Si la probable candidate démocrate
n'a pas les 50 ans d’histoire de soutien de Joe Biden au militarisme israélien,
ses antécédents indiquent qu'elle maintiendrait une politique pro-israélienne sans
faille.
Jeremy Scahill, Drop
Site News, 22/7/2024
Schuyler
Mitchell a contribué aux recherches pour cet article
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Kamala Harris s'adressant à la
conférence 2017 de l'AIPAC à Washington, D.C. Photo : Michael Brochstein/SOPA
Images/LightRocket via Getty Images.
Quelques heures après que Joe Biden
a annoncé qu'il ne se représenterait pas à l’élection présidentielle du 4
novembre prochain, l'élite du Parti démocrate a commencé à consolider son
soutien à la vice-présidente Kamala Harris pour qu'elle prenne la tête de la
campagne contre Donald Trump. Si elle obtient l'investiture démocrate, Kamala Harris
devra notamment regagner le soutien des électeurs indignés par le fait que
l'administration Biden a facilité la guerre génocidaire d'Israël contre les
Palestiniens de Gaza. Rien que dans l'État critique du Michigan - où un sondage
dévastateur de la Detroit Free Press a montré dimanche matin que Biden
avait perdu 7 points de pourcentage par rapport à Trump dans l'ensemble de
l'État - il y a eu plus de 100 000 électeurs primaires “non engagés”.
Le maire de Dearborn (Michigan),
Abdullah Hammoud, ne s'est pas immédiatement prononcé en faveur de Mme Harris.
Au lieu de cela, il a gazouillé : « Les démocrates ont l'occasion de faire
preuve d'audace lors de cette convention. De désigner un candidat capable de
mettre en place une politique intérieure historique ET d'abandonner la voie
génocidaire tracée à Gaza et au-delà. L'Amérique a besoin d'un candidat qui
puisse donner envie aux électeurs de se rendre aux urnes en novembre prochain ».
Mme Harris se trouve dans une
position historique inhabituelle. L'équipe de presse de la Maison Blanche a
donné l'image d'une Harris plus sensible à la situation humanitaire des
Palestiniens, alors même qu'elle soutient l'agenda de Biden dans la région. En
tant que candidate à la présidence, elle pourrait expliquer aux électeurs les
divergences internes qu'elle a pu avoir dans les discussions autour de la
guerre de Gaza. En tant que vice-présidente en exercice, cependant, de telles
démarches poseraient des problèmes à Biden.
La vérité est que, comme la plupart
des démocrates, Harris a soutenu les politiques de Biden, même si elle a
soulevé des objections tactiques ou exprimé un malaise moral face au nombre
effroyable de morts. Si Harris n'est pas Biden - et n'a pas au compteur un
demi-siècle de soutien massif à la brutalité et au militarisme d'Israël qui
alimente ses positions - elle a ses propres antécédents de soutien
intransigeant à Israël, à la fois en tant que sénatrice et que
vice-présidente.
Ben Jennings, The Guardian, 23/7/2024
Peu après son élection au Sénat en
2016, Mme Harris a acquis une réputation d'ardente défenseuse d'Israël. Elle a
pris la parole deux années de suite lors de conférences de l'AIPAC et a
coparrainé une législation visant à saper une résolution des Nations unies
condamnant l'annexion illégale de terres palestiniennes par Israël. L'un de ses
premiers voyages internationaux en tant que sénatrice a eu lieu en Israël, où
elle a rencontré le Premier ministre Benjamin Netanyahou en 2017. « Je
soutiens l'engagement des USA à fournir à Israël une aide militaire de 38 milliards
de dollars au cours de la prochaine décennie", a déclaré Mme Harris lors
d'une conférence de l'AIPAC cette année-là. « Je crois que les liens entre
les USA et Israël sont indéfectibles, et nous ne pouvons jamais laisser
quiconque creuser un fossé entre nous. Tant que je serai sénatrice usaméricaine,
je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour assurer un soutien large et
bipartisan à la sécurité d'Israël et à son droit à l'autodéfense ».
Mme Harris a comparé le soutien à
Israël aux coalitions forgées pendant le mouvement des droits civiques aux USA
et a approuvé les accords d'Abraham du président Donald Trump, une série
d'accords de normalisation entre Israël et les États arabes qui ont contourné
les demandes d'un État palestinien indépendant. Mme Harris a coparrainé une loi
qualifiant ces accords de “réalisation historique”. Dans un entretien en 2016,
Mme Harris a déclaré : « Le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions
repose sur l'hypothèse erronée qu'Israël est le seul responsable du conflit
israélo-palestinien ». Elle a ajouté : « le mouvement BDS cherche à affaiblir
Israël, mais il ne fera qu'isoler le pays et braquer les Israéliens contre les
compromis préalables à la paix ».
Lors d'une conférence privée de
l'AIPAC en 2018, on a demandé à Mme Harris pourquoi elle soutenait Israël de
manière aussi catégorique. « C'est simplement quelque chose qui a toujours
fait partie de moi », a-t-elle répondu. « Je ne sais pas quand cela a
commencé, c'est presque comme dire quand vous avez réalisé pour la première
fois que vous aimiez votre famille, ou que vous aimiez votre pays, c'était
juste toujours là. Cela a toujours été là ».
« Son soutien à Israël est au cœur de sa
personnalité », a déclaré Lily Adams, directrice de la communication de la
campagne de Mme Harris, en 2019, lorsque cette dernière était candidate à
l'investiture démocrate.
En mars 2019, au milieu des appels
de militants du Parti démocrate à boycotter la conférence de l'AIPAC de cette
année-là, Mme Harris a rejoint d'autres candidats, dont les sénateurs Bernie
Sanders et Elizabeth Warren, pour ne pas participer à la réunion. Au lieu de
cela, elle a gazouillé qu'elle avait rencontré en privé « les dirigeants
de l'AIPAC de Californie pour discuter de la nécessité d'une alliance forte
entre les USA et Israël, du droit d'Israël à se défendre et de mon engagement à
lutter contre l'antisémitisme dans notre pays et dans le monde entier ».
Alors que Mme Harris s'exprime
généralement en faveur de l'autodétermination palestinienne et d'une solution à
deux États -conformément aux positions politiques générales du parti démocrate depuis
l'accord d'Oslo de 1993 - elle s'est simultanément opposée aux efforts visant à
imposer des conséquences à Israël pour ses violations flagrantes du droit
international.
Mme Harris a donné le ton de sa
position sur Israël en tant que sénatrice lorsqu'elle a coparrainé en 2017 une
loi condamnant la décision de l'ancien président Barack Obama de s'abstenir
d'opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU critique à
l'égard d'Israël. La résolution, adoptée en décembre 2016, affirmait que « L'établissement
par Israël de colonies dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, y
compris Jérusalem-Est, n'a aucune validité juridique et constitue une violation
flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution
à deux États et d'une paix juste, durable et globale ». Mme Harris et ses
collègues du Sénat ont affirmé que le refus d’Obama de bloquer la résolution de
l'ONU était « incompatible avec la politique menée de longue date par les USA ».
Ils ont déclaré que la politique usaméricaine devrait viser à empêcher l'ONU de
prendre des mesures qui « isolent davantage Israël par le biais de
boycotts économiques ou autres ou de toute autre mesure » et ont exhorté
les futures administrations « à maintenir la pratique du veto à toutes les
résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui reconnaissent les
actions palestiniennes unilatérales, dont la déclaproclamation ration d'un État
palestinien, ou qui dictent les termes et le calendrier d'une solution au
conflit israélo-palestinien ».
« Je pense que lorsqu'une
organisation délégitime Israël, nous devons nous lever et nous exprimer pour
qu'Israël soit traité de manière égale », a déclaré Mme Harris à propos de
son vote.
Lors de la course à la présidence
de 2020, le New York Times a demandé à Mme Harris si elle pensait
qu'Israël respectait les normes internationales en matière de droits humains. « Dans
l'ensemble, oui », a-t-elle répondu.
Lors du premier appel de Mme Harris
avec M. Netanyahou après sa nomination à la vice-présidence, le 3 mars 2021,
elle a dit au dirigeant israélien que les USA s'opposaient à ce que la Cour
pénale internationale enquête sur les crimes de guerre présumés d'Israël contre
les Palestiniens. Harris et Netanyahou « ont noté l'opposition de leurs
gouvernements respectifs aux tentatives de la Cour pénale internationale
d'exercer sa juridiction sur le personnel israélie », selon un compte-rendu
par la Maison Blanche de cet appel.
Harris, le 7 octobre et le génocide
à Gaza
Après les attaques menées par le
Hamas en Israël le 7 octobre, Mme Harris a adopté une position publique qui
divergeait rhétoriquement de celle de Joe Biden. Tout en plaidant pour un
soutien militaire, financier et diplomatique des USA à la guerre d'Israël,
Harris a fréquemment souligné qu'Israël devait respecter les lois de la guerre,
protéger les vies civiles et permettre l'acheminement de l'aide humanitaire.
Par rapport à Biden, Harris a plus
souvent mis l'accent sur les souffrances des civils palestiniens. « Israël
a incontestablement le droit de se défendre. Cela dit, il est très important de
ne pas faire d'amalgame entre le Hamas et les Palestiniens », a déclaré Mme
Harris lors de l'émission “60 Minutes” diffusée sur la chaîne CBS le 29
octobre 2023. « Les Palestiniens méritent les mêmes mesures de sûreté et
de sécurité, d'autodétermination et de dignité, et nous avons été très clairs
sur le fait que les règles de la guerre doivent être respectées et que l'aide
humanitaire doit être acheminée ».
Fin 2023, des proches de Harris ont commencé à
divulguer aux médias que la vice-présidente avait fait pression sur Biden pour
qu'il adopte une position plus “dure” à l'égard de Netanyahou et pour que
l'administration exprime plus publiquement son inquiétude face aux décès de
civils palestiniens. À certains moments, Biden et d'autres hauts responsables
ont critiqué publiquement les bombardements israéliens “aveugles” et ont appelé
Israël à faire preuve de plus de retenue dans ses tactiques. Au début de
l'année 2024, il est devenu évident que l'administration Biden reconnaissait
que son soutien à la guerre d'Israël allait probablement poser des problèmes
majeurs à sa campagne de réélection. Elle a organisé une série de réunions avec
des dirigeants arabo-usaméricains pour tenter de stopper l'hémorragie et a
commencé à donner aux hauts fonctionnaires usaméricains les moyens de
s'exprimer plus ouvertement sur le sort des civils palestiniens, tout en
affirmant toujours qu'Israël avait le droit de se défendre.
Le 3 mars, après des mois de
bombardements israéliens massifs sur la bande de Gaza et plus de 30 000
Palestiniens tués, Kamala Harris a pris l'initiative de plaider en faveur d'un
cessez-le-feu conditionnel de six semaines à Gaza. « Ce que nous voyons
chaque jour à Gaza est dévastateur. Nous avons vu des familles manger des
feuilles ou des aliments pour animaux. Des femmes donnent naissance à des bébés
souffrant de malnutrition, avec peu ou pas de soins médicaux, et des enfants
meurent de malnutrition et de déshydratation », a déclaré Mme Harris. « Nos
cœurs se brisent pour les victimes de cette horrible tragédie et pour tous les innocents
de Gaza qui souffrent de ce qui est clairement une catastrophe humanitaire. Les
habitants de Gaza meurent de faim. Les conditions sont inhumaines ». Le
lendemain, le Washington Post titrait : « Harris joue un rôle plus
public en critiquant les actions d'Israël à Gaza ».
Alors que de nombreux démocrates
espèrent que l'abandon de Biden ouvrira la voie à une réinitialisation,
l'histoire politique de Mme Harris indique qu'elle continuera à poursuivre
l'agenda bipartisan du gouvernement usaméricain sur Israël et la Palestine, y
compris les politiques qui ont aidé et encouragé la mort de plus de 40 000
Palestiniens en neuf mois.
En réalité, la guerre de Gaza n'est
pas la question centrale de la campagne de 2024, même si, dans une course où
chaque voix compte, elle pourrait causer des dommages substantiels aux
démocrates. Le Parti démocrate mise sur l'espoir que les électeurs
désillusionnés par la guerre sont tellement terrifiés par le retour de Trump à
la Maison Blanche qu'ils mettront de côté leur indignation au sujet de Gaza et
se rallieront à un candidat qui n'est pas Joe Biden. La question sera de savoir
si les électeurs tiennent Harris pour responsable de la politique de
l'administration à l'égard de Gaza ou s'ils se contenteront du retrait de Biden
du ticket.
« Pendant des mois, nous avons
prévenu que le soutien de Biden à l'assaut israélien contre Gaza nuirait à son
éligibilité », a déclaré Layla Elabed, l'une des dirigeantes du mouvement Uncommitted*, qui a appelé Biden à mettre fin aux
livraisons d'armes à Israël par les USA.
« En finançant un gouvernement qui commet
des violations des droits humains, nous compromettons la position de notre
parti contre l'extrémisme de droite et contredisons notre engagement en faveur
de la démocratie et de la justice. Il est temps d'aligner nos actions sur nos valeurs.
La vice-présidente Harris peut entamer le processus de reconquête de la
confiance en tournant la page des politiques horribles de Biden à Gaza ».
NdT
*Uncommitted= Non engagés. Lors des
primaires présidentielles démocrates du Michigan 2024, du Minnesota 2024 et de
Washington 2024, de nombreux militants et élus, dont le maire de Dearborn
Abdullah Hammoud et la représentante à la Chambre des représentants Rashida
Tlaib, ont fait campagne pour que les électeurs choisissent l'option de
non-engagement en signe de protestation contre la gestion par Biden de la
guerre contre Gaza. Certains USAméricains d'origine arménienne ont également
suggéré de voter sans engagement en raison des actions de Biden concernant
l'offensive azerbaïdjanaise de 2023 au Nagorno-Karabakh. À Washington, le plus
grand syndicat de l'État, United Food and Commercial Workers, a soutenu
l'option sans engagement. En réponse, le groupe de lobbying Democratic Majority for Israel a diffusé des
publicités arguant que voter “sans engagement” affaiblirait Biden et
soutiendrait Donald Trump. Gretchen Whitmer, gouverneure du Michigan, a déclaré
que bien qu'elle reconnaisse la “douleur” ressentie par les gens à propos de la guerre, elle encourageait tout
de même à voter pour Biden car « tout vote qui n'est pas exprimé en faveur
de Joe Biden soutient un second mandat de Trump ». Au final, dans le
Michigan, Joe Biden a reçu 81,1 % des voix (618 426 votes), les candidats non
engagés ont reçu 13,3 % des voix (101 100 votes), tandis que les autres
candidats ont reçu 5,7 % des voix (43 171 votes). La part des non engagés a dépassé
celle de Barack Obama en 2012, la dernière campagne de réélection d'un
président démocrate (bien qu'en 2012 il se soit agi d'un caucus et non d'une
primaire. Dans le Minnesota, les non engagés ont obtenu une part encore plus
importante des voix, soit 18,9 %, tandis que Biden n’obtenait que 70,6 %.
Le Mouvement National Non-Engagé, né dans le Michigan, mène campagne pour
appeler les électeurs à voter « Uncommitted » afin de promouvoir
3 revendications :
1-Assurer un cessez-le-feu immédiat et permanent
2-Arrêter toute livraison de munitions et toute
aide militaire à Israël
3-Mettre fin au siège interminable de Gaza (6248
jours depuis le 15 juin 2007)