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17/07/2025

JOSEPH MASSAD
L’agression israélienne contre la Syrie fait avancer un plan vieux d’un siècle visant à embrigader les Druzes

L’article ci-dessous du chercheur palestino-usaméricain Joseph Massad, datant du mois de mai dernier, met en lumière la logique historique derrière la nouvelle attaque israélienne contre la Syrie

Joseph Massad, Midle East Eye, 6/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

De la Palestine de l’époque du mandat britannique à la Syrie post-Assad d’aujourd’hui, les dirigeants sionistes ont ciblé les communautés druzes pour fragmenter la société arabe et enraciner un ordre colonial de peuplement.


Des soldats israéliens empêchent une famille druze syrienne de s’approcher de la frontière près de Majdal Shams, sur le plateau du Golan occupé par Israël, le 3 mai 2025 (Jalaa Marey/AFP)

La semaine dernière (fin avril 2025), l’ armée israélienne a pris du temps sur son programme chargé d’extermination des Palestiniens de Gaza , de bombardement et de tirs sur les Palestiniens à travers la Cisjordanie, de bombardement du Liban et de lancement d’une série de bombardements sur le territoire syrien - dont la capitale Damas - pour lancer une série de bombardements très spéciaux .

Le dernier raid aérien visait ce qu’Israël a présenté comme « un groupe extrémiste » qui avait attaqué des membres de la communauté druze syrienne, qu’Israël avait « promis » de défendre en Syrie même.

Après la chute du régime de l’ancien président Bachar al-Assad provoquée en décembre dernier par Hay’at Tahrir al-Cham (HTS), ancienne branche d’Al-Qaïda, des violences sectaires liées à l’État ont éclaté contre  les Alaouites et les Druzes syriens . Les minorités religieuses se sentent assiégées et craignent de plus en plus l’avenir.

Malgré les assurances du président syrien  autoproclamé par intérim  et ancien commandant d’Al-Qaïda , Ahmed al-Charaa, selon lesquelles les minorités religieuses seraient protégées, le régime a déjà commencé à imposer des restrictions « islamistes sunnites » sur de nombreux aspects de la société, y compris  les programmes scolaires  et la ségrégation des sexes dans  les transports publics .

Pendant ce temps, la violence sectaire perpétrée par des groupes liés à l’État et des milices non étatiques persiste . 

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C’est dans le contexte de cette violence sectaire qu’Israël a vu une opportunité de poursuivre un programme que le mouvement sioniste poursuivait depuis les années 1920 : créer de nouveaux schismes, ou exploiter les schismes existants, entre les groupes religieux en Palestine et dans les pays arabes environnants, dans une stratégie classique de diviser pour mieux régner.

Cette politique israélienne continue vise à donner une plus grande légitimité à la prétendue raison d’être d’Israël – non pas en tant que colonie sioniste européenne servant les intérêts impériaux européens et usaméricains, mais en tant qu’État sectaire religieux dont le modèle devrait être reproduit dans tout le Moyen-Orient, en divisant les groupes religieux autochtones en petits États distincts pour « protéger » les minorités.

Plan sectaire

Israël estime que la normalisation des relations dans la région ne peut se faire que si de tels États sectaires sont créés, notamment au Liban et en Syrie.

Dès les années 1930, les dirigeants israéliens s’allièrent aux sectaires maronites libanais et, en 1946, ils signèrent un accord politique avec l’Église maronite sectaire.

Leur soutien ultérieur à des groupes chrétiens fascistes libanais, comme les Phalangistes – qui cherchaient à établir un État maronite au Liban – s’inscrivait dans les plans sionistes pour la communauté druze palestinienne. Cette stratégie a débuté dans les années 1920, lorsque les colons sionistes ont commencé à cibler la population druze palestinienne.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale et suite au soutien britannique au colonialisme de peuplement sioniste en Palestine, les dirigeants sionistes ont lancé des efforts pour créer des divisions sectaires entre chrétiens et musulmans palestiniens.

Les Palestiniens, cependant, étaient unis dans leur opposition au sionisme et à l’occupation britannique à travers les « Associations musulmanes-chrétiennes », établies en 1918 comme instruments institutionnels d’unité nationale et de résistance au régime colonial.

Un projet sioniste connexe visait à isoler la petite communauté religieuse druze palestinienne afin de la cultiver comme un allié potentiel.

Au début du mandat britannique en 1922, les Druzes palestiniens étaient au nombre de 7 000 , vivant dans 18 villages à travers la Palestine et représentant moins d’un pour cent des 750 000 habitants du pays.

Mythologie coloniale

Les puissances coloniales s’appuyaient souvent sur des mythologies raciales pour diviser les populations autochtones. Alors que les Français affirmaient que les Berbères algériens descendaient des Gaulois pour les distinguer de leurs compatriotes arabes, les Britanniques présentaient les Druzes comme des descendants des Croisés, les décrivant comme une « race blanche plus ancienne » non arabe et « une race beaucoup plus propre et plus belle » que les autres Palestiniens, en raison de la prédominance de la peau claire et des yeux bleus parmi eux.

Bien que les Druzes aient été initialement considérés comme trop marginaux pour être embrigadés, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, les dirigeants sionistes ont mené une campagne concertée pour les intégrer.

Tout comme ils avaient exploité les rivalités entre les familles palestiniennes importantes de Jérusalem – les Husayni et les Nashashibi – les sionistes ont cherché à faire de même avec les Druzes, en encourageant le factionnalisme entre les Tarifet les Khayr , et en promouvant une identité sectaire particulariste.

Dans les années 1920, les autorités d’occupation britanniques ont instauré un système sectaire en Palestine pour servir la colonisation juive européenne – un système qui séparait la communauté druze palestinienne du reste du peuple palestinien. 

Aux côtés des sionistes, les Britanniques ont encouragé le factionnalisme et le communautarisme religieux – des efforts qui ont abouti à la fondation de la Druze Union Society sectaire en 1932, aux côtés de nouvelles sociétés musulmanes et chrétiennes orthodoxes formées à la même période dans le sillage de la politique britannique.

La même année, les efforts sionistes pour coopter les dirigeants druzes s’intensifient, se concentrant sur une faction en particulier et encourageant son sectarisme.

Cela provoqua des affrontements entre les différentes factions druzes en 1933, mais la famille nationaliste Tarif conserva son leadership et vainquit la faction collaborant avec les sionistes. Ces derniers espéraient que la cooptation des Druzes palestiniens ouvrirait la voie à des alliances avec les populations druzes plus importantes de Syrie et du Liban.

Tactiques anti-révolte

Dans la seconde moitié des années 1930, pendant la Grande Révolte palestinienne contre l’occupation britannique et la colonisation sioniste européenne (1936-1939), les sionistes et les Britanniques ont intensifié leur campagne sectaire pour empêcher les Palestiniens druzes de rejoindre le soulèvement anticolonial.

À cette fin, ils enrôlèrent Cheikh Hassan Abou Rukun , chef de faction druze du village palestinien d’Isfiya, à une époque où des Druzes de Palestine, de Syrie et du Liban avaient rejoint la révolte . En novembre 1938, Abou Rukun fut tué par les révolutionnaires palestiniens en tant que collaborateur, et son village fut attaqué pour expulser d’autres collaborateurs.

Les sionistes ont exploité son assassinat dans leur campagne sectaire visant à embrigader la communauté druze, affirmant qu’il était ciblé parce qu’il était druze plutôt que parce qu’il était un collaborateur.

En fait, pendant la révolte palestinienne, les révolutionnaires ont tué environ 1 000 collaborateurs palestiniens – la plupart d’entre eux étaient des musulmans sunnites, dont beaucoup étaient issus de familles importantes.

Alors même que les sionistes travaillaient assidûment à répandre le sectarisme parmi les communautés druzes de Palestine, de Syrie et du Liban, à la fin de 1937, ils prévoyaient simultanément d’expulser toute la population druze - alors au nombre de 10 000 personnes - de l’État juif projeté par la Commission Peel britannique , puisque tous les villages druzes se trouvaient à l’intérieur des frontières que celle-ci recommandait.

Pendant ce temps, les autorités d’occupation britanniques ont fait avancer leur projet sectaire en payant certains dirigeants druzes pour qu’ils s’abstiennent de participer à la révolte.

Schémas de transfert

En 1938, les sionistes établirent des relations avec le chef anticolonial druze syrien Sultan al-Attrache , dont la révolte de 1925-1927 contre le régime français avait été réprimée dix ans plus tôt. Ils proposèrent à al-Attrache le « plan de transfert » – l’expulsion de la communauté druze palestinienne, présentée comme un moyen de la protéger des attaques des révolutionnaires palestiniens.

Al-Attrache n’acceptait que la migration volontaire de ceux qui cherchaient refuge, mais refusait tout accord d’amitié avec les sionistes.

Pour atteindre al-Attrache, les sionistes ont fait appel à l’un de leurs contacts, Yusuf al-’Aysami , un ancien assistant druze syrien qui avait été en exil en Transjordanie dans les années 1930. Pendant son exil, il a rendu visite aux Druzes palestiniens et a établi des liens avec les sionistes.

En 1939, Haïm Weizmann, chef de l’Organisation sioniste, était favorable à l’idée d’expulser les Druzes. L’émigration « volontaire » de 10 000 Palestiniens – qui, selon lui, « seraient sans doute suivis dautres » – offrait une précieuse opportunité de faire progresser la colonisation européenne juive en Galilée, région du nord de la Palestine.

Le financement de l’achat de terres druzes ne se matérialisa cependant jamais. En 1940, la réconciliation entre certaines familles druzes et les révolutionnaires palestiniens allégea la pression sur les dirigeants druzes et ébranla le pari initial des sionistes sur la communauté.

En 1944, l’organisation de renseignement sioniste (alors connue sous le nom de « Shai ») et le syrien al-’Aysami ont élaboré un plan visant à transférer les Druzes en Transjordanie et à financer l’établissement de villages là-bas en échange de toutes les terres druzes en Palestine.

Les sionistes envoyèrent même une expédition d’exploration à l’est de Mafraq, en Transjordanie, pour mettre en œuvre le projet. Cependant, face à l’opposition des Druzes et des Britanniques, le projet échoua fin 1945. Néanmoins, en 1946, les sionistes réussirent à acquérir des terres appartenant aux Druzes en Palestine par l’intermédiaire de collaborateurs locaux.

Embrigadement

En décembre 1947, davantage de Druzes palestiniens rejoignirent la résistance, alors même que les sionistes et les collaborateurs druzes s’efforçaient de maintenir la neutralité de la communauté ou de la recruter du côté sioniste.

En fait, les Druzes de Syrie et du Liban ont rejoint la résistance palestinienne à la conquête sioniste en 1948.

En avril 1948, les combattants de la résistance druze palestinienne ont riposté contre la colonie juive de Ramat Yohanan en réponse à l’attaque d’un colon contre une patrouille druze et ont subi de lourdes pertes .

Cependant, malgré les victoires sionistes, la désertion et le désespoir parmi les combattants druzes ont donné aux agents de renseignement sionistes – parmi lesquels le leader sioniste ukrainien Moshe Dayan - et aux collaborateurs druzes l’occasion de recruter des transfuges druzes .

Lorsque la colonie israélienne fut établie en 1948, l’un de ses premiers actes fut d’institutionnaliser les divisions au sein du peuple palestinien en inventant des identités ethniques fictives, dessinées selon des lignes religieuses et sectaires.

À ce stade, l’État israélien a reconnu les Druzes palestiniens – alors au nombre de 15 000 – comme une secte religieuse « distincte » des autres musulmans et a établi des tribunaux religieux distincts pour eux.

Peu après, Israël a commencé à qualifier la population druze de « Druze » plutôt que d’« Arabe », tant sur le plan ethnique que national. Pourtant, à l’époque comme aujourd’hui, celle-ci a continué à subir la même discrimination raciale et l’oppression de type suprémaciste juif que tous les Palestiniens d’Israël, y compris l’ appropriation de leurs terres.

À ce moment-là, avec le soutien de l’État israélien, les collaborateurs druzes avaient pris le dessus au sein de la communauté. Certains de leurs dirigeants ont même appelé le gouvernement à enrôler des Druzes dans l’armée israélienne – une offre qu’Israël a dûment acceptée, même si les soldats druzes restent interdits de rejoindre les unités « sensibles ».

Résistance druze

Malgré la cooptation par l’État israélien de nombreux membres de la communauté druze, la résistance à la colonisation s’est poursuivie à un rythme soutenu.

Le poète druze palestinien Samih al-Qasim (1939-2014) demeure l’une des trois figures les plus célèbres du panthéon palestinien des poètes connus pour leur résistance au sionisme (les deux autres étant Tawfiq Zayyad et Mahmoud Darwish). Son œuvre est non seulement largement récitée dans la société palestinienne, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Palestine, mais nombre de ses poèmes ont été mis en musique par des chanteuses telles que Kamilya Jubran et Rim al-Banna .

Parmi les autres figures littéraires et universitaires druzes palestiniennes de premier plan à l’avant-garde de la résistance au sionisme et au colonialisme israélien figurent le romancier Salman Natour (1949-2016) ; le poète contemporain Sami Muhanna, qu’Israël a emprisonné à plusieurs reprises pour ses opinions politiques ; le regretté érudit Sulayman Bashir (1947-1991) qui a écrit sur l’histoire des relations de l’URSS avec le nationalisme palestinien et les « communistes » juifs sionistes ; et l’historien Kais Firro (1944-2019), connu pour ses histoires de la communauté druze.

La tentative actuelle d’Israël de coopter les dirigeants druzes syriens vise à reproduire ce qu’il a déjà réussi avec les collaborateurs druzes palestiniens.

Cependant, les dirigeants druzes syriens résistent à cette offensive israélienne en affirmant faire partie intégrante du peuple syrien, tout en condamnant la politique du nouveau régime « islamiste » et sectaire. 

Pourtant, la volonté d’Israël de détruire l’unité arabe reste intacte.

01/07/2024

AHMED NADHIF
Comment nous avons perdu l’Inde : pourquoi New Delhi est-elle devenue une partisane d’Israël ?

Ahmed Nadhif, Hiber, 9/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Ahmed Nadhif est un journaliste et chercheur tunisien, traducteur au Courrier de l’UNESCO à Paris.

Il y a 85 ans, le Mahatma Gandhi finalisait la position du Parti du Congrès indien sur les intentions du mandat britannique de céder la Palestine aux Juifs. En novembre 1938, Gandhi écrivait : « Ma sympathie pour le sort des Juifs ne me rend pas aveugle aux exigences de la justice. La revendication d’un foyer national pour les Juifs ne m’intéresse pas beaucoup. La Palestine appartient aux Arabes au même titre que l’Angleterre appartient aux Anglais ou la France aux Français. Il est erroné et inhumain d’imposer les Juifs aux Arabes. Ce qui se passe aujourd’hui en Palestine ne peut être justifié par aucun code de conduite moral. Ce serait certainement un crime contre l’humanité que de réduire le nombre d’Arabes pour faire de la Palestine, en partie ou en totalité, une patrie juive ». La position de Gandhi était motivée, outre les impératifs de justice, par l’ennemi commun des Arabes et des Indiens, la Grande-Bretagne. L’homme avait depuis longtemps fait l’expérience des machinations des Anglais et des tragédies du colonialisme de peuplement. La position pionnière de Gandhi a caractérisé les positions du Parti du Congrès, même après le départ du Mahatma en 1947 et la naissance d’Israël en 1948.

 

Il y a deux mois, le Premier ministre indien Narendra Modi a dénoncé sur Twitter l’opération Déluge d’Al Aqsa : « Profondément choqué par les attaques terroristes en Israël. Nos prières accompagnent les victimes innocentes et leurs familles. Nous sommes solidaires d’Israël en ces temps difficiles ». Bien que la solidarité internationale avec Israël ait commencé à s’émousser quelques jours après l’attaque, qui a été suivie par les représailles brutales d’Israël contre les civils à Gaza, Modi a continué à se ranger du côté d’Israël lorsqu’il a écrit quelques jours plus tard, à la suite d’un appel téléphonique avec Netanyahou : « Le peuple de l’Inde se tient fermement du côté d’Israël : le peuple indien soutient fermement Israël en ces temps difficiles. L’Inde condamne fermement et sans équivoque le terrorisme sous toutes ses formes et manifestations ». Le 19 octobre, le ministère indien des Affaires étrangères a réitéré son soutien à la guerre contre le terrorisme.

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Entre la position de Gandhi et du Parti du Congrès et celle de Modi, le leader du Bharatiya Janata Party (BJP), il y a un large fossé qui révèle les changements radicaux qui ont eu lieu en Inde au cours des huit dernières décennies, pendant lesquelles nous, Arabes, ou plus précisément la Palestine, avons perdu un allié fort qui non seulement a cessé de soutenir notre cause, mais est passé dans le camp opposé, en soutenant l’entité d’occupation. Comment cela s’est-il produit, dans quel contexte, et tous les Arabes sont-ils responsables de ce changement ?

Comment avons-nous perdu l’Inde ?

La naissance de l’Inde indépendante en 1947 a coïncidé avec l’intensification du conflit en Palestine et l’expansion des bandes sionistes. Jawaharlal Nehru, successeur de Gandhi et premier Premier ministre, a rejeté les décisions du Comité spécial des Nations unies sur la Palestine (UNSCOP), qui appelait à la partition de la Palestine entre Arabes et Juifs. L’Inde a également voté contre l’admission d’Israël aux Nations unies en 1949. Vingt ans plus tôt, Nehru avait défendu la même position aux côtés des nationalistes arabes lors du Congrès des nationalités opprimées de Bruxelles en 1927, qui avait vu la création de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale. En 1947 à l’ONU, ‘Inde, soutenue par l’Iran et la Yougoslavie, a proposé la création d’un Palestine fédérale assortie d’une autonomie interne pour les Juifs, mais la proposition a été rejetée.

En mai 1960, Nehru visite la Bande de Gaza (alors administrée par l’Égypte) et passe en revue les soldats indiens de la Force d’urgence des Nations unies (FUNU) créée en 1956 durant la crise de Canal de Suez. L’avion de l’ONU qui le ramène à Beyrouth subit une tentative d’interception de l’aviation israélienne. Voir vidéo de la visite

La minorité musulmane de l’Inde était un élément clé de la politique de Nehru, mais ce n’était pas le seul motif de ce parti pris indien pour le côté arabe. À partir des années 1950, Nehru s’oriente vers l’établissement d’une ligne de non-alignement, dont le président égyptien Gamal Abdel Nasser est une figure clé. Bien que le gouvernement indien ait reconnu l’État hébreu en septembre 1950, il a refusé d’établir des relations diplomatiques avec lui. Ce soutien indien n’a cependant pas empêché les Arabes de se ranger du côté de la Chine lors de la guerre sino-indienne de 1962 pour le contrôle des régions frontalières de l’Aksai Chin et de l’Arunachal Pradesh. Lors des guerres pakistano-indiennes de 1965 et 1971, l’allié égyptien est resté neutre, tandis que le reste des capitales arabes s’est rangé du côté d’Islamabad. En 1969, le Pakistan a réussi à dissuader l’Organisation de la conférence islamique (OCI), dont un tiers des membres appartient à la Ligue arabe, d’admettre l’Inde au sein de l’organisation, alors que le pays compte plus de musulmans que certains pays arabes.

21/06/2024

ANSHEL PFEFFER
Au milieu des combats à Gaza, la guerre acharnée entre Netanyahou et les généraux israéliens s’intensifie : une armée qui a un État ou un État qui a une armée ?

Anshel Pfeffer, Haaretz, 17/6/2024
Traduit par
Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les désaccords entre Netanyahou et les FDI concernant la guerre à Gaza deviennent si toxiques que le camp de Netanyahou  accuse désormais les généraux de “coup de poignard dans le dos”, une théorie du complot classique propagée par les nazis après la défaite allemande de 1918. Mais c’est une tactique risquée, voire dangereuse.

L’échange d’accusations de dimanche dernier entre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et des sources anonymes des Forces de défense israéliennes concernant qui a donné l’ordre de permettre une “pause humanitaire” dans les combats dans la bande de Gaza n’est que le dernier rebondissement d’une relation de plus en plus hargneuse entre le premier ministre et l’état-major général des FDI

Dans ce cas, Netanyahou a publié une déclaration niant avoir connaissance de la pause humanitaire, s’attirant une réponse des FDI disant que cela avait été fait sur ses ordres exprès.

Ces dernières semaines, une série de problèmes ont élargi le fossé. Des officiers supérieurs ont informé les médias qu’Israël risque de perdre les “gains tactiques” des derniers mois de combats au sol à Gaza, parce que Netanyahou a refusé de permettre la formation d’une “alternative au Hamas” qui pourrait prendre le contrôle de la bande. Au lieu de cela, le Hamas retourne dans les zones déjà dégagées par les FDI.

Le chef d’état-major, le général de division Herzl Halevi, a publiquement parlé de la nécessité les FDI de recruter deS jeunes hommes haredim [juifs orthodoxes, exemptés de service militaire] pour combler ses rangs épuisés, ce qui a irrité Netanyahou, qui doit tenir les étudiants des a yeshivas [écoles religieuses] à l’écart de l’armée s’il veut garder les partis haredim dans sa coalition.

Lors de réunions privées, Halevi a parlé de la nécessité de prioriser un accord avec le Hamas pour la libération des otages encore détenus à Gaza, des remarques qui ont été rapidement divulguées. Cela constituerait une autre menace pour la coalition de Netanyahou, car ses partis d’extrême droite menacent de quitter le gouvernement si un tel accord avec le Hamas se concrétise.

27/12/2023

Arundhati Roy : “Notre pays a perdu son sens moral”
“Pour le bien de l’humanité tout entière, arrêtez ce massacre”

Arundhati Roy, Frontline/The Hindu, 15/12/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Discours d’acceptation d’Arundhati Roy lors de la cérémonie de remise du prix P. Govinda Pillai qui s’est tenue à Thiruvananthapuram le 13 décembre 2023

Je vous remercie de m’accorder cet honneur au nom de P. Govinda Pillai, l’un des plus éminents théoriciens marxistes du Kerala. Et merci d’avoir demandé à N. Ram d’être la personne qui honore cette occasion. Je sais qu’il a remporté ce prix l’année dernière, mais il partage à bien des égards l’honneur de celui-ci avec moi. En 1998, en tant que rédacteur en chef de Frontline - avec Vinod Mehta, rédacteur en chef d’Outlook - il a publié mon premier essai politique, "The End of Imagination", sur les essais nucléaires de l’Inde. Pendant des années, il a publié mon travail, et le fait qu’il y ait un éditeur comme lui - précis, incisif, mais sans crainte - m’a donné la confiance nécessaire pour devenir l’écrivaine que je suis.

Je ne vais pas parler de la disparition de la presse libre en Inde. Nous tous qui sommes réunis ici savons tout cela. Je ne vais pas non plus parler de ce qui est arrivé à toutes les institutions qui sont censées jouer le rôle de freins et de contrepoids dans le fonctionnement de notre démocratie. Je fais cela depuis 20 ans et je suis sûre que vous tous ici présents connaissez mon point de vue.

En venant du nord de l’Inde au Kerala, ou dans presque tous les États du sud, je me sens tour à tour rassurée et angoissée par le fait que l’effroi avec lequel beaucoup d’entre nous, au nord, vivent chaque jour semble bien loin lorsque je suis ici. Mais ce n’est pas aussi loin que nous l’imaginons. Si le régime actuel revient au pouvoir l’année prochaine, en 2026, l’exercice de délimitation des circonscriptions électorales risque de priver tout le sud de l’Inde de son pouvoir en réduisant le nombre de députés que nous envoyons au Parlement. La délimitation n’est pas la seule menace à laquelle nous sommes confrontés. Le fédéralisme, qui est l’élément vital de notre pays diversifié, est également menacé. Alors que le gouvernement central s’octroie des pouvoirs considérables, nous assistons au spectacle désolant de ministres en chef fièrement élus dans des États gouvernés par l’opposition [au gouvernement central du BJP, NdT], qui doivent littéralement mendier pour obtenir la part de fonds publics qui revient à leur État. Le dernier coup porté au fédéralisme est le récent arrêt de la Cour suprême confirmant l’annulation de la section 370 qui conférait à l’État du Jammu-et-Cachemire un statut semi-autonome. Ce n’est pas le seul État de l’Inde à bénéficier d’un statut spécial. C’est une grave erreur de penser que cet arrêt ne concerne que le Cachemire. Il affecte la structure fondamentale de notre politique.

Mais aujourd’hui, je veux parler de quelque chose de plus urgent. Notre pays a perdu son sens moral. Les crimes les plus odieux, les déclarations les plus horribles appelant au génocide et au nettoyage ethnique sont salués par des applaudissements et des récompenses politiques. Alors que les richesses sont concentrées dans un nombre de plus en plus restreint de mains, le fait de jeter des miettes aux pauvres permet d’obtenir le soutien des pouvoirs qui les appauvrissent encore davantage.

“Les crimes les plus odieux, les déclarations les plus horribles appelant au génocide et au nettoyage ethnique sont salués par des applaudissements et des récompenses politiques” : Arundhati Roy | Photo : Mayank Austen Soofi

L’énigme la plus déconcertante de notre époque est que, partout dans le monde, les gens semblent voter pour se déresponsabiliser. Ils le font sur la base des informations qu’ils reçoivent. Quelle est la nature de ces informations et qui les contrôle, tel est le cadeau empoisonné du monde moderne. Celui qui contrôle la technologie contrôle le monde. Mais finalement, je crois que les gens ne peuvent pas être contrôlés et qu’ils ne le seront pas. Je crois qu’une nouvelle génération se révoltera. Il y aura une révolution. Désolée, je reformule. Il y aura des révolutions. Au pluriel.

J’ai dit que notre pays avait perdu son sens moral. Dans le monde entier, des millions de personnes - juives, musulmanes, chrétiennes, hindoues, communistes, athées, agnostiques - défilent pour demander un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Mais les rues de notre pays, qui fut un jour un véritable ami des peuples colonisés, un véritable ami de la Palestine, qui a vu  autrefois des millions de personnes défiler également, sont silencieuses aujourd’hui. La plupart de nos écrivains et intellectuels publics, tous sauf quelques-uns, sont également silencieux. Quelle terrible honte ! Et quelle triste démonstration d’un manque de clairvoyance. Alors que nous assistons au démantèlement systématique des structures de notre démocratie et à l’enfermement de notre pays d’une incroyable diversité dans l’idée fallacieuse et étroite d’un nationalisme à taille unique, ceux qui se disent intellectuels devraient au moins savoir que notre pays pourrait lui aussi exploser.

Si nous ne disons rien sur le massacre éhonté des Palestiniens par Israël, alors même qu’il est retransmis en direct dans les recoins les plus intimes de notre vie personnelle, nous en sommes complices. Quelque chose dans notre morale sera altéré à jamais. Allons-nous rester les bras croisés pendant que des maisons, des hôpitaux, des camps de réfugiés, des écoles, des universités, des archives sont bombardés, qu’un million de personnes sont déplacées et que des enfants morts sont retirés des décombres ? Les frontières de Gaza sont scellées. Les gens n’ont nulle part où aller. Ils n’ont ni abri, ni nourriture, ni eau. Selon les Nations unies, plus de la moitié de la population est affamée. Et les bombardements se poursuivent sans relâche. Allons-nous une fois de plus assister à la déshumanisation de tout un peuple au point que son anéantissement n’a plus d’importance ?

Le projet de déshumanisation des Palestiniens n’a pas commencé avec Benyamin Netanyahou et son équipe - il a commencé il y a des décennies.

 

N. Ram, directeur de The Hindu Group Publishing Private Limited, remettant le troisième P. Govinda Pillai Memorial National Award à Arundhati Roy à Thiruvananthapuram le 13 décembre | Photo : MAHINSHA S

En 2002, à l’occasion du premier anniversaire du 11 septembre 2001, j’ai donné une conférence intitulée "Come September" aux USA, dans laquelle j’ai évoqué d’autres anniversaires du 11 septembre : le coup d’État de 1973, soutenu par la CIA, contre le président Salvador Allende au Chili à cette date fatidique, puis le discours prononcé le 11 septembre 1990 par George W. Bush père, alors président des USA, devant une session conjointe du Congrès, annonçant la décision de son gouvernement d’entrer en guerre contre l’Irak. J’ai ensuite parlé de la Palestine. Je vais lire cette section et vous verrez que si je ne vous avais pas dit qu’elle avait été écrite il y a 21 ans, vous penseriez qu’elle date d’aujourd’hui.

  • Le 11 septembre a également une résonance tragique au Moyen-Orient. Le 11 septembre 1922, ignorant l’indignation des Arabes, le gouvernement britannique a proclamé un mandat en Palestine, dans le prolongement de la déclaration Balfour de 1917 que la Grande-Bretagne impériale avait publiée, avec son armée massée aux portes de Gaza. La déclaration Balfour promettait aux sionistes européens un foyer national pour le peuple juif. (À l’époque, l’Empire sur lequel le soleil ne se couche jamais était libre d’arracher et de léguer des patries nationales comme un petit caïd de cour de récréation distribue des billes). Avec quelle insouciance le pouvoir impérial a pratiqué la vivisection sur d’anciennes civilisations. La Palestine et le Cachemire sont les cadeaux de la Grande-Bretagne impériale au monde moderne. Tous deux sont des lignes de fracture dans les conflits internationaux qui font rage aujourd’hui.
  • En 1937, Winston Churchill a déclaré à propos des Palestiniens, je cite : « Je ne suis pas d’accord pour dire que le chien dans une mangeoire a le droit final à la mangeoire, même s’il y est couché depuis très longtemps. Je ne reconnais pas ce droit. Je n’admets pas, par exemple, qu’un grand tort ait été fait aux Indiens rouges d’Amérique ou aux Noirs d’Australie. Je n’admets pas qu’un tort ait été fait à ces peuples du fait qu’une race plus forte, une race de niveau supérieur, une race plus sage sur le plan mondial, pour le dire ainsi, est arrivée et a pris leur place ». Cette déclaration a donné le ton à l’attitude de l’État israélien à l’égard des Palestiniens. En 1969, le Premier ministre israélien Golda Meir a déclaré : « Les Palestiniens n’existent pas ». Son successeur, le Premier ministre Levi Eschol, a déclaré : « Que sont les Palestiniens ? Lorsque je suis arrivé ici (en Palestine), il y avait 250 000 non-Juifs, principalement des Arabes et des Bédouins. C’était un désert, plus que sous-développé. Rien. ». Le Premier ministre Menahem Begin a qualifié les Palestiniens de « bêtes à deux pattes ». Le Premier ministre Yitzhak Shamir les a qualifiés de « sauterelles » qui pouvaient être écrasées Ce sont là des mots de chefs d’État, pas celui des gens ordinaires.

C’est ainsi qu’est né le terrible mythe de la terre sans peuple pour un peuple sans terre.

  • En 1947, l’ONU a officiellement partitionné la Palestine et attribué 55 % des terres palestiniennes aux sionistes. En l’espace d’un an, ils en ont conquis 76 %. Le 14 mai 1948, l’État d’Israël a été déclaré. Quelques minutes après la déclaration, les USA reconnaissent Israël. La Cisjordanie est annexée par la Jordanie. La bande de Gaza passe sous contrôle militaire égyptien et la Palestine cesse officiellement d’exister, sauf dans l’esprit et le cœur des centaines de milliers de Palestiniens devenus des réfugiés. En 1967, Israël a occupé la Cisjordanie et la bande de Gaza. Au fil des décennies, il y a eu des soulèvements, des guerres, des intifadas. Des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie. Des accords et des traités ont été signés. Des cessez-le-feu ont été déclarés et violés. Mais l’effusion de sang ne s’arrête pas. La Palestine est toujours illégalement occupée. Ses habitants vivent dans des conditions inhumaines, dans des bantoustans virtuels, où ils sont soumis à des punitions collectives, à des couvre-feux 24 heures sur 24, où ils sont humiliés et brutalisés quotidiennement. Ils ne savent jamais quand leurs maisons seront démolies, quand leurs enfants seront abattus, quand leurs arbres précieux seront coupés, quand leurs routes seront fermées, quand ils seront autorisés à se rendre au marché pour acheter de la nourriture et des médicaments. Et quand ils ne le pourront pas. Ils vivent sans aucun semblant de dignité. Avec peu d’espoir en vue. Ils n’ont aucun contrôle sur leurs terres, leur sécurité, leurs déplacements, leurs communications, leur approvisionnement en eau. C’est pourquoi, lorsque des accords sont signés et que des mots comme “autonomie” et même “statut d’État” sont évoqués, il convient toujours de se poser la question : Quel type d’autonomie ? Quelle sorte d’État ? Quels seront les droits de ses citoyens ? De jeunes Palestiniens incapables de maîtriser leur colère se transforment en bombes humaines et hantent les rues et les lieux publics d’Israël, se faisant exploser, tuant des gens ordinaires, semant la terreur dans la vie quotidienne et finissant par renforcer la suspicion et la haine réciproque des deux sociétés. Chaque attentat à la bombe donne lieu à des représailles impitoyables et à des souffrances encore plus grandes pour le peuple palestinien. Mais l’attentat suicide est un acte de désespoir individuel, pas une tactique révolutionnaire. Bien que les attaques palestiniennes sèment la terreur parmi les citoyens israéliens, elles fournissent une couverture parfaite pour les incursions quotidiennes du gouvernement israélien en territoire palestinien, l’excuse parfaite pour un colonialisme à l’ancienne, du XIXe siècle, déguisé en “guerre” du XXIe siècle. Le plus fidèle allié politique et militaire d’Israël sont et ont toujours été les USA.
  • Le gouvernement usaméricain a bloqué, avec Israël, presque toutes les résolutions de l’ONU visant à trouver une solution pacifique et équitable au conflit. Il a soutenu presque toutes les guerres menées par Israël. Lorsqu’Israël attaque la Palestine, ce sont des missiles usaméricains qui s’abattent sur les maisons palestiniennes. Et chaque année, Israël reçoit plusieurs milliards de dollars des USA - l’argent des contribuables.

Aujourd’hui, chaque bombe larguée par Israël sur la population civile, chaque char d’assaut et chaque balle porte le nom des USA. Rien de tout cela n’arriverait si les USA ne le soutenaient pas sans réserve. Nous avons tous vu ce qui s’est passé lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies du 8 décembre, lorsque 13 États membres ont voté en faveur d’un cessez-le-feu et que les USA ont voté contre. La vidéo troublante de l’ambassadeur adjoint des USA, un Noir, levant la main pour opposer son veto à la résolution est gravée dans nos mémoires. Certains commentateurs amers sur les médias sociaux ont parlé d’impérialisme intersectionnel.

Si on lit entre les lignes du jargon bureaucratique, les USA semblent dire : « Terminez le travail. Mais faites-le gentiment ».

  • Quelles leçons devrions-nous tirer de ce conflit tragique ? Est-il vraiment impossible pour un peuple juif qui a lui-même souffert si cruellement - plus cruellement peut-être que tout autre peuple dans l’histoire - de comprendre la vulnérabilité et le désir ardent de ceux qu’il a déplacés ? La souffrance extrême engendre-t-elle toujours la cruauté ? Quel espoir cela laisse-t-il à l’humanité ? Qu’adviendra-t-il du peuple palestinien en cas de victoire ? Lorsqu’une nation sans État finira par proclamer un État, de quel type d’État s’agira-t-il ? Quelles horreurs seront perpétrées sous son drapeau ? Est-ce pour un État séparé que nous devons nous battre ou pour le droit à une vie de liberté et de dignité pour tous, indépendamment de leur appartenance ethnique ou de leur religion ? La Palestine était autrefois un rempart laïque au Moyen-Orient. Mais aujourd’hui, l’OLP, faible, non démocratique, corrompue de l’avis de tous, mais non sectaire, perd du terrain face au Hamas, qui embrasse une idéologie ouvertement sectaire et se bat au nom de l’islam. Pour citer leur manifeste : « Nous serons ses soldats et le bois de son feu, qui brûlera les ennemis ». Le monde est appelé à condamner les kamikazes. Mais pouvons-nous ignorer le long chemin qu’ils ont parcouru avant d’arriver à cette destination ? Du 11 septembre 1922 au 11 septembre 2002, 80 ans, c’est une longue période pour faire la guerre. Le monde peut-il donner un conseil au peuple palestinien ? Celui-ci devrait-il suivre la suggestion de Golda Meir et faire un réel effort pour ne pas exister ?

L’idée de l’effacement, de l’anéantissement des Palestiniens est clairement exprimée par les responsables politiques et militaires israéliens. Un avocat usaméricain qui a porté plainte contre l’administration Biden pour son « incapacité à prévenir un génocid » » - ce qui est également un crime - a déclaré qu’il était rare que l’intention génocidaire soit aussi clairement et publiquement exprimée. Une fois cet objectif atteint, le plan consistera peut-être à créer des musées présentant la culture et l’artisanat palestiniens, des restaurants servant des plats ethniques palestiniens, voire un spectacle son et lumière montrant l’animation du vieux Gaza - dans le nouveau port de Gaza, à la tête du projet de canal Ben Gourion, qui est censé rivaliser avec le canal de Suez. Des contrats de forage en mer auraient déjà été signés.

Il y a 21 ans, lorsque j’ai présenté « Come September » au Nouveau-Mexique, il régnait aux USA une sorte d’omertà autour de la Palestine. Ceux qui en parlaient en payaient le prix fort. Aujourd’hui, les jeunes sont dans la rue, menés par des juifs et des Palestiniens, et s’insurgent contre les agissements de leur gouvernement, le gouvernement usaméricain. Les universités, y compris les campus les plus élitistes, sont en ébullition. Le capitalisme agit rapidement pour les fermer. Les donateurs menacent de ne pas verser de fonds, décidant ainsi de ce que les étudiants usaméricains peuvent ou ne peuvent pas dire, et de ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas penser. Une attaque en règle contre les principes fondamentaux de ce que l’on appelle l’éducation libérale. Finis le post-colonialisme, le multiculturalisme, le droit international, les conventions de Genève, la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il n’y a plus de prétention à la liberté d’expression ou à la moralité publique. Une “guerre” qui, selon les juristes et les spécialistes du droit international, répond à tous les critères juridiques d’un génocide est en train de se dérouler, dans laquelle les auteurs se sont présentés comme des victimes, les colonisateurs qui dirigent un État d’apartheid se sont présentés comme des opprimés. Aux USA, remettre cela en question, c’est être accusé d’antisémitisme, même si ceux qui le remettent en question sont eux-mêmes juifs. C’est hallucinant. Même Israël - où des citoyens israéliens dissidents comme Gideon Levy sont les critiques les plus compétents et les plus incisifs des actions israéliennes - ne contrôle pas la parole comme le font les USA (bien que cela change rapidement aussi). Aux USA, parler d’Intifada, de soulèvement, de résistance - dans ce cas contre le génocide, contre votre propre effacement - est considéré comme un appel au génocide des Juifs. La seule chose morale que les civils palestiniens peuvent apparemment faire est de mourir. La seule chose légale que le reste d’entre nous peut faire est de les regarder mourir. Et de garder le silence. Sinon, nous risquons de perdre nos bourses d’études, nos subventions, nos frais de scolarité et nos moyens de subsistance.

 

Un enfant palestinien attend de recevoir de la nourriture préparée par une cuisine caritative, alors que la guerre d’Israël se poursuit, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 décembre 2023. Photo  SALEH SALEM

Après le 11 septembre, la guerre contre le terrorisme menée par les USA a permis aux régimes du monde entier de démanteler les droits civils et de mettre en place un appareil de surveillance complexe et invasif dans lequel nos gouvernements savent tout de nous et nous ne savons rien d’eux. De même, sous l’égide du nouveau maccarthysme usaméricain, des choses monstrueuses se développeront et prospéreront dans tous les pays du monde. Dans notre pays, bien sûr, cela a commencé il y a des années. Mais si nous ne nous prononçons pas, elles prendront de l’ampleur et nous balayeront tous. La nouvelle d’hier est que l’université Jawaharlal Nehru de Delhi, qui figurait autrefois parmi les meilleures universités indiennes, a publié de nouvelles règles de conduite pour les étudiants. Une amende de 20 000 roupies est prévue pour tout étudiant qui organise un dharna [sit-in, NdT] ou une grève de la faim. Et 10 000 roupies pour les “slogans anti-nationaux”. Il n’y a pas encore de liste de ces slogans, mais nous pouvons être raisonnablement sûrs que l’appel au génocide et au nettoyage ethnique des musulmans n’en fera pas partie. Ainsi, la bataille en Palestine est aussi la nôtre.

Ce qui reste à dire doit être dit, répété, clairement.

L’occupation israélienne de la Cisjordanie et le siège de Gaza sont des crimes contre l’humanité. Les USA et les autres pays qui financent l’occupation sont parties prenantes de ce crime. L’horreur à laquelle nous assistons actuellement, le massacre inadmissible de civils par le Hamas et par Israël, sont une conséquence du siège et de l’occupation.

Aucun commentaire sur la cruauté, aucune condamnation des excès commis par l’une ou l’autre partie - et aucune fausse équivalence sur l’ampleur de ces atrocités - ne mènera à une solution.

C’est l’occupation qui engendre cette monstruosité. Elle fait violence à la fois aux auteurs et aux victimes. Les victimes sont mortes. Les auteurs devront vivre avec ce qu’ils ont fait. Il en sera de même pour leurs enfants. Pendant des générations.

La solution ne peut être militariste. Elle ne peut être que politique et permettre aux Israéliens et aux Palestiniens de vivre ensemble ou côte à côte dans la dignité, avec des droits égaux. Le monde doit intervenir. L’occupation doit cesser. Les Palestiniens doivent avoir une patrie viable. Et les réfugiés palestiniens doivent avoir le droit de rentrer chez eux.

Sinon, l’architecture morale du libéralisme occidental cessera d’exister. Elle a toujours été hypocrite, nous le savons. Mais même cela constituait une sorte d’abri. Cet abri est en train de disparaître sous nos yeux.

Alors, s’il vous plaît, pour le bien de la Palestine et d’Israël, pour le bien des vivants et au nom des morts, pour le bien des otages détenus par le Hamas et des Palestiniens dans les prisons israéliennes, pour le bien de l’humanité tout entière, arrêtez ce massacre.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir choisi pour cet honneur. Je vous remercie également pour les 3 lakhs [= 3 500 €] qui accompagnent ce prix. Cette somme, je ne la garderai pas pour moi. Elle servira à aider des militants et des journalistes qui continuent à se battre au prix d’énormes sacrifices.