Le nouveau gouvernement fascisant
italien, le plus à droite de l'histoire de la République, a promis, entre
autres, le retour aux décrets-sécurité, dans le but de lutter contre
« l’immigration irrégulière ». Comme il était tout à fait prévisible,
Giorgia Meloni a ensuite réaffirmé fermement la ligne dure du nouveau
gouvernement : « En matière de sécurité et de lutte contre
l'immigration illégale, les Italiens se sont exprimés aux urnes, en choisissant
notre programme et notre vision ».
Détail d'une photo
de Francesca Maceroni tirée de la page Facebook d'Amnesty International
relative aux manifestations contre le renouvellement du Mémorandum Italie-Libye
À bien des égards, le gouvernement
Meloni a trouvé la voie déjà tracée pour une stratégie qui soit conforme à son
propre style, bien qu'elle ne soit pas du tout l'œuvre exclusive de la droite. Pour ne citer que quelques exemples, le
nouveau régime frontalier qui s'est imposé en Europe a déjà produit non
seulement une hécatombe véritable, perpétuelle, mais aussi la prolifération et
même l’externalisation des centres de détention pour migrants, dans lesquels,
dans de nombreux cas, sont enfermés même des demandeurs d'asile et des mineurs.
Les conditions de ces camps –
souvent équipés de cages et de barbelés, et contrôlés par les forces de l'ordre
et des militaires armés - ont été condamnées par la Cour de Strasbourg elle-même.
Dans certains pays, comme l’Italie, ce sont des institutions totalement
abusives, car elles violent la Constitution et l'État de droit. Cependant,
elles sont aussi l'œuvre de la gauche « modérée » : la loi qui
les a instituées, la loi n ° 40 du 6 mars 1998, est également appelée
Turco-Napolitano par les noms de la ministre
de la Solidarité sociale de l'époque, Livia Turco, et
du ministre
de l'Intérieur de l'époque, Giorgio Napolitano.
Un tel système pour le moins répressif
s'est également renforcé grâce aux accords bilatéraux avec des pays de l'autre
côté de la Méditerranée, auxquels une grande partie du « travail
sale » est déléguée. Comme on le sait, l’Italie a perpétué les accords de
coopération même avec un pays comme la Libye, qui, de surcroît - nous l'avons
rappelé à plusieurs reprises – n'a pas de lois sur l'asile, pratique de très
graves violations des droits humains, et n'a même pas signé la Convention de
Genève de 1951.
La Libye, étape incontournable
surtout pour les migrants et les réfugiés subsahariens, est un véritable enfer.
Comme et pire qu'à l'époque de Kadhafi, les pratiques encore courantes sont les
arrestations arbitraires, le travail forcé, l'exploitation esclavagiste, les
déportations, les rackets, les tortures, voire les viols : des horreurs
dont l'apothéose est constituée par l'enfer de la prison de Koufra. La seule
différence, c'est qu’aujourd' hui, ce sont les milices armées qui
« dirigent » les centres de détention et qui commettent les atrocités
auxquelles j'ai fait allusion.
D’autre part, dans la plupart des
pays européens, l’usage politique et idéologique du cliché de
l’« invasion » se répand de plus en plus, de même que des rhétoriques
telles que celles des migrants comme source d’insécurité et d’appauvrissement des
« nationaux » ainsi que de la « clandestinité » comme
synonyme de criminalité : largement utilisées même par des institutions,
même par certains partis de gauche, même « modérée », ainsi que – cela va sans dire– par des formations
populistes, de droite et d'extrême droite, qui connaissent aujourd'hui en
Europe une ascension impressionnante, bien illustrée par la victoire de Meloni.
En particulier, le bobard de
l’« invasion » et de la « marée montante » est une fausse
évidence typique : comme on le sait, la part prépondérante des flux
migratoires part des pays du Sud du monde pour se diriger vers d'autres pays du
Sud.
Du côté des institutions, dans une
partie des pays de l'Union européenne prévaut une approche de type “urgentiste” :
conséquence, entre autres, du fait que, en réalité, migrations et exodes n'ont
pas été intégrés - je dirais « élaborés » – pour ce qu'ils sont,
c'est-à-dire comme tendances structurelles de notre temps.
Cela explique aussi pourquoi le racisme tend à devenir
« idéologie répandue, sens commun, forme de la politique », pour citer Alberto Burgio (Critique de la raison raciste, DeriveApprodi,
2010). Et il ne s'agit pas du retour à la surface de l'archaïque, mais d'une
des phases de la réémergence récurrente du côté obscur de la modernité européenne.
Tamar
Kaplansly (Paris, 1973) est une journaliste, traductrice et musicienne
franco-israélienne.
Les
lamentations et les accusations ont commencé dès que les résultats des premiers
sondages de sortie des urnes ont été communiqués. Merav Michaeli est à blâmer,
tous ceux qui ont voté par idéologie plutôt que “stratégiquement” sont à
blâmer, et bien sûr - ces ingrats, les Arabes, sont à blâmer. Grâce à eux,
Benjamin Netanyahou, un homme qui a fait et continuera à faire tout son
possible pour faire annuler son procès criminel, revient au pouvoir, avec le
kahaniste Itamar Ben-Gvir et le raciste messianique Bezalel Smotrich à ses
côtés.
Ben-Gvir guide le retour
des kahanistes à la Knesset. Meir Kahane (1932-1990) fonda la Ligue de Défense
Juive, un groupe terroriste, et le parti Kach, par la suite interdit en Israël
pour racisme. Dessin d’Amos Bidermann, Haaretz
Ne vous y
trompez pas : les 14 sièges de la Knesset revendiqués par les kahanistes
messianiques sont une nouvelle épouvantable, même si elle était prévisible. La
surprise feinte et la recherche de boucs émissaires du côté des perdants sont
moins compréhensibles.
Nous ne
devrions pas être surpris par la montée d'une droite ultra-extrémiste comme le
"“Nouveau Sionisme”. Non seulement parce qu'un vide idéologique - que vous
l'appeliez “Tout-sauf-Bibi” ou un “parti centriste” - n'est pas une alternative
à une idéologie solide, qui est exactement ce que la droite ultra-extrémiste a
à offrir ; non seulement parce que le camp qui s'appelle lui-même “centre-gauche”
en Israël est dans l'ensemble un groupe bourgeois privilégié qui ignore les
parties les plus faibles de la société ; et non seulement parce qu'un voyou
violent comme Itamar Ben-Gvir, qui n'aurait jamais dû recevoir une arme, est
devenu la coqueluche des studios médiatiques.
Ce qui s'est
passé dans ces élections, et essentiellement dans les autres élections de ces
dernières décennies où Israël s'est déplacé vers la droite, c'est que le
racisme intégré au sionisme est revenu mordre le cul de ses adhérents. Vous ne
pouvez tout simplement pas avoir le beurre et l'argent du beurre.
On ne peut
pas se dire “de gauche” tout en accordant ou en refusant des droits sur la base
de l'appartenance ethnique ; on ne peut pas déplorer les vues rétrogrades des
droitiers sur les questions relatives aux LGBT et aux femmes tout en justifiant
l'inégalité intrinsèque à l'égard des Palestiniens, tant dans les territoires
occupés depuis 1967 qu'à l'intérieur des frontières |façon de parler, NdT]
de l'État ; on ne peut pas parler de paix tout en soutenant continuellement la
puissante et sainte armée, sans aucun doute, chaque fois qu'il y a une autre
opération inutile ou un blanchiment officiel d'un incident de tir ; vous ne
pouvez pas parler de paix et ignorer Al-Araqib, et Dahamsh, et les 36 villages
non reconnus (ou, d'ailleurs, les quartiers mizrahis ouvriers de Ha'argazim et
Hatikva à Tel Aviv qui font face à l'expulsion, et le deal méprisable par
lequel lequel Ron Huldai [maire travailliste de Tel Aviv depuis 1998, NdT] et Yitzhak Tshuva [Président d'El-Ad Group, propriétaire du Plaza Hôtel à New York et du conglomérat Delek Group, NdT] ont rasé ce qui était jusqu'à
récemment le quartier pauvre de Givat Amal).
Vous ne
pouvez pas, car les droits humains avec astérisque, ça n'existe pas. Ou vous
pouvez le croire, mais alors vous ne pouvez pas appeler ça “gauche”. Lorsque le
camp qui s'appelait lui-même “gauche” a commencé à comprendre cela, beaucoup se
sont mis à l'appeler “centre”, pour découvrir que le problème ne vient pas
seulement de la marque. C’est juste que ça ne marche pas. Point barre.
Le racisme
qui est si allègrement attribué à la droite fait partie de l'ADN de cet
endroit. Celui qui a délibérément relevé le seuil électoral pour empêcher un
cinquième des citoyens d'être représentés n'était pas Ben-Gvir : c'était
le ministre des finances Avigdor Lieberman. Celui qui a qualifié les
Palestiniens de “shrapnel dans les fesses” n'était pas Smotrich : c'était
le Premier ministre suppléant Naftali Bennett. Celui qui s'est vanté de
renvoyer Gaza à l'âge de pierre n'était pas le rappeur israélien d'extrême
droite The Shadow, mais le ministre de la défense Benny Gantz ; celui qui a
justifié la dernière guerre choisie en disant que les Israéliens étaient assiégés (bonjour l'ironie) n'était pas Orit Struck [députée de Sionisme Religeux, colon, mère de 11 enfants, NdT], mais la ministre [travailliste]
des transports Merav Michaeli. Et celui qui, il y a près de dix ans, a inventé
le terme ultra-raciste "“les Zoabi” n'était pas Yair Netanyahou ou son
père, mais ce bon sioniste qui est “'un des nôtres” : Yair Lapid.
Vous
rappelez-vous combien ils étaient furieux au Meretz contre la rebelle Ghaida
Rinawie Zoabi, qui a osé voter contre la prolongation des règlements d'urgence
qui permettent effectivement une politique d'apartheid - des systèmes
juridiques distincts pour les différentes populations ethniques - en Judée et
en Samarie, plutôt que d'avoir honte d'avoir voté en faveur ? C'est là que
réside l'histoire.
Depuis la
fondation de l'État, et certainement depuis 1967, le sionisme a été secoué par
sa contradiction interne. Le camp qui
s'est effondré lors de cette élection a continué à claironner l'idée qu'il
existe truc comme "“juif et démocratique”. Mais si un régime distribue des
droits - des permis de construire à la citoyenneté (bonjour la loi du retour)
sur la base d'un critère arbitraire de race, vous avez ici un racisme qui est
intégré dans la loi et coulé dans les fondations. Appelez-le centre ou ce que
vous voulez, mais le qualifier de démocratique est tout simplement un mensonge.
Beaucoup en
Israël croient encore à ce mensonge. Ils parlent d'égalité, de paix et de
démocratie, mais la vérité est que, dans les faits, ils pensent que les Juifs
méritent plus. C'est pourquoi ils votent encore et encore pour des candidats
qui excluent les représentants arabes en tant que partenaires à part entière -
cela leur convient parfaitement. Et cela ne les dérange pas le moins du monde Et
ils ne sont pas le moins du monde perturbés lorsque le tribunal bloque la
possibilité d'une égalité civique totale, même si elle est évoquée. Une fois
toutes les quelques années environ, quelque chose comme la loi sur
l'État-nation est pondue, et alors ils font un peu claquer leur langue, mais
autrement ils sont tout à fait à l'aise pour vivre dans un pays où la
suprématie juive est la loi. Ce n'est que maintenant que les kahanistes sont
soudainement devenus le troisième parti en importance à la Knesset qu'ils sont
horrifiés et en état de choc.
Il n'y a
aucune raison d'être choqué. Cela n'est pas arrivé tout d'un coup. Le peuple a
parlé : quant à choisir entre une droite qui refuse de faire partie d'un gouvernement
avec “les Zoabi” et une suprématie juive débridée, le peuple préfère l’original.
Pas les masques.
S’en prendre
aux Arabes insolents qui n'ont pas fait leur part pour sauver le pays qui les
considère comme une menace démographique est tout simplement embarrassant. Si
vous voulez présenter une alternative au kahanisme messianique, la première
chose à faire est d'enlever le masque et de se regarder dans le miroir : c'est
le sionisme, idiot. Tant que nous continuerons à justifier le racisme légal,
quelle que soit l'excuse, nous soutenons la suprématie juive tout autant que
Ben-Gvir. La tentative de nier cela est ce qui nous a conduit là où nous sommes
aujourd'hui. Le temps est venu d'en assumer la responsabilité.
Dès sa prise de fonction, la nouvelle Première
ministre italienne a ouvertement montré à quel point l'inspiration et les
actions du gouvernement le plus à droite de l'histoire de la République
italienne seront fascistoïdes.
C’est une tautologie de relever que l'une des cibles
du nouveau gouvernement seront les personnes immigré·es et réfugié·es, même les
plus “respectables” : il suffit de dire que lors des réponses à la Chambre des
députés pour le vote de confiance à son gouvernement, Giorgia Meloni a tutoyé
le seul député “de couleur” (comme elle dirait), à savoir Aboubakar Soumahoro,
de la Gauche italienne et des Verts, en plus de s’être trompée sur son nom [« Souhomoro…Soumahoro,
excuse-moi… »].
La gauche, en particulier la gauche “modérée”, porte
une responsabilité considérable dans l'impensable victoire de l'extrême droite,
pour de nombreuses raisons et non des moindres, celle d'avoir négligé,
minimisé, banalisé l'importance décisive de la lutte contre le racisme et pour
l'intégration et les droits des personnes immigrées et réfugiées. Et cela même
de la part de certain·es chercheurs·se et intellectuel·les de gauche, qui
critiquent souvent les politiques d'immigration et d'asile les plus infâmes,
mais au nom de la raison utilitaire et selon une vision instrumentale :
l'accueil des personnes immigrées et réfugiées servirait à contrecarrer le
déclin démographique, et donc le déclin de l'Italie, et à sauver des secteurs
fondamentaux de notre économie qui dépendent du travail, souvent servile, de la
main-d'œuvre immigrée.
Ces arguments - qui, à première vue, semblent
réalistes et convaincants face à ceux qui craignent l’“invasion” - risquent en
réalité, même si c’est involontaire, de confirmer le statu quo de
l'exploitation extrême et d'évoquer le stéréotype des femmes immigrées et
réfugiées comme “incubatrices de la patrie” des autres. C'est également la
raison pour laquelle l'émergence d'un mouvement indépendant et autoorganisé de
militant·es immigr·ées et réfugié·es doit être encouragée par tous les moyens
possibles.
Déjà dans mon essai de 2009 (Regole e roghi. Metamorfosi del razzismo, Dedalo, p. 216 p), j’avais, avec une certaine ironie, défini racisme démocratique
ou respectable ce racisme sournois et hypocrite qui surgit des
entrailles de la zone autrefois connue comme étant de gauche. Et ce également
pour le distinguer du racisme institutionnel et du racisme “spontané”, déclaré
et décomplexé.
Il est absolument évident que, surtout avec le
gouvernement Conte I, dit “facho-étoilé”, la dialectique perverse entre le
racisme institutionnel et le racisme “populaire”, sur laquelle j'écris depuis
de nombreuses années, a atteint son apogée. Et ce, non seulement en raison
d'une production législative elle-même ouvertement sécuritaire et
discriminatoire, qui ne fait que titiller, légitimer et alimenter le sens commun
d’intolérance et les sentiments diffus d'hostilité généralisés envers les autres.
Mais aussi grâce à l'utilisation d'une stratégie de propagande bien pensée et
bien payée, qui est désormais devenue, comme dans les régimes totalitaires, un
instrument de gouvernement et, en même temps, de manipulation des masses : les
deux dimensions deviennent de plus en plus interchangeables, voire coïncident, allant
de pair avec la violation constante du principe démocratique de la séparation
des pouvoirs.
C'est aussi en
raison de cette dialectique que les actes de racisme “spontané”, si l'on peut
dire, se multiplient selon le mécanisme bien connu par lequel la frustration,
le ressentiment et la rancœur (qui sont souvent un effet des conditions
sociales vécues) sont dirigés vers le bouc émissaire du moment, généralement le
plus méprisé, le plus vulnérable et le plus altérisé. Cela a favorisé le
développement du racisme, même dans les régions traditionnellement “rouges”.
Néanmoins, la pente suivie, dangereuse pour la survie
de la démocratie elle-même, est aussi le résultat - qui aujourd'hui sera
sûrement poussé à l'extrême par le gouvernement Meloni - du travail des
gouvernements passés, pas seulement du plus récent et pas seulement de centre-droit.
Je rappelle que c'est sous le premier gouvernement Prodi qu'a eu lieu, le 28
mars 1997, le massacre d'une centaine de réfugiés albanais de Katër i Radës,
pour la plupart des femmes et des enfants, tou·tes fuyant la guerre civile.
Comme on le sait, le petit patrouilleur, débordant de réfugié·es, a été
éperonné dans le canal d'Otrante par la corvette Sibilla de la Marine,
qui, sur ordre d’en haut, devait les empêcher de débarquer. Le gouvernement, en
effet, avec le rôle décisif de Giorgio Napolitano, avait décrété, en
accord avec l'Albanie, un blocus naval consistant en une barrière de navires de
guerre, sévèrement critiqué par le HCR comme illégal.
C'est sous le même gouvernement Prodi qu'a été
approuvée la loi dite Turco-Napolitano, n° 40 du 6 mars 1998, qui, entre
autres, a institué pour la première fois, avec les Centres de séjour temporaire
et d'assistance, la détention administrative [dite “rétention”] en tant
qu’instrument ordinaire, non validé par l'autorité judiciaire. Ce
type de détention est réservé aux immigrées “irrégulières” soumises à des
mesures d'expulsion ou de rapatriement forcé. Dès leur inauguration, les CPTA
(généralement appelés CPT et aujourd'hui CIE) ont causé jusqu'à huit décès, ce
qui en dit long sur l’assistance dont bénéficiaient les personnes
“retenues”.
En effet, la tendance prévaut, dans la conscience
collective comme chez de nombreux locuteurs médiatiques (même ceux qui se
considèrent comme antiracistes), à évacuer les antécédents, le développement,
le caractère cyclique et, en tout cas, la longue durée du néo-racisme à
l'italienne.
Ce n'est certainement pas la première fois que le
racisme verbal le plus grossièrement biologisant s'exprime dans notre pays.
Pour ne pas remonter trop loin dans le temps, on peut citer l'année 2013, qui a
vu un retour déconcertant de la “race”, évoquée par des topoï semblables
à ceux que l'on pouvait trouver dans les publications populaires au service de
la propagande fasciste : en premier lieu, le motif récurrent assimilant les “nègres”
à des singes, avec le corollaire typique des bananes.
Au cours de cette année, les moqueries et les insultes
se sont intensifiées, visant les footballeurs d'origine subsaharienne ou
étrangère, ou “seulement” méridionaux, mais surtout la ministre de
l'Intégration de l'époque, Cécile Kyenge, objet d'attaques racistes
incessantes. L'une des plus graves, également en raison de la position
institutionnelle occupée par l'orateur, a été celle prononcée par Roberto
Calderoli qui, en tant que vice-président du Sénat, a osé comparer la ministre
à un orang-outan.
Vingt ans après la loi Turco-Napolitano, c'est de même
un gouvernement dit de centre-gauche qui a voté les deux lois d'avril 2017,
toutes deux unies par une idéologie sécuritaire et répressive : la loi 46, dite
Minniti-Orlando (« Dispositions urgentes pour l'accélération des
procédures en matière de protection internationale, ainsi que pour la lutte
contre l'immigration illégale ») et la loi 48, dite Minniti (« Dispositions
urgentes sur la sécurité dans les villes »). Ce sont ces deux mesures
législatives qui ont constitué le modèle de la loi n° 132, du 1er décembre
2018, qui, fermement souhaitée par Salvini, chevauche, et ce n'est pas un
hasard, les questions de sécurité et d'immigration, exaspérant le caractère
répressif-raciste-sécuritaire, au point d'être clairement inconstitutionnelle,
de l'avis de pas mal de juristes.
Et c'est sous le même gouvernement Gentiloni que,
principalement sur ordre du ministre de l'Intérieur, des accords ont été
conclus avec des bandes criminelles libyennes et que “Désert rouge” a été
inauguré, une opération militaire au Niger visant à bloquer l'afflux de
réfugiés du sud vers les côtes libyennes. Au cours de cette même législature,
le processus de délégitimation des ONG s'est intensifié, également de la part
du gouvernement : le Code de conduite adopté par Minniti, avec ses
contre-mesures et ses sanctions, les a en effet empêchées d'effectuer des
opérations de recherche et de sauvetage, transférées formellement aux tristement
célèbres garde-côtes libyens.
Quant aux agressions racistes, allant jusqu'au meurtre
et au massacre, contre des personnes immigré·es, réfugié·es et/ou altérisé·es,
elles ponctuent inexorablement au moins les quarante dernières années de
l'histoire italienne. C'est dans la nuit du 21 au 22 mai 1979 à Rome qu'Ahmed
Ali Giama, un citoyen somalien de 35 ans - ancien étudiant en droit à
l'université de Kiev, puis réfugié politique ayant fui la féroce dictature de
Mohammed Siad Barre - a été brûlé vif par quatre jeunes Italiens alors qu'il
dormait sous le portique de Via della Pace, près de Piazza Navona. Malgré les
témoignages détaillés de sept personnes, qui sont sorties d'un restaurant
voisin, les quatre accusés furent acquittés par la Cour de cassation.
Pour citer un autre cas glaçant, le 9 juillet 1985, à
Udine, Giacomo Valent, seize ans, a été tué de soixante-trois coups de couteau
par deux de ses amis de lycée, âgés de quatorze et seize ans, qui étaient
ouvertement néonazis. Fils d'un fonctionnaire d'ambassade et d'une princesse somalienne,
Giacomo était constamment traité de “sale nègre” en raison de ses cheveux frisés
et de sa couleur de peau ambrée, mais aussi de ses opinions de gauche. Cette
affaire et d'autres montrent que la discrimination et le racisme (pouvant aller
jusqu'au meurtre) n'épargnent même pas les personnes parfaitement intégrées.
Le meurtre de Jerry Masslo, un réfugié politique
sud-africain contraint de travailler dans des conditions proches de l'esclavage
pour récolter des tomates dans la campagne de Villa Literno afin de survivre,
est plus connu. Ce meurtre, perpétré le 20 septembre 1989 par une bande de
jeunes braqueurs, racistes de surcroît, a été suivi de la première grève des
migrants contre le caporalato [système des caporali, recruteurs
mafieux de main d’œuvre faisant office de contremaîtres et garde-chiourme, NdT]
et d'une manifestation nationale qui a rassemblé au moins deux cent mille
personnes, inaugurant le mouvement antiraciste italien.
Aujourd'hui encore, on continue à parler
paresseusement de “guerre entre les pauvres”, alors que la dialectique perverse
entre racisme institutionnel et racisme “populaire”, souvent impulsé par des
formations néo-fascistes et/ou la Ligue du Nord, semble avoir atteint son
paroxysme.
Sans parler de la tendance à ramener un phénomène complexe comme le racisme à la "haine" ou à la "peur" et de la réitération de slogans impolitiques et moralisateurs comme l'obsessionnel "Restons humains" : aussi anthropocentrique qu'impolitique, comme je l'ai écrit à plusieurs reprises.
Il faut espérer que la gauche comprendra le caractère absolument central de la lutte contre le racisme et pour les droits des personnes migrantes et réfugiées, en pratiquant un antiracisme solidaire et radical, et en s'opposant ainsi de manière décisive au gouvernement le plus à droite de l'histoire de la République.
NdT
*Camerata : terme correspondant à l’allemand Kamerad, équivalent
fasciste et nazi du terme français Camarade (ital. Compagno, all. Genosse), utilisé,
lui, uniquement dans les milieux de gauche, à l’exception du PPF, le parti
fasciste fondé par l’ancien communiste Jacques Doriot en 1936.
Images : affiches de la campagne contre les clichés
racistes de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) lancée en
2003 en Suisse, qui se voulait « délibérément choquante et déstabilisante »
et « entendait faire réagir le public ». Elle suscita des
controverses, ce qui était le but recherché.
2 octobre -
Au cri de « Nous ne contribuerons plus à notre propre oppression »,
des milliers de travailleurs incarcérés dans le système carcéral de l'Alabama
ont entamé une grève massive le 26 septembre pour protester contre les
conditions brutales, les condamnations racistes et l'exploitation de leur
travail.
Rassemblement de soutien à
la grève des prisons de l'Alabama, Montgomery, 26 septembre 2022
Environ 25
000 personnes se trouvent dans les 14 principales prisons de l'État. Elles
effectuent toutes les tâches nécessaires au maintien de la vie dans les
établissements - cuisine, nettoyage, fabrication des uniformes, réparations et
travaux d'équipement.
L'organisation
de la grève a commencé en juin par le biais du Free Alabama Movement (FAM), à l’intérfieur
des murs et avec le soutien du groupe de défense Both Sides of the Wall [Les
deux côtés du mur]. Ces groupes ont estimé qu'environ 80 % des personnes
présentes dans les prisons de l'Alabama sont en grève. (New York Times,
28 septembre)
Le premier
jour de la grève, Both Sides of the Wall a organisé un rassemblement d'anciens
détenus, de membres de leur famille et de sympathisants devant le département
des services correctionnels de la capitale de l'État, Montgomery. Les orateurs
ont demandé l'amélioration des soins médicaux et des conditions de détention,
ainsi que la réforme des lois sur les peines et la libération conditionnelle.
Dans un
communiqué de presse publié le 28 septembre, le département correctionnel de
l'Alabama a pris la décision inhabituelle de confirmer qu'il y avait un “arrêt
de travail” dans la plupart des prisons. La déclaration de l'ADOC rompt avec le
déni habituel de l'action politique des détenus et renforce la probabilité que
la participation soit généralisée.
Petit-déjeuner
du premier jour de la grève au centre
correctionnel de Bibb. C'est [leur] tactique de rupture. Restez forts et
persévérez. C'est la version moderne de "Pharaon... Laisse partir mon
peuple". (Photo : @FREEALAMOVE)
Pour tenter
de briser la grève, les autorités pénitentiaires ont réduit la nourriture à des
repas froids, deux fois par jour, et ont fait venir de l'extérieur des
prisonniers en permission de sortie pour travail, les forçant à préparer la
nourriture. L'État a également mis en place des escouades anti-émeutes, selon
les messages du FAM :
« Jour
5 : Alors que la grève historique des prisons de l'Alabama touche à la fin dans
sa première semaine, il semble assez clair que l'ADOC veut la violence. Au
cours des 72 dernières heures, l'ADOC a commencé à appeler des équipes
anti-émeute dans les prisons en uniforme CERT [équipe d'intervention d'urgence
correctionnelle], même si les grèves du travail ont représenté les périodes les
plus pacifiques d'incarcération dans les prisons agitées de l'Alabama. »
Revendications
des travailleurs incarcérés
En 2020, le
ministère de la Justice a intenté un procès à l'État d’Alabama, alléguant que
les conditions dans les prisons pour hommes violent la Constitution en raison
de l'incapacité à protéger les hommes contre la violence entre prisonniers, les
abus sexuels et l'usage excessif de la force par le personnel, et de
l'incapacité à maintenir des conditions sûres. Le rapport a révélé que les
principales prisons de l'Alabama étaient utilisées à 182 % de leur capacité.
Ni la pandémie ni l'invasion militaire de
l'Ukraine par la Russie n'ont réussi à ébranler le système-racisme, comme en
témoigne l'accueil sélectif des réfugié·es d'Ukraine en fonction de leur
origine, de leur couleur de peau, etc. Entre autres, plusieurs familles avec
des enfants d'origine subsaharienne ont également été empêchées de franchir les
frontières de l'UErope.
Emad Hajjaj
Comme le souligne le Centre d'étude et de
recherche IDOS, une partie importante des quelque 5 millions d'étrangers
présents dans le pays, dont des étudiants, des travailleurs, des demandeurs
d'asile et des catégories de migrants à court terme, reste ainsi bloquée en
Ukraine, exclue de la protection ueropéenne.
Et ce, en dépit des conventions internationales :
toute personne fuyant une situation dangereuse a le droit, quelle que soit son
origine, de franchir les frontières et de demander l'asile. D'ailleurs, la
plupart des personnes rejetées ne sont pas du tout marginalisées, mais plutôt
intégrées : par exemple, beaucoup d'entre elles sont inscrites dans des
universités ukrainiennes.
Seul le racisme peut expliquer que des pays comme
la Pologne, la Hongrie et la Bulgarie, connus pour pratiquer une politique
d'hostilité et de rejet, voire de racisme pur et simple, à l'égard des migrants
et des réfugiés potentiels cherchant à franchir leurs frontières, se soient au
contraire rapidement organisés pour accueillir des Ukrainiens AOC fuyant la
guerre et ses effets dramatiques. Il faut aussi savoir que les autorités
ukrainiennes ont également tendance à participer à cette discrimination,
notamment à la frontière avec la Pologne, en opérant une sélection entre les
citoyen·nes "ukrainien·nes" et "non-ukrainien·nes", voire
en rejetant des familles avec enfants au motif qu'elles sont d'origine
subsaharienne.
Quant à l'UEurope et à l'Italie, en particulier et
paradoxalement, alors que les réfugié·es sont habituellement rejeté·es, refusé·es,
criminalisé·es, surtout ceux·lles qui viennent des pays subsahariens,
asiatiques et du Moyen-Orient, même s'il·elles viennent de situations dramatiques,
cette fois-ci une bonne partie des institutions et des populations montre et
pratique la solidarité et l'accueil envers les exilé·es, pourvu qu'ils·elles
soient ukrainien·nes AOC.
Un exemple concret est celui rapporté le 22 mars
par Riccardo Bruno dans le Corriere della Sera.Il rapporte la dénonciation d'une religieuse,
qui avait accueilli deux étudiants universitaires de 20 ans d'origine
nigériane, qui avaient fui l'Ukraine. Une femme lui avait promis de les
accueillir dans sa résidence secondaire. Mais lorsqu'elle a appris qu'il
s'agissait de Nigérians, elle s'est ravisée, motivant explicitement son refus :
deux réfugiés blancs, ça irait, mais absolument pas des Noirs.
Certes, l'accueil de personnes ukrainien·nes
fuyant la barbarie de la guerre de Poutine ne peut être considéré que comme
positif et encouragé. Néanmoins, il révèle l'hypocrisie - pour ne pas dire plus
- de la politique ueuropéenne et des différents États de l'UE : tous pratiquent
un accueil discriminatoire, en faisant une distinction entre les réfugié·es,
qui doivent pour la plupart être accueilli·es ou du moins accepté·es, et les
migrant·es, en particulier ceux de l'hémisphère sud.
Cependant, ne pensez pas que seule la couleur de
la peau et/ou l'origine nationale inspire la discrimination, la répulsion et le
mépris envers les autres. Comme je l'ai écrit à plusieurs reprises, n'importe
qui peut être racisé, surtout s'il·elle appartient à une classe subalterne.
Cette situation est illustrée par l'histoire de l'immigration albanaise en
Italie, qui a commencé le 7 mars 1991, lorsque 27 000 migrants ont débarqué
dans le port de Brindisi. Cinq mois plus tard, le 8 août 1991, le navire
marchand Vlora, rempli de 20 000 migrants, accoste dans le port de Bari.
Dès lors, pendant pas mal d'années, les Albanai·ses sont devenu·es les boucs
émissaires exemplaires et l'objet de discriminations et de violences racistes.
Il faut ajouter que, pendant qu'en Ukraine la
guerre de Poutine faisait et fait toujours rage, les hécatombes de migrants se
succédaient en Méditerranée centrale. Les quatre-vingt-dix ou peut-être cent
derniers, qui ont perdu la vie à la fin du mois de mars et ont été découverts
tardivement, n'ont pas encore été comptés. Mais au 28 mars, 299 personnes
étaient déjà mortes ou disparues depuis le début de l'année en tentant de
traverser la Méditerranée centrale. Cette tragédie n'a été que très peu
couverte par les médias, focalisés sur la guerre en Ukraine.