Noorit Felsenthal Berger, Haaretz, 26/5/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Je fais partie d'un mouvement de parents de
soldats des FDI (Forces de défense israéliennes) qui ont soutenu la guerre,
mais qui s'opposent aujourd'hui à ce qui est devenu un piège mortel inutile
pour nos enfants, une guerre menée par un gouvernement extrémiste qui ne veut
jamais y mettre fin.
Des mères et des pères israéliens membres de
l'organisation Parents de soldats combattants criant “Assez !”) manifestent
en faveur d'un accord mettant fin à la guerre d’Israël contre Gaza devant la
base militaire de Tel Hashomer, près de Tel Aviv, vendredi. Photo Noorit
Felsenthal Berger
C'est un dimanche matin très tôt. Je raccompagne
mon fils cadet à sa base militaire dans le sud d'Israël. Il n'est rentré que
depuis deux jours, l'une des seules pauses qu'il ait eues après avoir participé
aux combats actifs à Gaza pendant environ six mois - cela en fait maintenant
presque huit. Alors que nous roulons, je sais qu'il retournera probablement à
Gaza le lendemain.
Je n'arrive pas à croire que je fais cela. Je
lutte pour ne pas pleurer, je lui tends un autre sandwich que j'ai préparé pour
le voyage. Je me sens comme Abraham après que Dieu lui a dit de sacrifier son
fils Isaac.
Tout ce que je veux, c'est faire demi-tour et
m'enfuir, m'enfuir. Au lieu de cela, nous discutons de la lutte contre les “forces
obscures”, le thème central des livres de Harry Potter que nous aimions lire tous
les deux lorsqu'il était jeune.
Une fois arrivés à la base, je prends une photo
de mon fils, pour lui porter chance, me dis-je. Nous nous serrons fort dans les
bras et je le vois s'éloigner de moi. Je commence à rentrer chez moi, mais je
dois m'arrêter sur le bas-côté car je n'arrive plus à voir à travers mes larmes
ni à repousser mes pensées angoissantes. C'est insupportable. Je me demande si
c'est à cela que ressemble la folie.
Je partage ces mots en tant que mère et membre
d'un mouvement de parents de soldats israéliens qui se battent à Gaza depuis
près de huit mois. Le message que nous adressons à nos dirigeants, aux
décideurs, est simple : “Arrêtez ! Ça suffit !” C'est d'ailleurs le nom que
nous nous sommes donné : « Parents de soldats combattants criant : “Assez !” ».
Des soldats israéliens au milieu des décombres
dans le nord de la bande de Gaza en novembre.
Photo RONEN ZVULUN/ REUTERS
Nous demandons qu'une solution politique légitime
soit trouvée après ces longs mois de guerre et d'effusion de sang. Nous pensons
qu'une réponse militaire était inévitable au lendemain de l'horrible attaque du
Hamas contre Israël. Mais aujourd'hui, alors qu'aucune solution politique
négociée ne se profile à l'horizon, nous constatons que nous ne nous
rapprochons pas de la libération des otages et que de plus en plus de soldats
sont tués et blessés chaque jour. Et bien que cela ne fasse pas les gros titres
en Israël, nous savons également que de nombreux civils palestiniens souffrent
et meurent chaque jour.
Nous assistons donc, dans la souffrance, à
l'augmentation du nombre de morts, mais sans aucun objectif clairement
atteignable. Nous comprenons maintenant la guerre comme une guerre qui se
poursuit en raison de la dynamique politique interne israélienne de ce
gouvernement. Une guerre qui se poursuit a pour objectif de garantir le pouvoir
du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de son gouvernement
d'extrême droite. Même notre ministre de la Défense et d'autres experts
militaires l'ont dit.
Nous avons adressé au cabinet de la défense une
lettre signée par 900 parents de soldats en service actif à Gaza et plus de 2
000 sympathisants. Cette lettre demandait au gouvernement d'assumer la
responsabilité de la vie de nos fils et de ceux qui combattent à Gaza, et de ne
pas les sacrifier dans un piège mortel en l'absence d'une solution politique
légitime. Nous n'avons toujours pas reçu de réponse.
Je suis la mère de trois fils. L'aîné étudie aux USA
et lutte contre l'antisémitisme sur le campus. Les deux fils cadets ont
combattu à Gaza, l'un dans la réserve et l'autre dans le cadre de son service
obligatoire.
Mon fils cadet, âgé de 21 ans, se bat depuis le 7
octobre, en commençant par la bataille du kibboutz Nahal Oz, où il s'est battu
contre les attaquants du Hamas et a ensuite été témoin des conséquences des
atrocités qu'ils y ont commises. Comme l'a dit un membre du kibboutz, les
survivants doivent leur vie à l'unité de mon fils.
De là, lui et son unité ont été envoyés combattre
dans le nord de Gaza, puis à Khan Younès et maintenant à Rafah. Mon fils a
perdu des amis et des commandants tués au combat.
Des soldats israéliens, des amis et des membres
de la famille du sergent Itay Livny pleurent à côté de sa tombe lors de ses
funérailles au cimetière militaire de Kiryat Shaul à Tel Aviv, en Israël, au
début du mois. Le sergent Livny, âgé de 19 ans, a été tué lors de l'opération
terrestre israélienne dans la bande de Gaza. Photo Oded Balilty/AP
Nous sommes une famille patriotique, nos fils ont
été élevés dans les valeurs de la responsabilité sociale et de la contribution
personnelle. Je n'ai pas de mots pour exprimer le sentiment terrifiant et
permanent d'avoir un fils au combat depuis tant de mois.
Nous vivons dans un état permanent de terreur et
d'anxiété, sans sommeil et sans, à peine, semble-t-il, respirer. Nous craignons
chaque fois que l'on frappe à la porte. Au cours de ces mois, mon fils n'a été
à la maison que pour quatre courtes périodes et pour des vacances plus longues
pendant la Pâque, avant d'entrer à Rafah. Nous vivons un cauchemar permanent.
En rejoignant ce mouvement et en rencontrant
d'autres mères qui vivent la même expérience, je me suis sentie soutenue et
j'ai trouvé un moyen d'être proactive, alors que nous nous efforçons de faire
la différence, d'avoir une certaine influence.
J'écris ces mots avant tout en tant que mère et
citoyenne profondément concernée, mais aussi en tant que psychologue. J'ai
soigné des enfants évacués de leur maison à cause de la guerre et des enfants
qui ont perdu un parent à cause de la guerre. J'ai été immergée dans le
traumatisme et la douleur qu'ils éprouvent. Le traumatisme est une expérience
très répandue dans de nombreuses familles israéliennes aujourd'hui.
Le traumatisme nous laisse sans voix, sans
parole, vivant dans une existence quotidienne sans fin, en mode de survie, sans
aucun sens de l'avenir.
Une membre du groupe israélien “Parents de soldats
combattants criant ‘Assez’” lors d'une manifestation devant la base militaire
de Tel Hashomer, près de Tel Aviv vendredi. La pancarte du manifestant indique,
en référence aux membres du gouvernement qui n'ont pas servi dans l'armée, :
« Vous qui vous êtes défilés du service militaire : Ne prenez pas de
décisions sur la vie des soldats combattants ». Photo : Noorit Felsental
Berger
Mon doctorat portait sur les expériences
quotidiennes des mères de jeunes enfants et sur leurs façons d'exprimer leur
voix et leur identité. La guerre a remis en question la signification
fondamentale de la maternité, à savoir l'obligation pour une mère de protéger
ses enfants.
Lorsque nous avons considéré la guerre comme
inévitable au début, nous avons fait de notre mieux en tant que mères pour
soutenir nos fils et nos filles qui s'y battaient. Mais aujourd'hui, nous
ressentons en tant que mères le sacrifice inutile d'une guerre sans fin. Nous
ne pouvons pas rester silencieuses, nous devons donner une voix à nos
convictions. Les soldats de Gaza font leur devoir, notre obligation en tant que
mères est de donner une voix à leurs préoccupations.
Nous trouvons nos fils brisés par l'épuisement,
posant des questions sur le résultat de leur engagement et de leur sacrifice
alors qu'ils entrent dans les mêmes lieux encore et encore, et qu'ils voient
d'autres compagnons d'armes perdre la vie. Nous nous inquiétons sérieusement de
leur santé mentale. Il n'y a jamais eu de guerre aussi longue et intensive dans
ce pays, et le fardeau repose sur les épaules d'un même groupe de soldats.
En tant que parents, mères et pères, nous crions
: « Stop ! Maintenant ! ». Nous disons à nos dirigeants qu'ils
doivent accepter un accord pour la libération des otages tant qu'ils sont en
vie (nous ne pourrons pas guérir au niveau personnel ou national tant qu'ils
n'auront pas été libérés) et la fin de cette guerre.
En tant que nation, nous devons créer un horizon
d'espoir pour nos enfants, pour nous-mêmes. Continuer sur la voie actuelle
n'est pas une option. Nous devons arrêter cette voie du désastre avant qu'il ne
soit trop tard.
Noorit
Felsenthal Berger est psychologue et mère d'un soldat israélien servant à Gaza.
Elle est membre de l'organisation Parents of Combat Soldiers Shouting out, “Enough
!” (Parents de soldats combattants criant “Assez !”)