Affichage des articles dont le libellé est Colons juifs Cisjordanie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Colons juifs Cisjordanie. Afficher tous les articles

13/01/2024

GIDEON LEVY
“J’ai des terres, mais je n’en ai pas” : la récolte d’olives en Cisjordanie est une autre victime de la guerre de Gaza

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haretz, 13/1/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La guerre à Gaza rend la vie difficile aux Palestiniens de Cisjordanie. En plus des barrages routiers et les routes fermées, les oliveraies ont été déclarées interdites d’accès. À la fin de la récolte, la semaine dernière, un tiers des olives restait sur les arbres, privant ainsi les Palestiniens d’un élément clé de leur subsistance.

Akram Imran et Mohammed Zaben. Pour la première fois, les deux agriculteurs palestiniens n’ont pas pu se rendre à leurs oliviers, ne serait-ce qu’une journée, pour cueillir les fruits qu’ils attendaient.

 Akram Imran et Mohammed Zaben sont assis côte à côte dans une cour et jettent des regards tristes sur la vallée et la montagne d’en face. La vue est aussi triste que spectaculaire. Leurs oliveraies s’étendent sur les pentes verdoyantes de la montagne - on a presque l’impression qu’on pourrait tendre le bras et les toucher - mais ils ne peuvent pas y accéder. Avec la colonie d’Yitzhar qui se dresse au sommet de la montagne, ces agriculteurs n’ont pu récolter leurs olives que grâce à une “coordination” avec les forces de défense israéliennes.

Mais cette année, en raison de la guerre, les FDI ont refusé de “coordonner"” ce qui signifie que les agriculteurs n’ont même pas profité des quelques jours de récolte qu’ils obtiennent généralement. La guerre. La semaine dernière, alors que la saison de la récolte des olives se terminait, pour la première fois de leur vie, les deux agriculteurs palestiniens n’ont pas pu se rendre à leurs arbres, ne serait-ce qu’une seule journée, pour cueillir les fruits qu’ils avaient attendus toute l’année. Tout ce qu’ils peuvent faire à présent, c’est regarder avec nostalgie depuis leur cour inondée de soleil vers l’oliveraie, où les fruits languissent sur les arbres, ravagés par les insectes et d’autres parasites.

Le village palestinien de Burin et la colonie israélienne d’Itzhar la semaine dernière. Le village est soumis à la terreur des colons depuis des années.

Imran et Zaben ne sont pas les seuls. Dans toute la Cisjordanie, la récolte des olives a été interdite dans les endroits où il y a des colonies à proximité. En général, en coordination avec les FDI, les agriculteurs sont autorisés à récolter leurs olives pendant trois jours sur ces terres - bien que dans certains cas, les colons les empêchent de force de le faire après le premier jour - mais cette année, même cela n’a pas été autorisé.

La punition ainsi infligée aux agriculteurs est à plusieurs niveaux. Tout d’abord, leurs villages ont perdu une partie de leurs terres lorsque les colonies ont commencé à s’y installer. Par la suite, ils ont eu du mal à accéder même aux zones jouxtant les terres perdues au profit des colonies, et cette année, l’accès leur a été purement et simplement refusé. Selon une enquête menée par Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, environ un tiers des olives de Cisjordanie n’a pas été récolté cette année. Les dommages causés à l’économie palestinienne sont estimés à des millions de shekels.

Une perte de cette ampleur serait très importante n’importe quelle année, mais alors qu’un bouclage total a été imposé aux territoires depuis trois mois, empêchant au moins 150 000 Palestiniens d’entrer en Israël pour y travailler, la perte financière de la récolte est particulièrement aiguë. Il ne reste plus beaucoup d’autres sources de revenus.

Mais il n’y a pas que l’argent. Les jours de récolte comptent parmi les plus beaux de l’année pour les Palestiniens qui travaillent la terre et leurs familles. On a beaucoup écrit sur le lien qui unit les Palestiniens à leurs oliviers et sur la récolte, qui prend des allures de fête populaire et familiale : hommes, femmes, personnes âgées et très jeunes se réunissent sur la terre familiale pendant quelques jours chaque année, étendent des bâches en plastique sur le sol sous les arbres, grimpent sur des échelles et cueillent les olives. La Cisjordanie se met en mode vacances et, depuis les routes, on voit des familles entières occupées à la récolte. Des journées incomparables.

Cette année, cependant, de tels spectacles ont été rares. La saison des récoltes, qui commence officiellement le 10 octobre et se termine fin décembre, comme le déclare le ministère palestinien de l’Agriculture, a coïncidé avec le début de la guerre à Gaza et avec les restrictions imposées à la Cisjordanie dans son sillage.

Récolte d’olives à Deir Istiya en novembre. Les dommages causés à l’économie palestinienne sont estimés à des millions de shekels.

La route qui mène à Burin, le village des deux fermiers Imran et Zaben, raconte l’histoire. Huwara ressemble davantage à une ville fantôme qu’à l’endroit animé que nous avons connu. Sur les 400 magasins et entreprises que compte la ville, l’armée israélienne n’en a autorisé que 80 à ouvrir, et ce depuis deux ou trois semaines. C’est la punition infligée à Huwara après que les colons ont perpétré plusieurs pogroms dévastateurs dans la ville - incendies, démolitions, destructions et casses. À la suite d’un certain nombre d’attaques “terroristes” perpétrées par des Palestiniens, l’armée israélienne a décidé de punir non pas les colons déchaînés, mais leurs victimes. Huwara est restée sous couvre-feu pendant des mois. Aujourd’hui, elle s’est un peu ouverte, mais la circulation est faible et la ville est envahie de soldats israéliens à chaque coin de rue, qui arrêtent et retiennent les automobilistes comme ils le jugent bon.

Nous nous dirigeons ensuite vers le nord jusqu’au point de contrôle de Huwara, qui est l’entrée principale de la ville de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie. Depuis le début de la guerre, Israël a imposé un verrouillage du centre urbain dans presque toutes les directions. Qui se soucie de savoir si une grande ville palestinienne est soumise à une sorte de siège depuis trois mois, sans raison apparente ? Les habitants doivent emprunter toutes sortes d’itinéraires de contournement ruraux pour entrer ou sortir de Naplouse, dans certains cas à travers des terres agricoles, ou utiliser le poste de contrôle de Deir Sharaf. Sadi, chercheur sur le terrain, y a attendu deux heures et dix minutes pour pouvoir passer. En ce qui concerne la fermeture de Naplouse, l’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : « Depuis le début de la guerre, des barrages routiers “de respiration” et une surveillance des déplacements ont été mis en place à divers endroits en Judée et en Samarie, y compris dans la ville de Naplouse. »

À Burin, aucune trace de la guerre n’est visible. Ce village de 3 000 habitants, situé sur le versant sud du mont Gerizim, est entouré d’oliveraies de tous côtés et subit la terreur des colons depuis des années. Un jeune âne et un tracteur se trouvent dans la cour de l’agriculteur Imran, et des feuilles de sauge ont été mises à sécher. Imran, 54 ans, et Zaben, 61 ans, sont chacun père de sept enfants. Tous deux portent des vêtements en lambeaux, tachés de boue, et leurs mains sont celles de laboureurs : larges, osseuses, rugueuses, comme celles des moshavniks israéliens d’autrefois. Comme eux, ils sont moustachus.

Ici, il n’y a pas d’ouvriers agricoles thaïlandais [comme dans les moshavs, NdT] thaïlandaise, bien sûr ; les deux hommes ne vivent que des travaux agricoles qu’ils effectuent eux-mêmes, avec l’aide de leur famille. Ils cultivent principalement des olives, mais chacun d’entre eux possède également un petit troupeau de moutons, un poulailler encore plus petit et des cultures de plein champ. L’élevage de moutons a également beaucoup diminué ici, à la fois parce que les colons et l’armée les ont empêchés d’accéder à leurs pâturages et en raison du coût élevé du fourrage.

Huwara en octobre. Sur les 400 magasins et entreprises que compte la ville, l’armée israélienne n’en a autorisé que 80 à ouvrir, et ce depuis deux ou trois semaines seulement. Photo Itay Ron

 « J’ai des terres, mais je n’en ai pas », dit Imran pour résumer sa situation. Toutes les terres qu’il possède de l’autre côté de la route 60 sont perdues pour l’instant. Il possède 35 dunams (3,5 ha) qui lui appartiennent et 120 autres dunams (12 ha) qu’il loue depuis des décennies. Cependant, les deux tiers de ses terres se trouvent du côté ouest de l’autoroute, sur le versant de la montagne d’Yitzhar. Sur 55 moutons, il en a vendu 32, en raison de la pénurie de pâturages. Son ami Zaben possède 50 dunams (5 ha) de terres propres et 150 dunams (15 ha) en location.

Zaben estime que l’interdiction de récolte lui a fait perdre cette année 150 gallons (2 400 litres) d’huile d’olive qui ne seront pas produits, à raison de 600 shekels le gallon [9€ le litre]. (Les Palestiniens utilisent le terme “gallon"”pour désigner une quantité de 16 litres.) Imran dit qu’il a perdu la production des 230 oliviers qu’il n’a pas pu atteindre, dont le rendement potentiel aurait été d’environ 150 gallons d’huile. Cette année, ils n’ont pu récolter que les arbres proches de chez eux. Chaque année, chacun a une récolte de 3,5 à 4 tonnes d’olives, alors que cette année, le rendement sera inférieur à une tonne pour chaque agriculteur. Chacun d’entre eux estime qu’il perdra près de 100 000 shekels de revenus (environ 25 000 €) à cause des olives non cueillies.

Leurs problèmes ont commencé en 2000, avec l’éclatement de la deuxième Intifada, mais la situation s’est aggravée en 2011. Un jour de cette année-là, des colons ont coupé à la hache 117 oliviers anciens à Burin. Les villageois ont porté plainte auprès de la police, qui leur a dit qu’ils mentaient et a classé la plainte. En 2018, Zaben a été attaqué alors qu’il labourait. Trois jours plus tard, 120 de ses arbres ont été abattus. Les violences se répètent chaque année à l’approche de la récolte.

Les colons faisaient rouler des pneus enflammés dans les oliveraies pour mettre le feu aux arbres et lançaient des pierres sur les personnes chargées de la récolte depuis le sommet de la montagne. Le plaisir de la saison des récoltes s’est estompé. Au même moment, l’ordre de coordonner les jours de récolte des olives avec l’armée est entré en vigueur. Chaque année, le conseil du village soumettait les demandes des cueilleurs à l’administration de coordination et de liaison, et l’armée fixait trois jours pour la récolte.

 

Des Palestiniens cueillent des olives dans le village de Far’ata, en Cisjordanie, en 2021. Les jours de récolte sont parmi les plus beaux de l’année pour les Palestiniens qui travaillent la terre et leurs familles. Photo Hadas Parush

 

Les deux agriculteurs affirment que si un attentat “terroriste” a lieu n’importe où en Cisjordanie, les colons se vengent sur eux pendant la récolte, malgré la coordination avec l’armée. En fait, ils disent que cela fait des années qu’ils n’ont pas eu trois jours pour cueillir les olives. Un jour, deux au maximum, et les colons mettaient fin au travail. En raison du danger, ils ont également cessé d’amener des femmes et des enfants pour aider à la récolte.

Le dernier incident en date s’est produit l’année dernière, lorsque 22 oliviers ont été incendiés et 24 autres coupés à la hache. Ils ont des photos de colons dans leurs oliveraies, portant des chemises blanches de Shabbat, parfois accompagnés d’adolescents et de femmes, en train d’abattre des arbres. En juin de l’année dernière, 180 arbres de Burin ont été incendiés ou coupés. Ils ont vu des colons verser de l’essence sur les arbres et les brûler. En chemin, les colons ont également brûlé un tracteur qui était attelé à un chariot contenant 11 sacs d’olives fraîchement cueillies, ainsi qu’une voiture particulière.

L’année dernière, ils ont reçu un quota réduit de deux jours pour la récolte des olives. Ils sont arrivés dans les oliveraies comme des voleurs dans la nuit, se souviennent-ils, afin de terminer le travail avant d’être attaqués et avant que les permis de coordination n’expirent. À l’époque, ils venaient avec tout le village pour se protéger, au cas où l’un d’entre eux serait attaqué. Et maintenant, cette année, ils n’ont même pas cueilli une seule olive sur les terres de la montagne.

Des bénévoles aident à cueillir des olives à Burin en 2019.Photo : Ilan Assayag

Ils disent que, malheureusement, c’était en fait une bonne année en termes de récolte. Mais elle est devenue la pire année qui soit, ce qu’ils décrivent comme l’année de “notre destruction”. Ils ont présenté des demandes au conseil du village à plusieurs reprises. Le conseil les a transmises aux autorités, mais la réponse a toujours été négative.

L’unité du porte-parole de Tsahal a fourni le commentaire suivant à Haaretz : « L’armée israélienne et, en son sein, l’administration civile, ont pris les mesures nécessaires pour que la récolte soit effectuée par la population palestinienne en Judée et en Samarie, tout en préservant la sécurité des résidents. Dans le contexte de la guerre, les forces ont assuré la coordination de la sécurité, en particulier dans les zones de récolte proches des colonies, des routes et des centres de friction. Ces mesures comprennent, entre autres, la coordination et la surveillance étroite par les forces de sécurité, tout en permettant à la population palestinienne de récolter des olives dans toutes les zones où cela peut être fait, conformément aux limites de la situation sécuritaire. »

« Nous prions Dieu pour qu’il nous dédommage », dit Zaben.

Ils pensent maintenant au futur proche. Seront-ils autorisés à labourer en février ? Et que se passera-t-il en avril, lors du deuxième labour ? Sans labour, les mauvaises herbes se répandront dans les oliveraies, détruisant la bonne terre.

 

16/12/2023

GIDEON LEVY
Comme si la violence des colons ne suffisait pas :
Israël prive désormais d’eau les Palestiniens de la vallée du Jourdain

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 16/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis le début de la guerre, une vingtaine de familles palestiniennes ont été chassées de leurs maisons dans la vallée du Jourdain par la violence accrue des colons. Pendant ce temps, l’armée refuse aux communautés de bergers l’accès à l’eau. Des volontaires israéliens tentent de les protéger jour et nuit

Un campement bédouin abandonné par ses habitants en raison de la violence des colons.

Douze heures quarante-cinq, ce lundi, dans le nord de la vallée du Jourdain. Le tronçon nord de la route Allon (route 578) est désert, comme d’habitude, mais au bord de la route, entre les colonies de Ro’i et Beka’ot, un petit convoi de réservoirs d’eau, tirés par des tracteurs et des camions, est stationné et attend. Et attend. Il attend que les moutons rentrent à la maison. Des soldats des Forces de défense israéliennes étaient censés venir il y a quelques heures pour ouvrir la barrière en fer, mais les FDI ne viennent pas et n’appellent pas non plus, comme le dit la chanson. Lorsque l’on appelle le numéro indiqué par l’armée sur le portail jaune, on répond au téléphone de l’autre côté de la ligne, puis on est immédiatement déconnecté. Une militante de Machsom Watch : Women for Human Rights, Tamar Berger, a essayé trois fois ce matin, et à chaque fois, dès qu’elle s’est identifiée, l’autre partie a raccroché de manière démonstrative. Les chauffeurs palestiniens ont peur d’appeler.

C’est le temps du vent jaune, le temps des porteurs d’eau dans le nord de la vallée du Jourdain, qui sont obligés d’attendre des heures et des heures jusqu’à ce que les forces de l’armée qui détiennent la clé arrivent et ouvrent la porte pour que ceux qui transportent l’eau puissent entrer. Dans cette région desséchée, Israël n’autorise pas les résidents palestiniens à se raccorder à un quelconque réseau d’approvisionnement en eau : eux et leurs moutons doivent dépendre de l’eau coûteuse transportée dans les citernes, et les chauffeurs des camions et des tracteurs sont totalement tributaires d’un soldat muni d’une clé.

Le soldat qui détient la clé devait être ici dans la matinée. Les chauffeurs attendent ici depuis 8 heures du matin, et dans quelques minutes, il sera 13 heures. Après l’ouverture du portail, ils se dirigeront vers Atuf et rempliront les réservoirs d’eau, puis reviendront par le chemin de terre en direction des villages situés du côté est de la route, où ils devront à nouveau attendre qu’un soldat muni d’une clé daigne leur ouvrir le portail, afin qu’ils puissent distribuer l’eau aux hommes et aux animaux qui n’ont pas d’autre source d’approvisionnement.

Depuis le début de la guerre, cette barrière est fermée par défaut, après être restée ouverte pendant des années. Depuis l’attaque à la voiture piégée qui s’est produite ici il y a deux semaines, au cours de laquelle deux soldats ont été légèrement blessés, les soldats disposant de la clé ont tardé à venir ou ne sont pas venus du tout. Au cours de cette dernière période, des journées entières se sont écoulées sans que la porte ne soit ouverte et sans que les habitants n’aient accès à l’eau. Les camionneurs et les bergers doivent être punis pour une attaque terroriste (non mortelle) perpétrée par un habitant de la ville de Tamun, à l’ouest d’ici, qui a lui-même été abattu. Ainsi, les Palestiniens sont laissés à sec.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

Le côté est de la route est officiellement privé d’eau. Il est interdit de boire et d’irriguer, par ordre. C’est ce qu’a décidé Israël, dans le but inavoué d’envenimer la vie des bergers jusqu’à ce qu’elle devienne intenable pour eux, puis de les expulser de cette zone. Les colons aussi terrorisent les Palestiniens dans le but de les expulser, encore plus intensément dans l’ombre de la guerre. Comme à l’autre extrémité de l’occupation, dans les collines du sud de l’Hébron, ici aussi, à son point le plus septentrional, dans la zone appelée Umm Zuka, l’objectif principal est de se débarrasser des bergers - le groupe de population le plus faible et le plus impuissant - et de s’emparer de leurs terres.

De nouvelles clôtures ont déjà été érigées le long de la route, apparemment par des colons, autour de toute la zone, dans le but d’achever le processus de nettoyage. À ce jour, une vingtaine de familles, soit près de 200 personnes, enfants compris, ont fui, emportant leurs moutons et laissant derrière elles, dans leur fuite, des tranches de vie et des biens.

Un camion bloqué à un barrage improvisé dans la vallée du Jourdain en attendant que l’armée se décide à déverrouiller la barrière. Si les camions transportant de l’eau ne peuvent pas passer, les bergers et leurs troupeaux n’auront rien à boire.

Retour à la barrière jaune. Dafna Banai, une vétérane de Machsom Watch dans la vallée du Jourdain, qui aide les résidents avec un dévouement sans faille depuis des années, attend avec les chauffeurs de camion depuis le matin. Elle et Berger ont été arrêtés par des soldats au poste de contrôle de Beka’ot au motif fallacieux qu’elles étaient entrées dans la zone A. « Je sais qui vous êtes et ce que vous faites », leur a lancé le commandant de l’unité. Rafa Daragmeh, un chauffeur de camion qui attend depuis 9h30, est censé faire quatre tournées de livraison d’eau par jour, mais c’est maintenant le milieu de la journée, son réservoir est plein et il n’a pas encore terminé une seule tournée. Un jour, il a demandé à un soldat pourquoi ils ne venaient pas. Le soldat a répondu : « Demandez à celui qui a commis l’attaque terroriste », ce qui ressemble à une punition collective - mais ce n’est pas possible, puisque la punition collective est un crime de guerre [et que l’armée la plus morale du monde ne commet pas de crimes de guerre, NdT].

De l’autre côté du poste de contrôle, un camion-citerne vide attend également depuis le matin. Le chauffeur, Abdel Khader, du village de Samara, est là depuis 8 heures du matin. Un autre camion est rempli d’aliments pour animaux - il est peu probable que les soldats le laissent passer. Son chauffeur doit apporter la cargaison à une communauté qui vit à 200 mètres à l’est de la barrière. Deux pièges à mouches sont suspendus à côté du poste de contrôle, le temps s’écoule.

Après 13 heures, une Nissan Jeep civile avec un feu jaune clignotant s’arrête. Les forces armées en sortent, déterminées et confiantes : Quatre soldats, armés et protégés comme s’ils étaient à Gaza. Ils prennent rapidement position. Un soldat grimpe sur un cube de béton et pointe son fusil sur nous sans broncher ; son commandant, masqué et portant des gants, nous demande de « ne pas interférer avec le travail » et nous menace de ne pas laisser passer les camions si nous osons prendre des photos. Peut-être a-t-il honte de ce qu’il fait.

Un troisième soldat ouvre le compartiment à bagages de la Nissan et en sort une clé qui pend au bout d’un long lacet. C’est la clé convoitée, la clé du royaume. Le soldat se dirige vers la barrière et l’ouvre. C’est maintenant l’étape du contrôle de sécurité. Peut-être que l’eau est empoisonnée, peut-être que c’est de l’eau lourde, peut-être que c’est un engin explosif. Avec les Arabes, on ne sait jamais.

Pour passer ici, il faut de la “coordination”. Un chauffeur bédouin israélien du nord du pays affirme qu’il a de la coordination. Son camion transporte des matériaux de construction. Le chauffeur du camion-citerne nous dit que la cargaison est destinée aux colons ; le chauffeur bédouin le nie et dit que c’est pour les bergers. Mais il n’y a pas un seul berger dans ces régions qui ait l’autorisation de construire ne serait-ce qu’un muret.

Un berger allemand se réchauffe au soleil et observe les événements avec émerveillement. Un tracteur passe sans encombre ; un camion, celui qui vient de l’ouest, est retardé et son chauffeur s’assoit par terre au poste de contrôle en attendant. Mais le grotesque ne fait que commencer. Le summum est atteint lorsqu’un minibus portant des plaques d’immatriculation israéliennes arrive et déverse un groupe d’étudiants de yeshiva haredi, équipés d’un amplificateur diffusant de la musique hassidique et d’un plateau de sufganiot, des beignets de Hanoukka. Les chauffeurs palestiniens qui attendent encore n’en croient pas leurs yeux - ils pensaient avoir déjà tout vu aux postes de contrôle.

Dafna Banai, vétérane de Machsom Watch dans la vallée du Jourdain, près du barrage routier cette semaine.

Les étudiants de la yeshiva, originaires de la ville de Migdal Ha’emek, dans le nord d’Israël, font une mitzvah en distribuant des beignets envoyés par le centre Chabad de Beit She’an aux soldats à ce point de contrôle et à d’autres, au grand étonnement des transporteurs d’eau palestiniens qui ne demandent qu’à traverser et à livrer leur cargaison d’eau.

Le soldat au fusil qui nous vise mâche paresseusement son beignet, une main le tenant, l’autre sur la gâchette. Tous ensemble maintenant : “Maoz tzur yeshuati” – “O puissante forteresse de mon salut”. Le camion de nourriture pour animaux ne passe pas. Pas de coordination. Un officier portant une kippa est appelé sur les lieux et, de loin, nous prend en photo avec son téléphone.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

L’unité du porte-parole des FDI, en réponse à une question de Haaretz sur le fonctionnement irrégulier du point de contrôle : « À la suite d’un certain nombre d’événements liés à la sécurité qui se sont produits ici, la porte a été partiellement bloquée. Le passage par la porte est uniquement coordonné et est autorisé en fonction de l’appréciation de la situation opérationnelle dans le secteur ».

À quelques kilomètres au nord, on trouve des vestiges de vie sur le bord de la route. Ici, deux familles d’éleveurs de moutons ont vécu pendant des années, mais les colons des avant-postes voisins ont fait de leur vie une misère jusqu’à ce qu’ils partent, il y a deux semaines, en abandonnant leurs maigres biens. Un parc pour enfants, deux réfrigérateurs, un lit en fer rouillé, deux enclos pour animaux, quelques livres pour enfants et un dessin de chaussettes légendé par le mot chaussettes en hébreu, probablement tiré d’un livre d’école.

Dafna Banai explique que les colons ont clôturé toute la zone de la réserve naturelle d’Umm Zuka, soit quelque 20 000 dunams (2 000 hectares), afin de la débarrasser de ses bergers. C’est toujours le même système, explique Banai : d’abord, on empêche les moutons de paître et on réduit les pâturages, puis les habitants des petites communautés sont attaqués presque chaque nuit - parfois les assaillants urinent sur leurs tentes, parfois ils commencent aussi à labourer le sol au milieu de la nuit, afin de créer des “faits sur le terrain”. Tareq Daragmeh, qui vivait ici avec sa famille, n’en pouvait plus et est parti, tout comme son frère, qui vivait à côté de lui avec sa famille. Nous ne sommes pas à Gaza, mais ici aussi, les gens sont forcés de quitter leur maison sous les menaces et les agressions violentes.

Plus au nord encore se trouve une communauté de bergers bien aménagée et animée. Il s’agit d’El-Farsiya, à l’extrême nord de la vallée du Jourdain, presque à la périphérie de Beit She’an. Trois familles de bergers vivent ici et deux autres non loin de là. Deux familles sont parties. L’une d’elles est revenue après que des volontaires israéliens ont commencé à dormir ici chaque nuit après le début de la guerre, protégeant ainsi les habitants. Ils sont 30 à 40 de ces beaux Israéliens, la plupart d’un âge relativement avancé (60 ans ou plus), à se partager les quarts de travail pour protéger les Palestiniens dans la partie nord de la vallée du Jourdain, qui s’étend de la colonie de Hemdat jusqu’à Mehola. « Mais combien de temps pourrons-nous les protéger 24 heures sur 24 ? » demande Banai, qui a organisé cette force bénévole.

Yossi Gutterman, l’un des volontaires, cette semaine. « Je ne pense pas que le but de la violence des colons soit de causer des dommages en tant que tels - c’est l’usure, l’intimidation, la création du désespoir », dit-il.

Trois des volontaires descendent de la colline. Amos Megged de Haïfa, Roni King de Mazkeret Batya et Yossi Gutterman, le vétéran du groupe, de Rishon Letzion. Ils sont deux ou trois par équipe de 24 heures. King était jusqu’à récemment le vétérinaire de la Direction de la Nature et des Parcs’ ; Megged, le frère cadet de l’écrivain Eyal Megged, est un historien spécialisé dans les annales des Indiens du Mexique ; et Gutterman est un professeur de psychologie à la retraite. Il est équipé d’une caméra corporelle.

Aujourd’hui, ils reviennent d’un incident de vol de moutons à des Palestiniens, et il n’y a pas encore de volontaires pour la nuit à venir. Depuis le début de la guerre, il est devenu urgent de dormir ici, explique Gutterman. « La violence des colons est devenue une affaire quotidienne, considérée comme allant de soi, et comprend des invasions nocturnes du camp de tentes, la casse d’objets, le bris de panneaux solaires. Je ne pense pas que le but soit de causer des dommages en tant que tels - c’est l’usure, l’intimidation, la création du désespoir ».

Une famille est partie, racontent les volontaires, après que des colons de Shadmot Mehola et leurs invités du shabbat d’un internat religieux du kibboutz Tirat Zvi ont cassé le bras du père de famille. « Il y a deux semaines », explique Gutterman, « alors que trois de nos amis étaient ici, des colons ont réveillé tout le camp de tentes à 2h30 du matin avec des cris et des lampes de poche, et ont effrayé tout le monde. Ils ont ensuite commencé à labourer une parcelle de terre privée qui avait récemment été déclarée “terre abandonnée”».

Il y a moins de deux semaines, deux volontaires ont été attaqués ici. L’un a été frappé avec un gourdin et a reçu un spray au poivre dans les yeux, l’autre a reçu une pierre à la tête. « Une campagne de nettoyage ethnique est en cours ici », dit Gutterman.

Suite à un appel téléphonique, les trois hommes se précipitent vers leur voiture et se dirigent vers le nord, en direction de Shdemot Mehola. Un berger leur dit que des colons viennent de lui voler des dizaines de chèvres. La police et l’armée se rendent sur place et, avec l’aide des trois volontaires, 37 chèvres sont retrouvées et rendues à leur propriétaire. Ce ne sont pas toutes les chèvres qui ont été volées.

Pendant ce temps, les chauffeurs de tracteurs et de camions finissent de faire le plein d’eau et se dépêchent de revenir afin de passer par la même porte, qui devait rester ouverte pendant une heure. A leur arrivée, à 14h30, ils constatent que la barrière est fermée et les soldats partis. Ils ont attendu leur retour pendant quatre heures, jusqu’à 18h30. Sans doute “en raison de l’appréciation de la situation opérationnelle dans le secteur”.

 

14/10/2023

AMIRA HASS
Les colons israéliens ne font aucune pause dans les expulsions et spoliations en Cisjordanie


Amira Hass, Haaretz, 12/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors qu’Israël et le monde entier se concentrent sur les atrocités commises samedi 7 octobre, les colons et leurs partisans s’emploient à réaliser leur rêve d’annexion de facto de la Cisjordanie.

Un soldat israélien monte la garde à un poste de contrôle à l’entrée nord de la ville palestinienne d’Hébron, dimanche. Photo : Hazem Bader / AFP

Les forces de sécurité israéliennes ont négligé la défense des communautés proches de la bande de Gaza parce qu’elles étaient préoccupées par la défense des colons de Cisjordanie, leurs saisies de terres, leurs rites d’adoration de pierres et d’autels.

C’est l’une des conclusions inéluctables à tirer des atrocités commises samedi. Ce n’est pas une surprise, mais cette négligence est intrinsèquement liée à l’un des principaux objectifs de la réforme judiciaire et de ses partisans sionistes religieux : accélérer l’annexion de facto de la majeure partie de la Cisjordanie et accroître la population de colons juifs. Cet objectif n’est pas seulement toujours d’actualité, il sera désormais encore plus facile à réaliser.

Les médias israéliens et internationaux ignorent la Cisjordanie alors que les témoignages déchirants des survivants des attaques de samedi font peu à peu surface et que l’armée israélienne mène des bombardements meurtriers de représailles sur Gaza et la prive d’eau, d’électricité et de nourriture.

Ce manque d’attention a permis aux colons et à leurs organes d’exécution, officiels (l’armée et la police) et semi-officiels (les agents de sécurité des colonies et les volontaires de droite agissant en tant que supplétifs), d’intensifier leurs attaques contre les éleveurs et les agriculteurs palestiniens avec un objectif clair : expulser davantage de communautés de leurs terres et de leurs maisons.

La volatilité de la situation a été démontrée mercredi, lorsque trois habitants - dont deux adolescents - du village de Qusra, au sud-est de Naplouse, ont été tués par des tirs à balles réelles et huit autres blessés. Les habitants du village affirment que les tireurs étaient des colons masqués qui sont entrés dans le village à bord de trois véhicules tout-terrain. Plus tard, lorsque des affrontements ont éclaté à la suite des funérailles, un autre adolescent a été tué à Qusra, soit par l’armée soit par d’autres personnes, ce n’est pas encore clair.

Un groupe WhatsApp palestinien documentant en temps réel les attaques des colons, en particulier dans la zone située au nord de Ramallah, a partagé des rapports minute par minute sur les événements de Qusra. Ces informations ont fait leur chemin jusqu’aux journaux télévisés en Israël. Mais d’autres incidents, qui ne font pas de victimes, n’en ont pas fait. Mercredi encore, par exemple, il a été signalé que des colons avaient tiré sur des agriculteurs travaillant sur leurs terres dans le village de Marda, au sud-ouest de Naplouse.

À 1 heure du matin, entre dimanche et lundi, un message partagé dans le groupe WhatsApp avertissait : « Un groupe de colons est en train de niveler un terrain sur la route reliant les villages de Qusra et de Jalu », dans une zone où se trouvent des colonies comme Shiloh et Eli et les avant-postes d’Esh Kodesh et d’Adei Ad.

Des personnes portent le corps d’un Palestinien tué lors de frappes israéliennes dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, lundi. Photo : Mahmoud Issa / Reuters

« Nous ne savons pas quelle est la nature des travaux car il n’y a pas d’électricité », indique le message, « mais il se pourrait qu’ils aient l’intention de détruire l’un des bâtiments agricoles de la zone ». On a appris par la suite que les Israéliens avaient détruit une maison vide qui semblait appartenir à un citoyen palestinien d’Israël.

À 3 heures du matin, il a été signalé que des colons pénétraient dans le village de Qaryout, à l’ouest de Jalud, et affrontaient les jeunes Palestiniens qui s’approchaient d’eux, avant que l’armée ne pénètre dans la zone et ne tire sur les maisons.

Quelques minutes avant 13 heures, un groupe de colons armés s’introduisant dans la ville de Qarawat Bani Hassan dans le gouvernorat de Salfit, au sud-ouest de Naplouse, a été signalé. Des coups de feu ont été entendus dans les vidéos jointes à l’alerte. Un habitant a déclaré : « Des colons et trois soldats ont tenté d’expulser des familles qui récoltaient des olives. Une confrontation a éclaté et [les soldats] ont tiré à balles réelles sur les jeunes et sont partis ».

À 14h30, un rapport a été publié sur un avocat palestinien qui avait quitté Salfit en voiture et avait été abattu par un garde de sécurité ou un autre civil israélien dans la colonie d’Ariel. La raison invoquée était qu’il était soupçonné d’avoir l’intention de commettre un attentat à la voiture-bélier.

A 14h35, un avertissement a été reçu concernant des colons tirant sur des voitures palestiniennes près de Ni’lin. À 15h30, un rapport fait état d’une attaque de colons contre la ville d’Einabus, située à l’ouest de Huwara et bordée par la colonie d’Yitzhar et ses avant-postes satellites.

« Les colons essaient d’entrer dans l’une des maisons », dit la voix dans la vidéo jointe, et avertit les habitants de ne pas s’approcher de la fenêtre. Deux résidents ont été blessés par les tirs, a-t-on appris par la suite.

À 18 heures, un rapport a indiqué que des colons et des soldats demandaient à une famille du village de Turmus Ayya de quitter sa maison près de Shiloh. L’un des membres de la famille a déclaré au groupe WhatsApp qu’il refusait de quitter la maison et que l’armée avait de toute façon déjà bloqué la route qui y mène la veille. L’agence de presse WAFA a également rapporté que des colons avaient jeté des pierres sur des voitures palestiniennes au nord de Jéricho lundi.

La capacité des Palestiniens à aider les communautés menacées est plus limitée que jamais. Depuis samedi, les FDI ont bloqué un grand nombre d’entrées et de sorties des villes et villages palestiniens en plaçant des blocs de béton et des monticules de terre et en verrouillant les barrières de fer déjà en place. Un journaliste palestinien a observé que les troupes israéliennes n’occupaient pas de positions à proximité de ces nouveaux barrages routiers.

Les villes et les villages sont coupés les uns des autres, le bouclage étant particulièrement strict autour de ceux qui sont proches de Jérusalem. Un responsable d’une agence d’aide internationale a déclaré à Haaretz qu’il était impossible de voyager entre le nord et le sud de la Cisjordanie. La route entre Bethléem et Hébron est pratiquement inaccessible aux Palestiniens.

Les Palestiniens qui se trouvaient en Israël samedi ou dimanche ont été autorisés à rentrer chez eux en passant par les principaux points de contrôle. Des centaines de Gazaouis, voire plus, qui travaillaient en Israël ont été contraints d’abandonner leur lieu de travail.

 
Le village palestinien de Qaryout. Photo : Alex Levac

Ils n’ont pas pu retourner dans la bande de Gaza bombardée et, tout en recevant des nouvelles de plus en plus inquiétantes sur les épreuves subies par leurs familles, ils ont été conduits dans les environs des villes palestiniennes, notamment à Jénine et à Ramallah, où les autorités les accueillent dans des bâtiments publics et les résidents dans leurs maisons.

Les routes principales sont presque totalement dépourvues de voitures appartenant à des Palestiniens. Même ceux qui peuvent trouver un moyen de sortir des villes ne se risquent pas à prendre la route.

L’un des principaux objectifs des colons est de faire disparaître les véhicules palestiniens des routes principales de Cisjordanie. Ils mettent parfois en œuvre cette mission en bloquant les voies d’accès aux villes.

En ce moment de tension, le verrouillage des villes palestiniennes et l’absence de circulation des Palestiniens sur les routes principales facilitent le contrôle de la région par les militaires. Et par ricochet, ils concrétisent l’ouverture et le projet des dirigeants religieux sionistes de faire disparaître les Palestiniens.

Les habitants disent que chaque petit rassemblement de quelques jeunes manifestants près des postes de contrôle attire des tirs plus nourris que par le passé. Des colons armés ont été vus en train de s’entraîner au tir lundi dans la région de Tulkarem, près d’un point de contrôle dont les soldats sont désormais absents.

Une vidéo mise en ligne par les colons décrivant les armes et les munitions qui leur sont attribuées n’a fait qu’accroître les craintes des Palestiniens d’être encore plus abandonnés aux plans à peine dissimulés des civils israéliens qui contrôlent leur vie.

 

 

23/06/2023

AMIRA HASS
Pour expulser efficacement les envahisseurs palestiniens [!], un bon colon doit apprendre l’arabe

Amira Hass, Haaretz, 6/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Apprendre l'arabe parlé pour mieux chasser les agriculteurs et les bergers palestiniens de leurs terres. C'est la dernière mutation de la motivation des services de renseignement de sécurité pour l'étude de l'arabe en Israël. Tel est le message exprimé lors d'une conférence d'introduction à un cours en ligne d'arabe parlé, rédigé et promu par un homme de 28 ans, né aux USA, qui vit dans l'une des colonies de Cisjordanie en expansion constante, au nord de Ramallah.

Le concepteur du cours a invité trois “spécialistes du domaine”, comme il les appelle, à parler de l'importance de l'apprentissage de la langue : Mordechai Kedar (conférencier retraité de l'université Bar-Ilan et ancien officier du renseignement militaire), Ariel Osterreicher (ancien officier de liaison auprès du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, aujourd'hui assistant exécutif de l'attaché de défense d'Israël aux Philippines) et le premier orateur, Shabtay Kushelevsky, l'un des fondateurs de la milice connue sous le nom d'Hashomer Yosh (Yosh est un acronyme hébreu courant pour Judée et Samarie, les noms bibliques des régions de Cisjordanie ; il possède une ferme non autorisée dans le sud de la Cisjordanie). 

Shabtay, son chien juif et ses moutons juifs

 

Lors de la conférence Zoom, j'ai entendu parler de l'importance d'apprendre l'arabe du point de vue de la sécurité, du renseignement et de la sociologie régionale.

Les bénévoles de l'organisation font partie d'une machine bien huilée qui, avec l'encouragement et le soutien de l'État et des institutions chargées du maintien de l'ordre (les forces de défense israéliennes, la police israélienne et le ministère de la défense), est responsable des violences qui chassent les bergers et les agriculteurs palestiniens de leurs terres en Cisjordanie.

Lors de la conférence Zoom (à laquelle je me suis inscrite en utilisant mon nom complet et en payant pour trois participants), j'ai entendu parler de l'importance de l'apprentissage de l'arabe du point de vue de la sécurité, du renseignement et de la sociologie régionale. Le concepteur du cours m'a également parlé de l'importance de la mousse du café arabe et du fait que « beaucoup de gens ne savent pas à quel point la culture arabe et la langue arabe sont liées par un lien indéfectible » [ça alors, vraiment ? NdT].

Je n'ai pas entendu dire que l'arabe valait la peine d'être appris parce qu'il est riche et beau, une langue sémitique qui nous enseigne ses racines communes avec l'hébreu. Et il va sans dire que je n'ai pas entendu que c'était la langue des Palestiniens, les natifs de cette terre. Selon Kushelevsky, ils sont de toute façon des “envahisseurs”. Voici ce qu'il a dit lors de la conférence, édité si nécessaire pour des raisons de clarté et de style :

« Le judaïsme est la religion la plus agricole du monde : le calendrier tourne autour des événements agricoles. Hashomer Yosh est une organisation qui s'est donné pour mission d'aider les agriculteurs, en particulier les planteurs et les bergers, car en plus d'encourager toutes les formes d'agriculture juive et le retour au judaïsme, ils gardent également des territoires pour nous.

« En termes de droit, chaque agriculteur a des moutons qui vont aux pâturages. Nous avons un problème insensé dans tout le pays, pas seulement en Judée et en Samarie, et c'est l'invasion des terres. Chaque invasion de terre par les Arabes nécessite une sorte de hangar, et deux ans plus tard, vous avez un quartier entier que vous ne pouvez pas expulser. Si un agriculteur parvient à empêcher cette histoire de deux chèvres et d'un abri, il a empêché une invasion.

« La totalité de [la ville de] Bnei Brak, voisine de Tel-Aviv, représente [29 400 acres = 12 000 ha]. L'ensemble des colonies [juives] de Judée et de Samarie représente environ [260 000 acres= 105 000 ha]. Chaque ranch, quant à lui, occupe en moyenne [4 000 acres=1618 ha]. En d'autres termes, une seule famille contrôle la superficie d'une ville de taille moyenne, et aucune invasion [arabe] ne s'y produira. Quelque 200 ranchs d'une seule personne contrôlent environ [800 000 acres-323 000 ha].

"S'occuper des moutons est le travail le plus difficile au monde. N'importe quel enfant de 4 ans peut déplacer les moutons d'un endroit à l'autre. C'est ce qu'a fait Rachel [dans la Bible], qui a trouvé un mari. La région est magnifique, notre terre - étonnante : grottes, sources, ravins... mais vous êtes complètement seul. Tous nos ancêtres étaient des bergers. Moïse, le roi David, tous étaient des bergers.

« Les éleveurs de moutons possèdent les moutons, mais ils ne s'occupent pas nécessairement de la garde des troupeaux. Souvent, les éleveurs font appel à un berger, qui est un as et qui est en contact avec la nature, mais il ne reste que six mois, car c'est très monotone. Quelques-uns s'accrochent pendant un an. En Suisse, par contre, il faut être avec les moutons pendant trois ans pour devenir aide-berger.

« Le berger connaît le territoire. C'est-à-dire toutes les plantes du territoire et ce que chaque plante fait aux moutons. Par exemple, il est très sain pour les moutons de traverser une oliveraie [appartenant à des Palestiniens, comme l'expérience nous l'apprend]. Mais pas plus de 15 minutes, car la quantité devient alors toxique.

« Le berger connaît chaque ravin, chaque colline, chaque point d'eau. Il connaît aussi l'arabe parlé sur le terrain : Dieu soit loué, cette région se rétrécit et nous y entendons de plus en plus d'hébreu. Il y a dix ans, 70 % des moutons du pays, et pas seulement en Judée et en Samarie, étaient des moutons non juifs. Aujourd'hui, 60 % sont des moutons juifs. Ils occupent l'espace qu'ils sont censés occuper.

« Bien sûr, le berger connaît aussi la langue parlée dans les champs, le berger arabe qui crie quelque chose ou le clan que vous rencontrez en chemin. Si nous voulons nous emparer de la terre et la posséder, la connaissance de la langue est un élément important du rôle de propriétaire.

« Nous, à Hashomer Yosh, nous avançons sur le sujet des cours d'arabe pour les volontaires, afin qu'ils soient capables de s'orienter sur le terrain. Lorsqu'un berger [juif] rencontre un berger arabe et qu'il peut parler plus que l' « arabe des postes de contrôle » que nous connaissons tous grâce à notre service militaire, qu'il sait faire la différence entre les moutons et tout ce qui a trait à l'orientation sur le terrain, cela réduit considérablement les frictions. La dernière chose que nous voulons, ce sont des bagarres à coups de pierres. C'est la différence entre le ciel et la terre, être avec les moutons quand on connaît l'arabe et quand on ne le connaît pas. C'est encore plus important que de déplacer les moutons vers la gauche ou la droite. C'est ce qui préservera nos vies, les moutons et la terre ».

“Fascinant”, a commenté le concepteur du parcours en guise de remerciement à Kushelevsky.

 

27/03/2023

AVI GARFINKEL
Pour comprendre la mentalité des colons juifs, il faut lire cet éloge funèbre prononcé par le rabbin Eliezer Melamed

Avi Garfinkel, Haaretz, 24/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’éloge funèbre prononcé par le rabbin Eliezer Melamed lors des funérailles de deux victimes du terrorisme devrait être une lecture obligatoire pour quiconque souhaite se faire une idée de l’israélitude contemporaine, qui se confond avec la vision du monde des colons.

“À encadrer et accrocher”, a écrit le journaliste de télévision Amit Segal à la suite de la décision inhabituelle des rédacteurs de l’hebdomadaire hébraïque Makor Rishon de consacrer la couverture de leur magazine du 3 mars non pas à une photographie, mais à un texte : l’éloge funèbre prononcé par le rabbin Eliezer Melamed lors des funérailles de Hallel et Yagel Yaniv, les deux frères assassinés lors d’un attentat terroriste dans la ville de Huwara, en Cisjordanie, le 26 février dernier. Le directeur général de Makor Rishon, Doron Bainhorn, a fait remarquer que “l’éloge du rabbin devrait être étudié dans les écoles” - et il a raison.

C’est un texte exemplaire, non seulement parce qu’il est bien écrit et émouvant, mais aussi parce qu’il illustre parfaitement le mode de pensée des colons, qui est en train de devenir le mode de pensée général des Israéliens, et en tout cas celui du gouvernement. Quiconque veut comprendre l’israélitude - d’où elle vient et où elle va - devrait lire ce texte.

L’éloge funèbre en couverture du magazine Makor Rishon

Le rabbin Melamed a déclaré : « Tout juif tué simplement parce qu’il est juif est saint ». En d’autres termes, la seule raison des attaques terroristes est la haine insondable des Juifs, qui n’est pas liée aux actes des Juifs ou à leur comportement, ni au sentiment qu’ont les auteurs de ces attaques que les Juifs leur ont fait du tort. Dans le monde de Melamed, il n’y a pas de dépossession de la terre, pas d’expulsion, pas d’actes de violence contre des Palestiniens innocents, pas de dégâts matériels, pas d’humiliation. Les attaques palestiniennes ne peuvent pas être considérées comme une vengeance pour les actions des Juifs, de la même manière que les Juifs ont vengé le meurtre des frères Yaniv à Huwara [en commettant un pogrom, NdT].

Selon le rabbin Melamed, ces actes sont motivés par un pur antisémitisme : les Juifs sont assassinés uniquement en raison de leur judéité. Cela n’explique évidemment pas pourquoi les Palestiniens n’ont pas coutume d’assassiner des Juifs dans d’autres endroits du monde. La division est simple et nette : les Juifs sont des victimes, les Palestiniens sont des délinquants.

Il convient de noter qu’aux yeux de Melamed, tout juif tué pour sa judéité est qualifié de saint, l’accent étant mis sur “tout”. En d’autres termes, même les meurtriers, les violeurs, les voleurs et autres pécheurs s’élèvent au niveau de la sainteté simplement en raison des circonstances de leur mort, et cela ne fait aucune différence si, dans leur vie, ils étaient des mécréants. Melamed étend la classification de la sainteté à l’ensemble de la population des colons : « Si c’est ce que l’on dit de chaque Juif, on devrait certainement le dire des colons qui vivent sur la ligne de front de la colonisation de la Judée-Samarie [Cisjordanie] ».

Et quelle est la signification de la sainteté, selon Melamed ? « Ils sont élevés et sanctifiés dans la sainteté de l’ensemble d’Israël, au point qu’aucun être vivant ne peut se tenir aussi haut en leur présence. » Ce qui revient à dire que la sainteté est la suprématie des saints sur ceux qui ne le sont pas, des colons sur ceux qui ne le sont pas.

Il s’agit d’un point critique à une époque où la suprématie juive en Israël est en train de se transformer en une suprématie des juifs religieux et des colons juifs sur les juifs laïques, et certainement sur ceux de gauche. Cela explique pourquoi les Hardalim (nationalistes ultra-orthodoxes) ne ressentent ni culpabilité ni honte lorsqu’ils exigent de l’État des ressources supplémentaires (telles qu’une allocation d’étude plus élevée), tout en insistant pour contribuer moins - par le biais de réductions de l’impôt foncier, d’avantages fiscaux, d’un service militaire abrégé pour les étudiants des hesder-yeshiva*, ou d’une exemption totale du service militaire et du travail pour les hommes haredi.

Du point de vue des Hardalim, il n’y a pas ici de remise en cause de l’égalité au sens large. L’égalité exige un traitement égal pour des égaux, mais selon eux, les étudiants de la Torah et les colons sont tout simplement plus égaux et méritent donc plus. C’est la raison sous-jacente de ce que de nombreuses personnes laïques considèrent comme de la cupidité, de la cochonceté, un manque de solidarité, un pillage des caisses publiques lors des délibérations budgétaires ou des discussions sur l’obligation de servir dans les forces de défense israéliennes et de participer au marché du travail. Selon ces juifs religieux, quiconque contribue davantage mérite davantage - un argument qui, soit dit en passant, est en contradiction avec la critique qu’ils adressent au personnel de haute technologie qui s’oppose au coup d’État, affirmant que « ce n’est pas parce que vous payez plus d’impôts que votre voix vaut davantage ».

Aussi infondé soit-il, il est nécessaire de comprendre que le sentiment de suprématie de ces Juifs religieux est authentique, même et surtout là où il atteint l’absurdité absolue. « Nous ne sommes pas revenus dans notre pays pour déposséder les Arabes de leurs maisons », explique le rabbin Melamed, « mais plutôt pour ajouter de la bonté et de la bénédiction au monde. Les Arabes pourraient également en bénéficier. »

Dans ce monde cul par-dessus tête, les Arabes vivant dans les territoires, qui n’ont même pas le statut de citoyens jouissant des mêmes droits, sont censés considérer la présence des colons parmi eux comme une bénédiction. Le rabbin Melamed, qui dirige la Yeshiva Har Bracha, ne précise pas quelle bénédiction les colons ont apportée à leurs voisins. Le droit des Arabes, comme celui de toute personne, de rejeter une bénédiction qui leur est offerte n’a pas sa place dans le monde de Melamed. Selon cette logique, la société laïque doit elle aussi accepter le fait que la communauté des apprenants s’occupe de la Torah comme une bénédiction qui la protège et qui protège son identité, et la financer, même si le public laïque pense, “à tort”, qu’il n’en a pas besoin.

Les gauchistes doivent faire avancer, et avec reconnaissance, les colonies auxquelles ils sont opposés, parce que les colons « continuent à coloniser notre terre sainte, et protègent le peuple et la terre avec leur propre corps ». Là encore, Melamed ne prend pas la peine d’expliquer comment des enfants, des personnes âgées et des femmes qui ne portent pas d’armes et s’installent au milieu d’une population arabe hostile défendent la terre. Ni comment un projet qui déchire le peuple le protège. C’est une évidence, un postulat de base qui ne sera pas examiné précisément parce qu’il est manifestement erroné.

Vers la fin de l’éloge, le rabbin Melamed a réitéré le cliché anachronique selon lequel les colons « continueront à construire la terre et à faire fleurir le désert », comme si la quasi-totalité des travaux de construction effectués dans le pays n’étaient pas réalisés par des travailleurs arabes et d’autres Gentils. Comme si la terre était un désert vide. Comme si l’essentiel de la construction et du travail de la terre effectué par les Juifs - la quasi-totalité, en fait - n’avait pas été réalisé il y a longtemps, par des pionniers laïques et socialistes qui s’étaient rebellés contre la loi juive.

Le titre de l’éloge funèbre de Melamed, “Mourir et conquérir la montagne”, est une paraphrase de l’hymne du mouvement Betar de Ze’ev Jabotinsky, “Mourir ou conquérir la montagne”. Le laïc Jabotinsky reconnaissait au moins la possibilité d’une perte et d’un échec, qui peuvent à leur tour aboutir à un désastre, comme cela s’est produit pendant la période de la révolte contre les Romains : « Mourir ou conquérir la montagne - Yodfat, Massada, Betar** ». Mais dans le texte de Rabbi Melamed, le mot “ou” est remplacé par “et”. Selon Melamed, « si nous devons vivre, nous vivrons ; et si nous devons mourir, nous mourrons, et après nous, nos amis continueront à conquérir la montagne ».

Même si nous mourons, comme les Juifs de Massada en 73 ou 74 de l’ère chrétienne, la montagne sera conquise. Ce sera un succès. Et pourquoi tout cela ? Parce que le véritable succès ne se mesure pas dans ce monde, mais dans l’autre : « Tous les saints Juifs semblent morts, mais dans le monde de la vérité, ils sont bien vivants... En mourant pour la sanctification d’Hachem [Dieu], ils se sont connectés à la source de la vie ». Ce qui est important, c’est le monde de la vérité, et non le monde du mensonge, c’est-à-dire la réalité dans laquelle nous vivons et dont tant de colons sont déconnectés de manière inquiétante.Haut du formulaire

Bas du formulaire

Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de conquérir la montagne, mais d’en descendre, et vite.

NdT

*Hesder (hébreu : הסדר "arrangement") est un programme de yeshiva israélien qui combine des études talmudiques avancées avec le service militaire dans les forces de défense israéliennes, généralement dans un cadre sioniste religieux. Ce programme permet aux hommes juifs orthodoxes de servir dans l’armée israélienne tout en continuant à étudier la Torah. Le service Hesder dure généralement cinq ans au total, au cours desquels les participants sont officiellement des soldats des FDI. Au cours de ces cinq années, 16 mois sont consacrés au service militaire proprement dit, comprenant à la fois l’entraînement et le service actif. Dans certaines Yeshivas de Hesder, le service dure six ans, dont 24 mois de service militaire. Presque tous les étudiants des Yeshivas Hesder servent dans l’armée en tant que soldats de combat. Les appelés laïques sont astreints à un service actif minimum de 32 mois pour les hommes et 24 pour les femmes.

**Yodfat : village juif assiégé puis détruit par l’armée romaine en 67 ap. J.-C..

Massada : forteresse zélote assiégée par l’armée romaine en 72-74, dont les survivants se suicidèrent plutôt que de se rendre. De nos jours, c’est sur cet éperon rocheux que les officiers israéliens de l’armée blindée viennent prêter serment ou que les pilotes de chasse de Tsahal se voient solennellement remettre leur insigne et qu’a lieu la prestation de serment de diverses troupes de Tsahal, dont les parachutistes. C’est là qu’ils répètent, avec leur promotion, les vers du poème épique composé par Yitzhak Lamdan), Massada, publié en 1927, si cher aux pionniers du sionisme : « Non, la chaîne n’est pas rompue sur le sommet inspiré. Plus jamais Massada ne tombera. »

Betar : nom d’une ancienne cité-forteresse de Judée, située au sud-ouest de Jérusalem, et connue comme le dernier lieu de résistance juive à l’Empire romain en 135 ap. J.-C., dont le chef était Shimon Bar-Kokhba, considéré par ses partisans comme le Messie.