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12/12/2022

DANIEL LANDES
L’échec moral profond de “Sionisme religieux”

Daniel Landes, Haaretz, 11/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le rabbin Daniel Landes, né à Chicago, a dirigé de 1995 à 2016 l’Institut Pardes pour l’éducation juive ; il est le fondateur et directeur de l’organisation religieuse YASHRUT, qui construit un discours civil à travers une théologie de l’intégrité, de la justice et de la tolérance. YASHRUT comprend une initiative de semikhah (ordination de rabbins) ainsi que des programmes pour les dirigeants rabbiniques.

Les trois figures clés du parti sioniste religieux d’extrême droite, qui siégeront bientôt au gouvernement de Netanyahou, ne sont pas seulement un mélange délétère de fondamentalisme, de loi de la populace et de machisme messianique. Ils sont, ainsi que la communauté qui les a propulsés au pouvoir, une tache sur notre foi juive.

Des colons israéliens se battent avec des Palestiniens à Hébron le mois dernier : un sionisme religieux avili se dirige vers une sainteté sans retenue et un Dieu sans pitié ni justice. Photo : MUSSA ISSA QAWASMA/ REUTERS

Je suis un sioniste religieux convalescent. Je ne peux pas appartenir à une idéologie qui, dans son hyper-nationalisme, s’apparente aux politiques sauvages et dictatoriales de Viktor Orbán en Hongrie, et dans son fondamentalisme religieux haineux, au racisme virulent et au messianisme farfelu de Louis Farrakhan. Les sionistes religieux s’emparent de la Torah et la présentent à travers un triste miroir de maison de fous, avec des abcès théologiques et des distorsions éthiques qui nous effraient à juste titre.

Le sionisme religieux contemporain rejette la sagesse du judaïsme rabbinique. Confronté à une crise de vie ou de mort il y a 2 000 ans, le judaïsme rabbinique n’est pas devenu asinien, stupide et mesquin comme le sionisme religieux d’aujourd’hui ; il est plutôt devenu sérieux, intelligent et chaleureux.

Le judaïsme rabbinique a dû trouver comment survivre afin de s’épanouir, et survivre signifiait déclarer nos valeurs fondamentales en tant que Juifs. En relatant un vote secret du Sanhédrin dans la clandestinité [Traité Sanhédrin 74a], les dirigeants juifs de l’époque ont établi une nouvelle règle extrêmement importante - en changeant la lecture d’une lettre de la Bible. C’est une leçon pour les fondamentalistes juifs d’aujourd’hui.

Le verset (Lev. 18:5) conclut une liste de formes de commandements divins (mitzvot), se terminant par l’injonction que ceux-ci sont « ce qu’une personne doit faire et vivre par eux ». L’implication de la conjonction vav dans va’chai (“et vivre”) est que l’on ne vit que par l’observance des mitzvot, et que l’on doit choisir de les observer, même si cela exige une mort de martyr.

Dans une lecture révolutionnaire, les rabbins ont changé le vav pour signifier "mais", donnant ainsi au verset le sens de "mais vis par elles" (et non pas meurs par elles). Par cette élévation d’un nouveau principe, les rabbins ont décrété que l’on doit plutôt transgresser la grande majorité des commandements de la Torah (610 sur 613) si l’observance signifie la mort.

Selon les termes du Dr Maïmonide, il s’agit d’une amputation radicale qui vise à sauver le corps - en référence à la vie d’un individu, au corps politique et au corps des lois juives. En effet, cela a conduit à la conscience juive ultérieure et capitale que le but des commandements est de nous conduire à la Vie elle-même.

La Torah n’est pas le pacte de suicide que les sionistes religieux d’aujourd’hui envisagent, qu’il s’agisse du parti d’extrême droite portant ce nom qui est sur le point de siéger au gouvernement de Netanyahou ou de la communauté qui les y a propulsés.

Leur interprétation de la Torah met en avant la promesse de s’emparer du Mont du Temple et la menace d’expulser des millions d’Arabes israéliens et palestiniens, en s’engageant à ce que ceux qui restent vivent dans des conditions misérables et serviles. Il s’agit moins d’une politique que d’une incitation à l’action collective de la populace. Devons-nous tous devenir des colons, sans même prendre la peine de porter des masques, descendant matraquer les familles de fermiers palestiniens ?

Pour les théocrates juifs d’extrême droite d’aujourd’hui, comme Itamar Ben-Gvir du sionisme religieux, leur messianisme triomphaliste ne s’embarrasse pas de la peur de l’apocalypse. Photo : Oded Balilty /AP

Bien sûr, leur messianisme triomphaliste ne s’embarrasse pas de la crainte d’une apocalypse ; le salut de leur dieu se manifeste par la création de nouveaux faits sur le terrain. Même le grand rabbin Akiva, l’avocat rabbinique du messie raté du deuxième siècle, Bar Kokhba, verrait la bêtise que cela implique.

Selon les normes talmudiques, les sionistes religieux font encore bien pire sur le plan théologique. L’ancien Sanhédrin soutenait qu’il y avait trois exceptions au principe primordial du choix de la vie : l’idolâtrie, le viol et le meurtre. Ces absolus représentent la rupture des alliances avec Dieu, avec sa propre décence intérieure, avec l’autre et avec la société humaine.

La violation de tous ces absolus et de toutes ces alliances a trouvé de nouvelles manifestations chez les théocrates juifs d’extrême droite d’aujourd’hui.

Premièrement : l’idolâtrie. Le sionisme religieux est obsédé par la kedushah (“sainteté”) et ne comprend pas que la seule véritable kedushah réside en Dieu. Toutes les autres saintetés ne sont que des dérivés, comme le grand Meshekh Chokhmah (Rabbi Meir Simcha de Dvinsk, 1843-1926) l’a soigneusement souligné.

Faire en sorte que la sainteté du Temple rivalise avec Dieu ou que la sainteté de la Terre et la sainteté du Peuple semblent faire partie de Dieu lui-même, n’est pas seulement une erreur, mais une idolâtrie. Et c’est vers cela que se dirige le sionisme religieux, vers une sainteté sans retenue et un Dieu sans miséricorde ni justice.

Des visiteurs juifs religieux, surveillés par les forces de sécurité israéliennes, gesticulent en visitant le Mont du Temple et la mosquée Al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem cette année. Photo : AMMAR AWAD/ REUTERS

Deuxièmement : les agressions sexuelles. Le défilé des “saints” rabbins religieux sionistes intoxiqués par Dieu et accusés d’abus, leurs étudiants confiants qui ferment leurs oreilles en signe de déni, tous affirmant qu’il existe une conspiration contre eux, s’est effectivement normalisé. Le mélange nocif de piété, de pouvoir et de sainteté de ces hommes (qui prouvent leur machisme mishnaïque en menaçant la communauté LGBTQ) est une tache sur notre foi.

Enfin, le meurtre, notre aversion pour les effusions de sang. Lorsqu’on a demandé au grand commentateur du deuxième siècle, Rabbah, si l’on pouvait causer la mort d’un autre pour sauver sa propre vie, il a répondu : « Plutôt être tué que de tuer. Qui dit que votre sang est plus doux ? Peut-être que son sang est plus doux ». Ce principe n’est pas basé sur un verset biblique mais s’appelle sevarah - logique morale.

Bien sûr, nous devons nous défendre, car après tout qui dit que la vie d’un agresseur est plus douce que la nôtre. Mais donner l’autorité de l’application de la loi à ceux qui menacent facilement les autres, qui ne maintiennent la sécurité que pour une partie de la population d’Israël, qui nient manifestement l’humanité de tant d’autres, c’est tolérer et promouvoir les effusions de sang. En outre, dire à des millions de personnes qui s’identifient comme juives dans la diaspora et en Israël d’aller se faire voir ailleurs est, non seulement sur le plan de la sécurité, tout simplement stupide, mais aussi moralement répréhensible.

Nous, les sionistes religieux, qui nous opposons au (parti) Sionisme religieux dans son incarnation actuelle, avilie et extrémiste, le faisons parce que nous croyons en Dieu comme au vrai Saint. Les valeurs humaines du judaïsme rabbinique rejettent le messianisme dévoyé et toxique, mais célèbrent la véritable logique morale qui ordonne : « Et vivez par eux ».