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09/07/2023

GIDEON LEVY
Comment oses-tu clamer que tu te bats pour la démocratie, Ehud Barak ?

Gideon Levy, Haaretz, 9/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

L’ancien premier ministre Ehud Barak pense qu’Israël traverse “la crise la plus grave de son histoire”.

Il y a quelques jours, il s’est de nouveau fendu d’ un article incisif dans Haaretz, cette fois-ci particulièrement dramatique, avec plus de points d’exclamation qu’à l’accoutumée. « Israël ne sera pas transformé en dictature ! », « Nous ne nous rendrons jamais ! », « Nous ne céderons jamais ! », « Cette protestation sera couronnée de succès ! »

Depuis le début de la protestation, Barak est devenu un combattant de la liberté sous stéroïdes. On ne peut qu’être impressionné par sa détermination et lui accorder le respect qui lui est dû.

L’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak participe à une manifestation contre le coup d’État judiciaire dans le nord d’Israël, le mois dernier. Photo : Fadi Amun

En même temps, on ne peut que se demander comment il peut faire cela, comment il ose. Comment un homme d’État et un militaire israélien avec son palmarès, ancien chef d’état-major de Tsahal, premier ministre et ministre de la défense, peut-il parler autant de la démocratie sans rien y comprendre ?

Comment Barak ose-t-il parler de démocratie tout en fermant les yeux non seulement sur la réalité manifestement antidémocratique de l’arrière-cour du pays, mais aussi sur le fait flagrant qu’il a participé à sa formation, pas moins et peut-être plus que la droite ? Un homme d’État israélien comme Barak ne peut pas parler de démocratie tant qu’il parle de démocratie pour les Juifs uniquement, et c’est la seule chose dont Barak parle.

Il y a exactement 25 ans, quelques mois avant qu’il ne soit élu premier ministre, j’ai demandé à Barak lors d’une interview télévisée : « Si vous étiez né Palestinien, comment votre vie se serait-elle déroulée ? Que seriez-vous devenu ? » Il a courageusement donné la seule vraie réponse possible : « Je suppose que si j’avais eu l’âge requis, à un moment donné, j’aurais rejoint l’une des organisations terroristes ». Je l’ai admiré pour sa réponse et pour les conclusions qu’il en tirait.

Dix ans plus tard, le même Barak, en tant que ministre de la défense, a commandé l’opération “Plomb durci”, l’assaut israélien le plus barbare contre la bande de Gaza, qui a fait 1 385 morts parmi les Palestiniens, dont plus de la moitié étaient des personnes sans défense, parmi lesquelles 318 enfants, 109 femmes et 248 agents de la circulation. Cette attaque barbare a constitué un autre sommet de la tyrannie militaire d’Israël sur le peuple palestinien. C’est Barak l’a menée, il ne faut pas l’oublier.

Ehud Barak, alors ministre de la Défense, et Benny Gantz, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, sur une base militaire à la frontière entre Israël et Gaza, dans le sud d’Israël, le dimanche 8 mai 2011. Photo: : Eliyahu Hershkovitz

Mais au-delà de ses mains tachées de sang - elles sont communes à tous les militaires et à leurs donneurs d’ordre - et après l’échec de ses tentatives de trouver une solution politique au conflit, dans lesquelles il a offert aux Palestiniens des conditions bien inférieures à celles fixées par les résolutions des institutions internationales, l’ancien ministre de la défense du gouvernement de Benjamin Netanyahou est devenu l’une des figures de proue du mouvement de protestation de 2023. Il s’agit d’un nouveau chapitre de la glorieuse carrière de Barak, qui lui vaut aujourd’hui beaucoup d’honneurs et de reconnaissance.

Mais Barak est aussi l’un des plus grands meneurs en bateau de ce mouvement. Son identification temporaire avec les jeunes Palestiniens qui luttent contre la tyrannie militaire nommée Israël a été oubliée depuis longtemps, et il travaille maintenant, avec une détermination partagée par la droite et la gauche, à faire disparaître la question, à la nier et à l’étouffer.

Le fait qu’il n’y ait pas de démocratie tant que cette tyrannie perdurera a depuis longtemps été balayé de la conscience d’Israël. Barak et ses semblables en sont la cause. Ils ont créé la fausse image qui permet aux gens de descendre dans la rue avec pathos, en se battant pour la démocratie pour un seul peuple et en se sentant si bien, dans un pays où deux nations de taille égale vivent dans un état d’apartheid.

On lit Barak avec incrédulité. Une démocratie parfaite est sur le point d’être détruite par Netanyahou et ses associés. Un régime de liberté et d’égalité qui a tant caractérisé Israël est sur le point d’être brisé par les méchants de droite. Une dictature se profile à l’horizon. Barak conclut : « C’est le combat le plus important auquel nous ayons jamais participé ». Voici une autre phrase directe et honnête du soldat le plus décoré d’Israël : C’est en effet le combat le plus important auquel tu aies jamais pris part.

Tu as fui la lutte vraiment décisive, bande de lâches, et vous continuez à le faire. Vous n’avez ni le courage ni l’intégrité nécessaires pour entreprendre le combat décisif. Au lieu de cela, vous essayez d’occulter cette lutte avec les manifestations hebdomadaires de la rue Kaplan, en la fuyant tous ensemble, gauche et droite confondues.

Si tu étais né Palestinien, Ehud Barak, est-ce que tu serais allé rue Kaplan ? Est-ce que tu aurais placé un espoir quelconque dans ces manifs ?

Carlos Latuff, 2010

 

26/02/2023

GIDEON LEVY
Pourquoi les plus hauts responsables militaires israéliens soutiennent soudainement l’objection de conscience

Gideon Levy, Haaretz, 26/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Amos Harel et Yaniv Kubovich ont rapporté vendredi dans Haaretz que les discussions entre les pilotes de réserve de l’armée de l’air israélienne sur le refus de se conformer aux ordres de réquisition ou à certaines directives « sont en tête de liste des préoccupations de l’état-major général des Forces de défense israéliennes ».

Cérémonie de remise des diplômes de pilote sur une base de l’armée de l’air israélienne, en 2022. Photo : Ilan Assayag

L’élite de l’élite militaire se joint à la protestation qui se répand. Selon les rapports, l’une des principales motivations de cette protestation est la crainte qu’à la suite du coup d’État judiciaire du gouvernement, et en l’absence d’un véritable système judiciaire en Israël, les pilotes soient vulnérables à des poursuites à l’étranger pour crimes de guerre. Il s’avère que les pilotes ont effectivement commis des crimes de guerre que le système judiciaire a occulté, et ils se sentent maintenant abandonnés face à la justice internationale chargée de poursuivre les criminels de guerre.

Les préoccupations personnelles prennent le dessus : les Israéliens de la haute technologie craignent la fuite des investisseurs, les pilotes craignent pour leur réputation et leur liberté. L’objection de conscience est soudain légitimée et respectée. Ehud Barak l’a prêchée à la conférence d’urgence de Haaretz la semaine dernière. Soudain, le soldat n°1 d’Israël se lève et parle d’ordres sur lesquels flotte un drapeau noir d’illégalité et auxquels il faut donc désobéir, comme s’il s’était transformé en directeur de Breaking the Silence.

En s’inspirant de Bertrand Russell, il a dit : « L’histoire se souviendra de ceux qui ont donné des ordres et de ceux qui les ont suivis. Ils tomberont dans l’infamie ». Vraiment, la fin des temps doit être à notre porte. Barak est devenu Yonatan Shapira [pilote militaire, refuznik, NdT]. Soudainement, il se souvient qu’il y a des ordres illégaux auxquels on doit désobéir. Soudain, refuser n’est pas seulement un droit, mais un devoir moral positif.

Les bombardements sous son commandement et celui de ses cohortes, le meurtre de centaines de femmes et d’enfants et la destruction de milliers de maisons et d’avenirs dans la bande de Gaza, l’aplatissement du quartier Dahieh de Beyrouth et la dévastation du Liban en général, étaient tous légaux et éthiques pour Barak. Seul le service de réserve au moment d’un coup d’État judiciaire est une obéissance à un ordre illégal. Comme cette moralité est tordue. Quelle hypocrisie.

Deux différences distinguent Shapira, le courageux pilote objecteur, du nouveau prophète du refus de service, Barak, comme elles distinguent les pilotes de réserve qui refusent de voler maintenant de leurs amis qui ont refusé de le faire pendant les bombardements de Gaza et du Liban : ce sont la motivation et le prix. Lorsque Yiftach Spector, Yigal Shochat et 25 de leurs camarades ont publié la lettre des pilotes en 2003, ils ont écrit que les attaques de l’armée de l’air israélienne sur les centres de population étaient illégales et immorales, et qu’ils refusaient donc d’y prendre part.

Ils ont refusé de participer à la danse macabre de l’IAF [Israeli Air Force], de tuer 11 enfants juste pour avoir Salah Shehadeh [commandant des Brigades Ezzedine El Qassm du Hamas, assassiné en juillet 2002, NdT] ou une bande d’adolescents jouant oisivement sur une plage de Gaza. C’est ce que leurs camarades ont fait à l’époque. Le commandant de l’IAF de l’époque, Dan Halutz, les a fustigés : « L’objection politique est la racine de tous les dangers pour ce peuple », a-t-il dit. Aujourd’hui, Halutz est en quelque sorte en faveur de l’objection politique : « Si les officiers et les soldats doivent reconnaître qu’il y a une dictature ici, ils n’ont pas signé pour être les mercenaires d’un dictateur ».

L’objection de conscience est un devoir moral. Ce qui est inacceptable, c’est l’utilisation hypocrite qui en est faite. Halutz a autrefois attaqué l’objection politique, maintenant il la soutient, comme Barak. Bienvenus au dans le club. Mais Dieu du ciel : comment pouvez-vous penser que bombarder des innocents sans défense n’est pas une cause justifiable d’objection, mais que les changements du système judiciaire sont une raison légitime ? Pourquoi Spector est-il un traître, et le colonel qui ne veut même pas s’identifier par son nom est-il maintenant considéré comme correct et même héroïque ?

La protestation a poussé les Israéliens à prendre des mesures sans précédent. C’est un signe de bon augure. Les pilotes et autres membres du service qui ont l’intention de refuser en raison du danger du coup d’État doivent être salués. Mais on soupçonne furtivement que les règles du jeu changent non pas en fonction de normes morales, mais en proportion directe du préjudice personnel.

Le bombardement de Gaza n’a fait de mal à aucun des pilotes, et l’objection a exigé un lourd tribut personnel, si bien que peu se sont opposés. La réforme judiciaire pourrait nuire aux pilotes et le coût du refus est faible, il est donc permis et même souhaitable de refuser. Les meilleurs deviennent pilotes, pour paraphraser le slogan hébreu, et maintenant les meilleurs refusent aussi les ordres. La seule chose qu’on peut regretter, c’est que cela leur ait pris tant d’années.

23/12/2022

OMER BENJAKOB
Toka, l’entreprise israélienne qui vend des capacités de piratage “dystopiques”

Omer Benjakob, Haaretz, 23/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

TOKA, la cyber-entreprise israélienne fondée par Ehud Barak, permet à ses clients de pirater des caméras et de modifier leur flux d'images, comme dans les films de casse hollywoodiens.

 

Le 10 janvier 2010, Mahmoud al-Mabhouh, l'homme de confiance du Hamas auprès des Iraniens, a été assassiné à Dubaï. Un mois plus tard, les forces de police locales ont stupéfié le monde - et Israël - en reconstituant minutieusement des heures d'images de télévision en circuit fermé. Les vidéos ont été passées au peigne fin pour retracer les pas des 30 assassins du Mossad et révéler leurs visages.

Si l'agence d'espionnage israélienne avait disposé il y a 12 ans de la technologie actuellement fournie par la cyber-entreprise israélienne Toka , il est probable que le groupe d'assassins n'aurait jamais été identifié.

Toka a été cofondée par l'ancien premier ministre israélien Ehud Barak et l'ancien chef de la cybernétique des forces de défense israéliennes, le général de brigade (retraité) Yaron Rosen, et ses capacités sont révélées ici pour la première fois [dans les médias israéliens, NdT].

La société vend des technologies qui permettent aux clients de localiser des caméras de sécurité ou même des webcams dans un périmètre donné, de les pirater, de regarder leur flux en direct et même de le modifier - ainsi que les enregistrements passés - selon des documents internes obtenus par Haaretz et examinés par un expert technique. Ses activités sont réglementées par le ministère israélien de la Défense.

Créée en 2018, elle dispose de bureaux à Tel Aviv et à Washington. Elle travaille uniquement avec des clients étatiques au sein de gouvernements, d'organes de renseignement et d'organismes d'application de la loi, presque exclusivement - mais pas seulement - en Occident. Selon les documents internes, en 2021, la société avait des contrats avec Israël d'une valeur de 6 millions de dollars, et avait également prévu une « expansion du déploiement existant » en Israël. Toka n'a pas répondu aux questions de Haaretz concernant ses activités en Israël.

Un opérateur de niche

Les caméras jouent un certain nombre de rôles en matière de sécurité et de défense nationales.

Le mois dernier, des pirates informatiques iraniens ont divulgué des images de l'attentat terroriste meurtrier qui avait eu lieu la veille à un arrêt de bus à Jérusalem. Ces images ont été extraites de l'une des nombreuses caméras de sécurité installées par une agence de sécurité israélienne à des fins de surveillance. Selon la radio publique israélienne, l'Iran a eu accès à cette caméra il y a un an. Le produit de Toka est destiné à de tels scénarios, et bien plus encore : pirater un réseau de caméras, surveiller son flux en direct et accéder à ses archives, et les modifier - le tout sans laisser aucune trace.

Alors que les entreprises israéliennes de cyberdéfense comme NSO Group ou Candiru proposent des technologies sur mesure permettant de pirater des appareils populaires tels que les smartphones et les ordinateurs, Toka est beaucoup plus spécialisée, explique une source de l'industrie cybernétique. La société fait le lien entre les mondes de la cyberdéfense, du renseignement actif et de la surveillance intelligente.

Outre les cofondateurs Barak et Rosen, la société est dirigée par deux PDG issus du monde de la cyberdéfense : Alon Kantor et Kfir Waldman. Parmi les bailleurs de fonds de la société figurent les investisseurs en capital-risque Andreessen Horowitz, un des premiers investisseurs de Facebook (son copropriétaire Marc Andreessen siège toujours au conseil d'administration de Meta ; Meta poursuit actuellement le fabricant israélien de logiciels espions NSO Group).

Selon une présentation de la société obtenue par Haaretz, Toka offre ce qu'elle appelle des “capacités auparavant hors de portée” qui “transforment des capteurs IoT inexploités en sources de renseignements” et peuvent être “utilisées pour des besoins opérationnels et de renseignement”. (IoT signifie Internet des objets et fait référence ici aux caméras connectées au web et même aux systèmes multimédias des voitures).

Les produits et capacités de Toka

Selon les documents, Toka propose des outils qui permettent aux clients de "découvrir et d'accéder à des caméras intelligentes et de sécurité", de surveiller une "zone ciblée" et d'y "diffuser et contrôler les caméras" au fil du temps, et de cibler les voitures, afin de fournir un "accès" "sans fil" et d'extraire ce que Toka appelle "l'analyse judiciaire et l'intelligence des voitures" - en d'autres termes, la géolocalisation des véhicules.

Les services sont regroupés et les clients de Toka , selon les documents, seront en mesure de recueillir des renseignements visuels à partir de "vidéos en direct ou enregistrées". Ils peuvent même "modifier les flux" d'enregistrements "audio et visuels" pour permettre de "masquer les activités sur site" lors d'"opérations secrètes".

Les caméras de sécurité et les caméras web se sont multipliées ces dernières années et on les trouve partout : aux intersections, aux coins des rues, dans les centres commerciaux, les parkings, les hôtels, les aéroports et même dans nos maisons, qu'il s'agisse de moniteurs pour bébé ou de buzzers de porte intelligents. Afin de diffuser un flux en direct auquel nous pouvons accéder via nos téléphones ou nos ordinateurs de bureau, ces caméras doivent se connecter d'une manière ou d'une autre à Internet.

Le système Toka se connecte à ces caméras et aux différents systèmes qui les supportent. Cela peut être utilisé pour des besoins opérationnels et de renseignement. Par exemple, lors d'une attaque terroriste, une force de police utilisant cette technologie peut suivre à distance le mouvement des terroristes en fuite à travers la ville. Elle permet également de recueillir et de modifier secrètement des données visuelles, ce qui peut s'avérer très utile pour les opérations militaires ou les enquêtes criminelles.

Une technologie dystopique

Dans le film de braquage "Ocean's Eleven" (2001), l'équipe d'élite menée par George Clooney et Brad Pitt pirate le système de télévision en circuit fermé de la chambre forte du casino de Las Vegas qu'ils tentent de pénétrer, en détournant son alimentation vers un faux coffre-fort qu'ils ont construit dans un entrepôt voisin. Les équipes de sécurité du casino sont alors aveugles, ce qui laisse le temps aux suaves voleurs de percer le coffre.

Vingt ans plus tard, il ne s'agit plus d'un film : la technologie de Toka permet aux clients de faire exactement cela et plus encore - non seulement détourner un flux en direct, mais aussi modifier les anciens flux et effacer toute preuve d'une opération secrète.

Des documents techniques examinés par un pirate éthique prouvent que la technologie de Toka peut modifier des flux vidéo en direct et enregistrés, sans laisser de traces ou de signes révélateurs d'un piratage (contrairement au logiciel espion Pegasus de NSO ou au Predator d'Intellexa, qui laissent une empreinte numérique sur les appareils ciblés).

« Ce sont des capacités qui étaient auparavant inimaginables », déclare Alon Sapir, avocat spécialisé dans les droits humains « C'est une technologie dystopique du point de vue des droits de l'homme. Sa simple existence soulève de sérieuses questions.

On peut imaginer que la vidéo soit manipulée pour incriminer des citoyens innocents ou protéger des coupables proches du système, ou encore qu'elle fasse l'objet d'un montage manipulateur à des fins idéologiques ou même politiques si elle tombe entre de mauvaises mains », explique-t-il.

Sapir explique que, sur le plan juridique, « la collecte de renseignements est une question sensible. Malgré l'absence de législation, la police déploie des moyens de surveillance de masse qu'elle n'est peut-être pas totalement autorisée à utiliser : une technologie comme le système HawkEye, dont personne ne connaissait l'existence avant que les médias ne la révèlent ».

Toute vidéo manipulée, dit-il, est irrecevable comme preuve dans un tribunal israélien. « Un scénario dans lequel une personne est accusée de quelque chose et ne sait pas si les preuves présentées contre elle sont réelles ou non est vraiment dystopique. La loi actuelle ne commence pas à aborder des situations comme celles-ci ».

Pour les Palestiniens de Cisjordanie, la situation juridique est totalement différente, note-t-il. « Prenez par exemple la technologie de reconnaissance faciale Blue Wolf, utilisée par les FDI pour garder la trace des Palestiniens. La Cisjordanie est le terrain d'essai des établissements de défense israéliens - et un scénario dans lequel la technologie de Toka est déployée à l'insu de tous est tout simplement terrifiant ».

Sapir ajoute : « Il y a eu des cas où les preuves vidéo ont permis de réfuter de fausses affirmations faites par des colons et des soldats, et ont contribué à sauver des Palestiniens innocents de la prison. Nous avons également vu des cas dans lesquels les preuves vidéo ont été trafiquées dans le passé ».

Toka a déclaré en réponse à ce rapport qu'elle « fournit aux forces de l'ordre, à la sécurité intérieure, à la défense et aux agences de renseignement un logiciel et une plateforme pour aider, accélérer et simplifier leurs enquêtes et leurs opérations. Toka a été fondée pour donner aux agences militaires, de renseignement et d'application de la loi les outils dont elles ont urgemment besoin et qu'elles méritent pour accéder légalement, rapidement et facilement aux informations dont elles ont besoin pour assurer la sécurité des personnes, des lieux et des communautés ».

Toka a en outre souligné qu'elle ne travaille qu'avec les USA et leurs alliés et mène un « processus annuel rigoureux d'examen et d'approbation qui est guidé par des indices internationaux de corruption, d'état de droit et de libertés civiles et aidé par des conseillers externes ayant une expertise étendue et réputée ».

Le cyberespace des objets

Les appareils intelligents du monde de l'IdO (des réfrigérateurs aux ampoules électriques) utilisent généralement le Bluetooth pour se connecter à un internet sans fil afin de fonctionner. Cependant, comme l'explique Donncha Ó Cearbhaill - un hacker éthique et chercheur spécialisé dans les enquêtes sur les logiciels espions gouvernementaux et autres formes de surveillance étatique : « Ces interfaces Bluetooth et Wi-Fi peuvent contenir des failles logicielles qui laissent ensuite les appareils ouverts aux attaques de menaces sophistiquées ».

Cearbhaill poursuit : « Un attaquant peut n'avoir besoin que de compromettre un seul appareil IdO pour obtenir un accès profond à un réseau. Par exemple, après avoir compromis une ampoule IdO par Bluetooth, un attaquant pourrait utiliser cet accès initial pour extraire le mot de passe Wi-Fi stocké sur l'ampoule elle-même. Avec ce mot de passe, l'attaquant pourrait se connecter directement au réseau Wi-Fi cible et effectuer par la suite une surveillance traditionnelle et des attaques réseau contre les appareils et les logiciels fonctionnant sur le réseau ».

La protection des appareils intelligents est devenue la tendance la plus chaude de la cyberdéfense ces dernières années. De nouvelles entreprises ont commencé à fournir une cybersécurité IdO pour des clients petits et grands - et Israël est considéré comme un pionnier dans ce domaine. Toka montre qu'Israël est également un leader dans le domaine de la cyberdéfense IdO.

Ehud Barak, à gauche, et Yaron Rosen. Photos : Ofer Vaknin et Eyal Toueg

Au début des années 2000, l'armée et l'establishment de la défense d'Israël - et plus particulièrement ses unités cybernétiques - développaient déjà de telles capacités, indique une source locale active dans le domaine. « Si je devais m'introduire dans un site secret, même il y a 20 ans, la deuxième ou troisième chose que je ferais probablement serait d'essayer de découvrir quel type de caméras de sécurité il possède », ajoute-t-on.

Selon Cearbhaill, ces dernières années, « nous avons commencé à voir l'exploitation à grande échelle de dispositifs IdO vulnérables qui ont été exposés publiquement sur Internet. Un attaquant qui trouve une vulnérabilité dans un enregistrement vidéo numérique de télévision en circuit fermé ou dans un quelconque système de stockage en réseau peut trivialement balayer Internet et compromettre des appareils non patchés qui se trouvent n'importe où dans le monde ».

Selon lui, les caméras de sécurité sont généralement achetées et installées à grande échelle et rares sont ceux qui modifient leurs paramètres par défaut - y compris leur mot de passe. Cela signifie que toute personne possédant des connaissances de base en matière de technologie et de web peut facilement trouver l'adresse IP par laquelle ces caméras diffusent ou se connectent à l'internet. Dans les recoins les plus sombres du web, il existe en fait des sites qui offrent aux utilisateurs la possibilité de basculer entre des flux en ligne aléatoires diffusant ouvertement en ligne. Parfois, vous avez une caméra qui surveille une installation de dessalement d'eau dans le désert, parfois un parking ou un entrepôt abandonné, et parfois un couple au lit.

Selon Cearbhaill, il est impossible de savoir si Toka permet uniquement aux clients de trouver des caméras déjà exposées, d'exploiter des failles de sécurité connues en parcourant le Web ou de développer leurs propres exploits (ou hacks) - ou peut-être même une combinaison des trois.

Toutefois, en examinant leurs documents techniques, il affirme qu' « il semble que Toka s'intéresse au ciblage des appareils via des interfaces sans fil telles que Bluetooth ou Wi-Fi, ce qui est plus pertinent pour les attaques tactiques où l'opérateur se trouve au même endroit physique que le système de télévision en circuit fermé ou IdO ciblé ».

Il explique que bien qu'il puisse exister de nombreux types et marques de caméras, « les appareils de différents fournisseurs utilisent souvent des chipsets sans fil communs développés par des fabricants de matériel tiers. Les attaquants qui ont trouvé une faille dans un tel chipset pourraient utiliser la même faille pour attaquer plusieurs produits différents construits à partir de la même base ».

Il ajoute qu' « une fois que les attaquants ont obtenu l'accès à la caméra ou au réseau local, ils peuvent copier ou rediriger le trafic vers leurs propres systèmes, ou potentiellement bloquer ou modifier le flux vidéo qui est envoyé ».

« Des outils dont ils ont besoin et qu'ils méritent »

Les documents de Toka révèlent les États avec lesquels l’entreprise était en contact : Israël, les USA, l'Allemagne, l'Australie et Singapour, un pays non démocratique. L'année dernière, des pourparlers pour des accords étaient également en cours avec le Commandement des opérations spéciales des USA (USSOCOM) et une agence de “renseignements” usaméricaine.

On ignore qui, dans ces pays, a eu accès aux outils de Toka , tant en Israël qu'à l'étranger, et dans quelles conditions ils sont vendus. L'entreprise figure sur le site Internet de la Direction de la coopération internationale en matière de défense du ministère israélien de la Défense (SIBAT), ce qui signifie qu'elle est reconnue comme un exportateur officiel de produits de défense. Le ministère de la Défense, comme c'est sa politique, a refusé de confirmer si Toka ou toute autre société spécifique est sous sa surveillance.

En réponse à ce rapport, un porte-parole de la société a déclaré que « Toka a fourni aux organismes chargés de l'application de la loi, de la sécurité intérieure, de la défense et du renseignement des logiciels et une plate-forme pour faciliter, accélérer et simplifier leurs enquêtes et opérations. Toka a été fondée pour donner aux agences militaires, de renseignement et d'application de la loi les outils dont elles ont urgemment besoin et qu'elles méritent pour accéder légalement, rapidement et facilement aux informations dont elles ont besoin pour assurer la sécurité des personnes, des lieux et des communautés.

« Toka n'est pas en mesure de divulguer qui sont ses clients. Nous pouvons dire que Toka ne vend qu'aux USA et à leurs alliés les plus proches. En aucun cas, notre société ne vendra ses produits à des pays ou des entités sanctionnés par le département du Trésor américain ou interdits par l'Agence israélienne de contrôle des exportations de la défense - ce qui limite notre clientèle potentielle aux agences de moins d'un cinquième de tous les pays du monde. Toka ne vend pas à des clients privés ou à des particuliers.

« En outre, Toka mène un processus annuel rigoureux de révision et d'approbation, guidé par des indices internationaux de corruption, d'état de droit et de libertés civiles, et assisté par des conseillers externes possédant une expertise étendue et réputée en matière de pratiques anti-corruption.

« Toka est réglementée par le ministère israélien de la Défense et, à ce titre, il lui est interdit de divulguer les mécanismes de sécurité de ses produits. Bien que Toka n'ait jamais rencontré d'utilisation illégale de ses produits, si c'était le cas, Toka mettrait immédiatement fin à ce contrat ». [Ouf, nous voilà soulagés, NdT]