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03/01/2023

GIDEON LEVY
Ce qui s'est passé lorsqu'une famille palestinienne a découvert que des colons avaient planté un vignoble sur ses terres

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 30/12/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les membres de la famille Dar-Mohammed du village de Tarrama ont été stupéfaits de découvrir un jour que des colons avaient planté des vignes sur leurs terres. Lorsque les jeunes membres de la famille ont commencé à les arracher, des soldats les ont agressés.

Nizhar Dar-Mohammed et son père, Mohammed, cette semaine. Le père a été touché à la tête par la crosse d'un fusil, tandis que le fils a été touché à la main par une grenade fumigène, ce qui l'a poussé à crier : « Ma main est partie, ma main est partie ! »  Photo : Manal al-Ja'bari / B'Tselem

 

Un homme se lève un matin et part, avec d'autres membres de sa famille, récolter des olives sur sa parcelle de terre dans le sud de la Cisjordanie, et y découvre une vigne qu'il n'a pas plantée. Soudain, il y a une vigne qui empiète sur ses terres. Il ne l'a pas mise là, ni aucun autre membre de sa famille. Et lorsque les enfants de la famille désemparée tentent de déraciner les plantations envahissantes, des soldats des forces de défense israéliennes arrivent, et ils sont à leur tour rapidement rejoints par un groupe plus important de soldats. Ils tirent des grenades lacrymogènes sur les enfants, frappent les membres adultes de la famille et les chassent tous de leur propre terre.

 

C'est aussi l'une des missions morales des soldats de l'armée israélienne : garder les vignes plantées par des colons juifs qui n'ont ni l'autorité ni le droit de le faire, et attaquer les propriétaires lorsqu'ils tentent de défendre ce qui reste de leur propriété. Et à qui revient la tâche de les garder ?

 

Le petit village de Tarrama, situé au sud de la ville de Dura dans la région d'Hébron, se trouve au sommet d'une montagne à 879 mètres d'altitude. Cette semaine, la pluie s'est acharnée sur ses maisons. La résidence de la famille Dar-Mohammed se trouve non loin de l'entrée du village, qui est considéré comme une banlieue de Dura. Le père de famille, Nasser, un homme de 42 ans au regard puissant, est le directeur adjoint du collège pour garçons de Dura. Il a deux fils et trois filles.

 

À quelques kilomètres à l'est du village, dans une zone connue sous le nom de Khalat Taha, lui et ses frères possèdent un terrain de 8 dunams (0,8 ha), qu'ils ont reçu de leur père de 90 ans, Abdel Karim Dar-Mohammed. Ils y cultivent des oliviers, dont la plupart ont été plantés il y a 15 ans, après qu'un vignoble qu'ils avaient auparavant sur le site eut été incendié par des colons.



Le village de Tarrama


La colonie de Negohot en 2019


La parcelle se trouve près de la limite du village de Negohot. Seuls 300 mètres environ séparent le terrain de la famille de la colonie, qui est située sur une montagne surplombant la vallée où se trouve le terrain. Comme toutes les colonies, Negohot a été établie dans des circonstances douteuses.

 

Il s'agissait initialement d'une colonie de membres de la brigade Nahal. Son nom, qui signifie “illumination” en hébreu, a été proposé par le poète Yitzhak Shalev, qui y voyait un point lumineux de l'implantation juive sur les hauteurs d'Hébron. Il a été démantelé et converti en poste de commandement de l'armée, qui est redevenu une colonie de l'armée, puis est rapidement devenu une communauté religieuse civile qui a finalement été autorisée et légalisée, et qui elle-même a ensuite créé ses propres ramifications d'avant-postes non autorisés. Pendant des années, l'accès à la route menant à Negohot a été limité aux seuls Juifs, même s'il ne faut évidemment pas penser qu'il s'agissait d'une route d'apartheid [mais enfin, quelle idée…NdT].

 

Nasser Dar-Mohammed

 

Les membres de la famille Dar-Mohammed n'avaient jamais eu de confrontations violentes avec leurs voisins de Negohot, mais eux et d'autres agriculteurs se sont vu interdire l'utilisation de la route menant à leurs terres. Au lieu de cela, ils ont dû créer un nouveau chemin pour y accéder.

 

Toutes les quelques semaines, Nasser descendait avec son frère Mohammed pour vérifier les olives et travailler la terre. À l'automne, d'autres membres de la famille étaient recrutés pour récolter les olives. C'est ce qu'ils faisaient le 13 novembre.

 

Nasser avait terminé son travail au collège dans l'après-midi et ses proches sont partis avec lui vers l’oliveraie. Ils formaient un groupe de cinq hommes, cinq femmes et dix enfants âgés de 9 à 14 ans. Abdel Karim, leur grand-père, s'est également joint à eux.

 

Un jour plus tôt, un habitant de son village avait dit à Nasser que quelqu'un avait récemment travaillé sa terre et y avait planté des vignes. Il a eu du mal à le croire. Mais lorsque la famille est arrivée sur place, elle l'a vu de ses propres yeux : Une vigne avait été plantée sur une de leurs parcelles de 300 mètres carrés, la plus proche de Negohot.

 

Dans le passé, la famille avait cultivé du blé et de l'orge sur la parcelle, mais lorsqu'il est devenu de plus en plus difficile et dangereux d'atteindre le site en raison de sa proximité avec Negohot, elle a cessé de le travailler. Aujourd'hui, quelqu'un d'autre a commencé à cultiver la terre.

 

Les enfants de la famille ont couru vers le nouveau vignoble, mais un groupe de trois ou quatre soldats qui observaient la scène d'en haut, près de Negohot, ont commencé à leur crier de quitter les lieux. Les soldats se sont mis à descendre la montagne en direction des enfants. Les pères - Nasser et Mohammed - qui ont vu les soldats s'approcher, ont également tenté de faire sortir les enfants de la parcelle, mais ceux-ci avaient commencé à déraciner les vignes, a raconté plus tard Nasser.

 

Sa'id, Hamzi, Jamil et Nizhar

Cette semaine, nous avons demandé aux jeunes pourquoi ils avaient arraché les vignes. L'un d'entre eux, Jamil, le fils de Nasser, âgé de 14 ans, a répondu simplement : « Ils les avaient plantées sur nos terres ».  Les enfants nous ont montré les photos qu'ils ont prises avec leur téléphone portable de la vigne sans nom et des soldats qui tentent de les chasser de la zone.

 

Pendant ce temps, les soldats ont appelé des renforts, en raison de la tension croissante.

 

Nasser se souvient qu'une force d'environ 20 à 30 soldats est arrivée et a commencé à lancer des grenades lacrymogènes sur les enfants, dont certaines visaient directement les jeunes. Pendant ce temps, de retour parmi les adultes, Nasser a appelé l'administration civile israélienne en Cisjordanie pour demander que des inspecteurs soient envoyés pour voir ce qui avait été fait sur leurs terres. Un officier de l'administration arrive effectivement, et Nasser lui montre des papiers attestant que la famille est propriétaire de la terre depuis l'administration jordanienne de la région, avant la guerre des Six Jours. Il n'avait pas de kushan, terme de l'époque ottomane pour désigner un titre de propriété, mais il a présenté un document appelé maliya en arabe, qui attestait qu'il avait payé des impôts sur la terre pendant des années et l'avait exploitée.

 

On ne sait pas ce que l'agent de l'administration civile a fait des papiers, mais les soldats ont continué à essayer de faire sortir les enfants - et en fait tous les membres - du terrain. Plusieurs colons de Negohot ont observé ce qui se passait depuis les hauteurs, mais ils ne sont pas venus dans la vallée et ne sont pas intervenus.

 

Les enfants ont crié : « C'est notre terre. Nous ne la quitterons pas ».

 

L'un d'eux, Sa'id, le cousin de Jamil âgé de 13 ans, a été attrapé par les soldats, qui l'ont frappé et poussé au sol. L'un d'eux a appuyé son genou sur la gorge du garçon alors que son père, Mohammed, se précipitait pour libérer son fils. Alors que le père tentait de dégager le jeune homme de l'emprise du genou du soldat, ce dernier l'a frappé à la tête avec la crosse d'un fusil. Le sang a commencé à couler sur le front de Mohammed, où une grosse ecchymose s'est formée.

 

Nizhar Dar-Mohammed. Photo : Manal al-Ja'bari / B'Tselem

Cette semaine, le bureau du porte-parole des FDI a fourni la déclaration suivante concernant l'incident à Haaretz : « Le 13 novembre, des frictions se sont développées entre un certain nombre de citoyens israéliens et de Palestiniens, à proximité de Negohot, dans la [région] de la Brigade territoriale de Judée. Les forces de sécurité ont déclaré la zone comme étant une zone militaire fermée, après que les Palestiniens ont refusé de partir et ont agi de manière destructive. Les forces ont utilisé des méthodes de dispersion des émeutes. Un Palestinien blessé a été évacué par le Croissant Rouge pour un traitement médical. Si une plainte est déposée, l'affaire sera examinée, comme il est d'usage ».

 

Après le coup, Mohammed, 54 ans, s'est senti faible et n'a pas pu se lever. Puis le fils de Nasser, Nizhar, le frère de Jamil âgé de 13 ans, a été douloureusement blessé - touché à la main par une grenade fumigène. Il s'est avéré plus tard qu'il avait subi une fracture de la main.

 

Nizhar, terrifié, s'est mis à crier : « Ma main est partie, ma main est partie ! » et a couru vers sa mère, Ibtihal, 34 ans, qui se tenait à proximité.

 

Cette semaine, Nizhar était gêné de prononcer le nom de sa mère devant des étrangers (ce qui est mal vu dans la tradition musulmane), mais il s'est exécuté après que son père l'y a encouragé. Un autre garçon, le cousin Hamzi, 11 ans, a été blessé à la jambe par une grenade fumigène. Lui aussi a couru vers sa mère.

 

Le grand-père âgé des garçons, Abdel Karim, a commencé à s'étouffer à cause du gaz lacrymogène. Une ambulance a été appelée et un médecin lui a prodigué les premiers soins. L'équipe de l'ambulance a ensuite emmené Mohammed, Nizhar et Hamzi.

 

Hamzi a été laissé dans une clinique de Dura. Mohammed, qui avait été touché à la tête, a été emmené à l'hôpital Ahli à Hébron. Nizhar a été emmené à l'hôpital Alia dans la ville.

 

Mohammed Dar-Mohammed. Photo : Manal al-Ja'bari / B'Tselem

La main de Nizhar a été mise dans un plâtre, qu'il devait garder pendant 24 jours. Après le traitement et le bandage de sa blessure, Mohammed a été maintenu à l'hôpital pendant deux jours supplémentaires en observation, afin de s'assurer qu'il n'avait pas de blessures internes à la tête.

 

L'incident a pris fin, mais les vignes envahissantes demeurent sur les terres de la famille. Dans les jours qui ont suivi l'incident, Nasser a tenté de déposer une plainte contre les intrus sur ses terres, ainsi que de se plaindre de la violence que les soldats avaient exercée sur les membres de sa famille.

 

Nasser a dit qu'il a été repoussé à plusieurs reprises. Chaque fois, il a été refoulé par les agents de l'administration civile à Beit Haggai et Etzion et au poste de police de Kiryat Arba. Une fois, on lui a dit qu'il n'y avait pas de traducteur disponible, une autre fois, qu'il n'y avait pas d'enquêteur. Finalement, il a abandonné, ne parvenant jamais à déposer une plainte.

 

Depuis lors, Nasser hésite à s'approcher de ses terres. À un moment donné, il l'a aperçue de loin, mais n'a pas osé s'en approcher. Il est déterminé à retourner labourer sa terre dans les prochains jours, mais il a été difficile de lui faire dire si cela incluait la parcelle où la vigne a été plantée.

 

« Je veux labourer toutes mes terres »,  a-t-il finalement répondu.

 

 

04/08/2022

HAARETZ
Le Fonds national juif blanchit le vol des terres palestiniennes

Haaretz, Éditorial, 4/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Rien n'illustre mieux le mode opératoire du projet de colonisation des territoires occupés depuis 1967 que la séance que tiendra ce jeudi le conseil d'administration du Fonds national juif d'Israël (connu en hébreu sous le nom de Keren Kayemeth LeIsrael, KKL).

Manifestation contre la politique du Fonds national juif en Israël et dans les colonies, cette année. Photo : Émile Salman

Le conseil d'administration doit voter sur une allocation de 61 millions de shekels [=17,8 millions €] pour l'achat de terres palestiniennes dans la vallée du Jourdain. Cela fait partie d'un accord que le ministère de la Défense fait pression pour conclure (comme l'a rapporté Hagar Shezaf). Pourquoi le ministère de la Défense devrait-il être impliqué dans les transactions foncières du FNJ ? Pourquoi le ministère chargé de préserver la sécurité nationale fait-il pression sur une institution nationale pour qu'elle achète des terres en Cisjordanie ? Et pourquoi le JNF est-il impliqué dans le "rachat" de terres dans les territoires occupés comme si l'État d'Israël n'avait jamais été fondé ?

Les terres en question sont des terres palestiniennes privées qu'Israël a fermées par injonction militaire en 1969 et qui ont ensuite été données aux colons pour qu'ils les cultivent dans les années 1980, selon le mauvais vieux système. Depuis lors, elles sont utilisées pour la culture de dattes destinées à l'exportation, qui est en hausse. En 2018, certains de leurs propriétaires palestiniens ont adressé une pétition à la Cour suprême, demandant l'annulation de l'injonction militaire et le départ des colons. C'est ainsi que le ministère de la Défense s'est retrouvé dans un imbroglio juridique.

« Je ne savais pas », a affirmé l'État pour sa défense lors des audiences sur la pétition. Il ne savait tout simplement pas comment les colons avaient commencé à exploiter les terres palestiniennes privées, ni comment l'État ou le département des colonies les avaient attribuées. La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, s'est interrogée à juste titre : « Étant donné que vous n'êtes pas en mesure d'expliquer comment la terre a été donnée à qui elle a été donnée, cela leur donne-t-il le droit d'y rester pour toujours ? ». Le ministère de la Défense le pense, apparemment. Plutôt que d'annuler l'injonction militaire et de faire partir les colons, le ministère a décidé de faire en sorte que le JNF achète les terres aux Palestiniens. Et en fait, le JNF, via sa filiale Himnuta, a signé un contrat pour acheter un millier de dunams [= 100 ha], par étapes.

Mais après l'achat de 411 dunams, la transaction a été interrompue en raison de critiques, car l'achat de terres en Cisjordanie est un sujet controversé au sein du JNF, dont le conseil d'administration comprend des représentants de la gauche. Selon des sources du JNF, le ministère de la défense a récemment repris contact avec l'organisation, lui demandant de conclure la transaction. Ce que le conseil d'administration votera jeudi est également lié à un compromis mystérieux dont il est impossible de rendre compte en raison d’une ordonnance de non-publication. Ainsi, les différentes branches du mouvement de colonisation et les opérations d'acquisition de terres dans les territoires se poursuivent sous le couvert de l'obscurité.

Si Israël veut vivre et prospérer, un changement fondamental est nécessaire, y compris le démantèlement d'institutions nationales comme le JNF. En attendant, on ne peut qu'espérer que le conseil d'administration ne dispose pas d'une majorité en faveur de cet accord, ce qui blanchirait le vol. Nous espérons également que le tribunal ordonnera au ministère d'annuler l'ordre, de retirer les colons des terres et de les rendre à leurs propriétaires palestiniens.   

 

 

23/07/2022

GIDEON LEVY
Une tribu palestinienne est délogée pour la septième fois

, Haaretz, 22/7/2022. Photos par Ohad Zwigenberg
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

À six reprises, Israël a expulsé la tribu Ka'abneh des terres sur lesquelles elle vivait depuis sa première expulsion en 1948. La semaine dernière, elle a été forcée de se déraciner à nouveau, cette fois après avoir été terrorisée par des colons. Des familles de bergers sans abri, sans troupeaux

Des jeunes membres de la famille Ka'abneh, devant leurs habitations de fortune à Khirbet Abou Falah cette semaine. Avant tout, la tribu veut préserver son patrimoine pastoral et son mode de vie traditionnel.

Dix-sept familles, 120 âmes, à la recherche d'un foyer. Cette semaine, ils ont été rejoints par d'autres familles, et le nombre de sans-abri parmi eux passera à 140. L'école de leurs enfants, qu'ils ont construite avec beaucoup de peine, est maintenant fermée et ne rouvrira probablement pas. Leurs 3 000 moutons sont également restés sur place – il n'y a aucun endroit où les déplacer depuis leurs pâturages actuels. Leurs propriétaires pourraient alors n'avoir d'autre choix que de les revendre et éliminer ainsi leur seule source de revenus, qui est aussi leur mode de vie. En attendant, les familles vivent dans des tentes de fortune cousues à partir de sacs qui contenaient autrefois du café brésilien. Et comme ils ont dû laisser derrière eux leurs panneaux solaires, ils n'ont pas non plus d'électricité. La seule eau dont ils disposent est stockée dans des réservoirs. Les coqs errent librement sur le sol rocailleux, un âne est attaché, les enfants sont oisifs. Il fait extrêmement chaud ici, à l'extrémité ouest de la vallée du Jourdain, dans leur abri temporaire de Khirbet Abou Falah. Pour l'instant, le propriétaire palestinien du terrain leur a permis de vivre ici pendant un mois.

Mais que feront-ils après cela ? Où iront-ils ? Personne n'en a la moindre idée. Ils vivent maintenant sur une colline aride et rocheuse, non loin des villages d'Al-Mughayyir et de Kafr Malik, en face de la colonie de Kokhav Hashahar, sur la lointaine crête d'en face. La route d'Abou Falah passe par la colonie de Shiloh et toutes ses ramifications - des avant-postes de colons sauvages dont le simple nom suffit à terrifier tout Palestinien de la région et devrait susciter la honte chez tout Israélien digne de ce nom.

Ahmed Ka'abneh avec son fils Omar

Dans la vallée verdoyante de vignobles, sur des terres volées, se trouvent les avant-postes d'Adei Ad, Achia, Yeshuv Hada'at, Esh Kodesh, Kidah et Amichai. Il y a aussi la carrière de Kokhav Hashahar, elle-même une violation flagrante du droit international, qui stipule qu'il est interdit à un occupant d'exploiter les ressources naturelles du territoire qu'il contrôle - mais qui s'en soucie ? Micha's Farm, un avant-poste de colons établi en 2018, est redouté par la famille élargie d'Ahmed Ka'abneh, berger de 60 ans et père de 14 enfants, dont la plupart vivent avec lui sur le même site, perché sur une colline dénudée à Khirbet Abou Falah, après avoir fui leur précédente maison à Ras al-Tin.

C'est la sixième fois que ces Bédouins palestiniens fuient, ou sont expulsés, au cours de leur histoire. En 1948, ils ont été expulsés de la région de Tel Arad et déplacés de force par les troupes israéliennes vers Al-Auja, au nord de Jéricho, alors en territoire jordanien. En 1969, ils ont été expulsés d'Al-Auja et déplacés à Al-Mu'arrajat, entre Ramallah et Jéricho. Ils étaient alors 30 familles.

En 1970, ils ont été déracinés de là vers le côté est du village de Kafr Malik. Trois ans plus tard, une base militaire a été construite à côté d'eux et ils ont été à nouveau évacués. Ils ont déménagé dans la région d'Ein Samiya, non loin de là, où ils sont restés jusqu'en 1988, malgré tous les ordres d'évacuation qu'ils ont reçus entre-temps.

13/01/2022

GIDEON LEVY
Un Néguev bédouin n'est pas moins israélien qu'un Néguev juif

Gideon Levy, Haaretz, 13/1/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'état d'esprit sioniste en pilote automatique : les Bédouins s'emparent du Néguev. Ensuite, ils prendront le contrôle de tout le pays. Israël est en danger. Nous devons agir immédiatement. Avec force, bien sûr. De l'extérieur, on pourrait croire qu’on est à la veille d'une guerre civile. Des étrangers, des séparatistes, des envahisseurs, des ennemis de l'intérieur sont en train d’essayer de s'emparer d'une région et de l'arracher à l'État.

La police arrête un homme lors d’une manifestation de Bédouins à Sa'wa, mercredi 12 janvier. Photo : Eliyahu Hershkovitz

En réalité, il s’agit de citoyens de l'État, qui se battent pour leurs droits sur des terres qui leur appartiennent |au moins] autant qu’aux Juifs. À l'heure actuelle, ils n'ont pas d'aspirations nationales, mais le Néguev était bédouin bien avant d'être juif. Quel est le problème avec ça ? Bnei Brak est haredi et le Néguev est bédouin. Les kibboutzim sont ashkénazes et les villes de développement sont mizrahies et russes. C'est ainsi que cela se passe dans une configuration multinationale et multiculturelle. Mais quand les Haredim construisent plus de quartiers et de villes pour eux-mêmes, l'État ne les combat pas. Quand les Bédouins veulent leur propre terre pour eux-mêmes, c’est un danger pour l'État.

Tous les slogans sionistes fallacieux, ainsi que les mauvaises vieilles façons de faire, sont mis au service de la cause, comme si l'État (juif) n'avait pas encore été fondé. Faire fleurir le désert, cette valeur dans laquelle nous avons été élevés, signifie le faire fleurir pour les seuls Juifs. Sédentariser le Néguev, autre valeur sioniste classieuse, signifie le judaïser. Ni la colonisation du Néguev ni la floraison du désert n'intéressent le sionisme. Seule la judaïsation l'intéresse.

Eh bien, la judaïsation est le côté pile du nettoyage ethnique. Si faire fleurir le désert est une valeur - et on ne voit pas bien pourquoi - qu'y a-t-il de mal à faire fleurir le désert par les enfants du Néguev, ceux qui connaissent le désert, ont l'habitude d'y vivre et l'aiment plus que quiconque ?  Et si la colonisation du Néguev est une valeur - encore une fois, on ne sait pas pourquoi - qu'y a-t-il de mal à y laisser s’installer des Bédouins ? Ne sont-ils pas des personnes ? Pas des Israéliens ? Alors, disons-le au moins clairement.

Et maintenant, sortant de la naphtaline, arrive la vieille arme rouillée du sionisme de 1948 : la plantaison. Si innocent que ça pourrait vous faire pleurer. Couvrir la terre de vert. C'est tellement sioniste, et maintenant, tellement écologiste aussi. La veille de Tu Bishvat, la fête des arbres, on plante dans le Néguev. Quand on était enfants, on nous emmenait à Gan Meir à Tel Aviv le jour de Tu Bishvat pour planter, et c'était excitant. Nous ne savions rien alors. Nous ne savions pas que l'argent de la boîte bleue servait à tapisser le pays de pins, à dissimuler les crimes de 1948 et les ruines silencieuses afin qu'aucun Arabe ne retourne dans sa maison, transformée en bosquet. Maintenant, on va aussi planter un tel bosquet contre nature dans le désert.

Certificat de don néerlandais au KKL/Fonds National Juif pour une plantation d'arbres dans le Néguev  (sans date)

25/12/2021

GIDEON LEVY
Jamil protestait contre le vol des terres de sa famille : il a été abattu par l’armée israélienne

Il était la huitième victime des sept derniers mois dans le village de Beita

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 24/12/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La voiture a fait des embardées d'un côté à l'autre alors qu'elle grimpait sur la route de terre accidentée, le vent tourbillonnant et hurlant autour d'elle. Les bulldozers des Forces de défense israéliennes ont déjà commencé à bloquer cette route, mais elle est toujours viable. Lorsque nous nous sommes arrêtés au sommet de la colline, la voiture se balançait et les portes pouvaient à peine s'ouvrir contre le vent violent et puissant. En effet, la tempête hivernale de cette semaine, surnommée Carmel, a également frappé la colline isolée que les Palestiniens appellent Huti, une élévation d'oliviers qui se trouve en face du mont Sabih, qui, à leur indignation, est le site de l'avant-poste de colons d’Evyatar. Quelques centaines de mètres séparent les deux collines - entre le drapeau israélien déchiré hissé comme une provocation sur ce que les habitants appellent « Jebel El Sabih » au milieu des bâtiments des colons, et le drapeau de la Palestine que les habitants du village de Beita ont également hissé comme une provocation, en face. Deux drapeaux déchirés par le vent, l'un en face de l'autre. La menorah de Hanoukka démesurée plantée par les colons envahisseurs est toujours en place, ainsi que la rangée de maisons mobiles et de tours de guet.

Ayyash et Rami à l'endroit où leur frère a été tué

Le sol au sommet de la colline Huti est saturé du sang des manifestants palestiniens, et brûlé et couvert de suie par les pneus que les manifestants incendient ici chaque vendredi. Sept habitants du village voisin de Beita et un du village voisin de Yatma ont été tués ici par des soldats des Forces de défense israéliennes au cours des sept mois qui se sont écoulés depuis que la vétérane Daniella Weiss et ses amis ont rétabli Evyatar en mai. Le site était autrefois un avant-poste de Tsahal appelé Tapuhit, construit sur les terres de Beita. Par la suite, en 2013, l'avant-poste d'origine d'Evyatar y a été établi sans autorisation ; il a ensuite été évacué et démoli. Aujourd'hui, les structures érigées par les colons du nouvel Evyatar restent en place – l'avant-poste est actuellement inhabité, à l'exception de quelques soldats ui y montent la garde – ​​et le sang continue de couler. La dernière fois que nous sommes venus ici, c'était en septembre, pour raconter l'histoire du meurtre d'un autre manifestant de Beita, Mohamed Khabisa, 28 ans, père d'une fille de 8 mois. Avant cela, nous étions ici en août pour raconter l'histoire du meurtre d'Imad Duikat, 37 ans, père d'une fille de 2 mois. En juillet, nous étions ici à cause du meurtre de Shadi Shurafi, un plombier du village, qui réparait la vanne d'une conduite d'eau près de l'autoroute lorsqu'il a été abattu par les troupes de Tsahal. Et en juin, nous avons visité le village voisin de Yatma, pour raconter l'histoire du meurtre, au cours de la même série de manifestations en cours, de Tareq Snobar, 41 ans, qui n'a été père que deux jours de sa vie avant d'être tué. Lorsqu'il a été abattu par des soldats israéliens utilisant des tirs à balles réelles à environ 100 mètres de distance, il se rendait à l'hôpital pour récupérer sa femme et leur fils nouveau-né, Omar, pour les ramener à la maison. Il n'y est jamais arrivé. Ce n'est pas toute la liste des personnes tuées lors des manifestations d'Evyatar. Vendredi 10 décembre, il y a eu un huitième décès : Jamil Abu Ayyash, un menuisier de 31 ans de Beita, marié, sans enfants.

Jamil Abu Ayyash

19/12/2021

GIDEON LEVY
Crime et châtiment à Homesh, colonie juive en Cisjordanie

 

Gideon Levy, Haaretz, 18/12/2021
Photos de Majdi Mohammed/AP Photo
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Homesh est le crime, le meurtre de Yehuda Dimentman est le châtiment. La plupart des Israéliens voient cela différemment, parce que c'est ce qu'on leur dit : un beau jour, un étudiant de yeshiva est assassiné sans qu'il y ait faute de sa part, uniquement parce qu'il était juif et que ses tueurs assoiffés de sang étaient nés pour tuer. Les Palestiniens sont toujours dans le rôle des méchants,  les Juifs sont toujours les victimes.

 

Des soldats israéliens se tiennent entre des Palestiniens et des colons juifs suite à une attaque de colons contre le village de Burqah en Cisjordanie, vendredi.

 


C'est une version réconfortante, mais elle n'a aucun lien avec la réalité. S'il existe un endroit en Cisjordanie où une attaque ne sort pas de nulle part, sans raison ni contexte, c’est bien Homesh. S'il existe un endroit où les Palestiniens n'ont aucun moyen de récupérer leurs terres, sauf par la violence, c’est bien Homesh. Et s'il existe un endroit où les colons, la droite, le gouvernement et l'armée font tout ce qu'ils peuvent pour provoquer ce bain de sang, c’est bien Homesh. Le sang de Dimentman est aussi sur leurs mains.

« Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? », s’est lamenté le colon Ariel Danino de Kumi Uri sur Twitter. Kumi Uri est un avant-poste dont les habitants attaquent aussi les soldats et les policiers. Et voilà pourquoi : le gouvernement israélien a décidé d'évacuer Homesh lors du désengagement de Gaza en 2005. Huit ans plus tard, la Haute Cour de justice a ordonné à l'État d'annuler les ordres d'appropriation et de fermeture de la zone émis à l'encontre des Palestiniens. Les colons, soutenus par l'armée, le gouvernement et la droite, y ont établi une yeshiva.


Pendant des années, nous avons essayé d'approcher Homesh à plusieurs reprises. Des colons armés et masqués sortaient toujours de cette pure maison de la Torah et nous chassaient en nous menaçant. Leur rabbin regardait de loin et n'intervenait pas. Lorsque nous y sommes venus après l'arrêt de la Haute Cour avec quelques propriétaires terriens de Burqah, ils n'ont pas osé sortir de leur voiture. Je n'ai jamais vu de Palestiniens aussi effrayés que ce groupe d'agriculteurs, qui depuis 35 ans n'ont pas été autorisés à aller sur leurs terres. Pendant un moment, il y a eu l'espoir qu'une justice tardive serait rendue, puis lorsqu'ils ont été soi-disant autorisés à revenir, ils n'ont pas osé quitter leur voiture par peur des colons.

14/08/2021

GIDEON LEVY
« Ils choisissent une personne à tuer, puis la manifestation est terminée » : Imad Duikat, 6ème martyr de Beita

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 12/8/2021
Traduit par Fausto Giudice

Imad Duikat est le sixième Palestinien à être abattu par les troupes israéliennes lors des récentes manifestations contre l'avant-poste de colons d'Evyatar, et le 40e à être tué en Cisjordanie depuis mai.

Ali est porté dans la pièce dans les bras de l'oncle Bilal, le frère de son père. Tout le monde se tait, certains yeux se remplissent de larmes à la vue du petit bébé. Ali n'a pas encore deux mois - et son père a été tué vendredi dernier par les forces de défense israéliennes. Une seule balle a été tirée sur lui et a touché sa poitrine à une distance de quelques centaines de mètres.


Ali Duikat, père d'Imad qui a été tué vendredi dernier, berçant son petit-fils et homonyme, cette semaine

Imad Duikat, un simple ouvrier, faisait partie des centaines d'habitants du village de Beita en Cisjordanie, qui se rassemblent chaque vendredi en face d'Evyatar, un avant-poste illégal que les colons ont quitté pour l'instant mais dont les habitations sont toujours là, intactes. Les dirigeants du village insistent sur le fait qu'ils n'auront pas de repos tant que la dernière pierre n'aura pas été enlevée d'Evyatar et que la terre -qui, selon eux, appartient à Beita et à trois autres villages voisins - n'aura pas été rendue à ses propriétaires.

Duikat, 38 ans, buvait de l'eau dans un gobelet jetable dans la chaleur de midi lorsqu'il a été abattu. Le gobelet se trouve maintenant au centre du mémorial improvisé - un cercle de pierres - que ses amis ont placé autour de la tache de sang séché, là où la balle l'a transpercé. Son fils Ali, un nourrisson, et ses quatre sœurs ne le reverront jamais. Le grand-père d'Imad, également prénommé Ali, serre son petit-fils contre son cœur et l'embrasse.

Cette simple maison, située au cœur de Beita, est plongée dans le deuil. Nous y sommes arrivés en début de semaine pour rendre visite au père, au frère, aux enfants et aux autres parents d'Imad. Les femmes en deuil étaient au premier étage. Un groupe d'hommes de la région s'était réuni pour se consoler dans une salle au centre du village.

La semaine dernière, nous étions également à Beita pour documenter le meurtre du plombier local,Shadi Shurafi , 41 ans et père de quatre enfants, au début du mois. Il a été abattu un soir alors qu'il allait vérifier les principales vannes d'eau du village, près de l'autoroute, en tenant une clé à molette. (Mardi de cette semaine, l'unité du porte-parole des FDI nous a informés que le corps de Shurafi avait finalement été rendu à sa famille pour être enterré, sur directive des politiciens israéliens).

Une affiche de deuil avec la photo d'Imad Duikat