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06/07/2024

HANEEN ODETALLAH
La philosophie du Hamas dans le roman de Yahya Sinwar Épines et œillets


Haneen Odetallah, 3/7/2024
Original :
فلسفة «حماس»: السياسة والوجود عند يحيى السنوار

Version anglaise : The philosophy of Hamas in the writings of Yahya Sinwar

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Haneen Odetallah   حنين عودة الله est une critique culturelle, autrice et artiste (musique et cinéma) palestinienne. Elle est titulaire d’une licence en architecture de l’université de Bir Zeit et d’un master en analyse culturelle comparative de l’université d’Amsterdam. odhaneen @haneenodetallah

Les concepts d’abnégation, d’ascétisme et de sécurité étaient essentiels à la philosophie de résistance de Yahya Sinwar. La révolte qui a culminé le 7 octobre a été l’application directe de sa pensée politique.

Le chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, participe à un rassemblement de victoire dans la ville de Gaza à la suite d’un cessez-le-feu avec Israël après 11 jours de combats, le 24 mai 2021. Photo : Ashraf Amra/APA Images

Le texte suivant a été publié à l’origine en arabe dans Babelwad, sous le titre « La philosophie du Hamas : La politique et l’existence selon Yahya Sinwar », par Haneen Odetallah. La version anglaise a été publiée par le Réseau d'information de la résistance (Resistance News Network). L’auteure utilise le roman du chef du Hamas Yahya Sinwar, “Épines et œillets”, pour analyser l’état d’esprit de la résistance contemporaine, en approfondissant les thèmes de l’autosuffisance [compter sur ses propres forces], du sacrifice et de la vigilance sécuritaire. Odetallah explore la manière dont ces concepts sont ancrés chez les individus pour favoriser l’ascension politique et la libération collective, illustrant les dimensions stratégiques et existentielles de la résistance et offrant une perspective unique sur le cadre idéologique de la résistance.-Mondoweiss

« Nous devons entrer dans l’esprit de Sinwar » : c’est le slogan de la phase actuelle des médias israéliens, qui continuent à diffuser des condamnations bruyantes après que Yahya Sinwar, le chef du Mouvement de résistance islamique (Hamas) à Gaza, a réalisé le plus grand tour de passe-passe en termes militaires et de renseignement de l’histoire de leur entité. Sinwar les a surpris par une bataille baptisée « Déluge d’Al-Aqsa », mais son véritable titre est celui des prisonniers palestiniens, auxquels Sinwar est resté fidèle, étant lui-même un ancien prisonnier libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers appelé « Loyauté des libres ».

Sinwar a passé 23 ans de sa vie en prison, dont quatre à l’isolement, mais il n’a pas perdu une seule de ces années. Il a appris l’hébreu et tout ce qu’il pouvait sur son ennemi, allant même jusqu’à formuler et exécuter un plan de renseignement à long terme derrière les barreaux, ce qui, à l’époque, était d’une grande portée. Sinwar a beaucoup étudié et réfléchi, et il a également écrit. Bien que nous n’ayons pas à « entrer dans l’esprit de Sinwar », je pense que nous devrions au moins « apprendre à connaître sa pensée », pour utiliser une expression moins intrusive.

Mais ce qui est peut-être plus facile que de « pénétrer dans l’esprit de Sinwar », c’est de lire les écrits qu’il a rédigés après des années d’isolement, de contemplation et d’étude.

 En 2004, après une opération complexe et de longue haleine qui a nécessité de grands efforts et le recrutement de nombreux prisonniers, Yahya Sinwar, alors prisonnier, a publié son roman, Al-Shawk wa’l Qurunful [Épines et œillets, ou, comme le voulait l’auteur, Épines d’œillets]*. Le roman traite d’un aspect de l’histoire de la lutte palestinienne au cours de la période historique allant de 1967 à l’Intifada Al-Aqsa du début des années 2000, et de l’émergence du mouvement islamique dans la résistance palestinienne - en particulier le Mouvement de résistance islamique, ou Hamas - dans son contexte social, politique et culturel.

Le roman raconte une histoire qui commence dans une maison d’un camp de réfugiés à Gaza et qui façonnera les valeurs et les choix de ces enfants, qui grandiront pour devenir des figures actives et clés du Mouvement de la résistance islamique. L’histoire s’étend ensuite à la famille, aux voisins, aux habitants du camp, à la bande de Gaza, à la Cisjordanie et au reste des territoires occupés, où chaque personnage forme une pierre qui construit l’expérience du Mouvement de la résistance islamique au cours de ces années.

Le roman historique, réceptacle de la philosophie

Ce roman met en scène des personnages fictifs, mais tous les événements sont réels ; l’aspect fictif provient de la transformation de ces événements en une œuvre qui remplit les conditions d’un roman, comme l’auteur l’indique dans l’introduction. Le choix de l’auteur, avant tout politique et militaire, de documenter cette étape charnière de l’histoire de la résistance armée et de la transmettre sous cette forme créative et romanesque indique qu’il s’agit d’une tentative qui va au-delà de la simple narration de l’histoire et de ses événements. Le roman historique n’est pas seulement un reflet des événements du passé ; c’est une exploration profonde des forces philosophiques et morales qui façonnent les mouvements historiques. Les personnages des romans historiques incarnent et mènent des luttes philosophiques dans le contexte de leur époque [1], c’est-à-dire qu’ils permettent de comprendre la relation complexe entre les croyances personnelles et l’étendue de l’histoire. Quant à l’auteur, il est l’une des figures pionnières du Hamas, qui a assisté à sa création et contribué à sa formation et à son développement depuis sa jeunesse jusqu’à aujourd’hui. En s’écartant des limites de l’historiographie traditionnelle pour aborder des luttes dramatiques novatrices dans l’histoire, il explore ses dimensions philosophiques, en particulier l’impact des croyances sur l’histoire. Dans le contexte de l’histoire du Hamas, cela lui permet de formuler une philosophie pour le mouvement de résistance islamique.

L’histoire est racontée du point de vue d’Ahmad, le fils du camp de réfugiés qui ouvre les yeux pour la première fois sur la dureté du monde : le camp, la guerre et la disparition de son père, un combattant de la résistance, sans laisser de traces. Ahmad observe l’environnement et les conditions de vie du camp, la pauvreté, le froid, la pluie qui s’infiltre par le plafond pendant qu’ils dorment et les suit jusqu’à leur salle de classe à l’école de l’UNRWA. Il observe la communauté du camp et sa culture, voyant le souci de sa mère pour l’honneur et la réputation des autres - surtout quand il s’agit de leurs filles - et sa sévérité en la matière. Inversement, il éprouve de la joie à accompagner son grand-père à la prière et aux réunions sociales dans la mosquée du camp.

Ahmad observe les transformations politiques dans le camp, dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et dans l’ensemble des territoires occupés ; il est témoin des couvre-feux, des sièges, de la chasse incessante aux résistants et des punitions collectives. Il est témoin de la normalisation de l’occupation, de la stabilité matérielle, des permis de travail et des voyages d’agrément dans les territoires occupés, grâce auxquels de plus en plus d’individus sont contraints et forcés de collaborer avec l’ennemi. Ahmad observe les prisons israéliennes dont lui, ses frères, ses proches et ses connaissances sont sortis, témoignant du pouvoir de la détermination et de l’organisation pour changer la réalité. Plus important encore, Ahmad observe comment les armes et la lutte pour la liberté évoluent en réponse à ces conditions, en voyant des hommes qui ont été façonnés par la résistance et qui, à leur tour, l’ont façonnée. Ahmad retrace l’émergence du Hamas en suivant les personnages qui l’ont formé, développé et incarné, résumé dans son cousin Ibrahim, le fils du martyr qui a grandi avec lui dans la même maison avec la même mère, et qui est devenu un modèle de véritable leadership et de construction de la destinée politique.

Le narrateur joue le rôle d’un observateur participant : il ne se contente pas de regarder, mais il accompagne Ibrahim dans son travail, son éducation et son parcours de lutte. Bien qu’il ait rejoint Ibrahim dans les manifestations, qu’il ait organisé des sit-in religieux et éducatifs dans la mosquée Al-Aqsa et qu’il ait assuré la sécurité en chassant les collaborateurs, le narrateur n’a pas adhéré officiellement au mouvement jusqu’à la fin : « Bien que je ne me considère pas comme un membre ou un partisan du “Bloc islamique”, je n’avais pas d’autre choix que d’élire mon cousin et sa liste, car notre vie commune et mon admiration personnelle pour lui ne me permettaient pas de faire autrement ».