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30/05/2024

Grandes manœuvres, petits arrangements et conciliabules pour préparer la “succession” de Mahmoud Abbas, “après la guerre”

Les Palestiniens ont besoin d’un leader populaire capable de faire avancer les choses. Être originaire de Gaza serait un plus

Jack Khoury, Haaretz, 25/12/2023
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’opinion publique palestinienne n’a pas de figure, autre que Marwan Barghouti, emprisonné, qui puisse prendre les rênes en Cisjordanie et à Gaza dès la fin de la guerre et jouir de la légitimité à la fois du Fatah et du Hamas.

"Nous nous rencontrerons bientôt" : fresque murale dédiée à Marwan Barghouti dans le camp de réfugiés de Jabalya, à Gaza, en avril. Photo Majdi Fathi via Reuters Connect

La conversation sur la revitalisation de l’Autorité palestinienne par des réformes internes et des changements de dirigeants après la guerre n’a pas épargné la Cisjordanie. Ramallah est au courant des discussions et de la nécessité d’un changement, mais contrairement aux précédents cycles de combats entre Israël et Gaza, il n’y a personne pour parler en leur nom, ni pour proclamer des slogans sur un nouvel horizon.

Les enfants de la bande de Gaza sont les “stars” actuelles de la politique palestinienne. L’attention du public se concentre sur eux et sur la situation humanitaire catastrophique de Gaza.

L’Autorité palestinienne n’a pas de réponse claire à la question de l’après-guerre à Gaza, ce qui laisse présager toute une série de scénarios possibles, allant d’un chaos total à la somalienne à la création d’un forum international chargé d’œuvrer à une solution diplomatique et à des élections qui donneraient un coup de pouce à une nouvelle équipe dirigeante palestinienne.

Des sources proches du président palestinien Mahmoud Abbas ont déclaré à plusieurs reprises que des élections libres dans tous les territoires de l’Autorité palestinienne - y compris Jérusalem-Est et la bande de Gaza - étaient le seul moyen d’obtenir la légitimité. Cependant, il est clair pour tous que la tenue d’élections, qui aurait été compliquée même avant le 7 octobre, n’est pas envisageable à court terme, et que la réalité imposera une sorte de mesure provisoire pour préparer l’étape suivante. La condition est que les USA et Israël acceptent de coopérer et de présenter une vision claire de la paix.

Un processus intérimaire inclurait probablement des changements dans la gestion de l’Autorité palestinienne et de l’Organisation de libération de la Palestine (l’organisation faîtière qui la supervise). Mais le réseau d’intérêts est complexe. Le débat sur la prochaine étape commence par la question de savoir quel gouvernement Israël aura après la guerre.

Il se poursuit avec les plans régionaux usaméricains, puis avec la Russie et la Chine. L’Égypte et la Jordanie font également partie de ce réseau, en raison de leur intérêt pour la stabilisation de la région, tandis que les États du Golfe participent à la mêlée grâce à leur énorme influence financière.

En ce qui concerne la politique palestinienne interne, il n’y a pas de consensus sur la personne qui pourrait immédiatement et naturellement prendre les rênes en Cisjordanie et à Gaza avec une large légitimité. La seule personnalité qui pourrait obtenir le soutien de toutes les factions est Marwan Barghouti, qui est emprisonné en Israël.

Dans toutes les enquêtes menées au cours de la dernière décennie, Barghouti a reçu le plus grand soutien en tant que leader, y compris dans une enquête publiée la semaine dernière par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages, Barghouti - obtenant une moyenne de 55 %, en tenant compte des données de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Toutefois, il est peu probable qu’il puisse être libéré (ou peut-être dans le cadre d’un accord pour la libération des otages restés à Gaza), et qu’il soit préparé à occuper un poste de direction.

 

Le président palestinien Mahmoud Abbas, le mois dernier. Photo  Pool/Reuters

Les proches d’Abbas espèrent que l’Autorité palestinienne, sous sa direction, pourra gérer la tâche gigantesque de la reconstruction de la bande de Gaza après la guerre. Ils conditionnent toutefois cette possibilité à des garanties internationales - principalement de la part des USA et des États arabes - selon lesquelles un cadre clair pour la création d’un État palestinien accompagnera ce mouvement.

« Il y a un grand point d’interrogation concernant Israël et les USA », déclare un haut responsable du Fatah. « Veulent-ils vraiment stabiliser Gaza, la rendre à l’Autorité palestinienne d’une manière ou d’une autre, puis lancer un processus diplomatique et entamer des négociations ? Ou bien ont-ils intérêt à maintenir la séparation entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, puis à plonger Gaza dans le chaos le plus total et à provoquer l’effondrement de l’Autorité palestinienne ? Quels que soient les espoirs des Palestiniens, sans implication internationale et arabe, les choses ne progresseront pas ».

Ne pas aller n’importe où

À 88 ans, Mahmoud Abbas est toujours considéré comme l’homme fort de la Cisjordanie et ne montre aucun signe de départ de la scène politique - en tout cas pas tant que sa santé le permet et que des élections ne se profilent pas à l’horizon. Mais dans le même temps, les critiques croissantes de la situation de l’AP, le manque de légitimité publique d’Abbas et le discours international sur la nécessité d’un changement alimentent les rumeurs sur les candidats à la direction palestinienne de l’après-guerre.

Il y a deux noms importants dans le cercle d’Abbas. Le premier est le secrétaire général du comité exécutif de l’OLP, Hussein al-Sheikh, qui assure la liaison directe avec Israël et l’administration usaméricaine et qui assiste à toutes les réunions diplomatiques importantes. L’autre est Majed Faraj, chef du service des renseignements généraux.

Toutefois, il est peu probable que l’un ou l’autre puisse prendre le contrôle de Gaza sans l’implication du Hamas. Le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh est une autre figure familière à tous les acteurs de l’arène, mais il a fait l’objet de critiques de la part des Palestiniens. Il était question de le remplacer avant la guerre.

Des enfants cherchent leurs affaires dans un bâtiment de Rafah, à Gaza, après une frappe aérienne israélienne, dimanche. Photo Said Khatib/AFP

 

Un candidat potentiel pour remplacer Shtayyeh est Mohamed Mustafa, qui gère l’appareil financier de l’AP et est un proche associé d’Abbas. Il est considéré comme un personnage quelque peu ennuyeux, mais capable de diriger le gouvernement. Il est cependant peu probable que les factions de Gaza soient prêtes à coopérer avec lui.

Un autre candidat est Ziad Abu Amr, l’actuel vice-premier ministre, qui est également proche d’Abbas. Contrairement à Mustafa, Abu Omar est originaire de Gaza et a été ministre des Affaires étrangères en 2007 pendant le gouvernement d’unité. Comme Mustafa, cependant, il ne jouit pas d’une base populaire qui lui permettrait de prendre des décisions importantes.

Un autre nom est apparu récemment, celui de Husam Zomlot, ambassadeur palestinien à Londres et ancien chef de la mission de l’OLP aux USA. Zomlot, issu d’une famille de Gaza, parle couramment l’anglais et a joué un rôle important dans les efforts de diplomatie publique palestinienne dans les médias usaméricains et britanniques pendant la guerre.

Si, à 50 ans, il fait partie de la jeune génération de fonctionnaires, il est plus connu en tant qu’universitaire et diplomate que dans un contexte populaire. Il n’a pas non plus occupé de poste administratif, de sorte qu’Abbas est plus susceptible d’envisager de le ramener à Ramallah en tant que ministre des Affaires étrangères plutôt que comme premier ministre.

 

Hussein al-Sheikh, qui assure la liaison entre les Palestiniens et les USA et Israël, ce mois-ci. Photo Ammar Awad/Reuters

Salam Fayyad, premier ministre de 2007 à 2013, est l’une des personnes qui a occupé un poste exécutif dans le passé et qui jouit de la confiance des USA, d’Israël et de la communauté internationale. Le principal inconvénient de Fayyad est - une fois de plus - l’absence d’une large base de soutien. Lors des élections au Conseil législatif palestinien en 2006, son parti, la Troisième Voie, n’a remporté que deux sièges. Tant Ramallah que Gaza pensent que Fayyad peut être une solution provisoire, en particulier si la communauté internationale et les pays arabes font pression pour le nommer, mais ils estiment que le fait qu’il ne soit pas originaire de Gaza est un inconvénient évident.

Azzam Al-Shawwa, ancien ministre de l’énergie qui a occupé des postes clés dans des institutions économiques et financières (y compris dans le secteur privé), est issu d’une famille bien connue et bien établie dans la bande de Gaza, ce qui pourrait l’aider à obtenir le soutien du Hamas et du Djihad islamique.

Un autre nom notable mentionné comme candidat potentiel à la direction de l’AP pendant une période de transition est celui de Mahmoud al-Aloul, chef adjoint du parti Fatah d’Abbas. Al-Aloul est un politicien chevronné et un membre de la génération fondatrice, mais ses perspectives dépendent principalement de la mesure dans laquelle le comité central du Fatah est prêt à prendre la décision spectaculaire d’écarter Abbas. En outre, comme d’autres, Al-Aloul ne dispose pas d’une base de soutien à Gaza, et sa capacité à y obtenir une légitimité est douteuse.

Bien entendu, Abbas a également des opposants politiques convaincus qui se considèrent comme des candidats. Mohamed Dahlan, qui a été exclu du Fatah et de l’Autorité palestinienne en 2010, est une figure incontournable dans le contexte de la lutte pour la succession, d’autant plus qu’il est né à Gaza, qu’il bénéficie d’un certain soutien dans les cercles de Gaza et de Cisjordanie et qu’il entretient des liens étroits avec les Émirats arabes unis.

Salam Fayyad , par John Springs (2010)

Pendant la guerre, les alliés de Dahlan ont insisté sur le fait qu’il avait contribué, entre autres, à l’établissement d’un hôpital de campagne émirati à Gaza. Dahlan a également des liens avec le Hamas (tant à Gaza qu’à l’étranger), les services de renseignement égyptiens, Israël et les USA. Une source proche de lui a déclaré à Haaretz qu’il pourrait être un acteur majeur dans la gestion de la bande de Gaza, mais qu’il ne pourrait pas en prendre la tête.

Une autre figure - qui est anathème pour Abbas, mais dont le nom est apparu dans les discussions sur la nouvelle direction palestinienne - est Nasser al-Kidwa. Le neveu de Yasser Arafat a occupé plusieurs postes officiels dans le passé, notamment celui d’ambassadeur palestinien auprès des Nations unies et de ministre des affaires étrangères, mais il admet lui-même qu’il ne pourra occuper aucune fonction exécutive tant qu’Abbas restera au pouvoir.

Le mois dernier, le Hamas a publié une photo d’une réunion conjointe d’al-Kidwa et de Samir Mashharawi, considéré comme le bras droit de Dahlan, avec Ismail Haniyeh, haut responsable du Hamas, et Khaled Meshal au Qatar. Les observateurs considèrent que cette réunion a été organisée en vue de « l’étape suivante ».

Les détracteurs d’Al-Kidwa, même au sein du Fatah, admettent qu’il a des liens internationaux étendus et une expérience diplomatique et politique. De plus, ils pensent que le fait qu’il soit issu d’une famille gazaouie l’aidera. Selon eux, une question plane sur al-Kidwa en ce qui concerne sa « maison » politique. Dans quelle mesure devra-t-il lutter pour obtenir l’accord du Fatah pour diriger l’AP ? Il semble qu’il puisse obtenir l’accord du Hamas et le soutien de Dahlan, mais il est beaucoup plus douteux qu’Abbas et la direction de l’AP acceptent cette idée, du moins dans l’immédiat.

 

Mohamed Dahlan,  contre lequel la Turquie a émis une “notice rouge”, le suspectant entre autres  d'avoir été impliqué dans le coup d'État raté de Gülen en 2016 et dans l'assassinat de Jamel Khashoggi en 2018, vu par le journal turc Daily Sabah

 

 

03/07/2023

JONATHAN SHAMIR
Ce qui se passe à Jénine aujourd’hui est un avertissement pour les deux parties

Jonathan Shamir, Haaretz, 3/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Peu de personnes ont fait plus que Netanyahou lui-même pour accélérer l’effondrement de l’[In]Autorité palestinienne.

Résumé des événements : Aux premières heures de lundi matin, les Forces de défense israéliennes ont lancé une opération contre les militants palestiniens dans la ville de Jénine, en Cisjordanie. Vers 1 heure du matin, des frappes aériennes israéliennes ont visé un bâtiment à Jénine qui, selon l’armée, était utilisé par des militants pour planifier des attaques. Ces frappes ont été rapidement suivies d’une incursion de l’infanterie. Vers 1 heure du matin, des frappes aériennes israéliennes ont visé un bâtiment à Jénine qui, selon l’armée, était utilisé par des militants pour planifier des attaques. Ces frappes ont été rapidement suivies d’une incursion de l’infanterie, avec environ 2 000 soldats israéliens engagés. L’armée a prévenu que l’opération pourrait durer plusieurs jours. Israël a déclaré avoir perquisitionné un “centre de commandement unifié” des Brigades de Jénine dans le camp de réfugiés de la ville, où des militants de différentes factions se réunissaient pour coordonner et préparer des attaques. Des bulldozers israéliens ont également été filmés en train de détruire des rues, tandis que les habitants palestiniens ont signalé des coupures d’électricité pendant plusieurs heures. L’armée israélienne affirme que sa priorité actuelle est de collecter des armes dans le camp de réfugiés de Jénine. Jusqu’à présent, 20 Palestiniens ont été arrêtés, tandis qu’un laboratoire de fabrication d’explosifs et des pièces d’un lance-roquettes ont également été saisis. Le ministère palestinien de la Santé a fait état de neuf morts, dont deux adolescents, et d’au moins 50 blessés, dont 10 dans un état critique, alors que l’opération se poursuit. Les groupes armés de résistants palestiniens sont mobilisés : le Bataillon de Jénine a annoncé avoir abattu 2 drones militaires israéliens, la Brigade Qassam de Jénine (Hamas) a annoncé une embuscade réussie contre des soldats israéliens près de la mosquée Al Ansar, tandis que la Tanière des Lions de Naplouse a appelé à une mobilisation générale contre l’agression et a annoncé qu’elle avait envoyé des combattants à Jénine dès l’aube de lundi. Ci-dessous un commentaire du rédacteur en chef de Haaretz.com

Photo : MOHAMMED SALEM/REUTERS

Paralysée par la diminution de ses ressources et de sa légitimité, l’[In]Autorité palestinienne a laissé un vide dans les villes de Naplouse et de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, qui a été rapidement comblé par des groupes militants locaux.

La plus grande opération menée par Israël en Cisjordanie depuis plus d’une décennie ne changera pas cette situation de sitôt.

Des sources politiques israéliennes de haut rang, s’exprimant sous couvert de l’anonymat, ont déclaré que l’opération des FDI à Jénine visait à “préparer le terrain pour le retour de l’Autorité palestinienne”.

Peu de choses donnent autant de sueurs froides à l’establishment sécuritaire israélien que la disparition de l’[In]Autorité palestinienne, et même le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’est empressé de réitérer la semaine dernière que l’[In]Autorité palestinienne “ne peut pas être autorisée à s’effondrer”.

Pourtant, peu de personnes ont fait plus pour accélérer son effondrement que Netanyahou lui-même, qui a incité à la destruction de l’institution moribonde depuis son bureau de Premier ministre pendant plus d’une décennie et qui a siphonné les recettes fiscales de son économie captive.

Mais surtout, Netanyahou a affaibli l’[In]Autorité palestinienne en verrouillant tout règlement négocié du conflit israélo-palestinien et en érodant les droits fondamentaux et la sécurité des Palestiniens.

L’[In]AP sans gouvernail a été incapable d’assurer la protection la plus rudimentaire de son peuple : les colonies sont construites à un rythme sans précédent, les miliciens attaquent les Palestiniens et détruisent leurs biens.

Face à cette situation désastreuse, des groupes militants de base prennent les choses en main, souvent avec des effets mortels.

Mahmoud Abbas, le président octogénaire de l’[In]Autorité palestinienne, est une figure tragique, voire pathétique, et porte certainement une part de responsabilité : l’[In]Autorité palestinienne a eu sa part de corruption et a manqué à plusieurs reprises, pendant des décennies, d’honorer ses engagements en matière d’organisation d’élections.

Pour couronner le tout, on peut se poser des questions sur objectif civique, quand on voit que les enseignants sont en grève, les hôpitaux sont confrontés à de graves pénuries et les fonctionnaires ne sont pas payés. Tout ce que l’[In]Autorité palestinienne peut faire, c’est publier des déclarations de condamnation depuis Ramallah.

Israël ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. La raison d’être de l’[In]Autorité palestinienne est d’apporter une solution politique. Elle ne peut pas présenter les incursions des FDI à Jénine comme un cadeau à l’Autorité palestinienne, tout en n’offrant aucun horizon politique et en s’attaquant au moindre vernis d’“État de droit” en Cisjordanie.

En mars, le sondeur Khalil Shikaki a constaté pour la première fois qu’une majorité de Palestiniens pensait que la dissolution de l’[In]Autorité palestinienne était dans leur propre intérêt.

Au vu de son bilan, qui peut les en blâmer ? Et du côté de la politique israélienne, la démagogie a-t-elle pris le pas sur une véritable évaluation de ce qu’il adviendra du conflit et des Israéliens si l’[In]Autorité palestinienne s’effondre ?

Ce qui se passe aujourd’hui à Jénine n’est que le prélude - et une mise en garde contre - d’une explosion bien plus incontrôlée, de part et d’autre de la Ligne verte.



28/06/2023

AMEER MAKHOUL
Que faire de l’(In)autorité palestinienne ? L’armée israélienne et le Shin Bet ont des divergences sur la réponse à cette question

Ameer Makhoul, Middle East Eye, 27/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

S’écartant de sa position antérieure, l’agence de sécurité israélienne, le Shin Bet, s’est ralliée aux politiques d’extrême droite du gouvernement.


Ronen Bar (né Berezovsky)

L’influence grandissante de l’actuel chef du Shin Bet, Ronen Bar, a entraîné une divergence notable entre l’agence de sécurité israélienne et l’armée.

Ce fossé stratégique - récemment mis en évidence par le raid de l’armée israélienne à Jénine le 19 juin - se concentre sur deux questions : l’approche vis-à-vis de l’(In)autorité palestinienne (AP) et la question des incursions dans les villes palestiniennes, en particulier dans la zone nord de la Cisjordanie.

Le Shin Bet est favorable à l’invasion des villes palestiniennes et à la destruction de toute nouvelle formation de groupes de résistance. Cependant, son incapacité à détecter les menaces potentielles avant le raid militaire a conduit à des attaques surprise palestiniennes et à la destruction de véhicules blindés par des bombes artisanales placées en bord de route.

Les militaires israéliens, quant à eux, ont émis des réserves quant à la conduite de raids en Cisjordanie. Selon eux, contrairement à la situation de 2003, où l’AP avait soutenu la seconde Intifada, déclenchant l’invasion israélienne des villes de Cisjordanie, l’AP a depuis fait volte-face.

Les militaires estiment qu’une AP forte joue un rôle essentiel dans le maintien de la sécurité d’Israël et le contrôle des activités palestiniennes. C’était également la position du Shin Bet jusqu’à récemment.

Mohamed Sabaaneh

Les colons se déchaînent

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement d’extrême droite, la politique israélienne à l’égard de la Cisjordanie s’est nettement infléchie. Hormis les affaires militaires, toutes les questions concernant le territoire occupé relèvent de la compétence du chef du parti Sionisme religieux et ministre des Finances, Bezalel Smotrich.

Ce changement est conforme aux accords de coalition, qui déterminent l’ordre du jour du gouvernement.

Smotrich, personnalité influente du gouvernement israélien, a pour objectif stratégique de dissoudre l’(In)autorité palestinienne. Conformément à sa doctrine stratégique consistant à établir la “souveraineté juive” sur l’ensemble de la terre de Palestine, il préconise l’invasion des villes et des camps afin d’obtenir des résultats décisifs.

Les colons israéliens agissent sous la direction de Smotrich, un leader d’extrême droite, qui, à son tour, s’efforce de façonner les politiques gouvernementales en fonction de la volonté des colons.

Le Shin Bet surveille les mouvements et les projets des colons et dispose même d’un département dédié à cette fonction. Appelé à l’origine “département non arabe”, il est aujourd’hui appelé “département juif” (dans toutes les institutions de l’État et dans la littérature officielle, le terme “non-juifs” est utilisé, alors qu’au Shin Bet, on utilise “non-arabes”). Cependant, aucune mesure n’est prise pour contrecarrer leurs activités ou leur violence.

L’incapacité du Shin Bet à contrôler les colons suggère qu’il voit un rôle dans leur violence : établir une domination sur les Palestiniens, agir comme un moyen de dissuasion et briser tout soutien populaire aux organisations armées qui résistent à l’occupation.

La récente sauvagerie des colons est donc le résultat d’une stratégie mesurée et calculée plutôt que d’une “frénésie sanglante”. Il s’agit d’une tactique visant à faciliter les objectifs plus larges d’Israël, à savoir l’intimidation et le nettoyage ethnique des Palestiniens.

Parmi les exemples récents, on peut citer les incendies criminels de Huwwara, Turmus Ayya et Um Safa, qui n’étaient pas le fruit du hasard, mais plutôt des attaques préméditées.

L’annonce par le gouvernement israélien de la construction de 1 000 unités de logement dans la colonie illégale d’Eli - à la suite de l’opération armée palestinienne qui s’y est déroulée - met encore plus en évidence ses objectifs coloniaux en Cisjordanie.

Affaiblissement de l’AP

Il y a trois mois, alors que la discorde dans les rangs de l’armée s’intensifiait en raison de leur opposition à un éventuel coup d’État judiciaire, des voix importantes de l’armée israélienne se sont fait entendre. Parmi elles, le commandant militaire et ancien chef du Shin Bet, Nadav Argaman. Leur position est sans ambiguïté : si les politiques gouvernementales sont en conflit avec l’État de droit, l’allégeance de l’armée ira à ce dernier.

Cependant, les actions de l’armée semblent aujourd’hui en contradiction avec sa position précédente. Plutôt que d’adhérer à la lettre de la loi, l’armée semble agir en accord avec les décrets du gouvernement.

Ce changement est particulièrement évident dans le cas de l’avant-poste illégal d’Evyatar en Cisjordanie, qui a été évacué sur ordre d’un tribunal israélien. Au mépris de cet ordre, les colons sont revenus et ont repris leur occupation, apparemment sans entrave de la part de l’armée, malgré le statut de zone militaire de la région.

Cette évolution est en contradiction avec la position et les évaluations de l’armée. L’armée a exprimé sa réticence à envahir les villes palestiniennes, comprenant que cela l’obligerait à jouer un plus grand rôle de maintien de l’ordre après l’invasion.

En outre, elle a ajouté qu’une telle action épuiserait les ressources actuellement mobilisées contre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah.

C’est pour ces raisons que presque tous les anciens chefs militaires, rejoints par toutes les anciennes agences de sécurité, s’opposent à l’affaiblissement (ou à l’effondrement total) de l’(In)autorité palestinienne. Au contraire, ils perçoivent cet affaiblissement comme une perte stratégique pour Israël, qui ne propose aucune solution tangible pour la paix.

Pourtant, un changement de position significatif peut être observé dans les rangs du Shin Bet, même si ce changement ne représente pas un consensus au sein de l’organisation.

Le directeur du Shin Bet reconnaît qu’une invasion du nord de la Cisjordanie pourrait potentiellement déstabiliser l’(In)autorité palestinienne, mais il plaide en faveur d’une invasion à court terme qui ne prévoit pas ce qui se passerait par la suite. Reconnaissant l’incertitude inhérente à la guerre, il admet qu’il ne peut dicter la durée d’une invasion.

Bar reconnaît en outre que l’incendie criminel de Turmus Ayya a porté un coup terrible à la crédibilité de l’(In)autorité palestinienne - un avantage pour le Shin Bet. Les communautés palestiniennes ont critiqué la “négligence” de l’AP et son incapacité à les protéger des attaques des colons, en particulier dans la zone C, qui est entièrement contrôlée par Israël.

Dans une rare dérogation à la norme, le Shin Bet a envoyé un représentant à la commission de la Knesset chargée des projets de colonisation. Ce représentant, qui s’exprimait derrière un rideau, a exprimé le soutien de l’agence à une proposition de loi visant à étendre la présence juive dans les villes à majorité palestinienne d’Israël, comme celles de Galilée.

Ce représentant a affirmé que la “judaïsation” de la Galilée est en fait une question de sécurité nationale. Il a ajouté : « Le niveau de colonisation dans la région s’accompagne d’un renforcement des forces de police et d’application de la loi, de l’éducation, du développement des routes, etc. »

Il a également laissé entendre que le Shin Bet s’efforcerait de protéger les communautés juives contre les menaces potentielles, considérées comme des adversaires de l’État. Cette politique comprend des stratégies visant à diluer l’importante présence arabe en Galilée et à en perturber la continuité.

Les objectifs du projet de loi soutenu par l’agent du Shin Bet sont décrits comme des principes de l’accord de la coalition gouvernementale, concernant la “judaïsation” non seulement de la Galilée, mais aussi du Naqab [Néguev], de la zone C de la Cisjordanie et de Jérusalem.

Enfin, le représentant du Shin Bet, qui a choisi de rester anonyme, a corroboré ce point de vue comme étant celui de Bar, le chef de l’agence. Cette révélation pourrait signaler l'orientation potentielle de l'organisation de renseignement vers les politiques ministérielles ou, à tout le moins, suggérer une convergence croissante de leurs évaluations stratégiques.

Divergence

À la suite de l’incendie criminel de Turmus Ayya, le 21 juin, les forces israéliennes ont affirmé qu’elles n’avaient pas été informées au préalable des intentions des colons d’envahir la ville. Habituellement, ces renseignements proviennent du Shin Bet.

Cependant, certains segments de l’armée, notamment le bataillon de Cisjordanie (officiellement appelé la division de Judée et Samarie), sont fortement influencés par l’idéologie du sionisme religieux. Ces soldats et officiers n’adhèrent pas strictement aux ordres de l’état-major et se considèrent comme un corps unifié avec les colons, comme l’a déclaré l’année dernière leur commandant, le colonel Roi Zweig.

Le chaos interne s’est manifesté lorsque des gangs de colons terroristes ont perpétré l’incendie criminel sous le parapluie protecteur de l’armée et sous son œil vigilant. Cela s’est produit après que la ville a été mise en état de siège, tous les points d’accès étant bloqués. Cette tactique renvoie à une tactique sioniste historique qui a été associée à d’autres massacres tragiques.

La divergence entre l’armée israélienne et le Shin Bet menace de rompre un équilibre de longue date entre les principales institutions de sécurité d’Israël - l’armée, le Shin Bet et le Mossad - et le gouvernement. Qu’il s’agisse de questions concernant l’Iran ou la Palestine, le facteur décisif a toujours été le consensus entre ces trois agences de sécurité.

Il est intéressant de noter que le Shin Bet semble se rapprocher de la position d’extrême droite du gouvernement, en s’alignant spécifiquement sur Smotrich. Ce dernier semble convaincu que l’affaiblissement de l’AP est une étape nécessaire pour faciliter les projets du parti au pouvoir qu’il dirige. (Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, est devenu une voix que personne n’écoute lorsqu’il s’agit de questions de sécurité).

Le débat au sein de l’appareil de sécurité de l’État occupant sur la question de savoir s’il faut déstabiliser l’AP n’est pas encore tranché. Malgré des années de siège de l’AP, la volonté d’Israël de provoquer son effondrement total est incertaine.

Toutefois, le soutien à cette stratégie semble s’accroître au vu des nombreuses évaluations concernant l’ère qui suivra le président Mahmoud Abbas, âgé de 87 ans. La question du paysage post-Abbas est une question qui préoccupe profondément tous les rouages de la machinerie de l’État occupant.

Au fur et à mesure que la situation évolue, il devient de plus en plus évident que le Shin Bet cherche non seulement à rompre les liens et les attentes qui existent entre les Palestiniens vivant dans la zone C et l’(In)autorité palestinienne, mais aussi à exacerber les plaintes des résidents locaux à l’encontre de l’organe dirigeant.

L’AP, inhibée par les restrictions israéliennes, n’est pas en mesure d’assurer une quelconque forme de protection ou d’agir dans la région. Ces réalités feront probablement pencher la balance en faveur de ceux qui, en Israël, souhaitent l’affaiblir encore plus - ou carrément la détruire.

 

22/01/2023

MICHELE GIORGIO
Il y a un champ de bataille au cœur de Naplouse

Michele Giorgio, Pagine Esteri, 20/1/2023 (Photos de l’auteur)
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La circulation est chaotique comme tous les jours. Les usines, les ateliers d’artisans et les magasins sont ouverts. Comme tous les matins, les étudiants de l’université Al Najah se rendent au campus à un rythme rapide et, dans l’après-midi, se pressent dans les cafés autour de l’université, remplissant l’air de sons, de mots, de rires. Naplouse semble vivre un quotidien tranquille. Ce n’est qu’une apparence. La deuxième ville palestinienne de Cisjordanie vit dans un climat de guerre depuis l’été dernier, une guerre qui se déroule principalement la nuit et qui n’épargne personne. Le principal champ de bataille est la casbah, la vieille ville. Les hommes des unités spéciales de l’armée israélienne, les mista'arvim [“arabisés”] en civil qui se font passer pour des Palestiniens, ouvrent la nuit, par des actions éclair, la voie aux raids des unités de l’armée à la chasse aux militants de la Tanière des lions, le groupe qui rassemble des combattants de toutes les orientations politiques et qui est devenu l’icône de la lutte armée palestinienne. Des raids qui s’accompagnent d’intenses échanges de tirs et se terminent par des meurtres de Palestiniens, presque toujours perpétrés par des tireurs d’élite.


« Nous vivons comme si nous étions en guerre, avec les occupants (israéliens) qui entrent dans la ville presque chaque nuit pour tuer ou capturer quelqu’un, et les civils en paient souvent le prix », nous dit Majdi H., un éducateur qui a accepté de nous accompagner. « La casbah est la principale cible d’Israël, ajoute-t-il, car elle représente le refuge de la résistance. Mais les raids ont lieu partout et se transforment en batailles au Tombeau de Joseph ». Majdi fait référence aux “visites” nocturnes périodiques de colons israéliens sur le site religieux situé dans la zone A, sous contrôle palestinien total. Leur arrivée, avec une escorte de dizaines de soldats et de véhicules militaires, déclenche de violents échanges de tirs avec la Tanière des lions. « Nous voulons vivre notre vie, sans plus voir de colons et de soldats, mais on ne nous le permet pas », poursuit Majdi, qui mène depuis plusieurs années des activités de soutien psychologique aux mineurs avec d’autres collègues. « Ils sont les plus touchés par ce climat, explique-t-il, les enfants et les jeunes sont les plus exposés aux dommages causés par cette guerre de faible intensité mais toujours violente ». La situation actuelle rappelle à beaucoup l’opération “Mur de défense” lancée par Israël en 2002, lorsque l’armée a réoccupé des villes autonomes palestiniennes au plus fort de la deuxième Intifada. On a estimé le nombre de morts palestiniens à environ 300 à Naplouse, qui a été traversée et dévastée pendant des mois par les chars et les véhicules blindés. Aujourd’hui comme alors, le commandement militaire et le gouvernement israéliens justifient leur main de fer par la “lutte contre le terrorisme” et les organisations armées palestiniennes responsables d’attaques qui, dans certains cas, ont tué ou blessé des soldats et des colons.

La beauté de la casbah de Naplouse n’est comparable qu’à celle de la vieille ville de Jérusalem. Les travaux de rénovation entrepris ces dernières années par les autorités locales, grâce également à des projets internationaux, ont redonné une nouvelle splendeur aux bâtiments anciens et aux coins cachés. Les hammams qui ont contribué à rendre la ville célèbre ont été rénovés, tout comme les fabriques de carrelages et de savon à l’huile d’olive et les ateliers familiaux qui produisent les gelées enrobées de sucre glace. « Mais la reine des sucreries à Naplouse était et reste la kunafa [knafeh] », souligne Majdi, en référence à l’un des délices de la cuisine palestinienne. L’atmosphère est agréable. Après la mosquée al Khader, on rencontre de petits restaurants avec des pots de fleurs et des lumières colorées se reflétant sur la pierre blanche des maisons. Les commerçants exposent des marchandises de toutes sortes et les marchands ambulants vantent les mérites des fruits et légumes qu’ils ont apportés en ville.


En entrant dans le quartier Al Yasmin, Majdi devient plus sérieux et tendu. Nous sommes dans la zone rouge, c’est le fief de la Tanière des lions et d’autres groupes armés. « Ici, il y a des fusillades presque toutes les nuits entre nos jeunes et les soldats israéliens. Tu ne peux pas prendre de photos et si tu croises des combattants, ne les suis pas des yeux trop longtemps. La peur des espions et des collabos est forte », nous dit-il à voix basse. Au-dessus de nos têtes, dans les ruelles, de longs draps noirs ont été étendus pour cacher les mouvements des tireurs aux drones israéliens. Les murs sont couverts d’affiches avec les visages des martyrs, anciens et nouveaux, ceux tués pendant la première Intifada il y a trente ans et ceux abattus ces dernières semaines. Une sorte de mausolée installé sur une petite place commémore les plus célèbres d’entre eux, dont Ibrahim Nabulsi, qui en août dernier, encerclé par les soldats israéliens, a préféré mourir et ne pas se rendre. Avant d’être abattu, Nabulsi a envoyé un message audio à sa mère qui est devenu viral pendant des mois. Pour les Palestiniens, c’est un héros. Pour Israël, en revanche, le premier chef de la Tanière des lions était un “dangereux terroriste” et faisait partie des responsables de graves attaques armées contre des soldats et des colons. Les mista'arvim israéliens ont déjà décapité la direction de la Tanière des lions à plusieurs reprises, mais le groupe voit ses rangs grossir chaque jour. Entre 100 et 150 habitants de Naplouse et des villages voisins en feraient partie. Quelques-uns d’entre eux nous dépassent, nous ne pouvons pas les photographier ou les arrêter pour leur poser quelques questions, répète sèchement Majdi, qui entre-temps a été rejoint par Amer, un de ses amis qui vit dans la casbah, pour nous garant un "laissez-passer" supplémentaire. L’uniforme des hommes armés est noir, le visage est recouvert d’une cagoule, un bandeau de couleur portant le logo du groupe entoure le sommet de la tête. L’arme est presque toujours un pistolet-mitrailleur M-16.


Un « uniforme»similaire est porté par les membres du bataillon de Balata, dans le plus grand camp de réfugiés de la ville, également connu pour être un bastion de la résistance aux forces de sécurité de l’Autorité nationale palestinienne, que beaucoup à Naplouse, y compris ceux du parti Fatah du président Abou Mazen, considèrent désormais comme étant « au service » d’Israël. Les opérations (répressives) de sécurité menées à Naplouse par les forces spéciales de l’ANP sont à l’origine de violentes protestations et les rues du centre-ville se transforment en un champ de bataille entre jeunes et policiers. «Cela fait des décennies que nous demandons en vain la fin de l’occupation israélienne, le principal problème de Naplouse, de chaque ville, de chaque Palestinien », déclare Osama Mustafa, directeur du centre culturel Yafa dans le camp de Balata. « Nous avons essayé avec les accords d’Oslo, avec les négociations mais cela n’a servi à rien, nous restons sous occupation, les colonies israéliennes nous encerclent », ajoute Mustafa. « Israël prétend que sa pression sur Naplouse est due à la présence d’hommes armés dans la ville et met en œuvre des mesures punitives qui touchent l’ensemble de la population ».La frustration est palpable, l’exaspération face au désintérêt des pays occidentaux détériore la relation avec l’Europe. « Au centre Yafa, nous menons des activités culturelles et adaptées aux enfants, explique Mustafa, ce sont des projets civils, presque toujours pour les enfants. Pourtant, pour nous accorder un financement, l’UE nous demande de signer des déclarations condamnant la résistance à l’occupation. Elle le fait parce que c’est Israël qui l’impose. Mais aucun Palestinien ne peut faire ça ».