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17/08/2024

RYAN GRIM
Alors qu’Elon Musk se bagarre avec le Royaume-Uni et l’UE à propos de la censure des médias sociaux, Israël emprisonne des citoyens pour des posts Instagram

Ryan Grim, Drop Site News, 14/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Elon Musk et sa légion de défenseurs de la liberté d’expression sur Twitter se sont récemment retrouvés dans une bataille avec le gouvernement britannique, ainsi qu’avec l’Union européenne, à la suite des émeutes raciales qui ont secoué le pays ce mois-ci. Le premier ministre britannique Keir Starmer et d’autres membres du gouvernement ont attaqué la plateforme de médias sociaux de Musk pour avoir diffusé de fausses informations sur les immigrés, tandis que Musk a riposté vigoureusement et averti que les menaces de censure de la parole conduisaient inévitablement à l’autoritarisme.

“One two three, votre haine c’est mon grisbi !”
Ben Jennings, The Guardian

Malgré toutes ses préoccupations concernant la liberté d’expression au Royaume-Uni, Musk n’a rien dit de la campagne de censure bien plus agressive actuellement menée en Israël, un pays dont il soutient bruyamment les dirigeants. La répression est le résultat de l’application grossière d’une loi israélienne qui peut criminaliser des actes aussi inoffensifs que l’affichage d’un drapeau palestinien sur les médias sociaux.

À la suite de l’attaque du 7 octobre réalisée par le Hamas, le procureur général d’Israël, Amit Isman, a modifié la procédure légale pour permettre à la police de mener des enquêtes pour incitation ou soutien au terrorisme sans l’approbation des procureurs. La Knesset a ensuite élargi la loi en la modifiant de manière à ce que la simple consommation de médias particuliers ou de médias sociaux soit considérée comme un délit, plutôt que la simple publication ou distribution de ces médias. Dans les mois qui ont suivi, une répression véritablement draconienne s’est abattue sur la liberté d’expression en ligne en Israël.

Selon Adalah, le centre juridique pour les droits des Arabes en Israël, plus de 400 personnes, dont de nombreux citoyens arabes d’Israël, ont été arrêtées et placées en détention pour des motifs liés à leur activité sur les médias sociaux. Environ 190 d’entre elles ont été maintenues en détention tout au long de la procédure judiciaire qui, dans de nombreux cas, peut durer des mois et inclure des conditions d’enfermement brutales au sein du système pénal israélien.

Il est difficile d’obtenir des données complètes. Mais selon les données de la police citées par l’organisation de surveillance Shomrim, également connue sous le nom de Centre pour les médias et la démocratie en Israël, en mai de cette année, le procureur de l’État avait autorisé la police à ouvrir des enquêtes sur 524 messages publiés sur les médias sociaux. Ce chiffre est probablement sous-estimé, car il n’inclut pas les enquêtes sur les activités des médias sociaux ouvertes indépendamment par la police, ni d’autres poursuites qui ont été rapportées publiquement, mais qui n’apparaissent pas sur la liste de Shormin.

L’un des premiers posts arrêtés est celui d’un certain Yarmuk Zuabi, propriétaire du restaurant Al Sheikh à Nazareth. En octobre dernier, Zuabi a remplacé sa photo de profil sur WhatsApp par un drapeau palestinien et a publié la caricature suivante sur son compte :


La caricature, qui visait à critiquer les différences de réaction internationale aux conflits ukrainien et palestinien, ne parlait pas de terrorisme ni de justification de la violence. Il n’en fallait pas plus pour que la police s’en prenne violemment à Zuabi.

« Deux voitures de police se sont arrêtées avec huit officiers », a déclaré plus tard Zuabi à Shomrim, dans un rapport publié cette année sur la liberté d’expression en Israël. « Lorsqu’ils m’ont emmené, je n’étais pas menotté. Je connais la plupart des policiers de Nazareth, alors quelqu’un m’a appelé pour que je sorte et m’a dit que j’étais convoqué pour un interrogatoire au commissariat. Un autre policier a saisi mon téléphone, qui était sur la table, et l’a confisqué. Au poste et pendant l’interrogatoire, j’ai été menotté ».

12/06/2024

L’université du Minnesota suspend le recrutement d’un professeur qui a qualifié la guerre d’Israël contre le Hamas de “cas d’école de génocide”

NdT : j’ai traduit ce texte dans un strict but informatif, ne partageant évidemment pas le parti pris de l’auteur, qui a choisi de donner la parole à tout le monde, sauf au premier concerné, Raz Segal. On trouvera après l’article le texte d’une déclaration publié le 9 décembre dernier par 60 experts des génocides, dont Segal.

L’annonce de la nomination de Raz Segal à la tête de l’École d’études sur l’Holocauste et les génocides a incité deux professeurs à démissionner du conseil consultatif du centre.

Haley Cohen , Jewish Insider, 10/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L’université du Minnesota a suspendu l’embauche d’un professeur qui a écrit que l’opération militaire d’Israël contre le Hamas à Gaza après le 7 octobre était “un cas d’école de génocide” pour diriger le Centre d’études sur l’Holocauste et le Génocide (CHGS) de l’école, a appris Jewish Insider.

Raz Segal

Cette pause, qui n’a pas encore été annoncée publiquement par l’université, est intervenue ce lundi soir, après que deux membres du conseil consultatif du centre ont démissionné en signe de protestation vendredi.

« L’assaut sur Gaza peut également être compris en d’autres termes : comme un cas d’école de génocide se déroulant sous nos yeux », a écrit Raz Segal, professeur associé israélien d’études sur l’Holocauste et les génocides à l’université de Stockton dans le New Jersey, dans le Jewish Currents du 13 octobre. « Je dis cela en tant que spécialiste des génocides, qui a passé de nombreuses années à écrire sur la violence de masse israélienne contre les Palestiniens », a-t-il écrit.

Un porte-parole de l’université du Minnesota a déclaré au JI que le processus de sélection du directeur avait été suspendu « pour permettre de déterminer les prochaines étapes ».

23/06/2023

GIDEON LEVY
Comparer des morts d’Israéliens et de Palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 22/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'ambassadeur usaméricain en Israël, Tom Nides, a osé mardi, 30 jours avant la fin de son mandat, tweeter quelque chose de vrai. Il a mentionné dans un même souffle - difficile de croire à un tel courage - les victimes de l'attaque israélienne contre le camp de Jénine et les victimes de l'attaque palestinienne contre la colonie d'Eli en Cisjordanie.

Un soldat israélien réagit sur les lieux d'une attaque près de la colonie d'Eli, dans le nord de la Cisjordanie, mardi. Photo : AHMAD GHARABLI - AFP

 Le tollé en Israël a été immédiat. L'ambassadeur (israélien) Mike Herzog, que l'on n'entend pas beaucoup, a déclaré depuis Washington qu'“une condamnation équilibrée n'honore pas les victimes”. Le journal Yedioth Ahronoth a qualifié la déclaration de l'ambassadeur de “comparaison scandaleuse”, comme s'il s'agissait d'un fait plutôt que d'une position discutable, tandis que la droite hurlait comme à son habitude.

Le recul de l'ambassadeur n'a pas tardé. Le lendemain, Nides a dénoncé séparément le “meurtre insensé” commis à Eli, mettant fin au mélange interdit - en Israël - de ceux qui sont sacrés et de ceux qui sont impurs. À Jénine, il s'agissait de terroristes, dans la colonie d'Eli, il s'agissait d'âmes pures, c'est-à-dire de Juifs.

Nahman Shmuel Mordoff

Sedil Naghniyeh, 15 ans, se tenait sur la terrasse de sa maison dans le camp de réfugiés de Jénine avec son père Adnan pour observer ce qui se passait. Un soldat des FDI lui a tiré une balle dans la tête sous les yeux de son père et, mercredi, elle a succombé à ses blessures. Pourquoi l'ambassadeur des USA ne peut-il pas la mentionner dans le même souffle que le colon Nahman Shmuel Mordoff, qui avait deux ans de plus qu’elle et qui a été tué à Eli ? Son sang est-il plus rouge ? Le tuer est-il plus infâme ? De quelle manière ? Et pourquoi l'ambassadeur Herzog pense-t-il que la comparaison entre les deux ne rend pas hommage aux victimes ? Parce que le sang juif a été mélangé à d'autres sangs ? Sedil a été victime d'une attaque imprudente et incontrôlée des FDI. L'armée est convaincue qu'au cours de ses “rafles”, dont la plupart sont inutiles et illégitimes, elle est autorisée à commettre n'importe quel méfait, y compris à tirer sur tout ce qui bouge.

Sedil a été tuée au cours de la résistance des combattants du camp de Jénine contre l'invasion des FDI et de leur tentative de se protéger et de protéger leur camp contre les attaques israéliennes, qui consistent à arracher les gens à leurs maisons et à semer une terreur incessante dans le camp. Tout meurtre d'un Palestinien n'est pas légitime, même au cours d'une action militaire, même s'il s'agit d'une action des FDI, et toute résistance n'est pas illégitime.

Nahman a été victime d'une opération violente menée par des combattants palestiniens pour se venger des meurtres commis à Jénine et en guise de résistance contre la colonie d'Eli, le restaurant et la station-service qui ont été construits sur des terres palestiniennes spoliées.

Il serait préférable de ne pas couper les cheveux en quatre sur le plan éthique et de ne pas se demander quel meurtre était le plus infâme. Nous devrions plutôt affirmer que Sedil et Nahman ont été des victimes choquantes et inévitables d'une réalité intolérable, à laquelle il faut mettre fin.

Bien entendu, les Israéliens ne s'intéressaient qu'aux victimes israéliennes et ignoraient les sept victimes palestiniennes de Jénine, qui n'avaient ni nom, ni histoire, ni photo, ni visage humain. Ils étaient tous des “terroristes” et c'est tout. Dago, le chien des FDI qui a été blessé et hospitalisé à côté du sergent-major Y., a subi des procédures d'imagerie avancées, sa photo a été publiée et il a reçu plus d'attention que Sedil dans sa mort.

Bibi au chevet de Dago, l’héroïque chien juif de l’unité canine Oketz K-9 de l'armée d'occupation, au centre médical Rambam d’Haïfa, le 19 juin. Photo Kobi Gideon/Service de presse du houvernement israélien


Sedil et son père Adnan

Sedil était une jolie fille, née et élevée dans le camp de Jénine. Son père est le directeur de la maintenance du Théâtre de la liberté du camp. L'ancien directeur du théâtre, Jonathan Stanchek, un Israélien résidant actuellement en Suède, a pleuré Sedil mercredi. Sa famille avait été sa voisine proche pendant les dix années où lui et sa famille ont vécu dans le camp. Ce n'est que l'été dernier qu'il a accueilli Adnan dans sa ferme en Suède.

Stanchek dit qu'il n'a jamais entendu le père prononcer un mot de colère contre les Juifs ou les Israéliens, bien qu'ils aient détruit sa maison à trois reprises, que son frère ait été tué, que son fils soit en prison et que sa fille soit décédée mercredi. Sedil était une amie de Yasmin et Yemiro, les enfants Stanchek. Elle jouait au Lego avec Yasmin et s'occupait de Yemiro. Stanchek a écrit que Sedil était une fille merveilleuse. Parfois, quand elle jouait avec sa fille, les deux filles simulaient être assises dans un café - le genre de café qui n'existe pas dans le camp de Jénine et dont il est difficile de rêver.

27/05/2023

RAN SHIMONI
Incapable d’identifier les gardiens de prison masqués qui ont tabassé cinq détenus palestiniens de 48, Israël a classé l’affaire

Ran Shimoni, Haaretz, 25/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’ “enquête” sur l’incident survenu à la prison de Megiddo en août 2021, au cours duquel les détenus ont déclaré avoir été menottés et battus sans raison apparente, a été close sans qu’aucun gardien de prison ait jamais été interrogé.

Ayoub Hassouna, l’un des détenus battus, mardi. Photo: Ilan Assayag

La procureure générale d’Israël a classé une affaire dans laquelle des gardiens de prison masqués auraient battu cinq détenus dans la prison de Megiddo, sans interroger aucun des gardiens qui y travaillaient à l’époque.

L’incident survenu à la prison de Megiddo en août 2021, au cours duquel cinq détenus ont déclaré avoir été menottés et battus sans raison apparente, avait été initialement classé en décembre de la même année. Lorsque les représentants légaux des victimes ont demandé à voir les preuves, afin de pouvoir décider s’ils allaient faire appel de la décision, l’affaire a été rouverte.

Au début du mois, cependant, l’affaire a été à nouveau classée parce que la police a déclaré qu’elle n’était pas en mesure d’identifier les auteurs. La direction de la prison a appris que l’affaire avait été classée uniquement à la suite d’une enquête de Haaretz.

Une source au fait des détails de l’enquête a déclaré que les images des caméras de sécurité de la prison ont été examinées, mais qu’aucune image de l’agression n’a été trouvée. De plus, les gardiens portaient des masques, de sorte que les détenus n’ont pas pu les identifier lorsqu’ils ont été interrogés.


Ayoub avec son fils Moussa mardi. Photo : Ilan Assayag

Une source de l’unité de police chargée d’enquêter sur les fautes commises dans les prisons a déclaré que les gardiens qui se trouvaient dans la prison à ce moment-là n’ont jamais été interrogés parce qu’il n’y avait pas de soupçons concrets à l’encontre de l’un d’entre eux. La police s’est contentée de recueillir les déclarations de tous les gardiens présents à l’époque, ainsi que de plusieurs responsables de la prison, mais ces déclarations n’ont fourni aucune piste.

La police a déclaré que le ministère public aurait demandé un complément d’enquête s’il l’avait jugé nécessaire, mais qu’il ne l’a jamais fait.

Les cinq victimes, toutes originaires de la ville mixte judéo-arabe de Lod, dans le centre d’Israël, étaient détenues à la prison de Megiddo dans l’attente de leur procès pour avoir participé à des émeutes interethniques dans la ville en mai 2021. Les émeutes, qui ont éclaté dans plusieurs villes mixtes judéo-arabes ce mois-là, ont coïncidé avec une série de combats dans la bande de Gaza entre Israël et le Hamas.

Les gardiens qui les ont agressés faisaient partie d’une équipe d’intervention envoyée dans leur bloc cellulaire en raison de troubles survenus la nuit précédente dans une cellule voisine. Selon les détenus, ils ont été battus par au moins cinq gardiens alors qu’ils étaient menottés. L’un d’entre eux a dû être transporté à l’hôpital avec une déchirure de la rétine de l’œil gauche.

Lorsque Haaretz a rendu compte pour la première fois de l’enquête sur l’agression, l’administration pénitentiaire a déclaré que les gardiens avaient fait un usage raisonnable de la force contre les détenus parce qu’ils refusaient de quitter leur cellule. Mais les parents des victimes qui leur ont rendu visite par la suite ont déclaré que les hommes avaient été battus au point d’être méconnaissables.

« Nous ne les avons pas reconnus, nous n’avons pas compris qui ils étaient », a déclaré la mère d’une victime à Haaretz quelques jours après l’agression. « Mon fils a des bleus sur tout le cou et les épaules, et il ne voit plus de l’œil droit ».

Ayoub Hassouna, dont le frère Moussa a été tué par balle pendant les émeutes de Lod, était l’une des cinq victimes. « Ils nous ont dit que dans la cellule voisine du bloc 4, il y avait eu des émeutes la nuit précédente, de sorte qu’une force spéciale a été amenée, et l’un des officiers nous a demandé de ne pas faire de bruit », a-t-il déclaré.


Véhicule incendié à Lod lors de l’opération “Gardiens des murs” en mai 2021. Les détenus étaient accusés d’avoir participé à des émeutes dans la ville. Photo: Josh Breiner

« Quelques minutes plus tard, ils sont revenus vers nous, nous ont dit de nous allonger sur le sol, nous ont passé trois menottes à chacun et ont commencé à nous frapper. Ils ne nous ont rien dit ».

Ensuite, ils ont été emmenés dans une autre cellule, près de l’entrée de la prison, et là, la violence s’est intensifiée, raconte Hassouna. « Ils se sont mis en garde les uns les autres de ne pas être filmés, puis ils m’ont emmené dans un endroit où il n’y avait pas de caméra. Ils ne se sont pas arrêtés tant qu’ils n’ont pas notre sang gicler ».

Un avocat  qui a représenté deux des victimes au nom du Comité public contre la torture en Israël a déclaré que le fait que les auteurs n’aient pu être retrouvés dans un cas de violence aussi grave était scandaleux.

« Ils n’ont pas été agressés dans la rue, mais dans une prison, alors qu’ils étaient sous la garde de l’État », a déclaré l’avocat, qui a demandé à rester anonyme. « Il est impossible d’accepter l’affirmation selon laquelle l’auteur est inconnu. Les prisons tiennent des rapports ordonnés sur les personnes présentes, il y a des caméras partout, il y a un officier qui a donné l’ordre, et il y a tout un groupe de gardiens qui les a traînés dans une autre cellule pour les frapper ».

La police a déclaré dans un communiqué que l’unité chargée d’enquêter sur les fautes commises dans les prisons « a pris un grand nombre de mesures d’enquête, notamment en recueillant les déclarations des gardiens et en recueillant et en visionnant les images des caméras de sécurité ». L’affaire a été transmise au ministère public pour qu’il prenne une décision.

L’administration pénitentiaire a déclaré qu’elle ne pouvait pas discuter des détails de l’enquête, mais que « nous soulignons que l’administration pénitentiaire a coopéré et coopérera avec toute enquête nécessaire ».

Le bureau du procureur du district nord, qui a pris la décision de classer l’affaire, a publié une déclaration disant : « Malheureusement, sur la base des preuves recueillies dans cette affaire et en raison des circonstances de l’incident, l’enquête n’a pas permis d’identifier les auteurs présumés. Il convient de noter que dans une autre affaire reçue par notre bureau au même moment, impliquant des actes et des circonstances similaires, dans laquelle des preuves suffisantes ont été rassemblées pour identifier les agresseurs, nous avons déposé des actes d’accusation qui les ont inculpés d’agression ».

La déclaration ajoute que des personnes ne peuvent être interrogées en tant que suspectes que lorsqu’il existe des soupçons à l’encontre d’une personne spécifique, « ce qui n’était pas le cas dans cette affaire ». [Amen]

 

 

 

16/02/2023

HAARETZ
La loi israélienne sur les châtiments collectifs pourrait constituer un crime de guerre

Éditorial d'Haaretz, 15/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Knesset a adopté ce mercredi 15  février un projet de loi visant à refuser aux terroristes la citoyenneté ou la résidence en Israël, donnant ainsi un habillage légal à un acte qui pourrait être qualifié de crime de guerre. Le projet de loi a été adopté avec le soutien massif de la coalition au pouvoir et d'une partie de l'opposition, avec une majorité de 94 députés [sur 120].

Mise sous scellés de la maison de la famille Qaraqe à Abou Thor, dimanche. Photo : Porte-parole de la police israélienne

La loi prévoit que le ministre de l'Intérieur refuse la citoyenneté ou la résidence à un terroriste qui a été condamné pour un acte terroriste et a reçu de l'argent de l'Autorité palestinienne, et qu'il soit expulsé vers le territoire de l'Autorité palestinienne. Si la loi, qui a été adoptée malgré l'objection de la procureure générale, n'est pas annulée par la Cour surpême elle permettra l'expulsion massive de Palestiniens résidant en Israël d'une manière qu'il sera pratiquement impossible de révoquer en appel.

Un autre projet de loi, qui a déjà été approuvé par le Comité ministériel pour la législation, sera également ajouté au livre des lois prochainement. Il permet de retirer la citoyenneté et d'expulser les membres de la famille des terroristes qui possèdent une carte d'identité bleue (israélienne). Cette proposition stipulera pour la première fois que la punition collective est légale.

Et voilà qu'avant même que le projet de loi ait passé toutes les procédures législatives, le ministre de l'Intérieur a notifié au père de Hussein Qaraqe - le terroriste qui a commis l’attaque à la voiture-bélier dans le quartier de Ramot à Jérusalem vendredi dernier - qu'il envisageait de lui refuser le permis de résidence israélien qu'il possède depuis les années 90.

Jusqu'à présent, rien ne prouve que le père fût au courant de l'acte de son fils, qu'il l'ait encouragé ou soutenu. Il n'y a pas non plus de preuve qu'il représente un “danger concret”, comme l'exige le projet de loi comme condition à l'expulsion. Si le service de sécurité Shin Bet ou la police disposent d'informations liant le père à l'acte de son fils, il doit être jugé. Le ministère de l'Intérieur ne devrait pas être autorisé à rendre son propre verdict.

La municipalité de Jérusalem a également pris le train de la punition collective. La ville a décidé de licencier la femme de Qaraqe, qui est en congé de maternité, au motif qu'elle a porté atteinte à l'image de la municipalité et brisé la confiance du public à son égard. La ville sait-elle quelque chose sur cette femme que les agences de sécurité ne savent pas ?

Le gouvernement israélien, qui n'a pas réussi à faire face aux attaques terroristes, tente de se bercer d'illusions et de faire croire à l'opinion publique qu'une punition collective radicale, comme la destruction de maisons, l'expulsion de membres de la famille ou l'aggravation des conditions de détention, dissuadera et dissoudra la motivation nationale de personnes qui ont déjà désespéré de leur vie et sont prêtes à la sacrifier. Ces mesures ne sont pas nouvelles : elles ont été essayées d'innombrables fois - pour montrer une fois de plus que la lutte nationale palestinienne ne se laisse pas impressionner par elles.

Les lois qui permettent à Israël de violer le droit international et les lois de l'occupation non seulement ne parviendront pas à contrecarrer le terrorisme mais entraîneront Israël sur le banc des accusés de la communauté internationale [on peut toujours rêver, NdT].

 

26/12/2022

  GIDEON LEVY
Battu, humilié, effrayé : la prison israélienne, selon un adolescent palestinien

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 24/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Après 41 jours de passages à tabac et d'interrogatoires sur son rôle présumé dans un incident de jet de pierres, Shadi Khoury, 16 ans, est finalement mis en résidence surveillée - sur ordre de la Cour suprême israélienne.

Shadi Khoury, chez lui cette semaine à Beit Hanina, montre comment la police l'a obligé à s'asseoir pendant sa détention dans le complexe russe de Jérusalem. Il y était incarcéré dans une cellule ressemblant à une cage.

 Ils l'appelaient “le chrétien” pour l'insulter. Ils l'ont battu et humilié à plusieurs reprises en prison. Au cours de son enlèvement à l'aube de son domicile de Jérusalem-Est, les policiers vêtus de noir l'ont battu jusqu'au sang. Ils lui ont cassé le nez et une dent, après qu'il eut refusé de se déshabiller en leur présence. Puis ils l'ont traîné de force, ligoté et les yeux bandés, jusqu'à leur fourgon.

 Lorsque nous sommes arrivés chez lui, le lendemain de son arrestation, le sol de la jolie maison était encore taché de sang, et sa mère, qui avait vu son fils se faire tabasser sous ses yeux, sanglotait et était brisée. (Lire Des taches de sang et le saccage dans cette maison palestinienne disent tout)

 Deux mois se sont écoulés depuis lors et Shadi Khoury, élève de 11e année à l'école Quaker Friends de Ramallah et habitant du quartier de Beit Hanina, était de nouveau chez lui, aidant ses parents à décorer leur maison pour Noël. Tout était encore plus beau que lors de notre précédente visite. L'Europe à la périphérie de Ramallah.

 Le sapin de Noël scintillait d'une panoplie de couleurs, ainsi que les autres décorations étincelantes dans tous les coins du grand salon, reflétant la lueur et la chaleur de la fête. Il y avait des biscuits au gingembre décorés et un gâteau de Noël en pâte d'amande à portée de main, ainsi que du bon vin français. Il ne manquait plus que la neige sur les fenêtres. Shadi était rentré chez lui.

 Maintenant, il est assigné à résidence. De son côté, le ministère public avait fait appel à la Cour suprême pour empêcher sa libération, sans succès. Mais le 27 novembre, après 41 jours de mauvais traitements, d'incarcération et d'interrogatoires, l'adolescent est finalement rentré chez lui, accueilli dans la joie. Mais lors de notre visite dimanche dernier, nous avons vu un jeune qui était retenu et qui ne semblait pas avoir envie de sourire.

Shadi Khoury avec le T-shirt de marathon qu'il portait lors de son arrestation.

 Shadi est un garçon grand, fort et impressionnant, qui, comme le reste de sa famille, parle bien l'anglais. Il a vécu une expérience difficile dont les signes sont encore visibles sur lui. C'est une expérience à laquelle il n'aurait jamais pensé être confronté. Ses parents non plus ne l'ont jamais anticipée.

 Sa mère, Rania, est la directrice du centre culturel Yabous à Jérusalem-Est. Son père, Suhail, est musicien, compositeur et directeur du conservatoire national palestinien de musique Edward Said à Jérusalem-Est.

 La tante de Shadi, Lora Khoury, 91 ans, qui vit à proximité dans sa propre maison, dans la rue de l’Ingénieur-Khoury, du nom d'un patriarche de la famille, est une fidèle lectrice de Haaretz en anglais. (À une époque, elle a écrit une lettre furieuse à l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair pour n'avoir rien fait pour mettre fin à l'occupation. Est-ce que j'ai l'air agressive et en colère ? C'est exactement ce que je ressens : c’est ainsi qu’elle concluait sa lettre à Blair).

 Quoi qu'il en soit, c'est Lora Khoury qui nous avait appelés le matin de l'arrestation de Shadi, le 18 octobre. Elle avait entendu ses cris depuis sa maison. « Ils sont venus l'arrêter, alors pourquoi le battre ? » nous avait-elle demandé à l'époque. « Quelle armée et quelle police avez-vous créées ? »

 Cette semaine, Shadi a sans hésitation, et sans crainte, récapitulé en détail ce qu'il a vécu dans une prison israélienne. À de nombreux moments, il ne s'est pas comporté comme un jeune de 16 ans. Au contraire, il semblait être un adulte équilibré, bien que marqué. Sa mère s'inquiète du fait que son adolescence ait été perdue à jamais.

 Le dimanche de cette semaine, ils étaient tous deux d'avis différents. Elle soutenait l'Argentine en finale de la Coupe du monde, tandis que lui était un fan de la France. Suhail supportait les deux camps.

Les Khoury

Le soir même, une quarantaine de parents sont venus installer l'arbre de Noël de la famille et décorer la maison. Le jour de Noël, il y aura le même nombre de personnes autour de la table de fête. Cette année, cependant, ils devront rompre leur tradition habituelle qui consiste à rendre visite à la mère de Rania le jour de Noël à Bethléem et ils n'assisteront pas à la messe de Noël, car Shadi est assigné à résidence.

La police israélienne s'est présentée au domicile de la famille ce mardi fatidique à 5h45 du matin. Elle a demandé à voir Shadi, qui portait alors un pyjama - un T-shirt et un short. Ils ont confisqué son téléphone portable et lui ont ordonné de se changer. Il était gêné de se déshabiller devant eux et ils ont commencé à le frapper jusqu'à ce qu'il se mette à saigner.

Un scanner réalisé seulement après sa sortie de prison a révélé que son nez avait été cassé par la police. Une traînée de sang a été laissée derrière lui lorsque les policiers l'ont traîné hors de la maison. Ses parents, désemparés, ne savaient pas d'où venait l'hémorragie.

Il était pieds nus lorsque les policiers l'ont emmené dehors et placé en garde à vue. Il est resté dans les mêmes vêtements pendant des jours, jusqu'à ce que, lors d'une audience au tribunal, son frère Youssef propose de donner à Shadi son propre manteau et que les gardiens de prison acceptent.

En décrivant aujourd'hui son arrestation, Shadi a déclaré que 30 secondes après s'être réveillé en sursaut, il voyait déjà les officiers dans la maison. Il se souvient avoir été jeté à terre et battu.

Le poste de police du Complexe russe. Photo : Ohad Zwigenberg

Pour leur part, les policiers ont affirmé plus tard que Shadi avait donné des coups de poing et de pied aux officiers, « les poussant et courant sauvagement, essayant activement de contrecarrer l'arrestation ». Ils ont également accusé la famille Khoury d'avoir tenté d'interférer avec l'arrestation - ce qui est très douteux.

 Comme je l'ai écrit, juste après l'arrestation : « On est de tout cœur avec les gars naïfs et innocents en noir de la police israélienne. Un garçon de 16 ans les a "attaqués", disent-ils - et son père, le compositeur, et sa mère, qui dirige un centre culturel, se sont également joints à eux. Et peut-être que Lora, la voisine et parente de 91 ans, a également pris part à l'attaque sauvage contre les gardiens de la loi ».

 Cette semaine, après avoir entendu la description par Shadi de ce qui s'est passé dans ses propres mots - je n'ai pas révisé mon évaluation des événements.

 Shadi se souvient particulièrement d'un officier du nom de Moshe, celui qui l'a frappé et lui a cassé le nez alors qu'il était allongé sur le sol avant d'être traîné dehors. Et dans la voiture qui l'a emmené dans la salle n° 4 du centre d'interrogatoire du service de sécurité Shin Bet dans le Complexe russe au centre-ville de Jérusalem, il y avait un autre officier qui l'a tenu par la peau du cou et l'a frappé à la poitrine.

 La salle n° 4 se trouve au dernier étage du bâtiment. Après avoir trébuché sur la première marche, Shadi, les yeux bandés et les mains liées derrière le dos, a été traîné là-haut par ses geôliers. Il n'a aucune idée maintenant si ses interrogateurs étaient du Shin Bet ou de la police. Ils ne se sont pas présentés.

 

Shadi à la maison cette semaine. Il se souvient particulièrement de Moshe, le policier qui lui a cassé le nez avec ses poings.

 Les interrogatoires sont filmés, et lors des trois séances distinctes qu'il a subies au Complexe russe, Shadi a déclaré que ses interrogateurs s'étaient abstenus de le frapper. Mais ses geôliers l'ont agressé à plusieurs reprises, avant et après l'interrogatoire.

 Avant l'interrogatoire, les enquêteurs lui ont demandé de leur donner le mot de passe pour déverrouiller son téléphone. Shadi se souvient qu'il était étourdi à ce moment-là et qu'il leur a donc donné deux fois le mauvais code - ce qui a provoqué des coups à chaque fois. Ils ont également tenu un récipient de gaz poivré contre son visage, sans l'utiliser réellement, a-t-il dit, et lui ont écrasé la tête contre un mur, furieux qu'il ne leur ait pas fourni le bon code.

 Shadi a déclaré avoir brièvement perdu connaissance après avoir été projeté contre le mur et s'être évanoui trois fois sous les coups. L'un des agresseurs était un homme de grande taille avec une barbe rousse qui a également comparu devant le tribunal ; Shadi a appris que son nom était Avishai. Apparemment, il avait également battu les autres adolescents impliqués dans l'affaire, mais après que l'avocat de Shadi, Nasser Odeh, se fut plaint de lui, Avishai a quitté la salle d'audience.

 Lorsque les interrogatoires ont commencé, Shadi a refusé de répondre sans pouvoir consulter un avocat, comme le prévoit la loi. Odeh, que les parents de Shadi ont engagé le matin de l'arrestation de leur fils, est venu le voir, mais n'a pas été autorisé à être présent pendant l'interrogatoire.

 Shadi nous a raconté qu'il avait été interrogé au sujet d'un incident, plus tôt en octobre, impliquant le caillassage d'une voiture israélienne à Beit Hanina, au cours duquel une femme avait été légèrement blessée par des éclats de verre. Il est l'un des six jeunes arrêtés, soupçonnés d'être impliqués dans cette affaire. L'un des autres a impliqué Shadi, qui nie avoir été présent lors de l'incident. Contrairement à d'autres, il n'est pas accusé d'avoir réellement jeté des pierres, mais d'avoir frappé la voiture, de l'avoir poussée et de l'avoir frappée avec ses poings.

 Le garçon qui l'a nommé a affirmé que Shadi était le meneur du groupe, mais Shadi a insisté sur le fait qu'il ne connaissait pas les cinq autres. Les interrogateurs l'ont appelé à plusieurs reprises “Shadi al-Masihi”, ce qui signifie en arabe “Shadi le chrétien”. Ils lui ont crié dessus et l'ont maudit, lui et sa famille, pendant les séances.

 

Shadi Khoury

Il se souvient que l'un des interrogateurs était un homme appelé Chemi. Avishai, à la barbe rousse, allait et venait également au cours de l'interrogatoire. À un moment donné, on a dit à Shadi qu'il risquait une peine de six ans de prison s'il n'avouait pas. Ils ont également exigé qu'il signe un formulaire en hébreu, qu'il ne lit pas. Ils lui ont dit qu'il s'agissait d'un formulaire de consentement au prélèvement d'un échantillon d'ADN. Il a d'abord refusé, mais un geôlier a alors collé le formulaire sur un mur et y a enfoncé la tête de Shadi. Il a finalement signé.

Il ne faut pas oublier que Shadi est un lycéen de 16 ans qui n'a jamais commis de délits anti-israéliens ni aucun autre crime. Il a été arrêté en portant un T-shirt du marathon de Bethléem, auquel il a participé avec d'autres membres de sa famille. Le slogan sur le T-shirt est « Courir vers la liberté », ce qui a également provoqué la colère des gardiens. À un moment donné, dans sa cellule, il a soulevé leur colère en chantant la chanson arabe “Ala Bali” (“Qu'est-ce que j'ai en tête”), et on lui a ordonné d'arrêter.

L'administration pénitentiaire israélienne a répondu comme suit à une question de Haaretz : « Nous n'avons pas connaissance des accusations portées par le détenu contre l'administration pénitentiaire israélienne. Dans le cas où il aurait d'autres critiques, il est autorisé à se rapprocher des autorités compétentes ».

Shadi a expliqué qu'il a été incarcéré dans une cellule en forme de cage dans le Complexe russe pendant 16 jours, après quoi il a été transféré à la prison de Damoun, dans le nord, où il y avait neuf prisonniers par cellule. Les prisonniers condamnés à de longues peines d'emprisonnement y sont responsables des détenus mineurs. Des enseignants arabophones venaient de l'extérieur de la prison pour donner des cours aux mineurs.

Lorsque Shadi devait se rendre au tribunal, il subissait l'épreuve habituelle consistant à passer une ou deux nuits dans une prison de Ramle, puis un trajet en voiture le long de l'autoroute jusqu'à une brève audience au tribunal de première instance de Jérusalem. Lorsque son affaire est arrivée devant la Cour suprême de Jérusalem - après que l'État a présenté une pétition contre l'autorisation de l'assigner à résidence - ses parents ont demandé qu'il ne soit pas amené à la salle d'audience afin de lui épargner le séjour dans l'établissement de Ramle, et leur demande a été acceptée. La prochaine audience du tribunal dans l'affaire de l'adolescent est prévue pour le 8 janvier.

« Nous ne les laisserons pas nous gâcher Noël », a dit Rania Khoury.