“Considère donc ça comme un chameau géant”
 

Les chiffres du jour

 Le nouveau Kanzler, Merz, a annoncé que le budget militaire allemand allait passer de 50 à 200 milliards d'euros, pour satisfaire l'exigence trumpienne de 5% du budget. D'après un député CDU, la Bundeswehr aurait besoin de passer de 182 000 hommes et femmes aujourd'hui à ...460 000. Où les trouveront-ils ? Mystère

Affichage des articles dont le libellé est Gideon Levy. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Gideon Levy. Afficher tous les articles

09/05/2025

GIDEON LEVY
Mon ami à Gaza en est à ses dernières gouttes d’insuline


Gideon Levy Haaretz, 7/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’acidocétose diabétique est une complication potentiellement mortelle du diabète, dans laquelle un manque d’insuline et des niveaux élevés d’hormones de stress entraînent une production accrue de corps cétoniques et une acidose. M. est presque à court d’insuline. Au téléphone depuis sa maison brûlée à Beit Lahia, dans le nord de Gaza, où il vient de revenir, il dit qu’il lui en reste deux gouttes. Plus tard, il précise qu’il dit “2 centimètres” ; peut-être voulait-il dire deux unités. Quoi qu’il en soit, il est presque à court d’insuline. Jusqu’à récemment, il l’obtenait à la pharmacie de l’agence de réfugiés de l’UNRWA, mais depuis qu’Israël a arrêté l’entrée de l’aide humanitaire, il n’y a plus d’insuline. 


Beit Lahia. Photo Finbarr O’Reilly/Reuters

Il essaie d’être rassurant : il n’a pas besoin d’insuline en ce moment parce qu’il n’y a pas de pain. Il ne prend de l’insuline que lorsqu’il mange du pain, et il n’y en a pas. Il garde sa dernière dose d’insuline au cas où lui et sa famille trouveraient un peu de pain. Mercredi, son fils est sorti à la recherche de pop-corn pour calmer son estomac. Il a cherché pendant des heures, en vain. « Je lui ai dit qu’il ne trouverait rien », raconte le père. 

« J’ai faim, j’ai vraiment faim », m’a-t-il dit mercredi. C’était la première fois depuis le début de la guerre qu’il prononçait cette phrase avec une telle intensité. Il a toujours essayé d’aplanir les choses, de minimiser ses difficultés pour ne pas susciter la pitié et préserver sa dignité. Enfin, jusqu’à hier. Mercredi, il a admis qu’il avait faim. Réellement faim. 

Mardi a été une journée particulièrement difficile car Israël a bombardé le nord de la bande de Gaza sans relâche. Les enfants voulaient partir, mais M. leur a demandé : « Où irions-nous ? »  Ils sont tous restés dans ce qu’il restait de leur maison, sous les obus tonitruants, espérant le meilleur. Ils ont décidé que si les bombardements

ne cessaient pas d’ici 17 heures, ils partiraient. Heureusement, les bombardements ont diminué avant cela, et mercredi, les armes étaient silencieuses. M. dit qu’il n’y a pas captifs israéliens et pas de Hamas à Beit Lahia, seulement des tas de décombres, alors pourquoi continuent-ils à bombarder cette zone ?

M. est retourné dans les ruines de sa maison après de longs mois dans un camp de tentes dans la zone “humanitaire” de Muwasi, à côté de Khan Younès et de ce qui était autrefois la colonie israélienne de Neveh Dekalim, avant son évacuation en 2005. Il a 63 ans, souffre de diabète et a subi un AVC. Le voyage du camp à sa maison brûlée a coûté 1 200 shekels (300 €). Quatre familles ont partagé le coût, entassées à l’arrière d’un fourgon de transport sur des matelas et des couvertures – tout ce qu’elles possédaient.

Lorsqu’ils ont atteint ce qui était autrefois leur maison, il ne restait rien d’autre que le squelette, couvert de suie. Même les portes avaient disparu. Ils ont nettoyé, posé des matelas et ont fait leur foyer parmi les ruines. Maintenant, ils craignent de devoir bientôt fuir pour sauver leur vie, et il n’y a nulle part où aller. Mercredi marquait 19 mois de guerre. Israël veut la renouveler avec toute sa force ; quelle nouvelle joyeuse et pleine d’espoir.

Mes conversations avec M. sont frustrantes. Mon incapacité à l’aider en quoi que ce soit, mon impuissance, me rend fou. Pendant des années, nous avons parcouru Gaza ensemble ; il était notre guide et notre protecteur. Mercredi, il était assis devant sa maison, face aux restes de la Mercedes à sept places que nous avons conduite et empruntée pendant des années ; parfois avec de l’essence, lorsque c’était disponible, et parfois avec de l’huile de friture usagée provenant des stands de falafels, lorsque l’essence venait à manquer.

La Mercedes jaune doit avoir environ 3 millions de kilomètres au compteur. Maintenant, elle aussi est une épave calcinée. M. la pleure plus qu’il ne pleure sa maison. Il y a passé plus de temps qu’il n’en a passé dans sa maison. Parfois, il la caresse, m’a-t-il dit mercredi, la voix nouée, ouvrant le coffre noirci et se remémorant des souvenirs, soulevant le capot et voyant le moteur calciné. Quelques jours avant le déclenchement de la guerre, il avait acheté quatre nouveaux pneus pour la voiture, mais il n’a pas eu la chance de rouler avec. Maintenant, le taxi est un squelette, tout comme son propriétaire affamé.

Mardi, il a mangé quelques lentilles, et mercredi, il n’a rien mangé. Lorsqu’il parviendra à obtenir de la farine ou du pain, il s’injectera les dernières gouttes d’insuline qu’il lui reste.



04/05/2025

GIDEON LEVY
En réalité, Israël se moque du sort des Druzes en Syrie

 Gideon Levy, Haaretz , 04/5/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il est parfois difficile de croire ce que l’on lit : Le ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, appelle la communauté internationale à « jouer son rôle dans la protection des minorités en Syrie, en particulier la communauté druze, contre le régime et ses gangs terroristes, et à ne pas fermer les yeux sur les graves incidents qui s’y déroulent ».


Un religieux druze, à gauche, qui est passé de la Syrie à Israël plus tôt dans la journée, est accueilli par un soldat israélien dans le sanctuaire du Prophète Shuaib [tombe de Jethro, le beau-père de Moïse], à Hittin, dans le nord d’Israël, vendredi. Photo Leo Correa/AP

Israël s’est depuis longtemps forgé une réputation de chutzpah [culot], mais il semble qu’il se soit surpassé cette fois-ci. Le ministre des Affaires étrangères appelle le monde à intervenir pour aider une minorité opprimée par un gouvernement dans un autre pays, alors que d’autres dirigeants politiques agissent déjà dans ce domaine.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a donné des instructions, Eyal Zamir, des Forces de défense israéliennes, a ordonné à l’armée de frapper des cibles précises et le ministre de la Défense Israel Katz a déjà menacé qu’Israël répondrait “durement” ; les Forces de défense israéliennes ont déjà bombardé. Une véritable armée du salut pour défendre les Druzes opprimés.

  Le ministre israélien des Affaires étrangères n’a aucun droit moral d’ouvrir la bouche et de prononcer ne serait-ce qu’un mot sur l’oppression d’une nation ou d’une minorité, et certainement pas d’appeler le monde à prendre leur défense. Israël, qui ferme les yeux sur l’Ukraine après avoir fait la même chose pendant la guerre civile en Syrie, n’a pas non plus le droit d’appeler le monde à ouvrir les yeux sur les événements en Syrie.

 
Des membres de la communauté druze israélienne se tiennent près de la frontière, en attendant que des bus transportant des religieux druzes syriens traversent la Syrie vers la ville de Majdal Shams, sur les hauteurs du Golan occupées par Israël, vendredi. Photo : Maya Alleruzzo/AP

Le manque de conscience de soi des dirigeants israéliens bat tous les records. Lorsque Gideon Sa’ar parle d’un régime oppressif et de bandes de terroristes, il devrait avant tout parler de son propre pays. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde où un régime oppressif et des voyous terroristes prospèrent comme en Israël, tourmentant les membres d’une autre nation. Et comment Israël réagit-il aux appels lancés au monde pour qu’il prenne la défense de la nation opprimée qui y vit ? Par des hurlements et des cris à l’antisémitisme.

Et comment Israël réagirait-il à une intervention militaire d’un autre État ou d’un autre acteur venant en aide aux opprimés ? C’est exactement ce que les pays arabes ont dit dans le passé, et ce que le Hezbollah et les Houthis disent aujourd’hui : ils interviennent contre Israël pour protéger les Palestiniens.

De même que les Druzes locaux exigent aujourd’hui qu’Israël vienne en aide à leurs frères syriens, les populations des pays arabes exigent que leurs gouvernements interviennent en faveur de leurs frères soumis à l’occupation israélienne.

Et qu’en est-il des frères de sang des Arabes israéliens [Il veut dire : Palestiniens de 48, NdT], qui ont été massacrés à Gaza, en Syrie et au Liban ? Israël a-t-il jamais envisagé de leur venir en aide ?

Un homme tient un bébé sauvé des décombres, qui a survécu à une frappe aérienne des forces loyales au président syrien Bachar el-Assad à Alep en 2014.Photo Hosam Katan/Reuters

Au Liban, Israël a dressé les phalangistes contre les Palestiniens. Lorsque le peintre palestinien Abed Abadi, vivant à Haïfa, a tenté d’exfiltrer sa sœur, née dans ce pays, du camp de réfugiés assiégé de Yarmouk, en Syrie, en 2014, Israël a refusé. Mais pour “sauver les Druzes”, Israël est prêt à bombarder.

Imaginez que la France bombarde les colonies israéliennes dans les territoires occupés parce qu’elle les considère comme des « bases terroristes », d’où sortent des terroristes pour nuire aux Palestiniens. Quel tollé cela provoquerait ici !

Cette demande est empreinte de cynisme. Après tout, Israël ne se soucie pas vraiment du sort des Druzes en Syrie, tout comme il ne se souciait pas vraiment des victimes de l’ancien régime syrien. Après l’adoption de la loi sur l’État-nation, il est évident que le gouvernement ne se soucie même pas des droits de la population druze d’Israël.


Des Druzes manifestent contre la loi sur l’État-nation en 2019.Photo Tomer Appelbaum

Se mobiliser pour la défense des Druzes de Syrie n’est rien de plus qu’une ruse cynique, un autre prétexte pour attaquer la Syrie dans sa faiblesse, peut-être aussi un clin d’œil aux électeurs druzes du Likoud. Au lieu de donner une chance au nouveau régime, Israël fait du bellicisme. C’est le seul langage qu’il a employé ces dernières années : frapper, bombarder, bombarder, tuer, démolir, autant que possible et en tous lieux.

Si Israël souhaite promouvoir la justice où que ce soit, qu’il commence chez lui, où d’horribles méfaits et crimes contre l’humanité sont de plus en plus souvent perpétrés.

Même l’appel d’Israël au monde pour qu’il envoie du matériel de lutte contre les incendies afin d’aider à surmonter les feux de forêt près de Jérusalem la semaine dernière, alors qu’il empêche la nourriture et l’aide humanitaire d’entrer à Gaza depuis plus de deux mois, est une demande impudente qui aurait dû être rejetée. Un pays qui affame deux millions de personnes n’a pas droit à l’aide de la communauté internationale, même lorsque des incendies menacent ses communautés.

Hittin, 5 février 1949 : un groupe de Druzes brandit un drapeau avec l’étoile à 5 branches représentant les 5 principes cosmiques (haad, plur. houdoud) de leurs croyances, généralement confondue par les ignorants avec l’étoile de David à six branches adoptée par les sionistes. En arabe, le nom de Sultan Pacha El Atrache (1891-1982), leader de la révolte antifrançaise syrienne de 1925-1927 et héros des mouvements de libération arabes

26/04/2025

GIDEON LEVY
À quoi et qui je pense quand retentissent les sirènes du souvenir de la Shoah

 Gideon Levy, Haaretz , 23/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

 

Israël ne commet pas un holocauste contre le peuple palestinien. Cependant, au cours des 19 derniers mois, il s’en est rapproché à une vitesse effrayante. Cela doit être dit, et avec encore plus d’insistance aujourd’hui.

 
Des personnes en deuil lors des funérailles de Palestiniens tués dans des frappes israéliennes, à l’hôpital Al-Ahli Arabi, dans la ville de Gaza, mercredi. Photo  Dawoud Abu Alkas/Reuters

Comme chaque année, je me tiendrai au garde-à-vous lorsque la sirène retentira, et mes pensées vagabonderont. Elles passeront du souvenir de ma grand-mère et de mon grand-père, Sophie et Hugo Löwy, dont j’ai vu les noms gravés sur le mur commémoratif du vieux cimetière juif de Prague, aux images de Gaza, qui ne me quittent pas.

Depuis mon enfance, pendant que retentissaient les sirènes, j’ai toujours imaginé un grand incendie consumant tout. Avant la guerre de Gaza, j’imaginais des Juifs brûler dans les flammes ; cette année, je verrai aussi les bébés brûlés vifs la semaine dernière dans leur tente à Khan Younès, et avec eux des milliers d’enfants,de femmes et d’hommes qu’Israël a tués sans pitié.

 Comment est-il possible de se tenir au garde-à-vous aujourd’hui sans penser à l’enquête effrayante de Yaniv Kubovich  sur l’exécution de 15 secouristes palestiniens par des soldats israéliens, qui les ont abattus de sang-froid, puis ont écrasé leurs ambulances et enterré les corps dans le sable ? Sans penser au résident de Sinjil, en Cisjordanie, dont la maison a été incendiée par des colons, après quoi des soldats sont venus lui lancer des gaz lacrymogènes jusqu’à ce qu’il ait une crise cardiaque et meure, comme l’a rapporté Hagar Shezaf mercredi ? Sans penser à la communauté pastorale d’Umm al-Khair, dans les collines du sud d’Hébron, et aux pogroms incessants que ces gens pacifiques subissent de la part de l’armée et des colons, qui ont uni leurs forces pour les expulser de leurs terres ?

Comment ne pas penser à l’article courageux et choquant d’Orit Kamir (Haaretz hébreu, 22 avril) sur les Israéliens qui se taisent sur cette guerre, ce qui, selon elle, leur enlève le droit de se plaindre des Allemands qui ont fait de même, et être d’accord avec chaque mot ? Ou à l’article tout aussi choquant de Daniel Blatman sur les enfants de Gaza et les enfants de l’Holocauste (Haaretz hébreu, 23 avril) ? Il écrit que le jour où les combats ont repris à Gaza restera gravé dans l’histoire juive comme un jour d’infamie. On ne peut qu’espérer que ce sera le cas.

« J’étudie l’Holocauste depuis 40 ans », écrit Blatman. « J’ai lu d’innombrables témoignages sur le génocide le plus horrible qui ait jamais existé, celui du peuple juif et d’autres victimes. Cependant, je n’aurais jamais pu imaginer, même dans mes pires cauchemars, que je lirais un jour des récits sur des massacres commis par l’État juif qui me rappellent de manière effrayante les témoignages des archives de Yad Vashem. »

Il ne s’agit pas d’une comparaison avec l’Holocauste, mais d’un terrible avertissement sur la direction que prennent les choses. Ne pas y penser aujourd’hui, c’est trahir la mémoire de l’Holocauste et de ses victimes. Ne pas penser à Gaza aujourd’hui, c’est renoncer à son humanité et profaner la mémoire de l’Holocauste. C’est un signe avant-coureur de ce qui nous attend.

 

Le frère de Zain Hijazi, un enfant de quatre ans tué lundi lors du bombardement israélien d’un campement de tentes pour Palestiniens déplacés par le conflit, au Jazira Club de Gaza. Photo AFP/Omar Al-Qattaa

En Israël, les gens ont tendance à affirmer que le 7 octobre est la pire catastrophe qui ait frappé le peuple juif depuis l’Holocauste. Il s’agit bien sûr d’une comparaison perverse qui dévalorise la mémoire de l’Holocauste. Il n’y a aucune similitude entre l’attaque meurtrière et ponctuelle du 7 octobre et l’Holocauste. Mais ce qui a suivi évoque bel et bien ce souvenir.

Il n’y a pas d’Auschwitz ou de Treblinka à Gaza, mais il y a des camps de concentration. Il y a aussi la famine, la soif, le transfert de personnes d’un endroit à l’autre comme du bétail et le blocus des médicaments.

Ce n’est pas encore l’Holocauste, mais l’un de ses éléments fondamentaux est en place depuis longtemps : la déshumanisation des victimes qui s’est installée chez les nazis souffle désormais avec force en Israël. Depuis la reprise de la guerre, quelque 1 600 Palestiniens ont été tués à Gaza. Il s’agit d’un bain de sang, pas d’un combat. Cela se passe non loin de chez nous, perpétré par les meilleurs de nos fils et filles. Cela se passe dans le silence et l’indifférence écœurante de la plupart des Israéliens.

Ariel Rubinstein, lauréat du prix Israël, a publié un article profond et inspirant (Haaretz hébreu, 22 avril), dans lequel il explique pourquoi il ne se mettra pas au garde-à-vous cette année lorsque retentira la sirène. Je me tiendrai debout et je penserai à ma grand-mère et à mon grand-père, mais surtout à Gaza.

“Mort des innocents” : peinture murale de l’artiste norvégien Töddel à Bergen, Norvège, juillet 2004. Les établissements d’enseignement supérieur de cette ville ont coupé leurs relations avec leurs homologues israéliens. L’œuvre a été évidemment attaquée comme “antisémite” par les organisations sionistes. « Représenter une victime de l’Holocauste avec un keffieh est une grave déformation de l’histoire », a déclaré le Congrès juif européen dans un communiqué. « De tels actes ne constituent pas une critique sincère, mais des représentations profondément antisémites et offensantes qui portent atteinte à la mémoire de l’Holocauste ».
Mais l’auteur de la fresque, l’artiste de rue norvégien anonyme Töddel, défend son œuvre, expliquant à l’Agence télégraphique juive qu’il a choisi Anne Frank précisément en raison de son respect pour l’histoire de l’Holocauste.
Töddel a déclaré ne pas être juif, mais avoir lu plusieurs fois le journal d’Anne Frank et visité les camps d’extermination d’Auschwitz-Birkenau avec ses enfants.
« Anne Frank est un symbole d’innocence », a déclaré l’artiste. « Comme les enfants et les femmes de Gaza, elle a souffert et est morte à cause de son origine ethnique et de sa religion, et parce qu’elle se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. » [NdT]


Cette autre œuvre murale, de l’artiste de rue aleXsandro Palombo* à Milan, Piazza Castello (novembre 2023) reflète bien la confusion mentale « intersectionnelle » régnant en Europe. « La fureur antisémite déclenchée par le Hamas submerge les Juifs partout dans le monde. Cette horreur qui resurgit du passé doit nous faire réfléchir tous, car elle menace la liberté, la sécurité et l'avenir de chacun d'entre nous. Le terrorisme est la négation même de l'humanité et n'a rien à voir avec la résistance. Il nous utilise pour nous diviser et nous entraîner dans l'abîme de son mal, dans un tourbillon infernal sans fin. Il ne pourra y avoir de paix tant que le terrorisme ne sera pas éradiqué. Le légitimer, c'est condamner à mort l'humanité tout entière » : dixit l’artiste, dont le travail de commande s’inscrivait dans une série intitulée « Innocence, haine et espérance ». L’Ann Frank de droite est devenue israélienne, celle de gauche palestinienne, brûlant un drapeau du Hamas. Les intervenants anonymes qui ont recouvert l’Ann Frank israélisée ont respecté celle de gauche, ne comprenant sans doute pas le message qu’elle véhiculait : que les résistants de Gaza sont les nouveaux nazis. [NdT]
*Né en 1973 dans Pouilles, milanais depuis 1992, l'artiste anonyme se présente comme un “travailleur humanitaire” ayant œuvré entre autres à la Croix Rouge, à l'aide aux réfugiés albanais et à la « lutte contre le trafic de drogue dans le détroit de Gibraltar » menée par...la marine militaire italienne.



03/04/2025

GIDEON LEVY
Il y a 30 ans, le massacre de Qana a ébranlé Israël ; aujourd’hui, ce ne serait qu’une goutte d’eau de plus dans l’océan

Gideon Levy, Haaretz, 3/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

NdT : la traduction en anglais par Haaretz de l’article original en hébreu confond Qana au Liban et Kfar Kana/Kafr Qana en territoire israélien. Nous avons rectifié cette erreur.

Quelle naïveté et quelle sensibilité ! Le 18 avril 1996 - il y a 29 ans - une batterie d’artillerie israélienne a fourni un tir de couverture pour sortir le commando Maglan, dirigé par le major Naftali Bennett, d’une embuscade dans le village de Qana, au sud du Liban. Quatre obus frappent un camp de réfugiés des Nations unies, tuant 106 civils, dont de nombreux enfants.

Qana, par Moustafa Haidar, 1996

Le porte-parole des Forces de défense israéliennes a tenté de mentir et de brouiller les pistes, comme d’habitude ; le Premier ministre Shimon Peres a déclaré que nous étions “très désolés” mais que nous “ne nous excusons pas”, et le monde s’est déchaîné. Quelques jours plus tard, Israël a été contraint de mettre fin à l’opération “Raisins de la colère”, une autre des opérations militaires insensées entreprises au Liban au cours de ces années-là. Un mois plus tard, Benjamin Netanyahou était élu pour la première fois au poste de premier ministre, en partie grâce à Qana. Comme nous étions naïfs à l’époque, et sensibles.

Chadia Bitar proteste contre la visite de Shimon Peres en 2003 à Dearborn, Michigan, pour recevoir le prix John P. Wallach Peacemaker Award. Les deux jeunes fils de Chadia Bitar (Hadi, 8 ans, et Abdul-Mohsen, 9 ans) faisaient partie des 106 civils tués par les bombes israéliennes à Qana, au Liban, en avril 1996. Photo Rebecca Cook Reuters/Newscom

Qana est devenu le modèle du cauchemar israélien dans chaque guerre : un incident au cours duquel des dizaines de civils sont tués, forçant Israël à mettre fin à la guerre : tout sauf cela. Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, Israël peut massacrer à sa guise, sans craindre un nouveau Qana. 

Au cours des deux dernières semaines Israël a commis un “Qana” presque tous les jours dans la bande de Gaza, et personne ne demande que ça  s’arrête. Le cauchemar de Qana s’est évaporé. Il n’est plus nécessaire de veiller à ne pas tuer des dizaines de civils innocents. Tout le monde s’en moque. Le porte-parole de Tsahal n’a plus besoin de mentir, le premier ministre n’a plus besoin de s’excuser. Le monde et la conscience d’Israël ont fondu.

Si l’horrible bain de sang de dimanche, dans la phase actuelle de la guerre de Gaza, n’arrête pas Israël, si le l’assassinat d’une équipe médicale à Rafah ne l’arrête pas, qu’est-ce qui pourrait l’arrêter ? Rien. Israël peut commettre autant de massacres qu’il le souhaite. Et apparemment, il en voudrait beaucoup.

Dans la première frappe de la nouvelle guerre à Gaza, Israël a tué 436 civils, dont 183 enfants et 94 femmes. Qana, quatre fois plus, et encore plus. 

Qana 2, par Moustafa Haidar, 1996

L’article choquant paru dans le Haaretz de vendredi de Nir Hasson et Hanin Majadli, a montré les visages et rapporté les histoires. Elles ont fait froid dans le dos. Cette semaine, les détails d’un autre massacre horrible, peut-être le plus barbare de tous jusqu’à présent, ont été publiés : le massacre d’équipes d’intervention d’urgence dans le quartier Tel al-Sultan de Rafah. Quinze corps, dont un avec les jambes ligotées et un autre transpercé de 20 balles, ont été retrouvés enterrés dans le sable, les uns sur les autres, avec leurs ambulances et leurs camions de pompiers.

Selon des témoins oculaires, au moins quelques-uns d’entre eux ont été exécutés. Tous étaient des secouristes qui tentaient d’atteindre des personnes blessées lors de frappes aériennes israéliennes. En temps normal, le rapport de Hasson, Jack Khoury et Liza Rozovsky(Haaretz, mardi), aurait suffi à faire cesser la guerre. Qana fait pâle figure en comparaison avec ce niveau de barbarie. Dans le premier cas, on pourrait croire qu’Israël a tué par inadvertance des dizaines d’innocents ; à Tel al-Sultan, il était clair qu’il y avait une intention malveillante et criminelle de le faire.

Ce qui s’est passé à Tel al-Sultan est un massacre de My Lai israélien. Mais alors que My Lai a marqué un changement radical dans l’opinion publique usaméricaine contre la guerre du Viêt Nam, Tel al-Sultan n’a pas intéressé la plupart des médias israéliens. L’USAmérique de l’époque, militariste et soumise à un lavage de cerveau, était en émoi ; l’Israël d’aujourd’hui a fermé les yeux sur Tel al-Sultan. 

Non seulement ces massacres n’ont pas provoqué de changement dans l’opinion publique ni entraîné l’arrêt de la guerre, mais ils semblent encourager d’autres massacres. Mardi, l’armée israélienne a bombardé une clinique de l’UNRWA dans le camp de Jabalya, tuant 19 personnes, dont des enfants. C’est le genre de massacre que l’on laisse se reproduire. Qui aurait pu imaginer que nous pourrions un jour nous remémorer avec tendresse l’époque de Qana, de l’opération “Raisins de la colère” ou du gouvernement Peres ? Et pourtant, nous en sommes là.


01/04/2025

GIDEON LEVY
Dans le paysage médiatique israélien, le racisme prospère dans les pages consacrées au style de vie
Quand Dana Spector se risque dans la jungle

Gideon Levy, Haaretz, 26/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala
Il n’y a pas besoin de la droite fasciste pour semer les graines du racisme, déshumaniser et diaboliser les Palestiniens. Tout est là, au centre, au cœur même d’Israël. Dana Spector visite un village palestinien et expose au grand jour une vérité fondamentale sur les médias israéliens.


Dana Spector écrit une chronique très lue dans un journal très lu. Sa chronique s’intitule « Bientôt, j’irai loin » [Bakrov agia rachok]. La semaine dernière, elle s’est rendue à l’endroit le plus éloigné où une chroniqueuse de Yedioth Ahronoth puisse aller : un village palestinien, à cinq minutes de Kfar Saba [“village du grand-père”, colonie juive installée au début du XXème siècle sur des terres achetées par le baron Rotschild, NdT]. 
Ses impressions constituent un document déconcertant et fascinant. Il faut le lire pour comprendre ce qui se passe lorsque le centre israélien, satisfait de lui-même et éclairé à ses propres yeux, se rend en safari dans un zoo appelé village palestinien.
Il ne s’agit pas du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir ni de l’activiste d’extrême droite Benzi Gopstein. Spector est la gouroue israélienne du style de vie et du bien-être, qui est allée voir les Palestiniens dans leur cage. Elle a été choquée par ce qu’elle a vu. Leur café ressemblait à un « kiosque infesté de rats ».
Elle est arrivée à Hébron dans un véhicule blindé des Forces de défense israéliennes, bien sûr, en tant qu’invitée d’un bataillon de l’armée israélienne appelé le bataillon Panther, également connu sous le nom de bataillon « autorité ». L’un des nombreux charmes de ce bataillon particulier est qu’il est mixte.


Portant un casque et un gilet pare-balles en céramique, comme il sied à une correspondante de guerre, elle n’avait même pas réussi à s’étendre sur un fauteuil dans une maison que l’armée avait expropriée après en avoir expulsé les occupants, avant d’être témoin d’une « haine ouverte et flagrante » dans les yeux de deux jeunes hommes dans la rue qui ont vu des soldats s’approcher de la maison volée. Elle avait peur. C’est vraiment effrayant de voir une maison expropriée. « Si j’avais été l’une des combattantes extraordinaires et courageuses du bataillon Panther, j’aurais peut-être eu moins peur », écrit-elle.
L’anthropologue blanche est venue découvrir des mondes cachés. « Je voulais découvrir dans quel genre de maisons les gens vivaient, comment ils menaient leur vie quotidienne, c’est-à-dire quand ils n’étaient pas occupés à pratiquer leur passe-temps favori, à planifier la mort des Juifs. » Férue de shopping, elle était également curieuse de savoir si le village possédait un magasin de vêtements. Soixante minutes après son arrivée, elle savait déjà que ce n’était pas un village innocent. « Et ça a suffi à me faire oublier ma culpabilité envers la pauvre famille dont la maison a été confisquée par l’armée ».


Vue de la ville israélienne de Matan, avec le village palestinien de Hableh à l’arrière-plan, à cheval sur la Ligne verte. Photo Avi Ohayon/GPO

Comme tous ceux de son espèce, Spector ne ressent « pas la moindre compassion » pour les Palestiniens après le 7 octobre. Le capitaine A. la soutient : « Pour moi, tous les habitants de ce village sont des terroristes. » Spector voit une armée morale.
La sergente-cheffe A., par exemple, est une jeune femme charismatique avec une queue de cheval couleur miel. Lorsqu’un villageois demande à aller chercher de l’eau, elle le laisse faire. « Je n’arrête pas de vouloir leur montrer que nous ne sommes pas comme eux », explique la charismatique soldate à la queue de cheval couleur miel. Spector veut savoir comment elle gère le fait que son image soit devenue virale dans tous les « nids de terroristes » de Qalqilyah.
Nous ne sommes pas comme eux non plus en matière de décoration intérieure. Spector est horrifiée par un lustre dont les ampoules ont la forme de lys dorés et par un chandelier orné de « diamants ». Un design horrible, conclut l’influenceuse de style. 
« Ce n’est pas si mal que ça», dit une autre combattante. « Tu n’as pas vu Toulakrem. Nous étions à l’intérieur de quelques maisons là-bas où tu ne pouvais pas comprendre comment ils vivent de cette façon. Dans la pire que nous avons vue, il n’y avait même pas de douche ni de toilettes. » Des animaux humains.
L’adoration de Spector pour les soldats n’est pas moins embarrassante. Ce sont des champions du maintien de l’ordre, ils sont si éthiques, on ne peut pas se tromper sur leur regard déterminé et d’acier. « Ils doivent pénétrer par effraction dans des maisons en pleine nuit, s’occuper de bébés qui pleurent et de grands-mères qui hurlent de peur, sans perdre le contact avec tout ce qu’ils ont d’humain », et les larmes coulent. Même les organes de propagande de l’armée israélienne auraient eu honte de publier un tel texte.
À la veille de la récente libération de prisonniers palestiniens, des soldats se sont rendus chez les familles des prisonniers et les ont averties qu’il « valait mieux qu’il ne se passe rien ici qui ne nous plaise pas », comme la joie exprimée pour la libération de leurs fils. Oh, comme ces hommes et ces femmes du bataillon Panther se sont amusés à Qalqilyah. Et surtout, des amourettes fleurissent dans le bataillon.
Nous allons bientôt aller loin. Vous n’avez pas besoin de la droite fasciste pour semer les graines du racisme. Vous n’avez pas besoin de Channel 14 pour déshumaniser et diaboliser les Palestiniens. Tout est là, au centre, au cœur même d’Israël. Dans les pages loisirs et divertissement d’un journal.

21/03/2025

GIDEON LEVY
Les médias israéliens ont encore le culot de dissimuler les horreurs de Gaza, mais les montrer n'arrêterait pas la guerre

Gideon Levy, Haaretz, 21/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

À la liste des crimes, il faut ajouter, plus que jamais, ceux des médias israéliens. Israël viole sciemment et méchamment un accord international signé et lance une attaque sauvage et effrénée contre la bande de Gaza. Dans sa première attaque, Israël a tué plus de 400 Palestiniens, dont 174 enfants. 


Des Palestiniens transportent un corps sorti des décombres d'une maison familiale détruite par des frappes israéliennes, lundi à l'aube, dans la ville de Gaza. Photo Omar al-Qattaa/AFP

Israël reconnaît que cette fois-ci, les cibles ne sont pas des terroristes mais des civils - un crime de guerre explicite. Il s'agit de tuer pour tuer, dans le but de relancer la guerre et de préserver la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahou, bien après que le quota de vengeance et de punition pour l'attaque du 7 octobre 2023 a été atteint.

Rien de tout cela ne sera couvert par les médias israéliens : des corps mutilés chargés sur des charrettes tirées par des ânes, des camionnettes et des voitures particulières, ou portés à mains nues ; des adolescents creusant dans les décombres avec des marteaux et à mains nues, sans aucun équipement lourd, essayant désespérément de sauver les survivants et de récupérer les restes des morts ; des blessés gisant en sang sur les sols crasseux de ce qui était autrefois des hôpitaux ; des enfants en haillons à la recherche de leurs parents ; des parents en haillons transportant les corps de leurs enfants.

Des dizaines de milliers de Palestiniens se lancent à nouveau dans le voyage de leur vie - des marées humaines traînant sur leur dos les restes de leur monde, fuyant vers nulle part. Des voitures qui crachotent et des charrettes qui s'effondrent gémissent sous le poids des personnes déplacées et de leurs quelques biens ; des dizaines de milliers de réfugiés qui s'échappent pour la deuxième, troisième fois, et qui n'ont plus rien à fuir. 


Des Palestiniens quittent Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, avec leurs biens, en direction de la ville de Gaza, suite aux ordres d'évacuation israéliens, mardi. Photo Bashar Taleb/AFP

Des amputés dans des fauteuils roulants de fortune se traînent dans le sable, tandis que des personnes âgées sont allongées sur des capots de voiture. Les familles qui ont perdu des êtres chers au cours des premiers combats perdent maintenant ce qui leur reste. La terreur des bombardements et la peur de la mort pèsent sur tous.

Rien de tout cela n'est apparu dans l'essentiel de la couverture médiatique israélienne de ces deux derniers jours. Seuls les otages et les dangers auxquels ils sont confrontés à Gaza ont été évoqués. L'inquiétude à leur égard est compréhensible et justifiée, mais plus de deux millions d'autres personnes vivent à Gaza. Qu'en est-il de ces personnes ? Leur vie est-elle sacrifiable simplement parce qu'ils ne sont pas israéliens ? Sont-ils tous des terroristes, même les enfants à naître des femmes enceintes qui fuient pour sauver leur vie ? Leur souffrance ne devrait-elle pas être rapportée ? Leur sort ne devrait-il pas être connu ?

Ce manquement au devoir, cette trahison criminelle des médias ne peuvent plus être pardonnés. Après le 7 octobre, alors que l'émotion était à son comble, on pouvait peut-être s'y attendre - même si, à l'époque, le vrai journalisme avait le devoir de rapporter toute la vérité. 


Des Palestiniens transportent des blessés à la suite d'une frappe israélienne, dans le nord de la bande de Gaza, mercredi. Photo Abd Elhkeem Khaled/Reuters

Mais qu'en est-il maintenant, alors que la plupart des médias sont mobilisés dans la lutte contre le gouvernement et en faveur des otages, et que même les commentateurs les plus établis et les plus conservateurs admettent que la reprise de la guerre sera désastreuse ? Les crimes de guerre sont-ils mentionnés dans les médias israéliens ? Gaza doit-elle encore être effacée de la vue ? Ce qui s'y passe doit-il être dissimulé, nié et supprimé ? Tout cela pour satisfaire et divertir, et éviter de bouleverser le public, Dieu nous en préserve ?

Si les médias israéliens avaient rempli leur rôle fondamental et montré la réalité de Gaza au cours des deux derniers jours, il est peu probable que le ciel soit tombé sur nos têtes ou que les opinions aient changé. L'enfant palestinien - l'orphelin, l'amputé - n'est pas encore né qui touchera le cœur du courant dominant israélien, qui trouve une justification et une légitimité à chaque injustice.


Des Israéliens observent Gaza depuis un point de vue situé près de la frontière entre Israël et Gaza, alors que les forces de défense israéliennes reprennent leurs frappes dans la bande de Gaza. Photo Amir Cohen/ Reuters

De nombreux Israéliens pensent que Gaza mérite tout cela, que personne n'y est vraiment innocent, que les Gazaouis sont responsables de leur propre sort. Mais le privilège de détourner le regard - et surtout de refuser de montrer - ne peut plus être toléré. Vous avez tué, vous avez détruit, vous avez expulsé, vous avez rasé, au moins montrez-le. D'où vient cette audace de dissimuler ? De ce refus effronté de regarder ?

Allez-y, célébrez devant chaque orphelin traumatisé de Gaza, réjouissez-vous devant chaque maison détruite, riez devant chaque père embrassant le corps de son fils mort, réjouissez-vous devant chaque amputé en fauteuil roulant, chantez vos chants de victoire. Mais au moins, montrez - et voyez - ce que nous avons fait. Montrez ce que nous continuons à leur faire.


09/03/2025

GIDEON LEVY
Le dernier rédempteur national de la gauche sioniste : Daniel Hagari, le porte-parole évincé de l’armée israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 9/3/2025
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

Notre couronne est tombée : le porte-parole de Tsahal, le contre-amiral Daniel Hagari, a été évincé. Les médias sociaux sont inondés de lamentations. L’auteure-compositrice-interprète Aya Korem a composé une chanson de nostalgie à son sujet. Même le nouveau chef d’état-major des forces de défense israéliennes, le lieutenant-général Eyal Zamir, qui fut brièvement le chouchou d’Israël, a perdu ses faveurs aux yeux de la moitié de la nation du jour au lendemain, simplement parce qu’il a éloigné Hagari de nous.


Le contre-amiral Daniel Hagari sur les lieux d’un tir de roquette à Majdal Shams en 2024. Photo Gil Eliahu

Tout le monde parlait de son intégrité - oh, l’intégrité de Hagari - de sa décence et de ses apparitions publiques. Comment il nous a protégés pendant la guerre et comment il était toujours là pour nous réconforter et nous encourager. Une semaine après que le chef du service de sécurité Shin Bet a été nommé au poste de sauveur de la démocratie, c’est au tour du porte-parole de l’armée d’être nommé au rôle de rédempteur national. C’est comme ça dans la gauche sioniste éclairée.

En effet, le porte-parole déchu a bien fait son devoir. Ce devoir était de mentir, de couvrir, de dissimuler, de tromper, de nier, de désavouer, de cacher aux yeux du monde et à nos propres yeux tous les crimes. Le prince de l’intégrité et de l’équité, Hagari, a excellé dans son travail. Il trompait et dissimulait, mentait sans sourciller et paraissait si décent, si humain. Une fois, il s’est même étranglé, tant il était sensible.

C’est pour cela que nous l’aimions. Grâce à Hagari, non seulement nous n’avons rien su, mais nous n’avons rien entendu et nous n’avons rien vu. Grâce à Hagari et à ses semblables, il y a encore des Israéliens qui sont convaincus que les FDI sont l’armée la plus morale du monde. Il n’est pas étonnant que son éviction ait déclenché une telle vague de gratitude.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

Le fait que Hagari soit détesté par le Premier ministre Benjamin Netanyahou a certainement joué un rôle dans le fait qu’il a gagné en puissance et est devenu le chouchou d’Israël. Il n’y a pas eu de chouchou national en temps de guerre comme Hagari depuis son prédécesseur d’il y a des décennies, Nachman Shai, qui, pendant la guerre du Golfe, a exhorté les Israéliens effrayés dans leurs chambres scellées à boire un verre d’eau. Pourquoi a-t-il été évincé ? Hagari, qui nous a fait nous sentir si bien alors que le monde entier nous condamnait et nous fuyait ?

08/03/2025

GIDEON LEVY
Des semaines plus tard, personne ne peut expliquer pourquoi les soldats israéliens ont tué un autre garçon palestinien non armé en Cisjordanie

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 7/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Alors qu’il se trouvait par hasard près d’un jardin d’enfants géré par Save the Children dans le village de Sebastia, en Cisjordanie, Ahmad Jazar, 15 ans, a été abattu par un soldat israélien. « Depuis le début de la guerre à Gaza », déclare le chef du conseil local, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens ».

Rashid et Wafa Jazar, avec un poster de leur fils Ahmad, chez eux cette semaine dans le village de Sebastia

Une photo déchirante d’Ahmad Jazar, prise la veille de son assassinat. La main de sa mère est posée sur son épaule, comme si elle s’apprêtait à le serrer dans ses bras ; tous deux sourient légèrement en regardant l’appareil photo. La photo a été prise par Mira, la sœur aînée d’Ahmad, étudiante en décoration d’intérieur âgée de 19 ans, à Naplouse, alors qu’Ahmad rendait visite à sa mère. Ahmad avait demandé à sa sœur de les prendre en photo. Personne n’imaginait que ce serait sa dernière.

Le lendemain, 19 janvier, Ahmad a été abattu par un soldat des forces de défense israéliennes à une distance de quelques dizaines de mètres, dans sa ville natale de Sebastia, dans le nord de la Cisjordanie. Il se tenait alors près de l’entrée d’un jardin d’enfants géré par l’organisation internationale Save the Children. Des images d’enfants joyeux, naïfs et colorés, ornent la clôture en pierre qui entoure le bâtiment. À côté, Ahmad, un jeune homme de 15 ans issu d’une famille pauvre, s’est effondré sur le sol, en sang, et est mort.

Trois jours plus tard, Mira a fait imprimer la photo, y a ajouté un cœur blanc et l’a placée sous le grand poster de son frère, dans le cadre d’un coin commémoratif improvisé dans le salon.

À Sebastia, près de Naplouse, les colons ont fondé une véritable terre de colonisation. C’est dans la vieille gare abandonnée de l’époque ottomane, près du village, que les membres de l’organisation Gush Emunim ont convergé durant l’été 1969 - accompagnés de trois futurs premiers ministres : Menachem Begin, Ariel Sharon et Ehud Olmert - et s’en sonr emparés.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

L’accord conclu la même année, parfois appelé « compromis de Sebastia » (qui n’était pas du tout un compromis), a laissé les colons sur place même après qu’ils étaient censés évacuer, ce qui a été le signe avant-coureur d’une entreprise de colonisation tentaculaire dans tout le Shomron, alias la Samarie. Cinquante-six ans plus tard, les FDI y tuent des enfants, dans la partie nord de la Cisjordanie.

Sebastia est le site de la ville biblique de Shomron, dont les ruines se trouvent à la périphérie du village palestinien ; l’accès à cette zone est interdit à ses habitants depuis juillet dernier. Pendant ce temps, à environ sept kilomètres de là, se profile la colonie de Shavei Shomron.

Lorsque nous nous sommes rendus dans la région cette semaine, toutes les voitures palestiniennes circulant sur la route étaient bloquées par un véhicule militaire blindé garé en diagonale, afin d’ouvrir la voie à deux véhicules de colons se dirigeant vers le nord, en direction de la colonie de Homesh. Il est évident qu’ici, ce sont les seigneurs de la terre qui sont en place.

Dans son bureau, le chef du conseil du village de Sebastia, Mahmoud Azzam, nous montre des vidéos de colons attaquant son village. Il ne se passe pas un jour sans que ces maraudeurs n’attaquent ou que l’armée ne fasse une incursion, dit-il. « Depuis le début de la guerre à Gaza », ajoute-t-il, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens. Depuis le 7 octobre, ils ont également commencé à mettre la main sur nos terres ».

Sebastia est un village coloré qui, dans un autre univers, serait un site touristique prospère - une combinaison d’anciennes structures en pierre et d’attractions historiques plus récentes. Les résidents locaux gèrent deux maisons d’hôtes bien tenues, mais les touristes et les pèlerins n’ont pas vraiment afflué depuis un an et demi.

07/03/2025

GIDEON LEVY
Un cauchemar palestinien dans un rêve israélien : chasse à l’homme au centre commercial

 Gideon Levy, Haaretz, 6/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Une grande catastrophe a été évitée cette semaine. Au nouveau Big Fashion Glilot, le plus grand centre commercial d’Israël et le couronnement des récentes réalisations nationales, 10 Palestiniens qui se trouvaient en Israël sans permis d’entrée ont été découverts.

Imaginez, 10 Palestiniens sans papiers dans un complexe de “loisirs et de shopping”. Des idoles dans le temple sacré israélien.


Un panneau au centre commercial Big Fashion dans le centre d’Israël, qui a été visité par 150 000 personnes lors de son ouverture vendredi. Photo Tomer Appelbaum

Les 150 000 Israéliens avides de shopping qui ont pris d’assaut le centre commercial au cours du week-end ont été exposés à un danger dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Nommez imméiatement une commission d’enquête. Les survivants de la catastrophe qui n’a pas eu lieu ont été interviewés partout et ont déclaré qu’ils n’auraient jamais imaginé qu’il y aurait des Palestiniens non autorisés dans leur nouveau centre commercial.

Après tout, ils veulent se sentir en sécurité lorsqu’ils vont manger un hamburger ou acheter une paire de baskets. Un homme de ménage sans papiers a été découvert dans un magasin Zara, et il semblerait qu’il y en ait eu un autre dans le magasin Delta.


Le centre commercial lundi. Les “clandestins” ont été emmenés, menottés, à la vue de tous. Photo Tomer Appelbaum

Les “clandestins” ont été emmenés, menottés, au vu et au su de tout le monde. Les policiers des frontières, héros israéliens, les ont capturés avec le courage et la détermination qui les caractérisent. Les responsables des relations publiques des chaînes de magasins s’efforcent de limiter les dégâts et de rassurer le public : Il n’y aura plus de “clandestins” à Big Fashion.


Le centre commercial lundi. Les journalistes israéliens audacieux s’empressent de les signaler aux autorités ; ils ont alors le sentiment d’avoir rempli une mission journalistique. Photo Tomer Appelbaum

Tout le monde est invité à revenir dans un centre commercial nettoyé.

03/03/2025

GIDEON LEVY
Israël “gazafie” la Cisjordanie et fait de ces Palestiniens, une fois de plus, des réfugiés

 

Après l’expulsion par Israël de 40 000 habitants des camps de réfugiés de Cisjordanie, un nouveau flot de personnes déplacées a commencé. Dans la ville d’Anabta, les abris de fortune sont remplis de familles qui ont tout perdu et qui craignent l’avenir.

Gideon Levy & Alex Levac, Haaretz, 1/3/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Le camp de réfugiés de Jénine cette semaine. L’expulsion des résidents pourrait être un processus irréversible, surtout à la lumière de la destruction totale des camps. Photo Jaafar Ashtiyeh/AFP

 Trois hommes pas très jeunes s’entassent dans une seule pièce. Il n’y a pas de toilettes. Les rideaux sont tirés et la pièce est bondée, avec trois lits en fer qui tiennent à peine à l’intérieur. Au centre se trouve un bol de dattes, que l’on mange généralement pendant les périodes de deuil. Cette semaine, ils pleuraient la mort du frère de l’un des occupants de la pièce, un homme qui avait succombé à des blessures subies dans la bande de Gaza.

Tous trois ont des femmes et des enfants à Gaza qu’ils n’ont pas vu depuis le 7 octobre et qu’ils ne reverront peut-être jamais. Arrachés à leur famille, ils vivent désormais dans cette petite pièce, au deuxième étage d’un centre communautaire qui accueille les jeunes de la région. Ce sont des ouvriers de Gaza qui travaillaient légalement en Israël jusqu’au 7 octobre. Après cette date, Israël les a expulsés vers la Cisjordanie. C’est ici, dans la ville d’Anabta, qu’ils ont trouvé un refuge temporaire, survivant grâce à l’aide sociale.

Non loin du centre communautaire se trouve le diwan de la famille A’mar - une structure conçue à l’origine pour les fonctions familiales telles que les mariages et les jours de deuil, mais qui sert aujourd’hui de refuge improvisé. Des rideaux séparent l’espace des femmes de celui des hommes, et les toilettes se trouvent dans le couloir. Ici, 26 membres d’une famille qui a été expulsée de force de leur maison dans le camp de réfugiés de Nur Shams, ont trouvé un abri. Ils ne savent pas si leur maison a été démolie. Le père de famille, qui gagnait sa vie comme chauffeur, a perdu sa voiture lorsqu’elle a été écrasée par un véhicule militaire blindé. Aujourd’hui, il arpente le diwan, en colère, indigné, frustré. Il refuse d’endurer l’humiliation de vivre de dons - de nourriture, de vêtements, de chauffage et parfois d’argent.

Bas du formulaire

Les vents de la guerre soufflent sur le nord de la Cisjordanie. Le chef du conseil local d’Anabta déclare que des plans d’urgence sont en place pour absorber des milliers de réfugiés. Jénine a déjà été envahie par les chars et trois camps de réfugiés - Jénine, Toulkarem et Nur Shams - ont été presque entièrement dépeuplés par les forces de l’armée.


Des réfugiés gazaouis vivant actuellement dans un centre de jeunesse à Anabta, de gauche à droite, Ahmed Abu al-Hosna, Zuheir al-Hindi et Imad Moutawek, qui étaient employés dans la cuisine d’une école juive ultra-orthodoxe à Haïfa, dont ils n’ont jamais connu le nom. Photo Alex Levac

Le ministre de la défense, Israël Katz, s’est vanté cette semaine que 40 000 résidents déplacés de Cisjordanie ne pourront pas rentrer chez eux avant au moins un an. Pendant ce temps, les Forces de défense israéliennes ont démoli les infrastructures des camps, des dizaines de maisons ayant déjà été réduites à l’état de ruines. Les personnes déplacées n’auront manifestement nulle part où retourner - et l’opération ne fait que commencer. On peut supposer que la campagne s’étendra à tous les camps de réfugiés de Cisjordanie. La “gazafication” de la Cisjordanie bat son plein. Les trois camps du nord ressemblent déjà à Jabalya et personne n’est autorisé à y pénétrer.

La route de Toulkarem, qui traverse deux camps de réfugiés, a été éventrée, la rendant impraticable. Le quartier Al-Manshiyya, dans le camp de Nur Shams, a été entièrement vidé de ses 4 000 habitants. Il s’agit de descendants de réfugiés de la guerre de 1948, originaires de Manshiyya, au nord de Jaffa, contraints une nouvelle fois à l’exil, pour la deuxième, la troisième, voire la quatrième fois.

Certains d’entre eux ont été contraints de faire plusieurs arrêts avant d’arriver à Anabta. Selon Abd al-Karim Saadi, chercheur de terrain de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, il ne reste que 11 personnes dans le camp de Toulkarem, toutes âgées et assiégées. Saadi sait qui sont ces personnes, mais il n’a pas pu se rendre dans le camp depuis le début de l’incursion militaire.

Le 21 janvier, l’armée a envahi le camp de Jénine, expulsé tous ses habitants et commencé à détruire les maisons et les infrastructures. Le 27 janvier, les troupes sont entrées dans le camp de Toulkarem. Le 7 février, elles ont envahi Nur Shams. Depuis lors, l’armée maintient sa présence dans les trois camps, tandis que leurs habitants restent déplacés et démunis.


Des Palestiniens quittent leurs maisons dans le camp de réfugiés de Nur Shams en février. Les trois camps du nord de la Cisjordanie ressemblent déjà à Jabalya, et personne n’est autorisé à y entrer. Photo Zain Jaafar/AFP

Les affirmations des FDI selon lesquelles les habitants “sont partis d’eux-mêmes” ont été réfutées par toutes les personnes déplacées à qui nous avons parlé, ainsi que par les organisations d’aide qui travaillent avec elles. Les récits de soldats faisant irruption dans les maisons et forçant les occupants à fuir, sans rien emporter, et les appels par haut-parleurs dans les rues, exigeant que tout le monde évacue, ne cessent d’apparaître.

Avec seulement les vêtements qu’elles portaient sur le dos, des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de chercher refuge dans d’autres communautés. Ce sont les nouveaux réfugiés, les “Gazaouis” de Cisjordanie, victimes d’un processus qui pourrait être irréversible, surtout si l’on considère la destruction totale des camps.

Anabta, relativement calme et aisé, compte 8 500 habitants. Il y a quelques décennies, j’y ai rendu visite au journaliste et caricaturiste politique israélo-usaméricain Ranan Lurie. Lurie avait été gouverneur militaire d’Anabta en 1967 et m’a raconté qu’à l’époque, c’était lui qui avait remis au chef du conseil local une lettre officielle de reddition à signer, puisque sa ville était désormais sous juridiction israélienne. Lurie se souvient que l’homme tremblait de peur. Plus tard, Lurie lui-même a vu des bus avec des plaques d’immatriculation israéliennes garés sur la route et a compris qu’il y avait un plan pour expulser les habitants de la ville au-delà du Jourdain. Il est allé jusqu’au Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol, pour mettre un terme à ce plan - et a réussi à empêcher l’évacuation.

La crainte d’un transfert forcé de population n’a pas quitté Anabta depuis 1948, et cette semaine, les gens en parlaient à nouveau. Depuis cette visite à Lurie, je suis passé par là des dizaines de fois pour me rendre à Toulkarem. La route est maintenant bloquée, l’armée est partout. Dimanche dernier, les soldats ont posé des barbelés à toutes les entrées de Nur Shams, qui étaient jusqu’à présent bloquées par des tas de terre.


Un Palestinien marche sur une route détruite dans le camp de réfugiés de Jénine cette semaine. Photo John Wessels/ AFP

Soufian Barakat, 54 ans, dirige le centre d’Anabta - sous les auspices d’une organisation appelée Wasel Center For Youth Development - qui accueille normalement une troupe de théâtre de jeunes, mais qui est devenu un refuge pour les réfugiés de Gaza. Barakat, qui a lui-même été emprisonné en Israël pendant 13 ans, a été le fer de lance du bénévolat et de la collecte de dons pour les réfugiés. Après le 7 octobre, 17 hommes, pour la plupart des ouvriers, se sont installés dans le centre ; neuf d’entre eux y sont encore. Nous sommes montés au deuxième étage, où les déplacés de Gaza ont trouvé refuge. Le spectacle est déchirant.

Ahmed Abu al-Hosna, 55 ans, père de neuf enfants, originaire de Jabalya, nous salue ; c’est son frère de 69 ans qui est mort cette semaine, après avoir été blessé par balle par des soldats à Gaza. Il nous montre une photo de son frère, qu’il n’a pas vu depuis 18 mois, sur son téléphone portable. Un lit plus loin, Zuheir al-Hindi, 60 ans, également père de neuf enfants, est originaire de Deir al-Balah. Il vit ici alors qu’une trentaine de personnes déplacées s’entassent dans sa maison, dans la partie centrale de Gaza. Le plus jeune occupant de la chambre, également originaire de Jabalya, est Imad Moutawek, 39 ans, père de cinq enfants. Ces trois bons gars travaillaient dans la cuisine d’une école juive ultra-orthodoxe de Haïfa, peut-être une yeshiva, dont ils n’ont jamais su le nom. L’entrepreneur bédouin qui les employait leur doit encore leur dernier salaire, mais il a disparu ; pour leur part, ils ont été expulsés vers un poste de contrôle en Cisjordanie et, de là, se sont rendus à Anabta.

Ils vont de temps en temps chercher du travail dans la région, principalement des travaux agricoles, mais ils dépendent surtout des dons.

Mohammed Khader, 38 ans, originaire de Beit Lahia, dans le nord de Gaza, vit dans l’autre pièce de cet étage. Sa femme, Yasmeen, 25 ans, et leurs quatre enfants, dont le plus jeune a 5 ans, ont survécu à la guerre ; son beau-père a été tué. La femme et les enfants de Khader ont fui vers Khan Younès, puis sont retournés à Beit Lahia après l’entrée en vigueur du récent cessez-le-feu, pour découvrir que leur maison n’existait plus. Ils vivent dans une tente sur ses ruines. Mohammed Abu Lakhia, 52 ans, père de cinq enfants et originaire de Khan Younès, habite avec Khader et a également perdu sa maison. Sa femme et ses enfants vivent désormais sous une tente à Bani Suheila, dans le sud de la bande de Gaza.



Mohammed Abu Lakhia, Anas Abu Rabi et Mohammed Khader au centre communautaire d’Anabta. Des plans d’urgence ont été mis en place pour permettre à la ville d’absorber des milliers de réfugiés. Photo Alex Levac

Le troisième occupant de cette chambre, Anas Abu Rabi, 20 ans, a quitté Gaza quelques mois avant que la guerre n’éclate pour se faire soigner d’une maladie du sang à l’hôpital Makassed de Jérusalem-Est ; il est resté bloqué ici depuis. Sa famille - ses parents, sept sœurs et un frère, originaires de Jabalya - a perdu sa maison et vit désormais sous une tente.

Assis dans son bureau, le chef du conseil d’Anabta, Thabet A’mar, explique qu’avec le Ramadan qui commence la semaine prochaine, le flux de dons aux réfugiés s’est intensifié, en particulier de la part des Arabes israéliens. Mais il est préoccupé par l’avenir. Il craint que la répression militaire ne s’intensifie, et avec elle le flot de réfugiés arrivant en ville. Des plans d’urgence ont déjà été mis en place pour loger les nouveaux arrivants dans plusieurs bâtiments publics. « Nous devons partager notre vie avec ces gens », déclare-t-il, ajoutant qu’il attend une décision du ministère palestinien de l’Éducation pour savoir s’il peut transformer les écoles en refuges, comme à Gaza. En attendant, les efforts se poursuivent pour intégrer les jeunes réfugiés dans les écoles locales.

Au rez-de-chaussée d’un nouvel immeuble, dans un appartement pratiquement vide au sol en marbre, vivent Rukiah Uffi et sa famille, qui se sont récemment échappés du camp de Toulkarem pour se rendre à Anabta. Elle a 65 ans et a travaillé comme professeur de sciences et de mathématiques en Arabie Saoudite avant de retourner en Cisjordanie en 2000.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

Le 27 janvier, l’armée a envahi le camp, dit-elle, et les soldats ont ordonné aux résidents d’évacuer. Ils se sont d’abord installés dans la ville de Toulkarem puis à Anabta. Voyant les soldats se préparer à un long séjour près de leur camp, ils ont décidé de louer ce nouvel appartement, pour attendre la fin de la crise.



Le camp de réfugiés de Toulkarem la semaine dernière. Photo Jaafar Ashtiyeh/AFP

Uffi vit ici avec sa propre fille et sa petite-fille, en plus de sa sœur et de sa famille - trois générations, huit personnes. Elles dorment sur des matelas posés à même le sol. Des bénévoles leur ont apporté de la nourriture et les ont aidées à subvenir à leurs autres besoins. La fille d’Uffi, Aya, une étudiante de 31 ans, raconte qu’elle a fait une fausse couche après avoir été chassée de chez elle.

Non loin de là, dans le diwan de la famille élargie d’A’mar, Jamal Khalil et sa famille ont trouvé refuge.

« Pourquoi suis-je ici ? » demande-t-il, irrité. « Pourquoi devrais-je vivre de l’assistanat ? Pourquoi ne puis-je pas être chez moi ? Les habitants d’Anabta sont des gens bien, mais je ne peux pas vivre avec l’argent des autres. J’ai travaillé toute ma vie et je n’ai jamais dépendu de personne. J’ai compris, j’ai compris. Vous [les Israéliens] avez déjà tué tous les militants armés du camp, alors pourquoi avez-vous envoyé les chars ? Et pourquoi détruisez-vous tout ? Vous vous battez contre les murs ? Les briques ? Qu’est-ce que je vous ai fait ? Pourquoi mes enfants et moi devrions-nous souffrir ? Pourquoi m’avez-vous chassé de ma maison ? Votre cible, ça n’est pas les militants. Votre but, c’est de ruiner nos vies, les vies des innocents".

Khalil a déménagé à Anabta avec sa famille immédiatement après l’invasion de Nur Shams par l’armée. Il raconte qu’une quarantaine de soldats ont fait irruption dans sa maison ; ils étaient agressifs et violents, criant et bousculant les gens pour les faire partir. Les soldats ont expulsé 26 membres de sa famille, qui n’ont pas été autorisés à emporter quoi que ce soit. Sa belle-fille n’a même pas pu prendre une boîte de lait en poudre pour son petit-fils de 9 mois. Deux jours après leur expulsion, un voisin a réussi à se faufiler dans le camp et à fermer la porte de sa maison, qui avait été forcée par les soldats. Il ne sait pas ce qui s’est passé, mais sa Mazda 5, son gagne-pain, a été écrasée par un véhicule blindé, comme beaucoup d’autres voitures.

Mohammed Sarhan, 53 ans, son gendre, se joint à notre conversation. Il dit qu’il craint qu’après avoir été expulsée du camp, sa famille ne soit maintenant expulsée vers la Jordanie. Qui va enlever la poussière des yeux de Ranan Lurie pour qu’il puisse voir ce qui se passe maintenant ?