La perle du jour

 « Le public n'est plus dupe des mensonges propagandistes qui résonnent dans les médias. Ces lettres ont été écrites par un petit groupe de radicaux, manipulés par des organisations financées par des fonds étrangers dans le seul but de renverser le gouvernement de droite. Ce n'est pas une vague. Ce n'est pas un mouvement. C'est un petit groupe de retraités bruyant, anarchiste et déconnecté, dont la plupart n'ont pas servi [dans l’armée] depuis des années ». C’est ainsi que Netanyahou a réagi aux pétitions qui se succèdent en rafales, émanant de centaines et de milliers de réservistes de l’armée de l’air, du corps médical militaire, de la marine, demandant au gouvernement d’arrêter de bombarder Gaza pour épargner les Israéliens encore captifs [les fameux « otages », qui sont encore une trentaine en vie plus une trentaine à l'état de cadavres]]. Bibi, qui a 75 ans, n’a pas l’intention, quant à lui de devenir un paisible retraité, ni bruyant ni silencieux. Les pilotes signataires de la première pétition seront rayés des cadres de l’armée génocidaire, ce qui est une bonne chose.

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19/03/2023

FAUSTO GIUDICE
20 mars, anniversaire de l'indépendance tunisienne : Souvenirs, souvenirs

par Fausto Giudice

Cet article est paru dans Baraka Hebdo (Paris) n°2 du 20 mars 1986, sous le titre un peu idiot de "Nostalgie"

 «Le 20 mars 1956. Une date facile a retenir: le 21 était l'anniversaire de ma mère. Les Français, ceux "de souche", les juifs, puis les naturalisés commencèrent à partir. Nous les Italiens, on regardait au balcon.»

II y a trente ans la Tunisie accédait à l'indépendance. L'ambiance de l'époque, les anecdotes, et les souvenirs d'un enfant d'origine sicilienne qui a vécu cette période...


 «Taoua Iji Bourguiba» : ce sont les premiers mots arabes que j'ai entendus. L'année 55 touchait à sa fin. Les derniers cochers maltais faisaient claquer leurs fouets, assis sur leurs calèches, place de Londres. Entre les chevaux, les marchands de noix de coco lavaient les tranches blanches, qui semblaient de petites barques dans le caniveau. J'avais six ans en débarquant dans l'hiver doux de Tunis. Tout de suite, je fus confronté à deux, trois, quatre cultures. Aux extrémités, les deux Grandes Cultures : d'un côté «C'est la Mère Michel qui a perdu son chat », le livre de lecture français, de l'autre  «babon, bagraton, kouraton», l'abécédaire arabe. Et au milieu, les marécages sicilien, maltais, juif, grec, espagnol, russe blanc.

Bab El Khadra

Mes tantes descendaient le soir la «zibbola». Mot siculo-tunisien pour désigner la poubelle (toujours renversée par les chats faméliques), dérivé de l'arabe «zebla», déchet. Quand on faisait les fous, mes cousins et moi, on nous traitait de «soufri». Mot tunisois signifiant «voyou», formé à partir du français «les ouvriers»…

Dans le garage d'un de mes oncles, à la Petite Sicile, les ouvriers levaient la tête de sous les capots des 404 pour regarder les camions qui passaient dans un joyeux vacarme de klaxons, de youyous, de darboukas et de battements de mains : «Yahia El Destour, Yahia El Istiqlal». Les partisans du Combattant Suprême montaient du bled sur la capitale. Ils agitaient un drapeau que je crus d'abord reconnaître : il était rouge comme celui des ouvriers romains les premiers mai. Mais celui-ci avait un croissant et une étoile.

La Ville «européenne» avait peur, la Médina bruissait d'inquiétude et d'espoir mêlés. Bab el-Fransa, la Porte de France, était la frontière entre les deux, que nous transgressions seulement pour certaines emplettes. Avenue Jules-Ferry, un soir, un défilé de jeunes gens aux cheveux très courts fit monter la tension. Ils criaient : «Les Français par-tout !».

Des couteaux luisaient dans l'ombre. Les pères ordonnaient aux enfants de rentrer. Ça et là, des petites mains rouges apparaissaient sur les murs. Ce n'était pas es mains de Fatima, c'était le signe de reconnaissance des «vrais Français», de leur mythique organisation secrète.

Ce défilé m'avait laissé une double trace, contradictoire. Ma sympathie était allée naturellement à ceux qui, muets de rage, regardaient le défilé sur les trottoirs. Mais le rythme du slogan, inquiétant et incompréhensible, s'était gravé dans ma tête. Quelques jours plus tard, marchant rue de la Petite-Malte avec un autre oncle, menuisier celui-là, je le sifflotais. Je venais d'apprendre à siffler. Il blanchit – c'était le plus couard de la tribu – et me serra la main en chuchotant : «Tais-toi, è pericoloso».

Mars 1956

20 mars 1956 : une nation naissait, sans trop de souffrances. Elles vinrent plus tard. Une date facile à retenir: le 21 était l'anniversaire de ma mère. Les Français, ceux "de souche", les juifs, puis les naturalisés commencèrent à partir. Nous les Italiens, on regardait au balcon. En face, à un balcon du 2ème étage, une tante de Claudia Cardinale, qui était folle, hurlait et tempêtait en chemise de nuit.

À l'école franco-arabe de la rue Hoche, le mélange se faisait assez bien. Ce n'était ni idyllique ni infernal. De quoi presque donner raison au monument à Jules Ferry, montrant un enfant français, le bras  «fraternellement» passé autour des épaules d'un enfant arabe, tous deux lisant dans le même livre. Sortis de l'école, nous nous séparions. Juifs, Arabes et Siciliens faisaient, à quelques rares exceptions près, bande à part. Nous les Siciliens, on tenait le terrain vague à côté de la voie ferrée, le Terrain Rouge. Luigi, déjà gominé à 14 ans, était notre chef. On faisait griller des sauterelles, on chassait des lézards, dont la queue nous restait entre les doigts, on jouait aux noyaux d'abricots, on élevait fébrilement des vers à soie. Quand on s'insultait, c'était en arabe.

Bientôt, l'écho de la guerre dans le pays voisin et un peu mystérieux, l'Algérie, arriva jusqu'à nos oreilles enfantines, par la radio. Les mâles voix de  «Saout El Arab», du Caire, provoquaient l'enthousiasme des jeunes Arabes, l'inquiétude des familles juives et…ma curiosité.

Dans ce monde colonial qui s'effilochait, le développement séparé des communautés –une apartheid bon enfant mais bien réelle – interdisait les amitiés, les amours, les fusions inter-ghettos. Cette fusion-là, rêve confus de nos enfances, combien sommes-nous, ici, à encore et toujours la rechercher ?