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13/06/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Une véritable opposition va-t-elle se lever ? Y aura-t-il quelqu’un pour essayer de sauver* Israël de Netanyahou, de la guerre sans fin et de l’isolement ?

 Dahlia Scheindlin, Haaretz, 10/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le départ sans surprise de Benny Gantz du gouvernement Netanyahou ne renforcera pas l’opposition, car Israël en possède à peine une digne de ce nom. C’est une mauvaise nouvelle pour qui veut mettre fin à la guerre à Gaza et au conflit israélo-palestinien


L’ancien ministre israélien Benny Gantz après avoir annoncé sa décision de quitter le cabinet de guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou, dimanche à Ramat Gan. Photo : Nir Elias/Reuters

Benny Gantz a fait les dernières unes politiques en Israël en annonçant dimanche soir son départ de la coalition d’urgence de guerre, sans surprendre personne.

Le pays est encore sous le choc – cette fois de bonheur – après le sauvetage de quatre otages de Gaza samedi. Les médias israéliens sont occupés à rendre compte du sauvetage triomphal tout en se contorsionnant pour éviter de mentionner que les forces israéliennes ont tué des centaines de Palestiniens lors du raid , dont de nombreux civils. Lundi, l’actualité s’est déplacée vers le projet de loi sur le service militaire pour les Haredim [orthodoxes religieux] et Gantz est devenu un thème de une parmi d’autres,  , distrayant Israël des plus grands dilemmes d’aujourd’hui et de demain.

Gantz voulait rendre les élections inévitables, surtout avant le vote clé sur le projet Haredi de lundi. Il a tenté de déclencher une dynamique politique en appelant le ministre de la Défense Yoav Gallant à se joindre à lui et à se rebeller contre le Premier ministre Netanyahou au sein du Likoud, car le départ de Gantz ne peut à lui seul provoquer des élections anticipées.

Mais même si les factions se rapprochent, cela aura-t-il une quelconque importance ? Si Gantz est l’espoir, il n’y a pas de véritable opposition en Israël aujourd’hui : pas de compétition sur les idées ou les voies pour l’avenir, ni sur les principes du type de pays qu’Israël devrait être.

Gantz s’est présenté lors de cinq scrutins, mais n’a réussi à rien promettre concernant le plus grand problème du pays : l’occupation [des territoires palestiniens depuis 1967] et le conflit israélo-palestinien. Honte à quiconque estime que cela aurait été une erreur stratégique de la part de Gantz de clarifier ses positions au cours de ses cinq années dans la politique israélienne. Personne n’aurait dû avoir besoin de la guerre actuelle pour savoir à quel point c’était une erreur mortelle et impardonnable de « gérer le conflit » et de mettre la question de côté pendant toutes ces années.


Morad Kotkot, Palestine, 2022

Quel est aujourd’hui l’attrait électoral de Gantz auprès du public ? Dimanche, il a déclaré qu’il quittait le gouvernement parce que Netanyahou a donné la priorité à sa survie politique avant le bien du pays et n’a donc pas réussi à prendre les bonnes décisions – ou aucune des décisions fondamentales – en conséquence.

Ce n’était pas sorcier : les sondages montrent que l’opinion publique estime que la prise de décision de Netanyahou concernant la guerre a été entachée par son besoin personnel d’empêcher son gouvernement de s’effondrer, plutôt que par des intérêts nationaux substantiels. Une certaine version de cette conviction était partagée par la majorité d l’opinion depuis le début de la guerre jusqu’à l’enquête de Canal 12 de vendredi dernier , qui a révélé une fois de plus que la majorité des Israéliens pensent que Netanyahou fait du sort des otages un jeu de politicien.

Il y a un peu plus dans la position de Gantz. À la mi-mai, il a exposé six objectifs clés que le gouvernement devrait adopter face à la guerre actuelle. Plusieurs d’entre eux impliquent la fin de la guerre un jour – comme l’acceptation d’un accord sur les otages ; établir une autorité internationale multilatérale pour un régime civil à Gaza comme base d’une future autorité autre qu’Israël ; et fixer une date pour le retour des habitants déplacés dans le nord d’Israël.

Une femme passe devant une affiche électorale montrant Netanyahou et Gantz avant les élections de mars 2021.  Photo Corinna Kern/Reuters

Ces points  soulèvent autant de questions qu’ils en résolvent. Gantz appelle-t-il à la fin de la guerre à Gaza ? Et qui de la frontière nord ? L’euphémisme sur le « rapatriement des habitants vers le nord d’Israël » contient des multitudes de questions de vie ou de mort. Les habitants ne reviendront que lorsque le Hezbollah ne constituera plus une menace, et cela ne se fera que par la diplomatie ou par une guerre totale.

Gantz a peut-être contribué à contenir un tel conflit avec le Hezbollah au début de la guerre actuelle, mais qu’en est-il maintenant ? Le Hezbollah affirme que mettre fin à la guerre à Gaza entraînera également un cessez-le-feu dans le nord. Les Israéliens devraient-ils le croire ? Nous ne le savons pas, et Gantz ne nous le dit pas, ni sur aucune de ces options.

L’architecte, pas une alternative

Le fait est que Gantz est l’architecte de la manière dont Israël a mené cette guerre, et non une alternative. Il semble envisager de mettre fin à la guerre à travers le plan Netanyahou-Biden et ses despropos ancdotiques sur le jour d’après [la guerre], mais il ne veut pas prononcer les mots. Sa vision à long terme pourrait aller d’une occupation militaire continue à une annexion totale ou à une stratégie visant à parvenir à un accord politique pour l’autodétermination palestinienne. Qui sait?

Ne cherchez pas une opposition politique à droite. Gallant est le seul membre du gouvernement de Netanyahou à avoir contesté les pires politiques du Premier ministre : il a pris position contre le putsch judiciaire, s’est opposé au nouveau projet de loi d’exemption du service militaires pour les Haredim et a fait une déclaration publique audacieuse en mai contre la marche irréfléchie de Netanyahou vers un régime d’occupation civile et militaire complète de Gaza par Israël. Mais le ministre de la Défense a fait une étrange danse pour se montrer provocateur tout en étant complice. Il n’a rien dit sur la possibilité de quitter le gouvernement. Il n’a réussi à convaincre aucun de ses collègues du Likoud ou du cabinet de Netanyahou de quitter le gouvernement. Il a dit une vérité importante sur ce que signifie pour Israël une emprise militaire permanente sur Gaza (« effusion de sang et de nombreuses victimes », et un gouffre militaire dévorant), mais il est également un architecte de la politique de guerre d’Israël.

Une vue du minaret endommagé d’une mosquée à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, dimanche. Le ministre de la Défense Yoav Gallant avait averti les Israéliens de ce à quoi ressemblerait une guerre en cours à Gaza. Photo Mohammed Salem/Reuters

S’il ne prend aucune mesure pour arrêter le gouvernement, ses paroles d’avertissement ne signifient pas grand-chose.

Quelle est sa vision pour mettre fin au conflit ? La dernière fois que j’ai pu trouver quoi que ce soit de Gallant concernant un accord politique, c’était il y a près de dix ans, lorsqu’il reconnaissait la possibilité d’un État palestinien alors qu’il faisait campagne pour entrer à la Knesset avec le parti Koulanou [Nous tous]. Il l’a dit dans une maison de retraite, présumant peut-être un déni par la mort de son public. A-t-il une voie ou une vision alternative à un Israël autocratique, isolé et illibéral, vivant uniquement par l’épée, que le grand électorat de droite d’Israël a en tête ? Dites-moi si vous la trouvez.

L’autre personnalité politique nationaliste de droite, Avigdor Lieberman, leader d’Yisrael Beiteinu, n’est pas une opposition idéologique. Simplement il déteste Netanyahou – il n’est que l’ombre d’une opposition politique. Il soutient la guerre, la destruction brutale de Gaza et une présence militaire à Gaza, tout comme l’occupation de la Cisjordanie . L’idée d’un État palestinien « s’est brisée en morceaux et ne peut être ravivée », écrivait-il il y a quelques mois.

Certes, cela l’a aidé dans les sondages, qui prévoient qu’il doublerait son nombre actuel de sièges à la Knesset. Mais à part effrayer les Israéliens dans des interviews récentes en mettant en garde contre des invasions sur plusieurs fronts, y compris par  le Hezbollah et les milices soutenues par l’Iran à travers la Jordanie (ce qui n’est pas inconcevable, bien sûr), et en invoquant le mot « Shoah » dans son avertissement – la seule chose  que Lieberman ne dit pas, cest exactement ce quIsraël devrait faire à ce sujet. Frapper préventivement tout le monde ? Demander à chaque électeur en Israël.

Une opposition boiteuse

Ensuite, il y a les dirigeants de partis politiques concurrents qui sont censés représenter une véritable opposition idéologique, issue des partis du centre, de gauche, arabes ou judéo-arabes. Ils avancent en boitant, mais Yair Lapid représente toujours une part importante, environ 15 sièges dans les sondages (contre 24 à la Knesset actuelle). Il est le dernier dirigeant politique important en Israël à avoir publiquement soutenu une solution à deux États avant la catastrophe de cette guerre, depuis la tribune des Nations Unies lors de son bref mandat de Premier ministre fin 2022.

Ceux qui considèrent que cette position est un baiser de la mort  électoral devraient se rappeler que non seulement les électeurs n’ont pas puni Lapid, mais qu’il a remporté sept sièges lors des élections peu de temps après, en novembre 2022. C’est incroyable ce que le leadership peut faire.

Lapid a été bien plus contraint pendant la guerre. Il préfère faire son cirque de soutien aux familles des otages, que le gouvernement néglige brutalement, en critiquant le leadership de Netanyahou, ou en soulignant à juste titre qu’il avait mis en garde contre une menace sécuritaire grave et imminente juste avant le 7 octobre . Comme tous les dirigeants de partis juifs en Israël, il a la plupart du temps pleinement soutenu la guerre.

Yair Lapid à une réunion du cabinet alors qu’il était ministre des Affaires étrangères en mai 2022. Il a été le dernier dirigeant politique israélien à suggérer de rechercher la solution à deux États. Photo: Abir Sultan/AP

Cependant, lors d’entretiens , il admet toujours que la solution à deux États est la voie préférée, même si elle est différée. Personne en Israël ne parle de détails ou de dates – mais à l’heure actuelle, c’est le meilleur Israël avec lequel les Palestiniens ou les interlocuteurs internationaux doivent travailler. Son programme politique au fil des années promet un Israël plus libéral, intégré internationalement aux pays démocratiques libéraux. Mais tout dépend de la question de savoir si Lapid intériorise le fait que la seconde solution est un fantasme sans la première – et développe des politiques pour le prouver.

Reste Yair Golan, un autre militaire à vie. Golan a récemment remporté la primaire du Parti travailliste , générant une hausse qui a poussé le parti au-dessus du seuil électoral de 3,25 pour cent lors des deux derniers sondages, après sept mois en dessous. Golan soutient la séparation d’avec les Palestiniens, la démocratie libérale et une plus grande égalité [entre juifs] au sein d’Israël.

Mais les généraux ont en réalité un bilan peu reluisant dans la politique israélienne , malgré le mythe. Au niveau politique, l’ancien paradigme de séparation, qui a été mis en œuvre dans toute sa mesure à Gaza au cours des dernières années, n’a pas si bien fonctionné que ça. Golan doit présenter des arguments bien plus solides en faveur de sa politique et de sa personne qu’il ne l’a fait jusqu’à présent.

Enfin, le parlementaire Ayman Odeh, très diminué , affirme ouvertement, comme toujours, que mettre fin à la guerre et revenir sur le chemin de la paix est le seul espoir du pays, comme il l’a fait lors d’une manifestation anti-guerre passionnée, mais extrêmement réduite, à Tel Aviv samedi dernier. Mais il avait annoncé l’année dernière qu’il ne se présenterait pas aux prochaines élections.

Ayman Odeh, codirigeant du Hadash-Ta’al, quittera la Knesset lors des prochaines élections. Photo : Oren Ben Hakoon  

L’ancienne députée de la Liste arabe unie, Sondos Saleh, a écrit cette semaine dans Haaretz qu’au lieu de revivre le 7 octobre chaque matin, il est temps de « résoudre le conflit au lieu de le gérer, de mettre fin à l’occupation, de mettre fin aux massacres, à la guerre et à l’effusion de sang. Soyons unis, Juifs et Arabes, et opposons-nous à cette terrible guerre… et apportons enfin un peu d’espoir à cette terre. » Pourtant, l’amère vérité est que pratiquement aucun Juif israélien n’écoutera ni l’un ni l’autre. Ils ont été complètement délégitimés avec succès, en tant qu’individus et du fait de leur identité [palestinienne].

Tant que les principaux politiciens israéliens, issus des partis disposant d’une masse critique d’électeurs, ne prononceront pas ces mots, les prochaines élections israéliennes ne seront pas une véritable compétition d’idées. Mais si le vainqueur de ces futures élections finit par adopter ne serait-ce qu’un brin de cet esprit, Israël se porterait mieux soutenant cette voie.

 * NdT
Je me permettrais de rappeller à l’autrice ces vers de l’Internationale :

"Il n’est pas de sauveurs suprêmes :
Ni Dieu, ni César, ni Tribun.
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !"

 

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