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06/01/2025

AMIR TIBON
Comment un mandat d’arrêt brésilien pour crimes de guerre a mis Israël en mode panique

Le gouvernement israélien a très peu d’options lorsque des mandats d’arrêt sont émis au niveau international contre des soldats qui ont servi à Gaza et au Liban - mais il ne les déploie même pas en ce moment.

Amir Tibon, Haaretz  5/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il est rare que la principale nouvelle du jour en Israël concerne un événement qui se déroule à l’autre bout de la planète. C’est pourtant ce qui a réveillé les Israéliens dimanche, après l’apparition d’informations selon lesquelles les autorités locales brésiliennes cherchaient à arrêter un touriste israélien pour son implication présumée dans des crimes de guerre commis à Gaza.

Yuval Vagdani

Le nom du citoyen israélien n’a pas été publié [du côté israélien ; il s’appelle Yuval Vagdani, NdT], mais le ministère israélien des Affaires étrangères a déclaré dimanche que l’ambassade d’Israël à Brasilia et lui-même avaient aidé l’homme à fuir le pays sud-américain avant que les autorités ne parviennent à l’arrêter.

Il s’est avéré que les poursuites engagées contre lui reposaient sur des preuves qu’il avait lui-même fournies par inadvertance, après avoir téléchargé des vidéos et des images de l’époque où il servait en tant que réserviste à Gaza. Ces informations ont été portées à l’attention des procureurs brésiliens par une organisation non gouvernementale pro-palestinienne [la Fondation Hind Rajab, NdT]. Si cet homme a échappé à l’arrestation, d’autres affaires concernant des Israéliens voyageant à l’étranger sont déjà en cours de préparation.

Lorsque la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant en novembre, j’ai écrit ce qui suit:

« L’une des conséquences prévisibles de cette décision est que de nombreux Israéliens qui ont participé à la guerre de Gaza - des officiers de haut rang aux soldats de combat subalternes - réfléchiront à deux fois avant de se rendre à l’étranger, compte tenu de la menace croissante de mandats d’arrêt délivrés à leur encontre sur le sol étranger.
« Maintenant que la plus haute autorité en matière de droit international a déclaré si clairement que les dirigeants israéliens sont soupçonnés de crimes de guerre, qui, dans son esprit, prendrait le risque qu’un tribunal local en Espagne, en France ou en Allemagne conclue que tout Israélien ayant contribué à ces crimes présumés devrait à tout le moins faire l’objet d’une enquête
« Cela peut être qualifié d’outrage, d’antisémitisme, d’injustice, mais pour l’instant, il s’agit d’une caractéristique de la nouvelle réalité d’Israël qu’il est impossible d’ignorer ».

Il était facile de faire cette prédiction, et il est encore plus facile de prédire que ce qui s’est passé au Brésil la semaine dernière se répétera bientôt dans d’autres pays.
Au cours des 15 derniers mois, des milliers de soldats israéliens ont partagé des vidéos et des images en provenance de Gaza et du Liban, malgré les appels de leurs commandants à ne pas le faire - pour des raisons opérationnelles et juridiques. Il s’agit là d’un symptôme de la perte de discipline de l’armée israélienne et du mépris croissant de nombreux soldats, qu’ils fassent partie du service obligatoire ou de la réserve, à l’égard des hauts gradés des Forces de défense israéliennes.
Ignorer les avertissements des commandants supérieurs et des assistants juridiques, qui affirment depuis des mois que ce phénomène met en danger les soldats, pourrait coûter cher. Cela a failli se produire au Brésil, et cela se produira ailleurs tôt ou tard.
La vraie question est de savoir ce que le gouvernement israélien peut faire face à ce problème et s’il prend effectivement des mesures.
Le chef de l’opposition et ancien ministre des AAffaires étrangères, Yair Lapid, a déclaré dimanche que le gouvernement qui a envoyé ces soldats sur le champ de bataille ne les protège plus contre le risque d’arrestation une fois qu’ils ont terminé leur service. Cette déclaration a donné lieu à un échange intense entre Lapid et l’homme qui occupe actuellement son ancien poste, Gideon Sa’ar. Toutefois, la guerre des mots n’a pas permis de recueillir beaucoup d’informations utiles.
Une source haut placée du ministère des Affaires étrangères a confié à Haaretz qu’Israël ne disposait que de très peu d’options pour traiter le problème, et que même celles-ci n’étaient pas utilisées de manière adéquate à l’heure actuelle.

La source a mentionné l’importance de convaincre autant de pays que possible qu’Israël mène des enquêtes honnêtes et sans crainte sur les actes répréhensibles commis dans ses propres rangs. Elle s’est toutefois inquiétée du fait que le gouvernement actuel fait exactement le contraire en attaquant le parquet militaire pour avoir pris des mesures à l’encontre de soldats soupçonnés d’avoir infligé des violences physiques à des détenus palestiniens.
Un ancien ambassadeur israélien qui a travaillé sur des cas similaires dans le passé a ajouté que bien qu’il y ait « des personnes excellentes et talentueuses qui s’occupent de ces questions dans les ministères des Affaires étrangères et de la Justice », leur capacité à aider était principalement « au cas par cas », en utilisant les liens avec les gouvernements locaux, les militaires, les procureurs et les parlementaires pour rendre les pays moins dangereux pour les voyageurs israéliens qui ont servi dans l’armée.
La commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset a annoncé qu’elle tiendrait une audition d’urgence sur la question lundi, au cours de laquelle les représentants des ministères concernés seront invités à présenter les mesures qu’ils prennent. Mais il semble que la plupart de leurs réponses seront tactiques et spécifiques à chaque pays, et non générales - ce qui n’est pas particulièrement rassurant.
« On peut travailler avec les gouvernements pour limiter leur coopération avec les organisations qui poussent à ces arrestations », explique l’ancien diplomate. « Mais ce dont on a vraiment besoin, c’est d’une stratégie diplomatique et juridique plus large pour traiter ce problème - et pour l’instant, je ne vois aucun signe que le gouvernement israélien en ait une ».



09/10/2023

Amir Tibon : “Mon père de 62 ans a combattu les terroristes du Hamas pour libérer ma famille. L’État israélien nous a laissé tomber”

Amir Tibon, Haaretz, 8/10/2023

 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Amir Tibon (1989) est un journaliste israélien spécialisé dans les relations USA-Israël au quotidien Haaretz, dont il a été le correspondant à Washington, et rédacteur en chef adjoint de l’édition anglaise du quotidien. Auteur d’une biographie de Mahmoud Abbas, The Last Palestinian (Prometheus Books, 2017) @amirtibon


NdT : j’ai traduit le plus fidèlement possible ce texte, révélateur de l’état d’esprit régnant parmi les Israéliens de la “ligne de front”, vivant dans des kibboutz chargés de surveiller la frontière de Gaza, dans cette zone joliment appelée par Israël “l’enveloppe de Gaza”

Nous vivions un rêve. Le 7 octobre, nous nous sommes réveillés dans un cauchemar. Après des heures dans l’abri antibombes avec des terroristes armés de l’autre côté du mur, à 16 heures, nous avons entendu frapper à la fenêtre. “Sabba est là”, a dit ma fille, et nous avons tous éclaté en sanglots.

Terroristes du Hamas à Kfar Azza. Photo : Hassan Eslaiah

Au début, c’était juste un sifflement. Il était un peu plus de six heures du matin, et ma femme Miri a été réveillée par un son familier : un obus de mortier sur le point de tomber. Il n’y avait pas eu d’alerte préalable, mais ce son a suffi à nous faire courir vers la pièce sécurisée, qui sert également de chambre à coucher à nos filles, ici au kibboutz Nahal Oz, l’endroit d’Israël le plus proche de Gaza.

Galia, trois ans, et Carmel, un an, dormaient dans leur lit, se remettant d’une fabuleuse excursion la veille dans la région israélienne de l’“enveloppe de Gaza”, la belle partie du pays que nous appelons notre maison. Nous ne voulions pas les réveiller, mais nous avons commencé à faire nos bagages. Nous pensions qu’il s’agirait encore d’une de ces journées auxquelles nous nous sommes habitués : des voyages dans la pièce sécurisée pendant l’explosion d’une roquette, puis des voyages vers le nord pour se mettre à l’abri.

Après une heure de sirènes et d’explosions ininterrompues, nous avons entendu pour la première fois le bruit glaçant des tirs automatiques. Au début, nous l’avons entendu de loin, depuis les champs. Ensuite, le son était beaucoup plus proche, venant de la route. Enfin, nous l’avons entendu à l’intérieur même de notre quartier, près de la fenêtre de notre maison. Nous avons également entendu des cris en arabe et nous avons immédiatement compris ce qui se passait : C’était notre pire cauchemar. Des militants armés du Hamas avaient infiltré notre kibboutz et se trouvaient littéralement sur le pas de notre porte, tandis que nous étions enfermés à l’intérieur avec nos deux petites filles.

 

L’hôpital Brazilai, dans le sud d’Israël, samedi. Photo : Ilan Assayag

Miri et moi avons déménagé à Nahal Oz il y a neuf ans, juste après la guerre de Gaza de 2014. Ce qui nous a attirés dans cet endroit particulier, c’était le désir d’un peu d’aventure et de vie communautaire, ainsi qu’un peu de sionisme à l’ancienne. S’installer dans un kibboutz à la frontière de Gaza n’était pas un choix évident pour un jeune couple de Tel-Aviviens. Mais nos parents étaient fiers de notre décision, et Nahal Oz est devenu notre maison. C’est là que nous nous sommes mariés en 2016, au bord de la piscine située à quelques centaines de mètres de la barrière frontalière. Et c’est là que nous sommes retournés après un séjour de trois ans aux USA, où j’ai occupé le poste de correspondant de Haaretz à Washington.

Nous avons connu d’innombrables “alertes rouges” au cours de nos années passées au kibboutz. Nous nous sommes également familiarisés avec la menace des ballons incendiaires et la puanteur des champs en flammes. Mais ces problèmes n’étaient pas suffisamment graves pour nous faire oublier les merveilleux avantages de la vie dans un kibboutz, notamment le fait que nos petites filles se rendaient seules à la crèche et qu’elles pouvaient ensuite acheter une glace à l’épicerie locale. En ce qui nous concerne, nous vivions le rêve.

Mais nous nous sommes retrouvés confrontés à une menace d’un tout autre genre - une menace qui était censée pouvoir être évitée.

Lorsque nous avons emménagé dans le kibboutz, le mot le plus effrayant de notre lexique était “tunnel”. Mais comme le gouvernement avait investi des milliards de shekels dans un mur d’obstruction souterrain destiné à neutraliser le réseau de tunnels souterrains du Hamas, nous nous sommes permis de dormir tranquillement. Ce samedi matin, nous avons réalisé que ce mur souterrain était l’équivalent de la ligne Maginot pour notre génération et que nous étions au milieu d’un désastre de l’ampleur de la guerre du Kippour de 1973. Israël avait déversé des tonnes de béton dans la terre, alors que tout ce que le Hamas avait à faire était de franchir la clôture en surface avec ses tracteurs.

Le kibboutz Nahal Oz, 2022. Photo : Eliyahu Hershkovitz