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22/02/2024

De Gaza à Malmö : la bataille de l’Eurovision Horror Show

Fausto Giudice, Tlaxcala, 22/2/2024
Versão portuguesa

Elle s’appelle Eden Golan – tout un programme – et risque d’entrer dans l’histoire comme Gaza Hell. Elle a 20 ans et a deux passeports : russe et israélien. Née à Kfar Saba, une ville israélienne édifiée sur les ruines du village palestinien du même nom, d’un père letton et d’une mère ukrainienne, elle a passé 13 ans de sa courte vie en Russie, où elle a commencé une carrière de chanteuse de variété. Elle vient d’être sélectionnée pour représenter Israël à l’Eurovision 2024, qui aura lieu en mai prochain à Malmö en Suède. Il y a de fortes chances qu’elle n’y mette jamais les pieds. Explication.

Ce sont les Islandais qui ont lancé le mouvement : en décembre dernier, la Société des Auteurs et Compositeurs (FTT), représentant 440 artistes islandais (l’Islande compte 375 000 habitants) ont lancé un appel à la RÚV, la Radiodiffusion nationale, pour qu’elle ne participe pas à lEurovision tant qu’Israël en ferait partie. Les Finlandais ont suivi : 1400 artistes ont demandé la même chose à leur chaîne publique. Les musiciens et artistes norvégiens (350), suédois (1005) et danois (300) ont lancé des appels similaires dans le courant du mois de janvier, imités par les Irlandais, dont 15 000 personnes ont signé l’appel.

C’est qu’Israël est considérée comme faisant partie de l’Europe dans divers domaines : football et autres sports, musique et autres arts. Il ne manque que le domaine politique : l’UE n’a jamais examiné la demande faite il une quarantaine d’années par le charismatique leader radical italien Marco Pannella d’accueillir Israël.

Israël a participé au concours Eurovision depuis 1973 ; elle en a été l’hôte en 1979, 1999 et 2019 et a remporté quatre fois la première place, en 1978, 1979, 1998 et 2018.

L’Union européenne de radio-télévision (UER/EBU), qui organise ce concours, a répondu la même chose à toutes demandes d’exclusion d’Israël : « LEurovision n’est pas un concours entre gouvernements, mais entre artistes. Il ne fait pas de politique ». C’est au nom de cet argument qu’elle a exclu la Russie en 2022, quelques jours après le déclenchement de l’invasion (ou de l’opération militaire spéciale, selon les goûts) de l’Ukraine. Commentant cette décision, Martin Österdahl, superviseur exécutif de lEurovision, avait déclaré : « Lorsque nous disons que nous ne sommes pas politiques, ce que nous devrions toujours défendre, ce sont les valeurs fondamentales et suprêmes de la démocratie ».

Eden Golan a été sélectionnée au cours d’un événement organisé par la Société publique de radiodiffusion israélienne (KAN), où elle a chanté I Don't Want To Miss A Thing” du groupe Aerosmith, sur une scène remplie de chaises vides représentant les Israéliens captifs à Gaza, les fameux otages qui sont au centre de la dramaturgie mise en scène par Israël. KAN a ensuite annoncé que la chanson qu’elle présenterait à Malmö avait pour titre « October Rain » [Pluie d’Octobre]. La direction de l’UER a aussitôt fait savoir qu’elle examinerait le texte de la chanson pour voir s’il avait un contenu politique, auquel cas celle-ci serait rejetée. Le ministre israélien de la Culture Miki Zohar a aussitôt qualifié cette annonce de « scandaleuse » et KAN a fait savoir qu’en cas de rejet, elle ne proposerait pas d’autre texte. De plus, Eden Golan ne participera pas à la cérémonie d’inauguration de Malmö, pour des « raisons de sécurité » et parce qu’elle coïncidera avec Yom Hachoa, le Jour de la Shoah.

Il y a donc de fortes chances qu’Israël se retrouve de fait exclu de ce grand moment de spectacle marchand qui est un véritable horror show.

Questions : si jamais Eden Golan était retenue et devait se produire sur la scène de de l’Arena de Malmö, arborant le ruban jaune de la campagne israélienne « Bring Them Home », qu’en penseraient les organisateurs de ce concours « apolitique » ? Et que pensent ces mêmes organisateurs du fait que la chanteuse s’est produite dans plusieurs grands événements en Russie, dont l’un en Crimée après son annexion (ou sa libération selon les goûts) par la Russie ? Ne devrait-elle pas être frappée par les mesures d’exclusion de la Russie de l’Eurovision ?

En attendant, la guerre des images et des discours sur tous les médias en ligne bat son plein. Et les valeureux Scandinaves continuent leur combat. Ci-dessous, des photos de deux actions devant le siège de la NRK, la radio-télévision publique norvégienne à Marienlyst (Oslo) en janvier. Les activistes ont annoncé qu’ils et elles feraient des sit-in tous les jours pour exiger de la NRK qu’elle ne diffuse pas le concours si Israël y participe.


27 janvier 2024


                                                31 janvier 2024 : “Oui à une fête populaire”

 

“Non au génocide”

 

02/07/2023

GIDEON LEVY
Pour une réalité pacifique, imaginez l’exact opposé d’Israël et vous aurez l’Islande

Gideon Levy, depuis Reykjavík, Haaretz, 2/7/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Invité en Islande par l’association Islande-Palestine et Ögmundur Jónasson, Gideon Levy relate ses impressions. Une vraie déclaration d’amour.

échelle de Richter. Pendant un moment, il y a eu un risque de nouvelle éruption volcanique. L’information a été donnée à la radio dans le cadre des prévisions météorologiques.

Le contraste est saisissant avec Israël, où la première pluie de la saison est annoncée de manière plus terrifiante. En Islande, la lave descend d’une montagne environ une fois par décennie. En 2010, une éruption de la calotte glaciaire Eyjafjallajokull a créé un nuage de cendres volcaniques qui a perturbé les vols dans le nord-ouest de l’Europe.



Source d’eau chaude à Hrunalaug, Islande

Les Islandais ne sont pas inquiets. Personne ne leur instille de l’anxiété inutile. Personne ne se demande si l’Islande sera encore là dans 50 ans, comme c’est le cas en Israël, même si l’avenir de l’Islande est bien plus sombre, avec ses cendres volcaniques, son déclin démographique et les menaces d’ inondations dues à l’élévation du niveau de la mer.

L’Islande compte 580 000 citoyens, dont 50 000 vivent à l’étranger. Cinquante mille étrangers vivent en Islande, mais on n’en parle pas beaucoup. Personne ne semble s’inquiéter de l’avenir de la nation islandaise, contrairement à Israël, où l’on se préoccupe de l’avenir du peuple juif.

L’Islande est une île verte entourée d’un océan, probablement le joyau le plus beau et le plus fascinant du monde. Quatre fois plus grande qu’Israël, elle est essentiellement vide d’habitants. Ceux qui vivent ici semblent détendus et satisfaits, ce qui est difficile à comprendre pour des Israéliens angoissés, confrontés à des dangers réels ou imaginaires.

Ils ne craignent pas que le sol brûle littéralement sous leurs pieds ou qu’une “menace démographique” pèse sur eux. Personne ne s’inquiète de l’“assimilation” et les “mariages mixtes” ne sont pas un problème ici. L’émigration ne l’est pas non plus. Les liens familiaux et l’attachement à la nature sont plus importants que tout. Il n’y a pas de campagnes d’intimidation contre l’émigration, et encore moins contre les mariages avec des étrangers. Pourquoi diable en serait-il ainsi ?

Les Islandais sont les citoyens de l’un des rares pays sans armée. Cela ne les dérange pas non plus. Dans le port de Reykjavik, un seul navire des garde-côtes était présent cette semaine. C’est leur seule arme. Ils se contentent de leur appartenance à l’OTAN, qui a ses opposants - comme Ögmundur Jónasson, un impressionnant homme de gauche qui, pendant 21 ans, a été député, ministre de la justice, ministre de l’intérieur, ministre de la santé et ministre des communications. Il milite actuellement pour les droits nationaux des Kurdes.


Reykjavik, Premier Mai 2023

En Israël, aucun politicien ne travaille pour les droits des autres nations, même après avoir pris sa retraite. Lorsque les chefs des pays européens se sont réunis ici il y a quelques semaines, la police s’est empressée de s’équiper de 100 nouveaux fusils. Parfois, il se passe des années sans qu’aucun meurtre ne soit commis ici.

Le nombre annuel de meurtres est inférieur au nombre de meurtres commis dans les communautés arabes d’Israël au cours d’une mauvaise journée. Le pays occupe une position stratégique au milieu de l’océan Atlantique. Les Islandais ne craignent personne. La Suède, la grande sœur, craint beaucoup plus la Russie. Les Islandais ont fait de leur faiblesse une force et de leur petit nombre un avantage. Leur modestie et leur simplicité sont également une force. Il n’y a pratiquement pas de voitures de luxe monstrueuses comme en Israël ; l’auteure-compositrice-interprète Björk vit dans une modeste maison jaune au bord de la mer.

Pensez à Israël, puis imaginez son opposé. C’est l’Islande. Il est difficile de trouver deux contrastes plus grands, même en excluant les clichés sur le comportement sur les routes du pays, le niveau de propreté, le calme et la connaissance de l’anglais. Sa nature époustouflante, difficile à décrire, fait paraître les réserves naturelles d’Israël dérisoires. Le tourisme continue de frapper à la porte de la nation insulaire. Les chiffres augmentent de façon alarmante et les habitants s’inquiètent d’être inondés comme d’autres endroits ruinés et enlaidis par des hordes de touristes.

Un pays sans armée et sans inquiétude quant aux menaces malicieusement semées dans l’esprit de sa population, occupée à vivre sa vie et à profiter de la nature, de la mer et des moutons. Un pays avec 150 000 chevaux dans une mer verte sans fin, sans qu’aucun cheval n’ait été introduit de l’étranger au cours des 1000 dernières années ; un pays où l’eau chaude des robinets provient du sous-sol ; un pays sans Itamar Ben-Gvir. Imaginez ça.

Conférence de Gideon Levy à Reykjavik (aller à 13 :28)


Interview de Gideon Levy sur Rauður veruleiki (Réalité rouge)