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09/03/2025

GIDEON LEVY
Le dernier rédempteur national de la gauche sioniste : Daniel Hagari, le porte-parole évincé de l’armée israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 9/3/2025
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

Notre couronne est tombée : le porte-parole de Tsahal, le contre-amiral Daniel Hagari, a été évincé. Les médias sociaux sont inondés de lamentations. L’auteure-compositrice-interprète Aya Korem a composé une chanson de nostalgie à son sujet. Même le nouveau chef d’état-major des forces de défense israéliennes, le lieutenant-général Eyal Zamir, qui fut brièvement le chouchou d’Israël, a perdu ses faveurs aux yeux de la moitié de la nation du jour au lendemain, simplement parce qu’il a éloigné Hagari de nous.


Le contre-amiral Daniel Hagari sur les lieux d’un tir de roquette à Majdal Shams en 2024. Photo Gil Eliahu

Tout le monde parlait de son intégrité - oh, l’intégrité de Hagari - de sa décence et de ses apparitions publiques. Comment il nous a protégés pendant la guerre et comment il était toujours là pour nous réconforter et nous encourager. Une semaine après que le chef du service de sécurité Shin Bet a été nommé au poste de sauveur de la démocratie, c’est au tour du porte-parole de l’armée d’être nommé au rôle de rédempteur national. C’est comme ça dans la gauche sioniste éclairée.

En effet, le porte-parole déchu a bien fait son devoir. Ce devoir était de mentir, de couvrir, de dissimuler, de tromper, de nier, de désavouer, de cacher aux yeux du monde et à nos propres yeux tous les crimes. Le prince de l’intégrité et de l’équité, Hagari, a excellé dans son travail. Il trompait et dissimulait, mentait sans sourciller et paraissait si décent, si humain. Une fois, il s’est même étranglé, tant il était sensible.

C’est pour cela que nous l’aimions. Grâce à Hagari, non seulement nous n’avons rien su, mais nous n’avons rien entendu et nous n’avons rien vu. Grâce à Hagari et à ses semblables, il y a encore des Israéliens qui sont convaincus que les FDI sont l’armée la plus morale du monde. Il n’est pas étonnant que son éviction ait déclenché une telle vague de gratitude.

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Le fait que Hagari soit détesté par le Premier ministre Benjamin Netanyahou a certainement joué un rôle dans le fait qu’il a gagné en puissance et est devenu le chouchou d’Israël. Il n’y a pas eu de chouchou national en temps de guerre comme Hagari depuis son prédécesseur d’il y a des décennies, Nachman Shai, qui, pendant la guerre du Golfe, a exhorté les Israéliens effrayés dans leurs chambres scellées à boire un verre d’eau. Pourquoi a-t-il été évincé ? Hagari, qui nous a fait nous sentir si bien alors que le monde entier nous condamnait et nous fuyait ?

On peut être impressionné par la personnalité de Hagari, son charme et ses apparitions publiques, mais entre lui et la décence et l’intégrité se trouve un sombre abîme. Hagari n’a jamais dit la vérité sur ce que les FDI faisaient à Gaza, tout comme il n’a jamais dit la vérité sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh, journaliste d’Al Jazeera dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, en 2022. C’était son travail, et c’est le travail de tous les porte-parole des FDI : couvrir les crimes de l’armée.

Pendant des décennies, j’ai demandé à l’unité du porte-parole des FDI des réponses aux péchés quotidiens de l’occupation, et je n’en ai jamais reçu une seule qui soit véridique. Les réponses génériques vont de « une enquête a été ouverte » - ce qui est douteux, et de toute façon, elle ne se terminera jamais - au diabolique « l’incident est connu de nous », jusqu’au « danger mortel » (représenté par un garçon tenant une pierre ou une fille à la fenêtre de sa maison).

Le porte-parole des FDI n’a jamais été connu pour sa contrition, pour admettre le blâme, accepter la responsabilité ou exprimer un iota de regret ou d’excuse. Hagari était le porte-parole des FDI dans les années les plus sombres que l’armée ait connues - et il est aujourd’hui un symbole de notre intégrité. Hagari a été le porte-parole d’un génocide, et il est aujourd’hui le symbole de l’humanité d’Israël. Qui l’aurait cru ?

Les lamentations sur l’éviction de Hagari en disent beaucoup plus sur les lamentateurs que sur lui. Après tout, on ne pouvait s’attendre à rien d’autre de sa part, dans un travail défini par la tromperie et la propagande. Les admirateurs de Hagari lui disent en substance : « Mentez-nous encore, autant que vous le pouvez. Continuez à nous faire croire que l’armée est morale, continuez à nous dire à quel point nous sommes beaux et à quel point l’IDF est adorable, de préférence de la bouche d’un officier qui s’exprime bien et qui est séduisant ». C’est exactement ce qu’était Hagari.

Comme il était réconfortant d’entendre de sa bouche qu’il n’y avait aucun problème à détruire une tour d’habitation à Gaza parce que l’adjoint du financier du Hamas y vivait, et comme il était bon d’entendre de sa bouche que nos soldats ne tuaient jamais de femmes ou d’enfants, et que le monde ne faisait que nous calomnier.

L’envie de bien paraître et de se sentir bien dans sa peau et dans celle de son armée est si désespérée que seul un bel Israélien comme Hagari peut la satisfaire. Après tout, il n’est pas Itamar Ben-Gvir ou Ofer Winter : Il est le bel Israël, moral, éthique - et blanc - qui n’est plus, le pays qui nous a gentiment caché tous ses crimes depuis le début. Et maintenant, il a été évincé, pouvez-vous imaginer ça ?

 

Ossama Hajjaj


08/03/2025

GIDEON LEVY
Des semaines plus tard, personne ne peut expliquer pourquoi les soldats israéliens ont tué un autre garçon palestinien non armé en Cisjordanie

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 7/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Alors qu’il se trouvait par hasard près d’un jardin d’enfants géré par Save the Children dans le village de Sebastia, en Cisjordanie, Ahmad Jazar, 15 ans, a été abattu par un soldat israélien. « Depuis le début de la guerre à Gaza », déclare le chef du conseil local, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens ».

Rashid et Wafa Jazar, avec un poster de leur fils Ahmad, chez eux cette semaine dans le village de Sebastia

Une photo déchirante d’Ahmad Jazar, prise la veille de son assassinat. La main de sa mère est posée sur son épaule, comme si elle s’apprêtait à le serrer dans ses bras ; tous deux sourient légèrement en regardant l’appareil photo. La photo a été prise par Mira, la sœur aînée d’Ahmad, étudiante en décoration d’intérieur âgée de 19 ans, à Naplouse, alors qu’Ahmad rendait visite à sa mère. Ahmad avait demandé à sa sœur de les prendre en photo. Personne n’imaginait que ce serait sa dernière.

Le lendemain, 19 janvier, Ahmad a été abattu par un soldat des forces de défense israéliennes à une distance de quelques dizaines de mètres, dans sa ville natale de Sebastia, dans le nord de la Cisjordanie. Il se tenait alors près de l’entrée d’un jardin d’enfants géré par l’organisation internationale Save the Children. Des images d’enfants joyeux, naïfs et colorés, ornent la clôture en pierre qui entoure le bâtiment. À côté, Ahmad, un jeune homme de 15 ans issu d’une famille pauvre, s’est effondré sur le sol, en sang, et est mort.

Trois jours plus tard, Mira a fait imprimer la photo, y a ajouté un cœur blanc et l’a placée sous le grand poster de son frère, dans le cadre d’un coin commémoratif improvisé dans le salon.

À Sebastia, près de Naplouse, les colons ont fondé une véritable terre de colonisation. C’est dans la vieille gare abandonnée de l’époque ottomane, près du village, que les membres de l’organisation Gush Emunim ont convergé durant l’été 1969 - accompagnés de trois futurs premiers ministres : Menachem Begin, Ariel Sharon et Ehud Olmert - et s’en sonr emparés.

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L’accord conclu la même année, parfois appelé « compromis de Sebastia » (qui n’était pas du tout un compromis), a laissé les colons sur place même après qu’ils étaient censés évacuer, ce qui a été le signe avant-coureur d’une entreprise de colonisation tentaculaire dans tout le Shomron, alias la Samarie. Cinquante-six ans plus tard, les FDI y tuent des enfants, dans la partie nord de la Cisjordanie.

Sebastia est le site de la ville biblique de Shomron, dont les ruines se trouvent à la périphérie du village palestinien ; l’accès à cette zone est interdit à ses habitants depuis juillet dernier. Pendant ce temps, à environ sept kilomètres de là, se profile la colonie de Shavei Shomron.

Lorsque nous nous sommes rendus dans la région cette semaine, toutes les voitures palestiniennes circulant sur la route étaient bloquées par un véhicule militaire blindé garé en diagonale, afin d’ouvrir la voie à deux véhicules de colons se dirigeant vers le nord, en direction de la colonie de Homesh. Il est évident qu’ici, ce sont les seigneurs de la terre qui sont en place.

Dans son bureau, le chef du conseil du village de Sebastia, Mahmoud Azzam, nous montre des vidéos de colons attaquant son village. Il ne se passe pas un jour sans que ces maraudeurs n’attaquent ou que l’armée ne fasse une incursion, dit-il. « Depuis le début de la guerre à Gaza », ajoute-t-il, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens. Depuis le 7 octobre, ils ont également commencé à mettre la main sur nos terres ».

Sebastia est un village coloré qui, dans un autre univers, serait un site touristique prospère - une combinaison d’anciennes structures en pierre et d’attractions historiques plus récentes. Les résidents locaux gèrent deux maisons d’hôtes bien tenues, mais les touristes et les pèlerins n’ont pas vraiment afflué depuis un an et demi.

Le 19 janvier, l’armée a de nouveau fait une incursion à Sebastia. La veille au soir, quelques jeunes s’étaient réunis dans le café du coin, les autres habitants étaient cloîtrés chez eux. Ici, il ne se passe pas grand-chose à la nuit tombée.


Le jardin d’enfants de Save the Children. Ahmad se trouvait à proximité lorsque les soldats ont ouvert le feu

Un appartement dans une vieille maison en pierre de deux étages au plafond voûté et aux murs nouvellement crépis, au centre du village. Nous y étions cette semaine avec Salma a-Deb’i, chercheuse de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. La famille Jazar, endeuillée et appauvrie, avait emménagé quelques jours auparavant, grâce à l’aide financière d’un parent et d’autres résidents.

Rashid, le père, âgé de 57 ans, est un peintre en bâtiment qui a travaillé pendant des années en Israël mais qui, comme tous les autres Palestiniens de Cisjordanie, n’a pas pu entrer dans le pays depuis le 7 octobre. Le 5 octobre 2023, il travaillait encore à Petah Tikva, effectuant des travaux de rénovation pour un entrepreneur juif. Il n’est pas revenu depuis et a été privé de son gagne-pain. Lui et sa femme, Wafa, 40 ans, ont huit enfants.

La situation économique désastreuse de la famille les a contraints à vivre séparément au cours des 17 derniers mois. Wafa et sept des enfants ont déménagé à Naplouse, où elle a trouvé un emploi de couturière, tandis que Rashid et Ahmad vivaient dans un minuscule appartement d’une pièce à Sebastia. Ahmad est allé à l’école jusqu’à la septième année, puis il a abandonné l’école pour aider à subvenir aux besoins de la famille. Il a essayé de vivre à Naplouse avec sa mère, mais ne s’y est pas plu. Il est donc rentré chez lui, où son père et lui ont fait des petits boulots.

Ce dimanche-là, ils n’avaient pas de travail et Ahmad s’est levé à midi. Rashid se souvient que son fils est allé rendre visite à des amis et qu’il a ensuite mangé du houmous et des falafels. Le garçon a passé l’après-midi, son dernier, à la maison, à jouer sur son téléphone. Vers 18 h 30, il a dit à son père qu’il allait au café, à quelques pas de chez eux. Ensuite, il est allé acheter du pain pita dans la seule épicerie qui acceptait encore de vendre à crédit à la famille.

En chemin, il apprend que l’armée est entrée dans le village. « C’est un enfant, ce n’est pas comme toi et moi », explique son père dans son hébreu d’ouvrier. « Il entend que l’armée est dans les parages et il rentre à la maison dare-dare ». Rashid lui-même s’était rendu dans un autre café du village, en face du bâtiment du conseil municipal, pour passer le temps. Vers 8 heures, des jeunes sont arrivés et ont annoncé que quelqu’un avait été blessé par les soldats. Ils ne lui ont pas dit qu’il s’agissait de son fils.

Ahmad se trouvait apparemment dans la rue, non loin du jardin d’enfants, à quelques dizaines de mètres de quatre soldats et de leur jeep. L’un d’entre eux a tiré quelques coups de feu sur lui - on ne sait toujours pas pourquoi - et une balle l’a atteint à la poitrine. Les autres ont touché les murs et la clôture. Nous avons vu les trous cette semaine ; heureusement, il n’y avait personne dans le jardin d’enfants à cette heure-là.

L’unité du porte-parole des FDI s’est contentée de la réponse suivante cette semaine : « À la suite de l’incident, une enquête a été lancée par la division des enquêtes criminelles de la police militaire. Naturellement, nous ne pouvons pas nous étendre sur une enquête en cours ».

Il est donc impossible pour l’instant d’entrer dans les détails, et si l’“enquête en cours” se termine un jour, personne ne s’intéressera à la raison pour laquelle les soldats ont tué un autre jeune non armé qui, par hasard, se tenait quelque part près d’eux.

Ahmad s’est effondré et a été immédiatement emporté par quelques jeunes qui se trouvaient à proximité, derrière un mur de béton. À ce moment-là, Rashid est également arrivé. Un véhicule privé a transporté d’urgence l’adolescent, couché sur les genoux de son père, à l’hôpital An-Najah de Naplouse. Ahmad était mort à son arrivée, mais les médecins ont néanmoins tenté de le ranimer et ont dit à son père qu’avec l’aide de Dieu, le garçon survivrait.

Mais, raconte Rashid, « je me suis dit tout de suite : c’est fini. Son histoire est terminée ». Quelques minutes plus tard, un médecin est sorti et a déclaré : « Dieu a pris Ahmad ». La mère d’Ahmad, qui se trouvait dans sa maison de Naplouse, est arrivée quelques minutes plus tard, accompagnée de quatre de ses enfants. Elle raconte qu’elle s’est évanouie en apprenant la nouvelle.

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Wafa, une femme peu loquace, était en noir cette semaine, le visage marqué par l’agonie. Après la catastrophe qui les a frappés, elle a quitté son travail en ville et est revenue à Sebastia avec ses derniers enfants pour vivre avec son mari, dans l’appartement qu’un parent leur a donné. Les villageois se sont cotisés pour couvrir leur loyer symbolique.

De son côté, Wafa explique qu’elle a quitté Naplouse pour être près d’Ahmad : elle se rend tous les jours sur sa tombe.

 


07/03/2025

GIDEON LEVY
Un cauchemar palestinien dans un rêve israélien : chasse à l’homme au centre commercial

 Gideon Levy, Haaretz, 6/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Une grande catastrophe a été évitée cette semaine. Au nouveau Big Fashion Glilot, le plus grand centre commercial d’Israël et le couronnement des récentes réalisations nationales, 10 Palestiniens qui se trouvaient en Israël sans permis d’entrée ont été découverts.

Imaginez, 10 Palestiniens sans papiers dans un complexe de “loisirs et de shopping”. Des idoles dans le temple sacré israélien.


Un panneau au centre commercial Big Fashion dans le centre d’Israël, qui a été visité par 150 000 personnes lors de son ouverture vendredi. Photo Tomer Appelbaum

Les 150 000 Israéliens avides de shopping qui ont pris d’assaut le centre commercial au cours du week-end ont été exposés à un danger dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Nommez imméiatement une commission d’enquête. Les survivants de la catastrophe qui n’a pas eu lieu ont été interviewés partout et ont déclaré qu’ils n’auraient jamais imaginé qu’il y aurait des Palestiniens non autorisés dans leur nouveau centre commercial.

Après tout, ils veulent se sentir en sécurité lorsqu’ils vont manger un hamburger ou acheter une paire de baskets. Un homme de ménage sans papiers a été découvert dans un magasin Zara, et il semblerait qu’il y en ait eu un autre dans le magasin Delta.


Le centre commercial lundi. Les “clandestins” ont été emmenés, menottés, à la vue de tous. Photo Tomer Appelbaum

Les “clandestins” ont été emmenés, menottés, au vu et au su de tout le monde. Les policiers des frontières, héros israéliens, les ont capturés avec le courage et la détermination qui les caractérisent. Les responsables des relations publiques des chaînes de magasins s’efforcent de limiter les dégâts et de rassurer le public : Il n’y aura plus de “clandestins” à Big Fashion.



Le centre commercial lundi. Les journalistes israéliens audacieux s’empressent de les signaler aux autorités ; ils ont alors le sentiment d’avoir rempli une mission journalistique. Photo Tomer Appelbaum

Tout le monde est invité à revenir dans un centre commercial nettoyé.

Comme leur statut le suggère, les Palestiniens “illégaux” ne sont pas des êtres humains. Ils n’ont ni noms ni visages, ni rêves ni crises personnelles. Il suffit de savoir qu’ils sont en Israël sans permis. Ce sont des des objets suspects.

Bientôt, des outils seront développés pour les localiser et les éliminer sans aucun contact humain. Quand on dit « il n’y a pas d’innocents à Gaza », on désigne également les Palestiniens de Cisjordanie qui se trouvent en Israël sans autorisation. Ce sont des bombes à retardement, jusqu’à preuve du contraire.

Les journalistes israéliens audacieux s’empressent de les dénoncer aux autorités ; ils ont alors le sentiment d’avoir rempli une mission journalistique.

L’un des chasseurs d’hommes, Yossi Eli, de Canal 13, est depuis longtemps obsédé par le fait de tourmenter les Palestiniens. Ses yeux se sont illuminés lorsqu’il a présenté un rapport embarrassant sur les mauvais traitements infligés aux détenus des Forces Nukhba du Hamas.


Soldats israéliens à Jénine, en Cisjordanie, mardi. Photo Raneen Sawafta/Reuters

Le journaliste est resté bouche bée devant le spectacle scandaleux que les gardes ont organisé en son honneur, humiliant les détenus devant les caméras. Peut-être pensait-il faire son devoir de journaliste. Dans l’Israël de 2025, montrer des Palestiniens en train d’être maltraités fait partie des relations publiques ; autrefois, c’était une cause de honte.

Eli est persuadé que la chasse à Big Fashion a été motivée par son futur article sur les « nuées de [Palestiniens] non autorisés qui inondent Israël ». Sur X, il s’est vanté d’avoir rejoint une « initiative civile » visant à expulser les « illégaux » qui, selon lui, ne sont pas « traités ». Lui aussi raconte l’histoire des médias israéliens.


Les habitants de Nur Shams évacuent leurs maisons en Cisjordanie, mercredi. Photo Majdi Mohammed/AP

Les Palestiniens qui se trouvent en Israël sans permis sont des êtres humains. Des gens désespérés, privés de leurs moyens de subsistance par Israël dans un acte arbitraire de punition collective.

Depuis un an et demi, ils sont interdits d’entrée, laissant des centaines de milliers d’entre eux dans le dénuement. Le désespoir en Cisjordanie s’accroît, tout comme la pauvreté. Certains recourent à la violence, d’autres tentent de se faufiler en Israël pour y travailler. Ils se faufilent en Israël tout comme les Juifs se faufilaient hors des ghettos pour obtenir de la nourriture. Eux aussi étaient des clandestins.

Ils savent ce qui les attend s’ils sont pris, mais leurs enfants ont faim à la maison. Israël leur interdit de travailler à l’intérieur de ses frontières mais les autorise étonnamment à travailler dans les colonies. Là, ils ne sont pas “illégaux”.

L’avidité des colons - la plupart sont des “opérateurs”, certains exploitent la main-d’œuvre palestinienne bon marché - l’emporte sur tout. Après tout, il faut bien que quelqu’un nettoie les rues des colons et construise leurs maisons. Ce qui est dangereux à Big Fashion ne l’est pas à Halamish.


Une barrière bloque l’accès pour les Palestiniens, selon des résidents locaux, sur une zone d’un avant-poste de colons israéliens près du village de Tuwani en Cisjordanie, lundi. Photo Leo Correa/AP

Par-dessus tout, les lignes du racisme et de la déshumanisation, enveloppées dans la cellophane de la sécurité qui permet tout, y compris la punition collective, l’humiliation et la famine. Mais il n’est pas du tout évident de savoir ce qui est le plus dangereux pour Israël : la fermeture des frontières, qui conduit à la faim et au désespoir, ou leur ouverture contrôlée.

Entre-temps, des générations d’Israéliens sont élevées ici, qui viennent au centre commercial le jour du shabbat et voient des Palestiniens chassés comme des animaux. C’est choquant lorsqu’il s’agit d’un malheureux animal, mais pas moins choquant lorsqu’il s’agit d’un malheureux travailleur, l’un des milliers qui ont construit ce pays et pavé ses routes.

Au secours, il y a un clandestin ici. Appelez la police des frontières, ou Yossi Eli.

 

03/03/2025

GIDEON LEVY
Israël “gazafie” la Cisjordanie et fait de ces Palestiniens, une fois de plus, des réfugiés

 

Après l’expulsion par Israël de 40 000 habitants des camps de réfugiés de Cisjordanie, un nouveau flot de personnes déplacées a commencé. Dans la ville d’Anabta, les abris de fortune sont remplis de familles qui ont tout perdu et qui craignent l’avenir.

Gideon Levy & Alex Levac, Haaretz, 1/3/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Le camp de réfugiés de Jénine cette semaine. L’expulsion des résidents pourrait être un processus irréversible, surtout à la lumière de la destruction totale des camps. Photo Jaafar Ashtiyeh/AFP

 Trois hommes pas très jeunes s’entassent dans une seule pièce. Il n’y a pas de toilettes. Les rideaux sont tirés et la pièce est bondée, avec trois lits en fer qui tiennent à peine à l’intérieur. Au centre se trouve un bol de dattes, que l’on mange généralement pendant les périodes de deuil. Cette semaine, ils pleuraient la mort du frère de l’un des occupants de la pièce, un homme qui avait succombé à des blessures subies dans la bande de Gaza.

Tous trois ont des femmes et des enfants à Gaza qu’ils n’ont pas vu depuis le 7 octobre et qu’ils ne reverront peut-être jamais. Arrachés à leur famille, ils vivent désormais dans cette petite pièce, au deuxième étage d’un centre communautaire qui accueille les jeunes de la région. Ce sont des ouvriers de Gaza qui travaillaient légalement en Israël jusqu’au 7 octobre. Après cette date, Israël les a expulsés vers la Cisjordanie. C’est ici, dans la ville d’Anabta, qu’ils ont trouvé un refuge temporaire, survivant grâce à l’aide sociale.

Non loin du centre communautaire se trouve le diwan de la famille A’mar - une structure conçue à l’origine pour les fonctions familiales telles que les mariages et les jours de deuil, mais qui sert aujourd’hui de refuge improvisé. Des rideaux séparent l’espace des femmes de celui des hommes, et les toilettes se trouvent dans le couloir. Ici, 26 membres d’une famille qui a été expulsée de force de leur maison dans le camp de réfugiés de Nur Shams, ont trouvé un abri. Ils ne savent pas si leur maison a été démolie. Le père de famille, qui gagnait sa vie comme chauffeur, a perdu sa voiture lorsqu’elle a été écrasée par un véhicule militaire blindé. Aujourd’hui, il arpente le diwan, en colère, indigné, frustré. Il refuse d’endurer l’humiliation de vivre de dons - de nourriture, de vêtements, de chauffage et parfois d’argent.

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Les vents de la guerre soufflent sur le nord de la Cisjordanie. Le chef du conseil local d’Anabta déclare que des plans d’urgence sont en place pour absorber des milliers de réfugiés. Jénine a déjà été envahie par les chars et trois camps de réfugiés - Jénine, Toulkarem et Nur Shams - ont été presque entièrement dépeuplés par les forces de l’armée.


Des réfugiés gazaouis vivant actuellement dans un centre de jeunesse à Anabta, de gauche à droite, Ahmed Abu al-Hosna, Zuheir al-Hindi et Imad Moutawek, qui étaient employés dans la cuisine d’une école juive ultra-orthodoxe à Haïfa, dont ils n’ont jamais connu le nom. Photo Alex Levac

Le ministre de la défense, Israël Katz, s’est vanté cette semaine que 40 000 résidents déplacés de Cisjordanie ne pourront pas rentrer chez eux avant au moins un an. Pendant ce temps, les Forces de défense israéliennes ont démoli les infrastructures des camps, des dizaines de maisons ayant déjà été réduites à l’état de ruines. Les personnes déplacées n’auront manifestement nulle part où retourner - et l’opération ne fait que commencer. On peut supposer que la campagne s’étendra à tous les camps de réfugiés de Cisjordanie. La “gazafication” de la Cisjordanie bat son plein. Les trois camps du nord ressemblent déjà à Jabalya et personne n’est autorisé à y pénétrer.

La route de Toulkarem, qui traverse deux camps de réfugiés, a été éventrée, la rendant impraticable. Le quartier Al-Manshiyya, dans le camp de Nur Shams, a été entièrement vidé de ses 4 000 habitants. Il s’agit de descendants de réfugiés de la guerre de 1948, originaires de Manshiyya, au nord de Jaffa, contraints une nouvelle fois à l’exil, pour la deuxième, la troisième, voire la quatrième fois.

Certains d’entre eux ont été contraints de faire plusieurs arrêts avant d’arriver à Anabta. Selon Abd al-Karim Saadi, chercheur de terrain de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, il ne reste que 11 personnes dans le camp de Toulkarem, toutes âgées et assiégées. Saadi sait qui sont ces personnes, mais il n’a pas pu se rendre dans le camp depuis le début de l’incursion militaire.

Le 21 janvier, l’armée a envahi le camp de Jénine, expulsé tous ses habitants et commencé à détruire les maisons et les infrastructures. Le 27 janvier, les troupes sont entrées dans le camp de Toulkarem. Le 7 février, elles ont envahi Nur Shams. Depuis lors, l’armée maintient sa présence dans les trois camps, tandis que leurs habitants restent déplacés et démunis.


Des Palestiniens quittent leurs maisons dans le camp de réfugiés de Nur Shams en février. Les trois camps du nord de la Cisjordanie ressemblent déjà à Jabalya, et personne n’est autorisé à y entrer. Photo Zain Jaafar/AFP

Les affirmations des FDI selon lesquelles les habitants “sont partis d’eux-mêmes” ont été réfutées par toutes les personnes déplacées à qui nous avons parlé, ainsi que par les organisations d’aide qui travaillent avec elles. Les récits de soldats faisant irruption dans les maisons et forçant les occupants à fuir, sans rien emporter, et les appels par haut-parleurs dans les rues, exigeant que tout le monde évacue, ne cessent d’apparaître.

Avec seulement les vêtements qu’elles portaient sur le dos, des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de chercher refuge dans d’autres communautés. Ce sont les nouveaux réfugiés, les “Gazaouis” de Cisjordanie, victimes d’un processus qui pourrait être irréversible, surtout si l’on considère la destruction totale des camps.

Anabta, relativement calme et aisé, compte 8 500 habitants. Il y a quelques décennies, j’y ai rendu visite au journaliste et caricaturiste politique israélo-usaméricain Ranan Lurie. Lurie avait été gouverneur militaire d’Anabta en 1967 et m’a raconté qu’à l’époque, c’était lui qui avait remis au chef du conseil local une lettre officielle de reddition à signer, puisque sa ville était désormais sous juridiction israélienne. Lurie se souvient que l’homme tremblait de peur. Plus tard, Lurie lui-même a vu des bus avec des plaques d’immatriculation israéliennes garés sur la route et a compris qu’il y avait un plan pour expulser les habitants de la ville au-delà du Jourdain. Il est allé jusqu’au Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol, pour mettre un terme à ce plan - et a réussi à empêcher l’évacuation.

La crainte d’un transfert forcé de population n’a pas quitté Anabta depuis 1948, et cette semaine, les gens en parlaient à nouveau. Depuis cette visite à Lurie, je suis passé par là des dizaines de fois pour me rendre à Toulkarem. La route est maintenant bloquée, l’armée est partout. Dimanche dernier, les soldats ont posé des barbelés à toutes les entrées de Nur Shams, qui étaient jusqu’à présent bloquées par des tas de terre.


Un Palestinien marche sur une route détruite dans le camp de réfugiés de Jénine cette semaine. Photo John Wessels/ AFP

Soufian Barakat, 54 ans, dirige le centre d’Anabta - sous les auspices d’une organisation appelée Wasel Center For Youth Development - qui accueille normalement une troupe de théâtre de jeunes, mais qui est devenu un refuge pour les réfugiés de Gaza. Barakat, qui a lui-même été emprisonné en Israël pendant 13 ans, a été le fer de lance du bénévolat et de la collecte de dons pour les réfugiés. Après le 7 octobre, 17 hommes, pour la plupart des ouvriers, se sont installés dans le centre ; neuf d’entre eux y sont encore. Nous sommes montés au deuxième étage, où les déplacés de Gaza ont trouvé refuge. Le spectacle est déchirant.

Ahmed Abu al-Hosna, 55 ans, père de neuf enfants, originaire de Jabalya, nous salue ; c’est son frère de 69 ans qui est mort cette semaine, après avoir été blessé par balle par des soldats à Gaza. Il nous montre une photo de son frère, qu’il n’a pas vu depuis 18 mois, sur son téléphone portable. Un lit plus loin, Zuheir al-Hindi, 60 ans, également père de neuf enfants, est originaire de Deir al-Balah. Il vit ici alors qu’une trentaine de personnes déplacées s’entassent dans sa maison, dans la partie centrale de Gaza. Le plus jeune occupant de la chambre, également originaire de Jabalya, est Imad Moutawek, 39 ans, père de cinq enfants. Ces trois bons gars travaillaient dans la cuisine d’une école juive ultra-orthodoxe de Haïfa, peut-être une yeshiva, dont ils n’ont jamais su le nom. L’entrepreneur bédouin qui les employait leur doit encore leur dernier salaire, mais il a disparu ; pour leur part, ils ont été expulsés vers un poste de contrôle en Cisjordanie et, de là, se sont rendus à Anabta.

Ils vont de temps en temps chercher du travail dans la région, principalement des travaux agricoles, mais ils dépendent surtout des dons.

Mohammed Khader, 38 ans, originaire de Beit Lahia, dans le nord de Gaza, vit dans l’autre pièce de cet étage. Sa femme, Yasmeen, 25 ans, et leurs quatre enfants, dont le plus jeune a 5 ans, ont survécu à la guerre ; son beau-père a été tué. La femme et les enfants de Khader ont fui vers Khan Younès, puis sont retournés à Beit Lahia après l’entrée en vigueur du récent cessez-le-feu, pour découvrir que leur maison n’existait plus. Ils vivent dans une tente sur ses ruines. Mohammed Abu Lakhia, 52 ans, père de cinq enfants et originaire de Khan Younès, habite avec Khader et a également perdu sa maison. Sa femme et ses enfants vivent désormais sous une tente à Bani Suheila, dans le sud de la bande de Gaza.



Mohammed Abu Lakhia, Anas Abu Rabi et Mohammed Khader au centre communautaire d’Anabta. Des plans d’urgence ont été mis en place pour permettre à la ville d’absorber des milliers de réfugiés. Photo Alex Levac

Le troisième occupant de cette chambre, Anas Abu Rabi, 20 ans, a quitté Gaza quelques mois avant que la guerre n’éclate pour se faire soigner d’une maladie du sang à l’hôpital Makassed de Jérusalem-Est ; il est resté bloqué ici depuis. Sa famille - ses parents, sept sœurs et un frère, originaires de Jabalya - a perdu sa maison et vit désormais sous une tente.

Assis dans son bureau, le chef du conseil d’Anabta, Thabet A’mar, explique qu’avec le Ramadan qui commence la semaine prochaine, le flux de dons aux réfugiés s’est intensifié, en particulier de la part des Arabes israéliens. Mais il est préoccupé par l’avenir. Il craint que la répression militaire ne s’intensifie, et avec elle le flot de réfugiés arrivant en ville. Des plans d’urgence ont déjà été mis en place pour loger les nouveaux arrivants dans plusieurs bâtiments publics. « Nous devons partager notre vie avec ces gens », déclare-t-il, ajoutant qu’il attend une décision du ministère palestinien de l’Éducation pour savoir s’il peut transformer les écoles en refuges, comme à Gaza. En attendant, les efforts se poursuivent pour intégrer les jeunes réfugiés dans les écoles locales.

Au rez-de-chaussée d’un nouvel immeuble, dans un appartement pratiquement vide au sol en marbre, vivent Rukiah Uffi et sa famille, qui se sont récemment échappés du camp de Toulkarem pour se rendre à Anabta. Elle a 65 ans et a travaillé comme professeur de sciences et de mathématiques en Arabie Saoudite avant de retourner en Cisjordanie en 2000.

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Le 27 janvier, l’armée a envahi le camp, dit-elle, et les soldats ont ordonné aux résidents d’évacuer. Ils se sont d’abord installés dans la ville de Toulkarem puis à Anabta. Voyant les soldats se préparer à un long séjour près de leur camp, ils ont décidé de louer ce nouvel appartement, pour attendre la fin de la crise.



Le camp de réfugiés de Toulkarem la semaine dernière. Photo Jaafar Ashtiyeh/AFP

Uffi vit ici avec sa propre fille et sa petite-fille, en plus de sa sœur et de sa famille - trois générations, huit personnes. Elles dorment sur des matelas posés à même le sol. Des bénévoles leur ont apporté de la nourriture et les ont aidées à subvenir à leurs autres besoins. La fille d’Uffi, Aya, une étudiante de 31 ans, raconte qu’elle a fait une fausse couche après avoir été chassée de chez elle.

Non loin de là, dans le diwan de la famille élargie d’A’mar, Jamal Khalil et sa famille ont trouvé refuge.

« Pourquoi suis-je ici ? » demande-t-il, irrité. « Pourquoi devrais-je vivre de l’assistanat ? Pourquoi ne puis-je pas être chez moi ? Les habitants d’Anabta sont des gens bien, mais je ne peux pas vivre avec l’argent des autres. J’ai travaillé toute ma vie et je n’ai jamais dépendu de personne. J’ai compris, j’ai compris. Vous [les Israéliens] avez déjà tué tous les militants armés du camp, alors pourquoi avez-vous envoyé les chars ? Et pourquoi détruisez-vous tout ? Vous vous battez contre les murs ? Les briques ? Qu’est-ce que je vous ai fait ? Pourquoi mes enfants et moi devrions-nous souffrir ? Pourquoi m’avez-vous chassé de ma maison ? Votre cible, ça n’est pas les militants. Votre but, c’est de ruiner nos vies, les vies des innocents".

Khalil a déménagé à Anabta avec sa famille immédiatement après l’invasion de Nur Shams par l’armée. Il raconte qu’une quarantaine de soldats ont fait irruption dans sa maison ; ils étaient agressifs et violents, criant et bousculant les gens pour les faire partir. Les soldats ont expulsé 26 membres de sa famille, qui n’ont pas été autorisés à emporter quoi que ce soit. Sa belle-fille n’a même pas pu prendre une boîte de lait en poudre pour son petit-fils de 9 mois. Deux jours après leur expulsion, un voisin a réussi à se faufiler dans le camp et à fermer la porte de sa maison, qui avait été forcée par les soldats. Il ne sait pas ce qui s’est passé, mais sa Mazda 5, son gagne-pain, a été écrasée par un véhicule blindé, comme beaucoup d’autres voitures.

Mohammed Sarhan, 53 ans, son gendre, se joint à notre conversation. Il dit qu’il craint qu’après avoir été expulsée du camp, sa famille ne soit maintenant expulsée vers la Jordanie. Qui va enlever la poussière des yeux de Ranan Lurie pour qu’il puisse voir ce qui se passe maintenant ?

28/02/2025

GIDEON LEVY
Lorsque la troisième Intifada éclatera, n’oubliez pas qu’Israël en aura été l’instigateur

Gideon LevyHaaretz, 27/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

C’est quelque chose qui se passe pour la première fois dans l’histoire d’Israël : une guerre n’est pas encore totalement terminée qu’Israël est déjà en train d’attiser la prochaine. On nous a refusé le luxe d’un moment de respiration ou d’un peu d’illusion et d’espoir. L’horizon “diplomatique” d’Israël n’est plus que guerre après guerre, sans alternative sur la table. Pas moins de trois guerres sont à l’ordre du jour : la reprise de la guerre contre Gaza, le bombardement de l’Iran et la guerre en Cisjordanie.


Un homme porte un chat le long d’une route détruite par les forces israéliennes dans le camp de réfugiés palestiniens de Nur al-Shams, près de Toulkarem, mercredi. Photo Zain Jaafar/AFP 

La dernière d’entre elles a commencé à être alimentée au lendemain du 7 octobre 2023. Lorsque la troisième intifada éclatera, il faudra se souvenir qui l’a délibérément provoquée. Le fait de se poser en victime d’attaques meurtrières ne changera pas non plus les faits. Ni la diabolisation des “animaux humains” en Cisjordaniecongénères de ceux de Gaza.

Israël portera seul la responsabilité de la prochaine guerre en Cisjordanie. Ne dites pas que nous avons été pris par surprise ; n’osez pas dire que nous ne savions pas. Cela fait 16 mois que les choses sont écrites sur le mur, à feu et à sang, et personne n’arrête ça. C’est à peine si l’on en parle.

Ce n’est plus la Cisjordanie que nous avons connue. Les choses ont changé. L’occupation - qui n’a jamais été vraiment progressiste - est devenue plus brutale que jamais. Au lendemain du 7 octobre, Israël a effectivement emprisonné les trois millions d’habitants de la Cisjordanie. Depuis lors, au moins 150 000 personnes - pour la plupart des travailleurs assidus et dévoués - ont perdu leurs moyens de subsistance. Ils n’avaient rien à voir avec le massacre perpétré le long de la frontière de Gaza. Ils cherchaient seulement à subvenir aux besoins de leur famille. Mais Israël leur a ôté la chance d’une vie décente, qui a peu de chances de revenir. Des centaines de milliers d’entre eux ont été condamnés à une vie de misère. Les plus jeunes ne resteront pas silencieux.

Ce n’était que le début. La Cisjordanie a également été fermée de l’intérieur. Environ 900 points de contrôle - certains permanents, d’autres temporaires - ont découpé la Cisjordanie et la vie de ses habitants. Chaque trajet entre les communautés est devenu un jeu de roulette russe. Le poste de contrôle sera-t-il fermé ou ouvert ? Lorsque j’ai passé six heures à attendre au poste de contrôle de Jaba, un jeune marié se rendant à son mariage se trouvait derrière moi. Le mariage a été annulé. Les routes de Cisjordanie sont devenues vides.

Les points de contrôle ne sont qu’une partie du tableau. Quelque chose a également changé chez les soldats de l’occupation. Peut-être envient-ils leurs camarades de Gaza, ou peut-être s’agit-il simplement de l’état d’esprit qui règne actuellement au sein de l’armée israélienne. Mais la plupart d’entre eux n’ont jamais traité les Palestiniens comme ils le font aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de la facilité avec laquelle ils appuient sur la gâchette ou de l’utilisation d’armes jamais déployées en Cisjordanie, comme les avions de chasse et les drones meurtriers. Il s’agit surtout de la façon dont ils considèrent les Palestiniens : comme des “animaux humains”, tout comme on le leur a dit de traiter les habitants de Gaza.

Les colons et ceux qui les soutiennent se sont engouffrés dans cette brèche avec empressement. Pour eux, il s’agit d’une occasion historique de se venger. Ils veulent une guerre à grande échelle en Cisjordanie, sous le couvert de laquelle ils pourront mettre en œuvre leur grand plan d’expulsion massive. Il est effrayant de constater que c’est là le seul plan dont dispose Israël pour résoudre la question palestinienne.

Entretemps, il ne se passe pas une semaine sans qu’apparaisse un nouvel avant-poste de colons non autorisé - une simple hutte entourée de milliers de dounums volés, revendiqués pour le “pâturage”. Il ne se passe pas un jour sans qu’un nouveau pogrom ne se produise. Ces attaques fonctionnent. Les éléments les plus faibles de la société palestinienne de Cisjordanie - les bergers - abandonnent tout simplement. Des communautés entières quittent la terre de leurs ancêtres, fuyant, terrorisées, les gangsters en kippa.

Puis c’est l’expulsion organisée des camps de réfugiés. Ne dites pas qu’il n’y a pas de plan. Il y en a un, et il est monstrueux. Il s’agit de vider tous les camps de réfugiés en Cisjordanie et de les raser. C’est la “solution” au problème des réfugiés. Elle a commencé par le démantèlement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) et se poursuit avec les bulldozers D-9. Quarante mille personnes ont déjà été expulsées, dont certaines maisons ont déjà été démolies. Les trois camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie sont aujourd’hui des terrains vagues, vidés de toute vie.

Il ne s’agit pas d’une guerre contre le terrorisme. On ne combat pas la terreur en détruisant les infrastructures hydrauliques, les réseaux électriques, les routes et les systèmes d’égouts. Il s’agit de la destruction systématique des camps de réfugiés.

Elle ne s’arrêtera pas au camp de Nur al-Shams à Toulkarem ou aux camps d’Askar et de Balata près de Naplouse. Elle se poursuivra jusqu’au camp d’Al-Fawwar, près d’Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.

C’est ce qu’Israël est en train de faire, pour être clair. Une nakba.


23/02/2025

GIDEON LEVY
Le discours violent de Netanyahou porte en germe les futurs crimes de guerre de l’armée israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 23/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Tout rhétoricien sait que lorsque l’argument est faible, la solution consiste à augmenter le volume. Le ton de la conversation publique en Israël au cours des dernières semaines ne montre pas seulement la faiblesse de l’argumentation et la bassesse croissante du discours, il est également dangereux en soi.

 
Un homme discute avec un soldat israélien après avoir été empêché d’entrer dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, lors d’une opération militaire en cours, au début de la semaine. Photo MOHAMMAD MANSOUR/AFP

Le discours public israélien a adopté le langage basique de l’incitation à la violence contre tous les Palestiniens et les Arabes. Du Premier ministre au plus humble des reporters de terrain bafouilleux de la télévision, tous se sentent obligés de déblatérer grossièrement contre le Hamas et la bande de Gaza autant que possible, comme si cela renforçait la validité de leurs arguments. On ne peut plus dire “Hamas” [en le prononçant Khamas, NdT] sans y accoler l’adjectif “nazi”, ni parler de Gaza sans dire “monstres” ; c’est cette façon de parler qui est proprement monstrueuse.

Après que Benjamin Netanyahou a donné le ton, la compétition nationale de jurons et d’insultes a commencé.

« Nous sommes tous en colère contre les monstres du Hamas », a déclaré le premier ministre le  jour de la restitution des quatre corps des otages , conformément au cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, et il a immédiatement promis d’“anéantir” les assassins.

Le style, c’est l’homme, et ceux qui prononcent des mots tels que “monstres” et “anéantir” en disent plus sur eux-mêmes que sur l’objet de leurs paroles. Le meurtre de la famille Bibas était cruel et odieux. Mais celui qui parle de “monstres” décrit aussi les actions de ses soldats, qui ont tué des milliers d’enfants.

Lorsqu’il a été annoncé que les restes présumés de Shiri Bibas n’étaient pas les siens, il n’a plus pris de gants. Netanyahou a répété “monstres”, cette fois dans sa langue officielle, l’anglais. L’armée des aboyeurs a suivi dans son sillage, et le fait que le Hamas ait corrigé l’erreur du jour au lendemain n’y a rien changé. Monstres ils étaient, monstres ils restent.

Les cérémonies de remise d’otages, y compris les cérémonies émouvantes de samedi, ont également attesté du “nazisme” et de la “monstruosité” du Hamas. Ceux qui organisent de telles cérémonies sont des nazis - on ne sait pas trop pourquoi - et ceux qui exploitent ce moment à des fins de propagande sont aussi, apparemment, des nazis. Seul Israël est autorisé à exploiter le retour des otages à des fins de propagande.

La vérité doit être dite : la plupart des remises d’otages se sont déroulées sans heurts, même si les Israéliens n’aiment pas voir un otage déposer un baiser sur le front de ses deux ravisseurs, comme l’a fait l’un d’entre eux samedi. Les présentateurs des journaux télévisés se sont empressés de rassurer les téléspectateurs : le baiser a été forcé, même si cela ne semblait pas être le cas.

Pourquoi font-ils cela ? Après tout, le mal du Hamas est évident dans ses actions : pourquoi tout le monde, de l’armée au journaliste israélien Amnon Abramovich, ajoute-t-il de l’incitation à la haine ? Netanyahou, qui se nourrit de l’incitation pour ses besoins politiques, est une chose, mais pourquoi les médias ? Mais seulement pour trouver des faveurs, pour recevoir une tape dans le dos de la part des masses enflammées.

Le Hamas n’est pas à défendre. Il s’agit d’une organisation dépravée [sic] qui a mené une attaque dépravée [resic] contre Israël. Mais le discours contaminé aura un prix élevé. Un cinquième des Israéliens sont des Palestiniens : Comment allons-nous vivre avec eux alors que leurs frères sont des monstres nazis ? La moitié des personnes vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée sont des Palestiniens : comment allons-nous vivre à leurs côtés ? Israël a lancé cette terrible attaque sur Gaza avant que le discours sur les “monstres” ne commence.

Le 7 octobre 2023 a semé le trouble dans la conscience des Israéliens, et la rhétorique incendiaire des politiciens et des médias y a ajouté. L’humanité n’existe plus en Israël, car il n’y a plus de non-combattants à Gaza. Pas même les nourrissons qui sont morts à peine nés. Ni même les hommes de paix et de sagesse de Gaza (oui, il y en a aussi).

Ajoutez à cela le discours empoisonné de ces dernières semaines et imaginez à quoi ressemblera la prochaine guerre, qui sera dirigée non seulement contre le Hamas mais aussi contre les monstres nazis.

Imaginez les pensées qui traversent la tête d’un soldat envahissant une maison en Cisjordanie, alors que cette incitation coule dans ses veines. S’il croit entrer dans la maison de monstres nazis, comment traitera-t-il ses habitants ? Il détruira davantage et tuera davantage, d’une manière plus brutale que jamais. 

Un jour, nous regretterons la délicatesse et la retenue morale de Tsahal dans la guerre actuelle, avec seulement la moitié de la bande de Gaza détruite et seulement 15 000 enfants morts. Attendez la prochaine guerre que nous mènerons contre les nazis.


Emad Hajjaj