Jim Bovard,
libertarianinstitute.org
,
24/10/2022
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
James Bovard (1956) est un auteur et
conférencier libertarien usaméricain dont les commentaires politiques visent des
exemples de gaspillage, d'échecs, de corruption, de copinage et d'abus de
pouvoir au gouvernement fédéral. Il est chroniqueur sur USA Today et est un contributeur fréquent de The Hill. Il est l'auteur de Public Policy Hooligan (2012), Attention Deficit Democracy (2006), Lost
Rights : The Destruction of American Liberty (1994) et de 7 autres
livres. Il a écrit pour le New York Times, Wall Street Journal, Washington Post, New Republic,
Reader' s Digest, The American Conservative et bien d'autres publications.
Ses livres ont été traduits en espagnol, arabe, japonais et coréen. Ses articles ont été dénoncés publiquement
par le chef du FBI, le maître général des postes, le secrétaire du HUD (Department of Housing and Urban Development),
et les chefs de la DEA (Drug Enforcement
Administration), de la FEMA (Federal Emergency Management Agency), de l'EEOC
(Equal Employment Opportunity Commission ) et de nombreux organismes fédéraux.
(Comme l'a dit Mao Zedong, « être attaqué par l'ennemi n'est pas une
mauvaise chose mais une bonne chose. »)
« Vous pouvez
envoyer un homme au Congrès, mais vous ne pouvez pas le faire réfléchir »,
a dit l'humoriste Milton Berle dans les années 1950. Pour actualiser Berle :
vous pouvez dépenser 60 milliards de dollars par an pour les agences de
renseignement, mais vous ne pouvez pas obliger les politiciens à lire leurs
rapports. Au lieu de cela, la plupart des politiciens restent incorrigiblement
ignorants et désespérément poltrons lorsque les présidents entraînent l'USAmérique
dans de nouveaux fiascos ultramarins.
Reporting for Duty, par Clifford K.
Berryman, 2 avril 1917 : les représentants des 2 chambres au
garde-à-vous devant le président Wilson, qui s’apprête à demander leur soutien
pour la déclaration de guerre à l’Allemagne
La docilité du Congrès
ouvre la voie à la guerre depuis au moins l'ère du Vietnam. En 1964, le
président Lyndon Johnson a invoqué une attaque présumée du Nord-Vietnam contre
un destroyer usaméricain dans le golfe de Tonkin pour faire adopter par le
Congrès une résolution donnant à LBJ le pouvoir illimité d'attaquer le
Nord-Vietnam. LBJ avait décidé plus tôt cette année-là d'attaquer le
Nord-Vietnam pour relancer sa campagne de réélection. Le Pentagone et la Maison
Blanche ont rapidement reconnu que les allégations fondamentales derrière la
résolution du Golfe de Tonkin étaient fausses mais les ont exploitées pour
sanctifier la guerre.
Lorsque l'histoire
officielle des attentats du Golfe de Tonkin a commencé à se dévoiler lors des
audiences secrètes du Sénat en 1968, le secrétaire à la Défense Robert McNamara
a proclamé qu'il était « inconcevable que quiconque connaissait même à
distance notre société et notre système de gouvernement puisse soupçonner
l'existence d'une conspiration » pour amener l'USAmérique à la guerre sous
de faux prétextes. Mais l'indignation ne saurait se substituer à des faits
concrets. Le Sénateur Frank Church (Démocrate-Idaho) a déclaré :
« Dans une démocratie, vous ne pouvez pas vous attendre à ce que les gens,
dont les fils sont tués et qui seront tués, exercent leur jugement si la vérité
leur est cachée. » Le président de la commssion, le sénateur J. William
Fulbright (Dém-Arizona), a déclaré que si les sénateurs ne s'opposaient pas à
la guerre à ce moment-là, « nous ne sommes qu'une annexe inutile à la
structure gouvernementale ». Mais d'autres sénateurs ont bloqué la
publication d'un rapport d'état-major sur les mensonges derrière l'incident du
golfe de Tonkin qui propulsait une guerre tuant 400 soldats usaméricains par
semaine. Le sénateur Mike Mansfield (Dém-Montana) a prévenu : « Vous
donnerez aux gens qui ne sont pas intéressés par les faits une chance de les
exploiter et de les magnifier hors de toute proportion. » La même
présomption a protégé chaque débâcle militaire subséquente des USA.
Des membres du Congrès paresseux et lâches
ont perpétuellement ouvert la voie au carnage outre-mer. En octobre 2002, avant
le vote sur la résolution du Congrès visant à permettre au Président George W.
Bush de faire ce qu'il voulait de l'Irak, la CIA a remis une évaluation
classifiée de 92 pages des armes de destruction massive irakiennes à Capitol
Hill (le Congrès). Le rapport classifié de la CIA suscitait beaucoup plus de
doutes sur l'existence des armes de destruction massive iraquiennes que le
résumé de 5 pages que tous les membres du Congrès ont reçu. Le rapport était
conservé dans deux salles sécurisées, l'une pour la Chambre des représentants
et l'autre pour le Sénat. Seuls six sénateurs ont pris la peine de visiter la
salle pour examiner le rapport, et seule une « poignée » de congressistes
ont fait de même, selon
le Washington Post.
Le Sénateur John Rockefeller (Dém-Virginie occ.) a expliqué que les membres du
Congrès étaient trop occupés pour lire le rapport : « ‘Tout un chacun
dans le monde veut venir vous voir’ dans votre bureau, et aller dans la salle
sécurisée n'est ‘pas facile à faire’. »
Des centaines de milliers d'USAméricains
ont été envoyés à 9600 km de là parce que les membres du Congrès ne pouvaient
pas se donner la peine de traverser la rue à pied. Les membres du Congrès ont agi
comme si aller dans une pièce sécurisée pour parcourir un document de 92 pages
équivalait à lire l'ensemble des 38 volumes de l'Encyclopedia Britannica à la lumière d’une bougie
dans un placard moisi. La plupart des membres du Congrès avaient amplement le
temps de prononcer des discours soutenant le sabre de Bush, mais pas le temps
de passer au crible les prétendues preuves de la guerre. Les seules preuves
pertinentes pour de nombreux membres du Congrès étaient les sondages montrant
un fort soutien pour le président.
Illustration de POLITICO pour l'extrait des mémoires de Leahy qu'il a publié (cité ci-dessous)
De plus amples détails sur le chemin de la
guerre en Irak ont été exposés dans les nouvelles mémoires du sénateur Patrick
Leahy, The Road Taken.
Leahy était l'un des rares sénateurs à se rendre dans la salle réservée pour
lire certains documents confidentiels sur la guerre. Alors que lui et sa
femme se promenaient le dimanche dans leur quartier de McLean, en Virginie, en
septembre 2002 :
« Deux
joggueurs en forme se sont mis à nous suivre. Ils se sont arrêtés et
ont demandé ce que je pensais des briefings de renseignement que j'avais
obtenus… Je me suis soumis à la
clause de non-responsabilité requise selon laquelle, si j'assistais à des
briefings et que ceux-ci étaient classifiés, je ne pouvais pas reconnaître
qu'ils avaient eu lieu et je ne pouvais pas dire qu’ils avaient eu lieu. Ils
m'ont dit qu'ils comprenaient cela, mais ont demandé si les briefeurs m'avaient
montré le Dossier Huit.
Il
était évident, en voyant la mine que je faisais, que je n'avais pas vu un tel
dossier. Ils ont suggéré que je devrais et que je pourrais trouver cela
intéressant. Peu de temps après, je me suis arrangé pour voir le Dossier Huit,
et cela contredisait une grande partie de ce que j'avais entendu de
l'administration Bush.»
Y aurait-il eu un happy
end ? Non pas tout à fait ! Quelques jours plus
tard, Leahy et sa femme marchaient et les mêmes joggueurs sont réapparus et ont
demandé ce qu'il pensait de ce dossier secret. Leahy a commenté :
« C'était la conversation la plus effrayante que j’ai vécue à Washington.
Je me sentais comme une version sénatoriale de Bob Woodward rencontrant Gorge
Profonde uniquement en plein jour. » Les joggueurs demandèrent alors si
Leahy « s’était également fait montrer le Dossier Douze, en utilisant un
mot de code…Le lendemain, j'étais de retour dans la salle sécurisée du Capitole
pour lire le Dossier Douze, et cela contredisait encore les déclarations de
l'administration, et en particulier du vice-président Cheney. »
Le dimanche suivant, Leahy
et sa femme passaient devant l'ancienne propriété de Robert Kennedy lorsque des
voitures noires avec de multiples antennes et des fenêtres obscurcies se sont
garées. Leahy écrit :
« Un membre du
cercle présidentiel rapproché s'est penché par la fenêtre arrière, saluant à la
fois moi-même et [ma femme] Marcelle, et m'a demandé s'il pouvait me parler…Je
suis monté dans la voiture avec lui pendant que les agents de sécurité
sortaient de la voiture. Nous nous sommes assis là et nous avons discuté, et il
a dit : « Je comprends que vous avez vu les dossiers huit et
douze. » J'ai dit que oui, et je savais bien sûr qu'il les avait vus. Il a
dit : “Je comprends aussi que vous allez voter contre la guerre.” J'ai
dit : « Je vais le faire, parce que nous savons tous qu'il n'y a pas
d'armes de destruction massive et que les raisons d'aller en guerre ne sont
tout simplement pas là. » Il m'a demandé s'il pouvait m'en dissuader, et
j'ai dit non, et nous avons mis fin à la conversation. J'ai commencé à sortir
de la voiture, et il a dit qu'ils me raccompagneraient. « Merci,
laissez-moi vous dire où j'habite. »
Le haut fonctionnaire
anonyme de l'administration Bush a répondu : « Nous savons où vous habitez. »
Leahy n'a pas demandé au mec s'il connaissait aussi tous les mots de passe de
son ordinateur.
Leahy a voté contre la résolution Bush
d'utiliser la force militaire contre l'Irak. Mais Leahy a attendu 20 ans pour
révéler les magouilles internes qu'il avait vues sur la route de la guerre. Et
Leahy refuse toujours de révéler le nom du « membre du cercle
présidentiel » qui le harcelait ce matin-là à McLean. Jimmy
Dore, animateur de podcast, s'est moqué que l'histoire de Leahy
était « comme un thriller politique, mais à la fin rien ne se passe et
rien n'est résolu ». Dore a commenté : « Il y a une guerre de
toute façon et il ne dit rien pendant 20 putains d'années. Fin. Ont-ils au
moins pris la peine de tester cette fin auprès du public ? » Edward
Snowden a gazouillé sur l'histoire de Leahy :
« Comment Leahy pouvait-il s'asseoir sur des informations classifiées
qu'il savait pouvoir arrêter une guerre ? »
Mais les dissimulations
sont souvent inutiles à Washington parce que peu de membres du Congrès y
prêtent attention. Après la mort de quatre soldats usaméricains au Niger en
2017, les sénateurs Lindsey Graham (Républicain-Caroline du Sud) et Charles
Schumer (Dém-New-York) ont admis qu'ils ne savaient pas qu'un millier de soldats
usaméricains avaient été déployés dans ce pays africain [savaient-ils même pù se trouve ce pays ?, NdT]. Graham, membre de la Commission des services armés du Sénat, a admis : « Nous ne savons pas
exactement où nous en sommes dans le monde militairement et ce que nous
faisons. » Les troupes usaméricaines étaient engagées dans des combats
dans 14 pays étrangers à l'époque, prétendument contre des terroristes. Mais la
plupart des membres du Congrès ne peuvent probablement pas citer plus de 2 ou 3
pays où les troupes américaines se battent.
Alors que le
gouvernement usaméricain est devenu beaucoup plus secret au cours des dernières
décennies, les commissions du renseignement du Congrès auraient fourni un
contrepoids aux agences qui se cachent derrière des rideaux de fer. Mais « commission
du renseignement » est peut-être le
plus grand oxymore de Washington.
Les commissions du renseignement du Congrès
font assaut de courbettes à la CIA et à d'autres agences. La Commission sénatoriale
du renseignement a effectivement absous tous les mensonges de l'administration
Bush sur la voie de la guerre contre l'Irak. Lorsque son rapport a été publié
au milieu de 2004 (juste à temps pour stimuler la campagne de réélection de
Bush), le président de la commission, le sénateur Pat Roberts (Rép-Kansas), a
annoncé : « La commission a constaté que la communauté du
renseignement souffrait de ce que nous appelons une pensée
de groupe collective. » Et comme tout le monde avait tort,
personne n'était en faute, surtout le vice-président Dick Cheney. (Antiwar.com
avait raison bien avant le début de la guerre). La CIA n'a pas non plus payé le
prix quand elle a été prise en train d'espionner illégalement l'enquête de la
commission du renseignement du Sénat sur la torture de la CIA sous
l'administration Obama.
Et puis il y a les
récompenses officielles pour léchage de bottes. La CIA décerne publiquement sa
médaille au sceau de l'Agence aux membres du Congrès qui augmentent son budget,
dissimulent ses crimes et s'abstiennent de poser des questions embarrassantes.
Pat Roberts en a obtenu une - avec la congressiste Jane Harman (Dém-Californie),
le Sénateur John Warner (Rép-Virginie) et le congresssiste Pete Hoekstra (Rép-Michigan)-
tous des larbins fiables de l'agence. Les Pères Fondateurs se retourneraient
dans leurs tombes à l'idée que les agences fédérales décernent des prix aux
membres du Congrès qui étaient censés les tenir en laisse. C’est comme si un
juge se vante d'avoir reçu un prix de la fonction publique d'un mafieux qu'il a
déclaré non coupable, en connivence avec lui.
Il y a des membres du
Congrès intelligents, dévoués et respectés qui surmontent la léthargie et les
obstacles bureaucratiques pour en apprendre assez pour reconnaître les folies
des interventions proposées. Mais ces âmes vaillantes seront probablement
toujours dépassées en nombre par le troupeau de sénateurs et de représentants
bien plus enclins à parcourir les derniers sondages qu'à lire un rapport
officiel plus long que les 140 signes d’un gazouillis