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03/11/2022

AMIR BARNEA
Le pétrole norvégien, gros mensonge d’État

Amir Barnea, Haaretz, 20/10/2022
Traduit par Jacques Boutard, édité par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Né à Tel Aviv, Amir Barnea est professeur agrégé de finance à HEC Montréal depuis 2011 et chroniqueur indépendant pour le Toronto Star et Haaretz. Il a obtenu son doctorat de l'Université de Colomvie britannique en 2005 avec une thèse sur la responsabilité sociale des entreprises. @abarnea1

L’industrie pétrolière et gazière de la Norvège a généré une richesse inimaginable pour sa population. Est-ce vraiment de l’argent sale ? Et que peut en apprendre Israël ?

 OSLO - Au n°2, Bankplassen (Place de la Banque), dans le centre de la ville, deux portes métalliques de couleur cuivre s'ouvrent sur un hall qui n'a manifestement pas été rénové depuis des décennies. Des pétunias en pot, à la réception un employé courtois   Pas le moindre soupçon de la puissance économique gigantesque que recèle ce vieux bâtiment.

Mais je sais qu'en cet endroit même, peut-être à l’étage au-dessus, se cache une richesse d'une taille inconcevable. Pas moins d’1,4 billion - soit mille quatre cents milliards - de dollars sont gérés à partir d’ici.

Ceci est le siège [de la Banque de Norvège et] du fonds pétrolier norvégien, officiellement connu sous le nom de Government Pension Fund Global, qui est devenu, sur une période relativement courte – environ 25 ans -- le plus grand organisme d'investissement public du monde. La Norvège a une population assez faible de quelque 5,5 millions d'habitants, alors que celle des USA est 60 fois supérieure, mais le fonds norvégien représente trois fois la valeur de CalPERS (California Public Employees' Retirement System), le plus grand fonds de pension des USA.

Une plate-forme gazière offshore appartenant à une entreprise publique norvégienne. « Nous sommes tellement heureux d'avoir ce fonds pétrolier - d'où vient l'argent, personne ne veut en parler », dit la professeure Marianne Takle. Photo : Olaf Nagelhus / Equinor

La puissance du fonds norvégien peut être mieux décrite par le fait stupéfiant que cet organisme, qui investit la majeure partie de son argent dans les actions de quelque 9 000 entreprises publiques de 70 pays différents, détient près de 1,5 % des sociétés cotées dans le monde

Pour comprendre l'origine de ces incroyables richesses, il faut remonter à la veille de Noël 1969. Après trois ans d'exploration, la Norvège découvre Ekofisk, la plus grande réserve maritime de pétrole et de gaz jamais trouvée - et pour la plus grande chance du pays, ce gisement est situé juste à la limite intérieure de ses eaux territoriales, en mer du Nord. S'il se trouvait à quelques dizaines de kilomètres de là, dans quelque direction que ce soit, il appartiendrait à la Grande-Bretagne, au Danemark, à la Hollande ou à l'Allemagne. Un peu de chance n'a jamais fait de mal à personne.

Le gouvernement norvégien en 2021.
Photo : HAAKON MOSVOLD LARSEN / NTB / AF

La production de pétrole a commencé dans les années 1970. Au départ, les bénéfices étaient directement transférés à l'État, mais lorsque d'autres gisements ont été découverts, il a été décidé de créer un organisme chargé de gérer l'argent généré par les revenus de la production de pétrole et de gaz, ainsi que par les royalties et taxes qui y sont associées. Les gestionnaires du fonds ont reçu le mandat d'adopter une vision à long terme en termes d'investissements, afin de percevoir les bénéfices les plus élevés pour un risque raisonnable. Ainsi, la génération actuelle et celles à venir pourront bénéficier des richesses pétrolières de la Norvège. Le fonds souverain d'Israël, appelé “Israeli Citizens' Fund”, qui a commencé à fonctionner en juin, a été créé sur la base de principes similaires.

L'argent a commencé à affluer dans le fonds norvégien en 1996 et a été initialement investi dans de solides obligations d'État. Depuis lors, cependant, dans un processus qui a mis des années à évoluer, une proportion croissante a été canalisée vers des actions de sociétés cotées en bourse, et a généré un rendement confortable. Une structure de gestion légère, des salaires nettement inférieurs à ceux habituellement pratiqués dans ce domaine et une transparence totale ont également contribué à l'énorme succès du fonds.

Les pays scandinaves sont souvent considérés comme un seul bloc, et ils ont en effet beaucoup en commun. Mais lorsqu'il s'agit de richesse, et depuis que l'argent des plateformes pétrolières a commencé à affluer, la Norvège a fait un bond en avant, laissant ses sœurs nordiques derrière elle. Selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international, à la fin de 2022, le produit intérieur brut par habitant en Norvège s'élèvera à 99 000 dollars, soit près de 50 % de plus qu'au Danemark et 70 % de plus qu'en Suède. En fait, si l'on ne tient pas compte de petits pays comme le Liechtenstein, Monaco et le Luxembourg, la Norvège est aujourd'hui l'un des trois pays les plus riches du monde, en termes de PIB par habitant (les autres sont la Suisse et l'Irlande, qui a attiré des entreprises internationales grâce à des incitations fiscales, même si une grande partie des richesses qui en résultent ne restent pas dans le pays).

L'une des clauses concernant le Government Pension Fund Global, alias le fonds pétrolier, stipule que 3 % de sa valeur totale sont transférés annuellement au budget de l'État. En 2021, ce montant ne représentait pas moins de 20 % de ce budget. Les effets de la manne pétrolière et gazière sont partout perceptibles dans le pays.

Vous pensez que l'opéra de Sydney est luxueux ? Si vous voulez vraiment voir du luxe, montez sur le toit du grandiose opéra d'Oslo. Non loin de là, un immense musée consacré à la vie et à l'œuvre du peintre Edvard Munch a ouvert il y a un an. L'expression du visage du sujet de l'œuvre emblématique de Munch, Le Cri, traduit le choc que représente le coût de la construction du musée : 314 millions de dollars. Et comme si cela ne suffisait pas, à quelques minutes de là se trouve la nouvelle bibliothèque municipale de la capitale – construite pour un montant d'environ 250 millions de dollars –  qui a ouvert ses portes il y a deux ans. La structure est d'une beauté à couper le souffle ; son rez-de-chaussée est entièrement transparent. Selon l'un des directeurs de la bibliothèque, « en plus des 450 000 livres, vous pouvez y regarder des films avec vos amis, enregistrer des podcasts, apprendre à jouer du piano, coudre une robe et utiliser les imprimantes 3D, ou simplement jouir de la vue sur le fjord d'Oslo et de l'architecture. »