Gideon
Levy, Haaretz,
5/5/2023
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
S’il y a quelqu’un en Israël et dans les territoires qu’il occupe qui correspond à la définition du combattant de la liberté, c’est bien Khader Adnan, qui est mort mardi soir dans une prison israélienne.
Il s’est battu pour sa liberté et était prêt à sacrifier sa vie pour elle, comme très peu sont prêts à le faire. Il s’est battu contre une tyrannie malfaisante et vindicative qui, pendant des années, l’a jeté en prison à plusieurs reprises, sans procès, dans l’espoir de briser son esprit. Il s’est battu pour son droit fondamental à vivre en liberté.
Adnan était un prisonnier
politique, quelle que soit la définition qu’on lui donne. Personne ne l’a
jamais accusé de terrorisme et lorsqu’il a finalement été inculpé pour quelque
chose (et ce pour quoi il était en prison au moment de sa mort), c’était pour
des délits relativement mineurs - appartenance à une organisation illégale et
incitation à la violence, ce qui incluait de se rendre au domicile des
personnes en deuil et d’encourager les grèves de la faim. Pour cela, il a été
maintenu en prison jusqu’à la fin de son procès.
S’il ne s’agit pas d’une détention politique, qu’est-ce que c’est ?
Alexei Navalny a été placé 10 fois en détention administrative par le régime despotique russe, tandis qu’Adnan a été placé 12 fois en détention administrative par l’État démocratique d’Israël. Les deux hommes étaient des opposants au régime. S’il avait été russe, birman, irlandais ou iranien, Adnan aurait été considéré comme un honorable combattant de la liberté, même par les Israéliens. Étant Palestinien, il était considéré comme un terroriste.
Les 86 derniers jours d’Adnan ont été des jours d’abus, qui lui ont causé une souffrance indescriptible. Mais ce furent aussi des jours de disgrâce pour Israël, pour son discours public, ses médias et le mouvement de protestation [contre la réforme judiciaire]. Qui avait entendu parler de sa grève de la faim ? Qui en a parlé ? Qui s’en est soucié ? Il souffrira, il mourra, nous sommes au milieu d’un combat pour notre démocratie.
La mort d’un combattant de la liberté a reçu moins d’attention que celle d’un chien errant. Et lorsque Adnan a finalement rendu son dernier souffle - nous en avions assez de lui et de sa guerre pour la liberté - la seule chose qui nous intéressait était la réaction du Djihad islamique. Personne n’a parlé de ses motivations, de la justesse de sa cause, du déshonneur que représente la détention administrative d’un millier de personnes, ni de la manière dont il est mort. Personne ne s’est demandé si sa mort aurait pu et dû être évitée, ce qui aurait permis d’éviter une nouvelle série de combats dans le sud.
Cette fois, la responsabilité du barrage de roquettes incombe au Shin Bet et à l’administration pénitentiaire israélienne, qui ont délibérément empêché qu’Adnan soit sauvé.
Ils voulaient qu’il meure ; sinon, ils l’auraient hospitalisé, comme ils l’ont fait lors de ses précédentes grèves. Adnan ne voulait pas mourir. Ils voulaient qu’il meure pour qu’on les craigne. Ils voulaient qu’il meure parce qu’ils voyaient que personne en Israël ne se souciait plus, ni de sa vie, ni de sa mort.
Ils l’ont laissé mourir en sachant pertinemment que sa mort entraînerait une nouvelle vague de violence, et même dans ce cas, ils n’ont pas bougé le petit doigt. Au milieu de toutes les protestations, de la suffisance infinie des protestataires et de leur indifférence à l’égard de l’occupation qui en découle, on peut faire presque n’importe quoi aux Palestiniens. Silence, on est en train de protester.
J’ai suivi les arrestations d’Adnan. J’ai rencontré son père, sa femme et sa sœur chez lui, à Arraba, lors de sa première grève de la faim. Je l’ai rencontré à l’arrière d’une pharmacie à Naplouse, après son avant-dernière grève de la faim. C’était un homme brisé après 54 jours de faim, mais il était déterminé à ne pas se rendre, même s’il exagérait son importance pour la lutte palestinienne : « Israël m’a transformé en symbole - j’ai réussi à montrer son visage hideux ».
Adnan s’exprimait dans un hébreu coloré qui comprenait beaucoup de “avec l’aide de Dieu” et de “béni soit Dieu”. Lorsqu’il a mentionné à son intervieweur qu’il espérait revoir ses enfants avec l’aide de Dieu, celui-ci lui a répondu : “Dieu est occupé en ce moment en Syrie”.
Les geôliers d’Adnan mangeaient du chawarma et des pizzas dans sa chambre d’hôpital lors de sa précédente grève de la faim, ce qui lui a causé d’immenses souffrances. Combien de poids avait-il perdu ? « Ne me demandez pas combien j’ai perdu, mais combien ma dignité a augmenté », a-t-il répondu.
Aujourd’hui, il est mort dans la dignité. Il est
dommage que davantage d’Israéliens ne l’aient pas honoré comme il le méritait.