-Aviv, puis 15 ans dans l’usine de plastiques Keter, dans la zone industrielle de Barkan, près de la colonie d’Ariel. Ses fils affirment qu’il avait des amis juifs.

Il y a un an, il a pris sa retraite. Ou peut-être a-t-il été licencié. Il a alors monté une petite activité à domicile pour rester occupé et gagner un peu d’argent. Il vendait les œufs de ses quelque 200 poules aux magasins d’Urif.

Vendredi après-midi, les Shahadeh ont assisté au mariage d’un proche, dans une salle du village. Le matin, Ahmed avait nettoyé le poulailler, nourri les poules, s’était bien habillé et était parti avec son épouse à l’événement. Aelia, 55 ans, souffre d’atrophie musculaire et a besoin d’aide pour se déplacer ; Ahmed s’occupait d’elle.


Une banderole commémorative d’Ahmed Shahadeh cette semaine à Urif.  “Un homme qui a 10 enfants et travaillé en Israël plus de 30 ans – comment les soldats peuvent-ils le tuer si facilement ?”, demande son frère.

Ses trois fils s’appellent Jihad (37 ans), Abdelfatteh (33 ans) et Mohammed (32 ans), ouvrier du bâtiment dans la colonie de Beit Arye, qui parle hébreu. Vendredi, Ahmed est resté environ une heure au mariage, puis a dit à ses fils qu’il partait pour le village de Tal, à 15 minutes en voiture, acheter des plateaux en carton pour les œufs récoltés. Il les a invités à l’accompagner mais ils ont préféré rester. Leur père leur a dit qu’au retour il ramasserait leur mère. Personne n’imaginait qu’il ne reviendrait jamais.

Vers 17h40, une demi-heure après son départ, ses fils ont vu un message sur le groupe WhatsApp local signalant un incident au poste de contrôle d’Al-Murabba’a, où un Palestinien avait été blessé. La photo jointe montrait une Ford Focus bleu métallisé, la voiture de leur père. Les fils ont quitté en hâte le mariage et se sont rendus au poste de contrôle.

À une centaine de mètres de la barrière, les soldats leur ont fait signe de s’arrêter et ont pointé leurs armes sur eux. « C’est mon père, c’est mon père ! », a crié Mohammed. Les soldats leur ont ordonné de sortir du véhicule, de relever leurs chemises et de lever les mains. Seul Jihad a été autorisé à avancer, très lentement. Cette semaine, il dit avoir aperçu une partie du corps encore découvert de son père, dépassant entre les blocs de béton.


Deux petites-filles d’Ahmed dans le poulailler

« Mon père est  vivant ou mort ? », a-t-il demandé avec agitation. L’un des soldats a répondu en arabe approximatif : « Ton père est mort. »

« Pourquoi vous avez tué mon père ? », a-t-il demandé. Le soldat a répondu qu’Ahmed avait lancé quelque chose vers eux. « Vous auriez pu lui tirer dans la jambe, s’il avait vraiment jeté quelque chose », a répliqué Jihad. Pas de réponse.

Quelques minutes plus tard, raconte Jihad, un autre soldat s’est approché, lui a serré la main et a dit : « Je suis désolé. » Jihad a demandé à voir le corps de son père. Le soldat a répondu qu’il le verrait lorsque les autorités israéliennes, via la COGAT (Coordination des activités gouvernementales dans les territoires), le transféreraient à l’hôpital.

Les trois fils sont rentrés à la maison, en deuil, pour annoncer la terrible nouvelle à leur mère. Vers 20h, ils ont reçu un appel de la COGAT : l’armée avait transféré le corps au camp de Hawara et il se trouvait désormais dans une ambulance palestinienne en route vers l’hôpital Rafidia de Naplouse.

Toute la famille s’y est rendue. Jihad dit avoir compté pas moins de 18 impacts de balles sur le corps de son père, la plupart dans le cou, la poitrine et l’abdomen.

Le corps est resté une nuit à Rafidia. Le lendemain, les fils l’ont enterré. Le seul témoin oculaire a rapporté avoir seulement vu les soldats ordonner à Ahmed de sortir de sa voiture, rien de plus.


Les frères d’Ahmed lors du deuil

Selon Salma al-Deb’i, chercheuse de terrain pour l’ONG israélienne B’Tselem, les soldats au poste de contrôle d’Al-Murabba’a se comportent souvent de façon très agressive, surtout lorsqu’ils voient un véhicule avec un seul conducteur. Parfois un soldat dit au conducteur d’avancer, un autre lui ordonne de s’arrêter : la situation est tendue.

Elle dit n’avoir trouvé aucun témoin capable d’éclairer ce qui s’est passé lors de ces instants fatidiques, ni pourquoi les soldats ont tué Ahmed Shahadeh. Elle ajoute que chaque poste de contrôle de Cisjordanie est équipé d’innombrables caméras de surveillance : l’armée sait donc exactement ce qui s’est passé.

Cette semaine, Haaretz a posé une question à l’armée, partant du fait que les fils de la victime avaient retrouvé la carte d’identité de leur père à la maison. Nous avons demandé si Ahmed avait été tué parce qu’il conduisait sans sa carte. Voici la réponse du porte-parole de l’armée :

« Le 5 septembre (vendredi), un suspect est arrivé à un poste de contrôle militaire près du village de Burin, dans le secteur de la brigade de Samarie de Tsahal. Lors de l’inspection, le suspect a contourné imprudemment les véhicules devant lui, est entré en collision avec une autre voiture, puis a poursuivi à pied vers les forces, tout en tenant à la main un objet identifié comme suspect.

Les soldats ont suivi la procédure d’arrestation d’un suspect, qui comprend des sommations et des tirs de sommation en l’air. Le suspect n’a pas obéi, a continué à avancer vers les forces et a lancé l’objet. En réponse, les forces ont tiré sur lui afin d’éliminer la menace, conformément aux règles d’engagement en vigueur. »

Le frère d’Ahmed arrive. Il demande que son nom ne soit pas mentionné. « Comment pouvez-vous être assis dans notre maison ? On peut venir  me dire : prends 10 millions de shekels [2,5 millions d’€] et tue-les, mais je ne le ferai jamais. Vous avez une maison, des enfants, une famille. Voilà ce qui est arrivé à mon grand frère. Un homme qui a 10 enfants et travaillé en Israël plus de 30 ans – comment les soldats peuvent-ils le tuer si facilement ? », demande-t-il, luttant pour ne pas éclater en sanglots.

Dans un coin du poulailler d’Ahmed, trois plateaux d’œufs en carton ; les poules caquettent sans cesse. Lundi, la rentrée scolaire a commencé avec retard en Cisjordanie, et la maison était pleine d’enfants dégustant des Krembos lorsque nous sommes venus en visite. Ce sont les petits-enfants d’Ahmed.

Un peu plus haut dans la rue, sur un terrain vague, la Ford Focus bleue est garée. Seule une balle parmi les nombreuses tirées a atteint le côté de la voiture : on distingue un impact et la vitre côté passager est brisée. Les baskets de la victime se trouvent encore dans le coffre.

07/09/2025

GIDEON LEVY
Avi Bluth, le “général de bain de sang” en Cisjordanie est le visage moral d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 28/8/2025

Traduit par Tlaxcala

L’Oberkommandant Avi Bluth, chef du commandement central de l’armée, a décidé de leur montrer de quel bois il se chauffe. Avec sa kippa militaire de guingois, son éloquence à glacer le sang, son arrogance sans limites et ses deux poids-deux mesures moraux malsains, il a ordonné la mise en œuvre d’« opérations de remodelage » afin de « dissuader tout un chacun, tout village qui oserait lever la main contre l’un des résidents ».


Les “résidents” en question sont les colons qui commettent quotidiennement des pogroms. En ce qui concerne Bluth, il n’a aucune obligation de défendre qui que ce soit en Cisjordanie, à part les voyous des avant-postes des colonies. « Nous savons comment installer un projecteur », a menacé le général de division à l’adresse des Palestiniens qui « lèvent les mains » alors qu’ils tentent avec leurs dernières forces de défendre ce qui leur reste de la terre qui leur a été volée sous les auspices et avec l’encouragement de Bluth.

Je ne sais rien des “projecteurs”, mais je m’y connais un peu en droit international. Bluth a ordonné à ses soldats de se livrer à des punitions collectives, ce qui constitue un crime de guerre. Si tel est le cas, Bluth est un criminel de guerre qui devrait être extradé vers la Cour pénale internationale de La Haye. Lorsque l’éditeur du Haaretz, Amos Schocken, a exprimé cette vérité évidente, les réseaux sociaux se sont enflammés. Mais lorsque Bluth a fait sa déclaration choquante, les réseaux sociaux sont restés silencieux.

Les propos de Bluth pourraient sembler plus appropriés en allemand – “opérations de remodelage”, “projecteur”, “ chasse”. Mais ils sont tout aussi clairs en hébreu. « Ils subiront des couvre-feux, ils subiront un encerclement et ils subiront des opérations de remodelage », a-t-il déclaré. Tout cela parce qu’un colon a été légèrement blessé par balle alors qu’il conduisait un quad sur des terres volées.


Je me trouvais à Al Mughayyir cette semaine et j’ai vu le résultat de l’« opération de remodelage » menée par Bluth : 3 100 arbres, des oliviers pour la plupart, avaient été abattus et gisaient désormais éparpillés sur le sol. Il est impossible d’être quelqu’un qui aime la terre, quelqu’un qui aime les autres ou tout simplement un être humain et de ne pas être choqué par ce spectacle, à quelques semaines seulement de la récolte des olives. Il est également impossible d’ignorer le contexte qui a conduit à cette attaque.

Sous le couvert de la guerre à Gaza, Al-Mughayyir a perdu toutes ses terres – 43 000 dunams [4 300 hectares] – à l’écart de la zone construite du village. Bluth a permis la construction de 10 avant-postes sauvages tout autour du village et a laissé des colons violents imposer un règne de terreur aux habitants, au point que ceux-ci ont peur de sortir pour travailler leurs terres.

Aujourd’hui, il autorise les voyous à construire des routes illégales menant à leurs avant-postes afin de leur faciliter les attaques contre le village. Sous le commandement de Bluth, deux pogroms se sont soldés par la mort de Palestiniens tués par les tirs de l’armée. Personne n’a été jugé pour ça.

Mais Bluth ne « braquera pas un projecteur » ni ne mènera « d’opérations de remodelage » contre ceux qui « lèvent vraiment la main » contre les autres : les colons. Lui et eux viennent du même village, ont les mêmes cheveux et portent bien sûr les mêmes kippas inclinées avec désinvolture.

Lorsque vous nommez un officier comme Bluth à la tête du Commandement central, vous confiez cette fonction à quelqu’un qui est l’assistant des colons. Certes, les colons ont également intimidé tous les précédents chefs du Commandement central. Mais c’est plus facile lorsque le poste est occupé par un diplômé de la yeshiva pré-militaire de la colonie d’Eli et ancien résident de la colonie de Neveh Tzuf [avec un master en réflexion stratégique obtenu à l'United States Army War College, en Pennsylvanie, NdT]. Comment Bluth a-t-il pu rester impassible lorsqu’il a parlé des personnes « levant la main » et de la punition collective qu’elles méritent ?

Pourquoi ne pas punir les vrais criminels, ceux qui vivent dans ces repaires de malfaiteurs que sont les avant-postes ? Comment peux-tu dormir la nuit, Bluth, avec cette morale raciste ?

Mais c’est ce que Bluth a appris à Eli : que les Juifs sont les seigneurs de la terre. Les colons ont le droit de brûler, détruire, déraciner et assassiner à leur guise. Les Palestiniens, considérés comme des Untermenschen, n’ont le droit de rien faire : ils ne peuvent pas quitter leurs villages, travailler en Israël, récolter leurs olives, et parfois même respirer. Tel est le sionisme de Bluth. Et tel est le sionisme de l’armée dont Bluth est le visage.

Chaque personne a un nom, qui lui est donné par Dieu. Le nom de famille Bluth signifie “sang” en allemand [et en yiddish, NdT]. Ce général de bain de sang est désormais devenu le visage de la Cisjordanie et l’image morale de tout le pays. Peut-être sera-t-il nommé pour commander le prochain génocide, après Gaza.

 

28/08/2025

QASSAM MUADDI
Israël voulait punir le village palestinien d’al-Mughayyir : il a donc détruit 10 000 de ses oliviers

Israël a déraciné 10 000 oliviers à al-Mughayyir lors d’un siège de trois jours de ce village palestinien de Cisjordanie. L’armée israélienne a déclaré que le déracinement des arbres visait à « dissuader » les habitants du village et à leur faire « payer un prix fort ».

Qassam Muaddi, Mondoweiss, 26/8/2025

Traduit par Tlaxcala

 Les habitants palestiniens d’al-Mughayyir inspectent les dégâts causés par le siège israélien de trois jours sur le village, le 25 août 2025. (Photo : Anne Paq/Activestills)

Israël vient de détruire les oliveraies du village palestinien d’Al-Mughayyir, au nord-est de Ramallah, où la production d’huile d’olive représente une part importante des revenus annuels de la plupart des familles. L’armée israélienne avait imposé un couvre-feu au village jeudi dernier et avait commencé à fouiller les maisons, arrêtant un nombre indéterminé de Palestiniens, dont le maire du village, Ameen Abu Alia, pendant trois jours. Le siège d’al-Mughayyir fait suite à des informations selon lesquelles un colon israélien aurait été attaqué près du village, après quoi les bulldozers de l’armée israélienne ont déraciné quelque 10 000 oliviers dans la plaine orientale du village, selon l’association locale des agriculteurs. Certains de ces arbres avaient jusqu’à 100 ans.

L’armée israélienne a déclaré que le couvre-feu et la destruction des terres agricoles du village visaient à capturer l’agresseur, mais le quotidien israélien Haaretz a cité le chef du commandement central de l’armée israélienne qui a déclaré que « l’arrachage des arbres visait à dissuader tout le monde. Pas seulement ce village, mais tout village qui tenterait de s’en prendre aux résidents [colons israéliens] ». Le commandant israélien aurait déclaré que « chaque village doit savoir que s’il commet une attaque, il en paiera le prix fort et sera soumis à un couvre-feu et encerclé ».

Le village d’al-Mughayyir est dans le collimateur de l’armée israélienne et des colons depuis au moins deux ans. Depuis octobre 2023, les colons israéliens ont attaqué al-Mughayyir à plusieurs reprises, la plus grande attaque ayant eu lieu en avril 2024, au cours de laquelle les colons ont endommagé des baraques agricoles et des maisons, et tué un Palestinien qui défendait sa maison depuis son toit. L’armée israélienne a de plus en plus restreint l’accès des villageois à leurs terres agricoles, en particulier à leurs oliveraies situées à l’est, rendant finalement toute la plaine orientale du village inaccessible aux Palestiniens.


 Le village surplombe les pentes de la vallée du Jourdain, juste à côté de la route israélienne Allon, construite au début des années 1970, qui traverse la partie orientale de la Palestine du nord au sud, parallèlement à la vallée du Jourdain. Depuis 2019, le gouvernement israélien a déclaré son intention d’annexer toute la zone à l’est de la route Allon, y compris l’ensemble de la vallée du Jourdain.

Depuis octobre 2023, les colons israéliens ont intensifié leurs attaques contre les communautés rurales palestiniennes dans ces zones, expulsant des dizaines de familles bédouines et vidant la région de toute communauté palestinienne. Ces derniers mois, les colons israéliens et l’armée israélienne se sont concentrés sur le harcèlement des villages adjacents à la route israélienne, restreignant les déplacements des Palestiniens et leur accès à leurs terres.

Des moyens de subsistance détruits

« Vers 8 h 30 du matin, l’armée d’occupation est entrée dans le village et a imposé un couvre-feu, puis elle a commencé à entrer dans les maisons et à les fouiller », a déclaré Fayez Jabr, agriculteur et villageois d’al-Mughayyir, à Mondoweiss. « Certaines maisons ont été fouillées trois ou quatre fois, et l’armée d’occupation a arrêté de nombreux jeunes hommes et le maire. Pendant ce temps, les bulldozers de l’occupation ont continué à déraciner les oliviers dans la plaine orientale. »

« Ils ont déraciné des milliers d’arbres sur une superficie de quatre kilomètres carrés, ce qui représente jusqu’à la moitié de la production d’olives d’al-Mughayyir », a poursuivi Jabr. « Toutes les familles du village ont été touchées. »

Jabr a ajouté que l’armée israélienne avait également détruit les cultures d’olives dans d’autres parties des terres agricoles du village. « Il y a quatre mois, ils ont déraciné 80 oliviers appartenant à mon cousin et moi-même à l’ouest du village », a-t-il déclaré, indiquant que l’armée israélienne avait confisqué des terres agricoles dans la partie sud du village pour construire une nouvelle route destinée à relier un avant-poste de colons récemment établi sur un parc pour enfants appartenant au village.

« Nos terres agricoles au sud du village ont été confisquées et nous avons un accès restreint aux terres agricoles à l’ouest », a précisé Jabr. « Les terres agricoles les plus importantes de la plaine orientale ont maintenant été rasées au bulldozer. »

Jabr a fait remarquer que les seuls oliviers qui restaient aux villageois se trouvaient dans les environs immédiats du village, autour et entre les maisons. « Avant octobre 2023, ma famille et moi produisions jusqu’à 80 bidons d’huile d’olive, de 16 litres chacun », a-t-il rappelé. « Mais au cours des deux dernières saisons, nous avons à peine produit 10 bidons. »

À moins de deux mois de la récolte annuelle des olives, la destruction d’un si grand nombre d’oliviers aura un impact sur une industrie locale déjà en difficulté. « Nous aurons de la chance si nous produisons deux bidons cette année », a déclaré Jabr.

L’intensification des attaques de l’armée israélienne contre les terres agricoles palestiniennes en Cisjordanie s’est accompagnée d’une expansion croissante des plans de colonisation israéliens. La semaine dernière, le gouvernement israélien a approuvé la construction de nouveaux quartiers de colons dans une zone stratégique de Cisjordanie à l’est de Jérusalem, connue sur les cartes israéliennes sous le nom de E-1. Ce projet s’inscrit dans l’objectif plus large d’Israël de séparer le nord et le centre de la Cisjordanie du sud afin d’effacer la contiguïté territoriale d’un éventuel État palestinien, notamment grâce à un projet d’infrastructure récemment approuvé qui redirigerait les mouvements palestiniens dans la zone E1 via un réseau de tunnels.

Le projet de colonisation E-1 permettrait de relier la colonie israélienne illégale de Maale Adumim à Jérusalem, d’étendre la présence des colons israéliens entre Jérusalem et la vallée du Jourdain et de diviser effectivement la Cisjordanie en deux. Selon le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, ce projet « effacerait l’État palestinien par des actes, et non par des mots ».

Dans le même temps, les colons israéliens ont multiplié leurs attaques contre les Palestiniens en Cisjordanie. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), « le nombre mensuel de Palestiniens blessés par des colons israéliens a plus que doublé en juin et juillet 2025 (environ 100) par rapport à une moyenne de 49 par mois entre janvier et mai 2025 et de 30 par mois en 2024 ».

Depuis octobre 2023, les forces israéliennes et les colons ont tué au moins 1 000 Palestiniens en Cisjordanie, tandis que les forces israéliennes en ont arrêté plus de 10 000.

 



26/07/2025

GIDEON LEVY
Les Palestiniens ne vivent plus dans cette vallée. Ils ont même peur de s’en approcher

Gideon Levy  & Alex Levac (photos), Haaretz , 26/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Avant la guerre, cette étendue de terre à l’est de Jérusalem, parsemée de rochers et d’oliveraies, abritait trois communautés de bergers palestiniens – jusqu’à ce que des colons violents et des ordres d’évacuation les en chassent.


Ali Askar parmi les ruines calcinées de la ferme familiale.
Un autre habitant de Hizma a raconté au frère blessé d’Ali, Ouda, qu’un officier de l’armée s’était présenté et lui avait dit :
« Les colons sont fous. On ne peut pas les arrêter. Ne vous frottez pas à eux. »

 Le danger rôde partout. Il est dangereux de mener les troupeaux au pâturage, dangereux de se promener dans la nature, dangereux de travailler la terre, dangereux même d’essayer de l’atteindre.

Depuis le début de la guerre à Gaza – et dans les communautés palestiniennes de Cisjordanie devenues l’arrière-cour de ce conflit – le terrain a subi une transformation radicale. Aux centaines de check-points militaires, à l’étranglement économique imposé par les blocus israéliens sur les villages et villes, à la brutalité des soldats atteignant des sommets inédits, aux descentes militaires aléatoires et incessantes, aux innombrables avant-postes de colons sauvages établis sans aucune opposition des autorités, et aux pogroms quasi quotidiens commis par les colons, s’ajoute une atmosphère de terreur absolue.

Une terreur de quitter sa maison, et encore plus de s’aventurer hors de sa communauté. Dehors, tout est plus dangereux. Les colons violents rôdent partout, et personne ne les arrête. Ils observent de loin et attaquent rapidement quiconque ose marcher dans les zones ouvertes, pourtant en grande partie propriétés privées palestiniennes.

Depuis le 7 octobre, les territoires palestiniens ont vu fleurir des tentes de deuil pour les centaines de personnes tuées par des tirs de soldats ou de colons, ainsi que pour des milliers de blessés tentant de se remettre des violences, sous le regard des forces israéliennes.

Nous avons récemment rendu visite à plusieurs blessés, chacun dans une zone différente de la Cisjordanie. À Hizma, à l’est de Jérusalem, trois personnes se remettent d’attaques récentes de colons. L’une d’elles est Ouda Ahmed Askar, 29 ans, ouvrier du bâtiment célibataire, dont la jambe a été pulvérisée par des balles, et qui est en convalescence chez son frère.


Ouda Askar, qui a été blessé à la jambe par des colons ce mois-ci.
Un ami est venu l’aider — et les colons ont tiré sur l’ami aussi, raconte Askar.

 Une attaque ciblée contre des bergers

L’incident a eu lieu le dimanche 29 juin. Sabrine, la sœur de 25 ans d’Ouda, emmenait les moutons de la famille au pâturage, accompagnée de sa nièce de 3 ans, Ibtisam. Leur troupeau, d’environ 100 têtes, est gardé dans un enclos en bordure de la ville, près d’une vallée appelée Biryat Hizma.

Alors qu’elles s’approchaient de la vallée, huit colons masqués, dont quatre armés de fusils et pistolets, ont surgi d’une colline voisine. Apparemment venus d’un avant-poste clandestin, ils ont pris position face à Sabrine et à l’enfant.

Sabrine a immédiatement envoyé un message WhatsApp à Ouda, lui demandant de venir d’urgence. Vingt proches et voisins l’ont suivi. Sabrine, fuyant la vallée avec sa nièce, a raconté qu’un des colons les avait menacées en arabe :
« Si vous revenez avec les moutons, on vous les confisque et on brûle l’enclos. »
Ils ont ajouté :
« On vous fera comme à Kafr Malik »,
faisant référence au pogrom du 25 juin, où trois Palestiniens ont été tués et de nombreux biens incendiés.

La vallée est rapidement devenue une zone de guerre. Les habitants jetèrent des pierres pour repousser les colons, qui menaçaient d’approcher les maisons et les enclos. Soudain, les colons ont ouvert le feu. À une distance de 50 mètres, ils ont tiré en rafale.

Ouda a été touché à la jambe droite. Un ami l’a aidé à fuir en voiture — mais lui aussi a été blessé par balle. Les deux hommes ont atteint une clinique à Hizma, où un troisième blessé, touché à l’épaule lors de la même attaque, venait aussi d’arriver. Tous trois ont été évacués à l’hôpital gouvernemental de Ramallah.


Des biens palestiniens vandalisés par des colons dans la vallée, ce mois-ci.
Après que les colons ont ouvert le feu, les habitants ont fui, et les colons ont incendié la propriété sans être inquiétés.

Entendant les tirs des colons, les Palestiniens ont fui en panique vers la ville.
Ni l’armée ni la police n’étaient présentes.
Le repli des habitants a permis aux colons de passer à leur deuxième activité favorite — après les tirs à balles réelles sur des Palestiniens — à savoir incendier les biens palestiniens.

Ils ont mis le feu à la ferme des Askar, située à la lisière de la vallée.
C’était une construction en bois colorée — comme on peut le voir sur les photos — où la famille venait se reposer en paix, au cœur de la nature. Elle était ornée de plantations décoratives et de pots de fleurs.
Il n’en reste plus rien aujourd’hui.

Ouda a subi deux opérations à la jambe et a été hospitalisé pendant huit jours.
Il commencera la rééducation le mois prochain ; en attendant, il est alité.
L’ami qui l’a secouru — et qui a demandé à rester anonyme — a lui aussi passé une semaine à l’hôpital.

Trois autres familles élargies vivaient à proximité de cette vallée jusqu’au début de la guerre à Gaza.
L’une d’elles a dû partir après la démolition de ses habitations par l’Administration civile (branche du gouvernement militaire israélien).
Les deux autres familles, terrorisées par les colons, se sont déplacées cinq kilomètres plus à l’est.

La vallée a été “nettoyée”.

 


Mohammed Askar. L’oliveraie familiale est divisée en deux parcelles : la famille n’a plus le droit d’approcher l’une, et l’autre a été arrachée par les colons.


Amer Aruri, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, a documenté six attaques de colons qui ont accéléré le nettoyage de la vallée.
La barrière de séparation, qui coupe les Palestiniens de 40 % de leurs terres depuis plus de vingt ans, a été accompagnée depuis le 7 octobre d’une hausse significative des attaques et accaparements par les colons près de Hizma, selon B’Tselem.

Les colons n’entrent pas dans la ville densément peuplée, à l’entrée de laquelle l’armée a récemment installé une barrière en acier jaune (ouverte cette semaine).
Mais ils se contentent d’expulser quiconque s’approche ou entre dans la vallée en bordure de Hizma — même sur ses confins les plus éloignés.

Retour à l’incident avec Ouda : une unité de l’armée est arrivée à la clinique où Ouda et son ami s’étaient rendus, mais ils étaient déjà à l’hôpital.
Un interrogateur du Shin Bet l’a appelé là-bas, mais Ouda était incapable de parler.
Depuis, il affirme n’avoir reçu aucune nouvelle des autorités israéliennes.

Un habitant local a raconté à Ouda qu’après sa fuite, l’armée est arrivée et un officier a déclaré :

« Les colons sont fous. On ne peut pas les arrêter. Ne vous frottez pas à eux et ne leur lancez pas de pierres. »

Nous nous sommes rendus sur les lieux de l’attaque avec Ali, le frère de 40 ans d’Ouda, père de quatre enfants, qui avait lui aussi participé à la défense du troupeau ce dimanche-là.
Il nous a également montré les ruines de maisons voisines, démolies ces dernières années par l’Administration civile.
Pendant ce temps, un nouveau quartier de tours est en construction non loin de là.
Les colonies d’Anatot (à l’est) et d’Adam (au nord) dominent les crêtes des collines environnantes.

Au cœur de la vallée, on aperçoit deux caroubiers isolés.
L’oliveraie des Askar y est divisée en deux :
la famille ne peut plus approcher l’une des parcelles depuis le début de la guerre ; l’autre a été arrachée par les colons.
Le reste de la vallée est rocailleux, désert, vallonné.
Le troupeau familial est toujours dans l’enclos — mais il est désormais impossible de l’emmener paître dans la vallée.

Le père d’Ouda, un homme barbu et expressif nommé Mohammed, affirme avoir « environ 70 ans ».
Combien d’enfants avez-vous ?, lui avons-nous demandé.
— Vingt.

Des bidons jaunes en plastique, utilisés pour apporter de l’eau aux moutons, sont éparpillés sur le sol.
Un chien de berger, attaché, montre les crocs et aboie sur notre passage.

Non loin de là, tout ce qui reste de la ferme des Askar, c’est de la poussière et des cendres.

Les colonies juives et la "barrière de séparation" (Mur de l'Apartheid), photographiée ici en 2007 lorsqu'elle était en construction, ont fait perdre aux habitants d'Hizma 60% de leurs terres