Iain Overton, AOAV, 6/10/2025
Traduit par Tlaxcala
L’annonce
selon laquelle le général Sir Patrick Sanders, ancien chef de l’armée
britannique, va diriger la division de prêts à la défense de la banque Santander,
pourrait, à première vue, sembler une évolution logique pour un homme rompu aux
questions de sécurité nationale.
Après tout, qui mieux qu’un ancien chef d’état-major pour conseiller une banque
sur les risques et opportunités des investissements dans la défense ?
Il a commandé des troupes, présidé des comités stratégiques et travaillé avec
les partenaires industriels les plus influents.
Pourtant,
derrière cette nomination se cache une question que la classe politique
britannique évite soigneusement :
à partir de quel moment la reconversion des anciens généraux dans les conseils
d’administration cesse-t-elle d’être une mise à profit d’expertise et
devient-elle un conflit d’intérêts institutionnalisé ?
Sanders,
chef d’état-major de l’armée britannique de 2022 à 2024, va désormais aider
Santander à accroître ses prêts aux fabricants d’armes.
Le tout dans un contexte de boom de l’investissement militaire, alors que les
États membres de l’OTAN augmentent leurs budgets et que les restrictions ESG (environnementales,
sociales et de gouvernance) sur le financement de l’armement sont
discrètement assouplies.
Cette
initiative s’inscrit dans une tendance plus large : les institutions
financières qui évitaient autrefois le secteur de la défense le requalifient
désormais en « actif essentiel de sécurité ».
Le complexe militaro-industriel britannique connaît une telle effervescence que
les généraux deviennent banquiers. On attend maintenant le premier général
investisseur en cryptomonnaie.
Mais voir
un ancien chef de l’armée jouer un rôle dans ce virage financier soulève de
sérieuses questions éthiques.
Pendant son mandat, Sanders supervisait des stratégies d’approvisionnement et
des partenariats industriels valant des milliards de livres.
Les frontières entre son service public passé et ses intérêts privés présents
sont, pour le moins, floues.
Son accès privilégié à la compréhension des priorités du ministère de la
Défense ne donnera-t-il pas à Santander un avantage démesuré dans ce marché en
expansion rapide ?
Cette
nomination illustre un phénomène qu’ AOAV dénonce depuis des années :
la disparition progressive de la distance entre l’establishment militaire,
l’industrie de l’armement et le monde financier.
Selon nos recherches, 86 % des hauts responsables de la défense britannique
rejoignent le secteur privé dans les deux ans suivant leur départ.
Certains travaillent pour des fabricants, d’autres pour des cabinets de
conseil, et de plus en plus pour des institutions financières qui cherchent à
financer la guerre.
Le
problème n’est pas qu’une question d’image.
Quand ceux qui définissaient hier la politique de défense profitent aujourd’hui
de son expansion, la confiance du public s’effrite.
La nomination de Sanders évoque une porte tournante devenue couloir, où
l’influence circule librement dans les deux sens :
les banques gagnent du prestige et de l’accès, les généraux gagnent salaire et
position, et la frontière entre sécurité nationale et intérêts privés devient
invisible.
Ce phénomène n’est pas nouveau.
Les
défenseurs de ces nominations affirment que ces profils apportent une expertise
précieuse. Mais l’inverse peut aussi être vrai : en s’appuyant sur d’anciens militaires pour définir leur stratégie de prêts,
les institutions financières risquent d’importer un biais structurel, une
vision du monde où l’expansion militaire est inévitable et bénéfique.
C’est peut-être rentable pour les actionnaires, mais certainement néfaste pour
la transparence démocratique.
Le cas de
Sanders sera probablement examiné par le Comité consultatif sur les nominations
professionnelles (ACOBA), l’organe chargé de contrôler ces reconversions. Mais la réputation d’ACOBA est peu rassurante : aucun pouvoir contraignant, des recommandations souvent ignorées, un manque
total de transparence.
En pratique, le Royaume-Uni compte sur l’honneur personnel et l’indifférence
publique pour réguler les conflits d’intérêts au sommet.
Deux leviers pour le moins peu fiables.
Comme l’a déclaré un banquier londonien : « Soutenir ce secteur est essentiel pour la sécurité de la région. » Mais de quelle sécurité parle-t-on ? Pour de nombreux civils à Gaza, au Yémen ou en Ukraine, l’industrie de l’armement financée par la Grande-Bretagne signifie destruction, pas protection.
Cette
porte tournante entre généraux et banquiers ne prouve pas nécessairement des
malversations,
mais elle illustre la dissolution progressive des frontières entre service
public et profit privé.
Quand le leadership militaire devient un tremplin vers l’influence financière,
l’autorité morale des forces armées, déjà fragile, en sort encore affaiblie.
Si le
Royaume-Uni veut préserver l’intégrité de sa politique de défense, il doit instaurer des restrictions plus strictes aux postes post-service, renforcer les pouvoirs d’ACOBA et exiger une transparence totale sur les bénéfices tirés des fonctions
publiques antérieures.
Tant que
cela n’est pas fait, chaque nomination de ce type soulèvera la même question :
faut-il les présenter comme des anciens généraux… ou comme des lobbyistes
financiers ?
Dessins de Robert Murray, Private Eye