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11/09/2023

Quand un fasciste juif s'installe dans votre quartier

 Esther Solomon, Haaretz, 10/9/2023
Rédactrice en chef, Haaretz English
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pour les libéraux israéliens en difficulté mais nouvellement combatifs, la lutte contre l'autoritarisme et l’ethnonationalisme se déroule désormais non seulement à la Knesset et à la Cour suprême, mais aussi dans les bus, sur les places des ville et dans les rues résidentielles tranquilles.

Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et le ministre du développement de la Périphérie, du Néguev et de la Galilée [sic], Yitzhak Wasserlauf (à gauche). Photo : Ohad Zwigenberg

C’était un tableau parfait d’Israël à l’époque du coup d’État judiciaire de Netanyahou.

Dans un quartier majoritairement laïc et libéral, des manifestants pro-démocratie, brandissant des drapeaux israéliens et arc-en-ciel, des klaxons et des pancartes, se sont assis sur la route devant l’immeuble d’habitation du nord de Tel-Aviv dans lequel un ministre d’extrême droite particulièrement virulent du gouvernement Netanyahou venait d’emménager. Il se trouve que cet immeuble se trouve au coin de la rue où j’habite.

Les voisins d’Yitzhak Wasserlauf avaient orné leurs balcons d’immenses banderoles reprenant les principaux refrains du mouvement de protestation, l’une déclarant leurs habitants “fidèles à la Déclaration d’indépendance” et l’autre “peuple libre sur notre terre” (une citation de l’hymne national, “Hatikva”). Des autocollants apposés sur les réverbère le long de la rue proclamaient : “Coercition religieuse, racisme, homophobie : pas dans notre quartier”. “Les Israéliens laïques ne sont pas des esclaves”. Et, s’adressant à Netanyahou : “Nous ne servirons pas un dictateur”.

À quelques mètres de là, des policiers bousculaient avec force une autre foule de manifestants, tandis que leur commandant - connu pour avoir lancé des grenades assourdissantes sur les manifestants au début des rassemblements contre le coup d’État - leur criait de “tenir la ligne”.

La “ligne” n’avait aucun sens : il y avait des manifestants devant, derrière et sur les côtés. La démonstration de force était une démonstration de police performative. Un effort bruyant, inutilement antagoniste mais aussi pitoyable pour apaiser le patron ultime du commandant, le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir. Ben-Gvir dirige Otzma Yehudit, le parti extrémiste et kahaniste auquel appartient Wasserlauf.

Wasserlauf, ministre de la Périphérie d’Israël qui ne montre même pas un intérêt périphérique pour la vie en dehors de la grande ville, était déjà connu pour son sectarisme et son ethnonationalisme avant de pousser plus loin l’idée d’un activisme aggravé, en s’installant dans une région ouvertement et historiquement hostile à ses vues.

Son bilan est explicite. Il a déclaré que les juifs réformés “se moquaient de la religion”, tout en se moquant d’eux parce qu’ils “célébraient des bar-mitsvahs pour les chiens”- une insulte éculée. Il s’oppose aux défilés de la Fierté, il veut expulser les demandeurs d’asile et incite à la xénophobie, il tente de refuser des budgets aux citoyens arabes et il refuse de s’engager à respecter l’État de droit si la Cour suprême annule la première tranche de la réforme judiciaire du gouvernement.

Il s’est installé dans le sud de Tel-Aviv il y a des années en tant que membre d’un garin torani [Noyau de la Torah] - un groupe de nationalistes religieux juifs financé par l’État, peut-être mieux compris comme une cellule d’endoctrinement théocratique, souvent implanté dans des zones à populations laïques ou dans des villes mixtes arabes et juives, en tant que stratégie démographique et d’intimidation.

Soudain, alors que la tension monte en Israël, Wasserlauf décide de déménager au nord de Tel-Aviv pour vivre avec les mêmes libéraux qu’il méprise si bruyamment.

L’un de ses voisins a installé des panneaux sur les barrières du parking de Wasserlauf avec une variante des Dix Commandements, dont l’une se lit comme une référence aux colons violents qui constituent la base d’Otzma Yehudit : « Tu ne commettras pas de meurtre : pas à Huwara [scène d’un pogrom de colons], pas à Douma [où un extrémiste juif a incendié une famille palestinienne], nulle part ».



Arrestation de l’architecte Yoav Anderman : traité comme un vulgaire palestinien ou réfugié érythréen : il a eu de la chance, il a pu continuer à respirer


"Le détenteur de la pancarte a été capturé"

Il est scandaleux que le voisin ait été arrêté pour un délit mineur de vandalisme - un délit qui donne généralement lieu à une amende, et non à des policiers qui frappent à votre porte en plein shabbat. Lors de sa libération, le voisin a fait un commentaire : « Voilà à quoi ressemble la désintégration de la démocratie ».

De l’extérieur, on peut parfois avoir l’impression que le débat sur la réforme judiciaire de Netanyahou penche vers la théorie : parité entre les branches du gouvernement, signification du contrôle judiciaire, nature de la démocratie. Mais l’acte de provocation spectaculaire de Wasserlauf permet de ramener ce débat sur terre. Il y a deux Israël, divisés par leur adhésion (au moins en principe) soit à la démocratie libérale, soit à l’ethnonationalisme juif.

Le centre ne tient pas, et même si les semaines à venir ne débouchent pas sur une crise constitutionnelle et des troubles civils, le gouffre ne sera pas comblé. Il continuera de s’envenimer, car les deux parties considèrent qu’il s’agit d’une lutte existentielle.

Pour les libéraux israéliens en difficulté mais nouvellement combatifs, il s’agit d’une lutte contre l’autoritarisme, d’une lutte pour l’âme du pays, qui se déroule désormais non seulement à la Knesset et à la Cour, mais aussi dans les bus, sur les places de la ville et dans les rues résidentielles tranquilles.

13/08/2023

GIDEON LEVY
Les manifestants de la rue Kaplan doivent se rendre compte qu’il ne s’agit plus d’occupation, mais déjà d’un seul État

Gideon Levy, Haaretz, 13/8/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Lors des manifestations organisées à Tel Aviv contre la réforme judiciaire du gouvernement, les meilleures personnes d’Israël se trouvent dans la zone délimitée par le bloc anti-occupation - les personnes de conscience qui reconnaissent qu’il n’y a pas de démocratie avec une tyrannie militaire dans son arrière-cour.

Manifestants anti-occupation en mai. Photo : Fadi Amub

Tout cela est très encourageant. Mais il est temps de replier les drapeaux, de changer les slogans et de quitter ce coin de rue. En 2023, lutter contre l’occupation revient à lutter contre les forces de la nature. Tout comme les inondations et les tremblements de terre, l’occupation ne peut plus être vaincue. Elle est là pour longtemps.

 

Avec plus de 700 000 colons (y compris dans les parties occupées de Jérusalem) qui ne seront jamais déplacés et une énorme entreprise consacrée à sa perpétuation, l’occupation ne peut être vaincue.

 

En outre, l’occupation a cessé depuis longtemps d’être une occupation. Qualifier d’occupation ce qui se passe dans les territoires palestiniens revient à la perpétuer, tout comme parler d’une solution à deux États qui ne sera jamais mise en œuvre et que personne en Israël n’a jamais eu l’intention de mettre en œuvre.

 

Par définition, l’occupation militaire est temporaire. Après 56 ans et sans perspective de fin, la situation dans les territoires ne peut plus être considérée comme temporaire. Et si elle n’est pas temporaire, ce n’est pas une occupation. Le caractère temporaire de l’occupation a expiré, et avec lui la possibilité de la définir comme une occupation.

 

Par conséquent, parler de l’occupation lors des manifestations de la rue Kaplan est anachronique. La combattre dans le cadre d’une lutte pour la démocratie n’est pas pertinent. Les manifestants de la rue Kaplan disent qu’ils luttent pour la démocratie. Or, la démocratie, c’est l’égalité avant tout.

 

Cela doit cesser. Cessez de lutter contre la construction de colonies, de rêver à des cartes de retrait délirantes et de penser en termes de “fin de l’occupation”. Il n’y aura pas de fin à l’occupation.

 

La rue Kaplan est l’endroit, l’occasion et le moment de changer de mentalité, de redéfinir l’agenda et de commencer quelque chose de nouveau, quelque chose de beaucoup plus porteur d’espoir et de pertinence. La lutte pour l’égalité des droits, de la mer Méditerranée au Jourdain, devrait commencer rue Kaplan.

 

Une personne, un vote, comme dans la plus modeste des démocraties. Tous les sujets de l’État - environ 15 millions de personnes, de Metula à Eilat et de Rafah à Jénine, toutes soumises à son autorité - doivent être égaux en droits. Sans cela, Israël n’est pas une démocratie.

 

Le bloc anti-occupation défile à Tel Aviv. Photo : Itai Ron

 

Laissez la partie “juive” de la définition de l’État pour les cérémonies de commémoration de l’Holocauste. Il n’y a rien qui puisse être juif et démocratique. Si les manifestants de la rue Kaplan ne comprennent pas cela, alors qui le comprend ?

 

La lutte contre la législation antidémocratique est importante, mais aussi dangereuse. Elle brouille la réalité et l’idéalise : si les projets de loi sont stoppés, Israël sera-t-il une démocratie ? Le véritable coup d’État a été la transformation d’Israël en un État d’apartheid, lorsque l’occupation est devenue immortelle. À côté de cela, l’abrogation du critère du caractère raisonnable n’est rien de plus qu’une mouche gênante.

 

La véritable protestation doit donc se concentrer sur ce coup d’État. Apartheid ou démocratie, telle est la question : il n’y en a pas de plus importante, même si Moshe Radman, l’un des principaux dirigeants et théoriciens des combattants de la liberté, pense que toute la question est simplement “la qualité de vie des Palestiniens”.

 

La section anti-occupation de la rue Kaplan doit être nettoyée, remplacée par de nouveaux drapeaux et de nouveaux slogans partout. Au lieu de parler de l’occupation, parlez d’égalité, de suffrage universel, d’un seul État démocratique. Au lieu d’être contre les colonies, soyez en faveur d’un État de tous ses citoyens.

 

Existe-t-il une démocratie dans le monde qui ne soit pas l’État de tous ses citoyens ? Si ce n’est pas de ses citoyens, alors de qui ? De Dieu ? À une demi-heure de voiture de la rue Kaplan, les gens ne peuvent pas manifester sur quoi que ce soit, de quelque manière que ce soit ; ils ne peuvent pas se défendre, protester ou résister.

 

Cela doit être changé, avant toute autre chose. Cela doit commencer rue Kaplan. Sans cela, Kaplan manque à son devoir. Il ne s’agit pas d’une question qui ne concerne qu’un petit coin de Kaplan ; elle touche au cœur de la raison d’être de Kaplan. Il s’agit de la lutte pour la démocratie pour tous, pour un État démocratique - ni juif, ni palestinien, mais démocratique. Existe-t-il une autre forme de démocratie ?

29/07/2023

GIDEON LEVY
Quand Israël fait par inadvertance ce qu’il faut

Gideon Levy, Haaretz, 27/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La bonne nouvelle : les responsables militaires craignent que le refus des réservistes de servir (“non-volontariat”) n’affecte l’état de préparation au combat de l’armée israélienne. Encore mieux : Amos Harel a estimé, dans Haaretz mercredi 26 juillet, qu’à la lumière des brutalités policières à l’encontre des manifestants, les plus jeunes d’entre eux « réfléchiront à deux fois avant de s’enrôler pour servir » dans les territoires. Que demander de plus, une patrie ?

Des soldats israéliens pointent leurs armes tandis que d’autres arrêtent un Palestinien lors des affrontements qui ont suivi la démolition d’une maison palestinienne à Hébron, en Cisjordanie, ce mois-ci. Photo: MUSSA ISSA QAWASMA/ REUTERS

Il n’y a pas lieu de prendre à la légère la menace du chef d’état-major concernant les dommages qui résulteraient du refus de servir de milliers de réservistes, en particulier des pilotes. C’est le Premier ministre Benjamin Netanyahou qui a déclaré qu’Israël pourrait survivre avec quelques escadrons en moins. Cette remarque contient une vérité importante, même si nous ne pouvons plus croire un mot qui sort de sa bouche. L’expérience des dernières décennies, depuis la dernière bataille aérienne des pilotes, et la situation sécuritaire soulèvent la question de savoir si les Forces de défense israéliennes en général, et l’Armée de l’air israélienne en particulier, ne sont pas trop grandes, trop puissantes et trop gonflées.

Il ne s’agit pas seulement de la quantité scandaleuse de ressources que l’armée consomme, au détriment des besoins civils. L’excès de puissance des FDI les pousse à une hyperactivité inutile dans certains cas et désastreuse dans d’autres. Une réduction des forces - moins de pilotes et moins de soldats pour maintenir l’occupation et protéger les colons violents - pourrait faire du bien. Peut-être que non seulement les jeunes qui refusent de servir y réfléchiront à deux fois, mais peut-être que les FDI elles-mêmes y réfléchiront à deux fois avant chaque frappe aérienne inutile ou chaque raid d’arrestation encore plus inutile.

L’excès de pouvoir conduit à la surutilisation. Les meilleurs développements en matière de défense nécessitent de l’entraînement, et les soldats en surnombre doivent être occupés afin de les maintenir en alerte et de justifier leur conscription. Si plusieurs escadrons sont cloués au sol en raison du refus de leurs pilotes de servir, peut-être l’armée de l’air réduira-t-elle ses frappes aériennes secrètes et inutiles en Syrie et dans d’autres lieux mystérieux. Personne ne connaît leur but, leur efficacité et le moment où nous en paierons le prix. Personne ne le demande non plus.

À l’exception de ces missions et des préparatifs grandioses pour la mère de toutes les attaques aériennes contre l’Iran, qui ne sera jamais réalisée, il semble que l’armée de l’air n’ait pas grand-chose à faire, si ce n’est bombarder périodiquement la bande de Gaza impuissante ou le camp de réfugiés de Jénine. S’il n’y a pas assez de pilotes pour effectuer ces missions, non seulement la sécurité d’Israël ne sera pas compromise, mais elle pourrait même en bénéficier. Ces bombardements n’ont jamais empêché la résistance violente à l’occupation : ils n’ont fait que l’encourager, tout en commettant des crimes de guerre et en créant des tragédies humaines. Il serait donc préférable que les pilotes se reposent chez eux pendant un certain temps - jusqu’à la prochaine guerre, qui semble pour l’instant lointaine. Lorsqu’elle se rapprochera, on peut compter sur eux et sur les autres réservistes pour être les premiers à s’engager, que ce soit dans une semi-démocratie ou dans une semi-dictature.

Les jugements de Harel sur le refus attendu des soldats de servir dans les territoires sont porteurs d’espoir. L’une des réussites de la protestation est la légitimité qu’elle a conférée au refus de servir, pour la première fois dans l’histoire d’Israël. Il sera désormais plus difficile de qualifier les objecteurs de conscience de traîtres. On ne peut pas non plus ignorer le bénéfice qui pourrait résulter du fait de ne pas appeler les réservistes à servir dans les territoires [occupés depuis 1967]. Les territoires sont déjà saturés de soldats.

Voir des soldats assis jour et nuit à l’entrée des colonies illégales de Homesh et d’Evyatar, comme je l’ai fait cette semaine, suffit à faire exploser de rage. Voir les barrages routiers surgir sans rime ni raison, comme je l’ai vu cette semaine à l’entrée d’Anabta ou d’Emek Dotan, devant lesquels des centaines de voitures palestiniennes sont restées pendant des heures jusqu’à ce qu’ils soient enlevés sans raison, comme ils étaient apparus, c’est comprendre qu’il y a beaucoup trop de soldats qui s’ennuient dans les territoires.

L’excès de puissance a toujours été l’un des problèmes d’Israël. L’excès de puissance l’a conduit à l’arrogance, à la vantardise et à des guerres inutiles et l’a empêché de reconnaître les limites de sa puissance et de rechercher des alternatives. Peut-être que, par inadvertance, Israël fera ce qu’il faut et que nous aurons désormais une armée plus petite et plus intelligente, qui sera peut-être même un peu plus morale.