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10/06/2023

KARIM EL SADI
Antonio Mazzeo : le pont sur le détroit de Messine vise à relier les bases de l’OTAN

Karim El Sadi, antimafiaduemila, 8/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Karim El Sadi, né à Cattolica de parents palestiniens originaires de Kufr Zibad, près de Toulkarem, est étudiant en Études globales à l’université de Palerme, rédacteur du magazine en ligne AntimafiaDuemila et militant des associations Jeunes Palestiniens d’Italie, Our Voice et Voix dans le Silence.

L’interview du journaliste sur le mégaprojet de pont sur le détroit de Messine : « Le début des travaux entraînerait une augmentation de la présence militaire sur le territoire ». [vidéo en haut de cette page]

Après plus de dix ans, le spectre du pont sur le détroit est revenu occuper les sessions parlementaires, les pages des journaux et les réunions syndicales. La victoire du mouvement “No Ponte” - qui a eu lieu en 2012 lorsque le Conseil des ministres a adopté un arrêt du projet après une mobilisation populaire très suivie - n’est plus qu’un lointain souvenir maintenant que le gouvernement Meloni a ressuscité ce projet de construction utopique et dépourvu de sens pour le mener à bien d’ici 2030. Ces derniers jours, la Chambre des députés et le Sénat ont également donné leur feu vert à ce qui est considéré comme « la mère de tous les grands travaux en Italie » (il s’agirait du pont à travée unique le plus long du monde), les travaux devant commencer en 2024. Mais il s’agit d’une entreprise irréalisable, car sa construction va à l’encontre des lois de la physique, de l’ingénierie et même de l’économie (pas une seule brique n’a été posée et il a déjà coûté un demi-milliard d’euros aux caisses de l’État). Depuis que le ministre des infrastructures et des transports Matteo Salvini - qui, il y a quelques années encore, répudiait l’idée du pont entre Messine et Reggio de Calabre - a mis en branle les “bétonnières bureaucratiques”, le mouvement “No Ponte” est revenu sur le terrain pour empêcher la construction de cette folie d’ingénierie. Au sein de cette réalité populaire, on trouve des syndicats, des étudiants, des politiciens, des ingénieurs et des journalistes. Parmi eux, Antonio Mazzeo, journaliste et essayiste antimilitariste qui, depuis quarante ans, rapporte et dénonce l’implication de l’Italie et surtout de la Sicile dans les différents théâtres de guerre internationaux. Nous l’avons interviewé à Palerme à l’occasion de la présentation de sa BD-enquête “Sigonella, le guerre alle porte di Casa (La Revue Dessinée Italia) réalisée avec le dessinateur Lelio Bonaccorso et la coloriste Deborah Braccini.

 « Le pont sur le détroit est aussi irréalisable qu’il l’était il y a dix ans, mais cette fois-ci, certains acteurs font pression pour mettre en route ce chantier. Non pas la construction du pont, mais une série de travaux, justifiés par le pont, qui permettront évidemment le transfert de ressources qui seront soustraites aux besoins réels du territoire », a dit Mazzeo à nos micros. « Je pense à la sécurité : nous avons une zone perturbée du point de vue hydrogéologique ». Selon Mazzeo, par rapport à 2012, « cette fois-ci, on va faire face à une volonté de commencer à percer le territoire ». En arrière-plan, en effet, il y a la militarisation de la Sicile et la guerre en Ukraine pour laquelle l’île représente un territoire fondamental étant donné les différentes bases de l’OTAN déjà présentes : de Sigonella à Niscemi, à Trapani ou Augusta.

« Si les travaux commencent, on ne peut que s’attendre à un renforcement de la présence militaire sur le territoire », explique le journaliste. « Des casernes seront créées, la présence de l’armée et de la marine sera plus forte. Nous l’avons déjà vu dans le Val di Susa avec le NO TAV (TGV Lyon-Turin), où il y a eu une énorme pression du point de vue militaire et une énorme réduction de l’espace d’action démocratique ». Selon Antonio Mazzeo, ce qui est annoncé « c’est la vendabilité du pont ».

« Un ouvrage de cette importance ne peut que nécessiter - et les forces armées le disent - une série d’interventions : batteries de missiles (une seule batterie coûte 800 millions d’euros, ndlr), chasseurs-bombardiers, patrouilles constantes de sous-marins ». « Il s’agit évidemment d’une militarisation accrue du territoire », poursuit le journaliste. Mais ce qui est encore plus grave, selon Antonio Mazzeo, « c’est la justification que le gouvernement donne aujourd’hui pour effectuer ce travail ». « Nous avons découvert que le gouvernement considère qu’il est d’une importance géostratégique fondamentale de relier les bases de l’OTAN dans le sud de l’Italie aux bases de l’OTAN en Sicile. Le pont est alors justifié comme un élément fondamental du renforcement militaire de la mobilité militaire. C’est une fantaisie d’un point de vue technique, mais elle nous inquiète parce qu’elle peut être utilisée comme un cheval de Troie pour justifier la nécessité de commencer à opérer parce que dans un monde de guerre, dans un territoire de guerre, c’est fondamental pour la guerre ». Non seulement il accroît la militarisation de la Sicile, mais le pont aiguise également l’appétit des mafias, en particulier des deux mafias des deux régions, Cosa Nostra en Sicile et la ‘Ndrangheta en Calabre. Antonio Mazzeo a écrit un livre à ce sujet il y a 13 ans : “I padrini del ponte. Affari di mafia sullo stretto di Messina”(Edizioni Alegre).

« Il y a treize ans, nous avons identifié comment les grandes organisations mafieuses internationales voulaient investir dans ce projet pour se légitimer », a raconté Mazzeo. « Le risque, avertit le journaliste, est qu’aujourd’hui, face aux anticorps de la culture mafieuse, celui qui se présente comme le constructeur du pont, même s’il est un mafioso, gagne en légitimité. Les grandes organisations mafieuses pourraient se légitimer en tant que grand élément : “avant on posait des bombes et on commettait des massacres, aujourd’hui on fait le pont et vous nous pardonnez ».

 

Pont ? Mon cul ! (ou Quelle connerie !)-Art populaire sicilien, Messine, début du XXIème Siècle

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09/12/2022

ANTONIO MAZZEO
De base en base : voyage à travers les centres de guerre USA/OTAN en Italie

Antonio Mazzeo, Mosaico di Pace, dicembre 2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alea iacta est. Le sort en est jeté. Les nouvelles bombes nucléaires tactiques usaméricaines à gravité améliorée B61-12 seront déployées en Europe d'ici la fin 2022, soit trois mois avant le calendrier fixé par Washington avec ses partenaires de l'OTAN. Il s'agit d'une démonstration de force qui va dangereusement alimenter les tensions déjà élevées avec la Russie après l'invasion de l'Ukraine. Une centaine d'armes seront logées dans les bunkers de cinq pays : la Belgique (base aérienne de Kleine Brogel), l'Allemagne (Buchel), les Pays-Bas (Volkel), la Turquie (Incirlik) et l'Italie (les aérodromes d'Aviano-Pordenone et de Ghedi-Brescia). Les nouvelles bombes, une variante modernisée de l'ancienne B61, auront une puissance de destruction réglable, avec quatre options sélectionnables en fonction de la cible à atteindre. « L'utilisation opérationnelle peut donc être calibrée en fonction de l'effet recherché et de l'importance de la cible », écrit Difesaonline. Par rapport à la bombe “mère”, la B61-12 sera guidée par un système satellitaire et pourra pénétrer dans le sous-sol pour exploser en profondeur. La National Nuclear Security Administration, l'organisme du ministère usaméricain de l'Énergie chargé des stocks d'armes nucléaires, a annoncé en novembre 2021 les chasseurs-bombardiers qui seront utilisés pour larguer les nouvelles armes atomiques : le Panavia PA-200 "Tornado", le F-15 "Eagle", le F-16 C/D "Fighting Falcon", le B-2 "Spirit", le B-21 "Raider" et le nouveau F-35A "Lighting II" également acheté par l'armée de l'air italienne et déployé sur la base d'Amendola (Foggia).

 https://s3.amazonaws.com/uploads.fas.org/2021/10/20021010/NATO_Nukes2021.jpg

L'US Air Force stocke actuellement environ 100 bombes nucléaires en Europe, contre 180 en 2010 et 480 en 2000. Au cours de la dernière décennie, la restructuration et l'incertitude concernant la Turquie ont réduit l'inventaire. Source

Au total, entre 30 et 50 bombes B61-12 devraient être logées à Ghedi et Aviano, et les travaux de “renforcement” des bunkers atomiques sont en voie d'achèvement sur les deux aérodromes de l'OTAN. Ghedi abrite la 6e  Escadre de l'armée de l'air italienne, qui dispose de Tornado nucléaires, mais s'entraîne depuis un certain temps à l'utilisation des chasseurs-bombardiers F-35 de cinquième génération. À Aviano, les nouvelles bombes seront utilisées par les chasseurs-bombardiers F-16 de l'US Air Force. Sur la base du Frioul, les pistes ont été allongées et de nouveaux hangars et centres de maintenance des avions ont été construits. Aviano est également utilisé par les gros avions cargo qui transportent les parachutistes de la 173rd Airborne Brigade de l'armée usaméricaine vers les grandes zones de guerre internationales (dernièrement en Irak et en Afghanistan, aujourd'hui en Europe de l'Est et en Afrique).

La 173e Brigade est l'une des unités d'élite des forces armées usaméricaines et son quartier général se trouve sur l'ancien aérodrome Dal Molin à Vicenza, l'une des plus grandes bases militaires usaméricaines sur le sol italien. Il y a quelques mois, les travaux ont commencé dans la ville de Vénétie pour la construction de 478 logements destinés au personnel militaire usaméricain et à leurs familles (des maisons en terrasse et plusieurs nouveaux bâtiments à l'intérieur de la caserne Ederle et du “Village de la paix”), pour un coût estimé à 373 millions de dollars. De nouvelles infrastructures routières sont également prévues pour accélérer la connexion des bases de Vicence avec l'aéroport d'Aviano.

En vérité, il existe d'innombrables chantiers ouverts pour moderniser le réseau militaire usaméricain et national en Italie. Il y a quelques mois, l'AGS - Alliance Ground Surveillance - le système avancé de surveillance terrestre de l'Alliance atlantique, basé sur cinq grands avions sans pilote RQ-4 "Phoenix", est devenu opérationnel sur la base sicilienne de Sigonella. Ces drones mesurent 14,5 mètres de long et peuvent voler dans toutes les conditions environnementales et en continu pendant plus de 30 heures, jusqu'à une altitude de 18 280 mètres. Le système AGS est utilisé pour les activités de renseignement de l'OTAN en mer Noire et aux frontières avec le territoire ukrainien : les flottes et les unités terrestres de la Fédération de Russie sont espionnées dans leurs moindres mouvements et les données recueillies sont mises à la disposition des forces armées de Kiev pour planifier les opérations contre l'envahisseur.

Les grands drones espions "Global Hawk" de l'US Air Force et les avions de patrouille maritime P8A "Poseidon" de l'US Navy et des forces aériennes et maritimes de l'Australie et du Royaume-Uni décollent également quotidiennement de Sigonella, contribuant ainsi à l'escalade de la guerre en Europe orientale. Toutefois, le rôle de Sigonella dans les stratégies de guerre mondiale est appelé à se développer encore davantage : le Pentagone a signé un contrat de 177 millions de dollars avec une filiale du géant industriel Raytheon Technologies pour améliorer l'efficacité des 14 terminaux mondiaux (dont Sigonella) inclus dans le système de communications mondiales à haute fréquence (HFGCS). Les stations HFGCS transmettent des messages d'action d'urgence (EAM) et d'autres types de codes d'importance stratégique, y compris ceux permettant de mener une attaque nucléaire. Enfin, à Sigonella, le ministère italien de la Défense a entamé le processus d'expropriation de près de 100 hectares de terrain afin d'allonger les pistes de la base et de permettre les décollages et les atterrissages d'avions ravitailleurs pour le ravitaillement en vol des chasseurs de l'OTAN.

Une autre infrastructure clé dans les programmes de renforcement de l'appareil de projection avancée des forces armées italiennes et alliées est la base de Pratica di Mare, à Rome, qui abrite la 14e  Escadre de l'armée de l'air. Depuis le début de la guerre en Ukraine, des avions sophistiqués Gulfstream E.550 CAEW décollent de Pratica di Mare en direction de la mer Noire et de l'Europe de l'Est pour surveiller les opérations des unités de guerre russes. Les avions ne sont pas simplement des “radars volants”, mais ont également pour tâche de “gérer” les missions des alliés sur les champs de bataille et de brouiller les émissions électroniques. Les avions-citernes KC-767A utilisés pour le ravitaillement des avions italiens et de l'OTAN employés dans le cadre de la mission de police aérienne dans l'espace aérien de l'Europe de l'Est décollent également de l'aéroport de Rome. Des avions cargo sont utilisés depuis Pratica di Mare pour transporter des systèmes d'armes “donnés” par le gouvernement italien aux forces armées ukrainiennes.

Des coulées de ciment à des fins de guerre sont également prévues pour la ville de Pise. Le commandement général du corps des carabiniers a l'intention de construire des casernes et des logements pour les soldats et les familles, des stands de tir et des bases d'entraînement, sur une superficie de 73 hectares à Coltano, dans le parc régional de Migliarino-San Rossore-Massaciuccoli. Parmi les unités d'assaut des Carabinieri qui seront installées à Coltano figurent le 1er régiment de parachutistes "Tuscania", le G.I.S.-Groupe d'intervention spéciale et le Centre de défense canine, qui sont employés depuis des décennies sur les principaux théâtres de guerre dans des actions de combat et dans la formation “antiterroriste” du personnel militaire de certains régimes d'Afrique et du Moyen-Orient. Le projet de Pise est fonctionnel au renforcement géostratégique de la région toscane : la nouvelle citadelle des carabiniers s'ajoutera à la grande base de véhicules lourds de l'armée usaméricaine de Camp Darby, aux aéroports de Pise-San Giusto et de Grosseto, au port de Livourne, aux nombreuses casernes des parachutistes "Folgore", au centre de recherche militaire avancée (anciennement nucléaire) de San Piero a Grado et au poste de commandement florentin de la division "Vittorio Veneto", qui opérera bientôt en tant que division multinationale sud de l'OTAN pour les opérations de l'alliance en Méditerranée et en Afrique.

Le centre de guerre toscan rejoindra ainsi ceux de Vénétie-Frioul (avec Vicence et Aviano) ; de Sicile (Sigonella, le MUOS de Niscemi, la baie d'Augusta, l'escale de Trapani-Birgi et les petites îles de Pantelleria et Lampedusa). Les Pouilles (les bases navales de l'OTAN de Tarente et de Brindisi, les aéroports d'Amendola, de Gioia del Colle et de Galatina) ; la Campanie (le port de Naples et Capodichino, le commandement interallié du Lago Patria) ; la Sardaigne (les innombrables polygones disséminés sur l'île, Decimomannu, l'archipel de la Maddalena). Se profile également à l'horizon le développement du complexe militaro-industriel du Piémont et de la Lombardie (il existe déjà dans cette région le centre de Cameri-Novara pour la production du F-35, le quartier général du Corps à déploiement rapide de l'OTAN à Solbiate Olona, les complexes Leonardo-Agusta à Varese, la base nucléaire de Ghedi et les usines de pistolets, de mitrailleuses et de fusils dans la région de Brescia). En avril dernier, l'OTAN a approuvé le document stratégique jetant les bases de l'Accélérateur d'innovation de défense pour l'Atlantique Nord (DIANA), destiné à promouvoir la recherche scientifique et technologique menée par des centres universitaires, des jeunes pousses et des petites et moyennes entreprises sur les technologies émergentes que l'OTAN a jugées “prioritaires” : systèmes aérospatiaux, intelligence artificielle, biotechnologie et bio-ingénierie, ordinateurs quantiques, cybersécurité, moteurs hypersoniques, robotique et systèmes terrestres, navals, aériens et sous-marins pilotés à distance, etc. La ville de Turin a été choisie comme premier siège européen des accélérateurs de l'OTAN : dans une première phase, le siège de DIANA sera installé dans les historiques Officine Grandi Riparazioni (Ateliers de grandes réparations), pour être transféré à partir de 2026 dans la cité aérospatiale en cours de construction à la périphérie ouest de la capitale piémontaise, grâce à un financement de 300 millions d'euros provenant du plan national de relance et de résilience (PNRT), auquel s'ajoutent 800 millions d'euros qui devraient provenir d'environ soixante-dix entreprises du secteur aérospatial (Leonardo SpA in primis). Une Italie encore plus armée et militarisée à l'usage exclusif des forces armées usaméricaines et de l'OTAN et pour le bénéfice et le profit des industries de la mort.