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29/06/2025

HANNO HAUENSTEIN
Pourquoi le “changement de paradigme” de l’Allemagne sur Israël est une grosse blague

Hanno Hauenstein, The Third Draft, 21/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Malgré certaines remarques critiques, l’Allemagne n’a pas changé sa position sur Israël et la Palestine. De Gaza à Téhéran, son soutien au génocide et à la guerre persiste, tandis que la Staatsräson [raison d’État] est en train d’être relookée.

 

Staatsräson
, par Peter Wall, 2013

Que signifie la Staatsräson lorsque l’Allemagne soutient le génocide perpétré par Israël à Gaza ?
Les deux dernières années apportent une réponse douloureusement simple : ce concept s’est largement détaché de tout fondement éthique. Il n’affirme plus la responsabilité historique de l’Allemagne – à supposer qu’il l’ait jamais vraiment fait. Au contraire, il la sape.

Et pourtant, ces dernières semaines, des fissures ont commencé à apparaître dans ce qui semblait depuis longtemps être un consensus allemand inébranlable sur Israël.

Le porte-parole de la CDU pour la politique étrangère, Johann Wadephul, un atlantiste pur et dur, a déclaré à la Süddeutsche Zeitung qu’il était discutable que les actions d’Israël à Gaza restent « compatibles avec le droit international humanitaire ». Il a ajouté que les exportations d’armes seraient réexaminées – et éventuellement suspendues. Et le chancelier Friedrich Merz a déclaré à un journaliste que les objectifs stratégiques d’Israël à Gaza n’étaient plus clairs pour lui.

Ces deux déclarations contrastent fortement avec d’autres remarques faites par les mêmes personnes. Lors d’une visite en Israël début mai, Wadephul avait exprimé sa « compréhension » pour l’un des crimes de guerre les plus flagrants commis jusqu’à présent par Israël à Gaza : le blocus de l’aide humanitaire, c’est-à-dire l’utilisation de la famine comme arme. Il l’a justifié en invoquant des allégations selon lesquelles le Hamas en faisait un usage abusif, un récit avancé par Israël, mais non confirmé par des sources indépendantes.


-Vous avez qualifié la guerre d'Israël contre l'Iran de "sale boulot". Pouvez-vous nous éclairer sur cette déclaration ?
-Oui, Netanyahou, c'est notre homme à tout faire !
Dessin de RABE

Les remarques plutôt critiques de Wadephul et Merz ont été faites avant qu’Israël ne lance sa guerre illégale contre l’Iran, une opération qui semble au moins en partie destinée à redorer l’image d’Israël en Occident, non pas comme une force brutale et génocidaire, mais comme un rempart de la civilisation contre les dirigeants islamistes iraniens. Dans le même esprit d’arrogance coloniale, Merz a récemment déclaré à la ZDF, lors du sommet du G7, qu’Israël faisait « le sale boulot » pour « nous tous ». Il a également exprimé son « plus grand respect » pour le « courage » de l’armée israélienne et de ses dirigeants. Il n’a pas mentionné le fait que les frappes israéliennes violaient le droit international et avaient déjà tué des centaines de civils en Iran, ni que des dizaines d’Israéliens avaient été tués dans des attaques de représailles.

Tout bien considéré, la position de l’Allemagne reste inchangée : le gouvernement allemand continue de soutenir Israël en lui fournissant des armes et une couverture diplomatique.

Lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE fin mai, une majorité d’États membres ont appelé à une révision – et à une éventuelle suspension – de l’accord d’association de l’UE avec Israël en réponse à sa campagne génocidaire à Gaza.

Une telle suspension pourrait avoir de graves conséquences économiques pour Israël. C’est l’un des rares instruments significatifs dont dispose l’UE pour contrer la trajectoire de Netanyahou, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, où les déplacements forcés se sont accélérés tandis que les députés israéliens avancent ouvertement vers une annexion officielle.

 La discussion sur une éventuelle révision de l’accord d’association a déclenché d’importants débats publics en Israël. Dix-sept des 27 États membres de l’UE, dont la France et la Suède, ont voté en faveur. L’Allemagne a été l’un des rares pays à voter explicitement contre. Et cela n’aura été qu’une première étape, un signal mineur indiquant que la famine et les massacres ne seraient pas accueillis par le silence.

Le Royaume-Uni a emprunté une voie différente. Début juin, le gouvernement britannique a imposé des sanctions aux deux membres d’extrême droite les plus en vue du cabinet de Netanyahou : le ministre de la Sécurité Itamar Ben-Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich. La justification officielle était que tous deux avaient incité à la violence contre les communautés palestiniennes. Un euphémisme généreux : tous deux ont ouvertement – directement ou implicitement – appelé au déplacement ou à l’anéantissement de toute la population de Gaza.

Les sanctions britanniques s’inscrivent dans le cadre d’une initiative plus large à laquelle se sont joints l’Australie, le Canada, la Norvège et la Nouvelle-Zélande. En Allemagne, de telles mesures ne sont même pas discutées, ni dans la sphère politique ni dans les médias.

Dans ce contexte, le fait que certains politiciens aient récemment pris leurs distances par rapport aux actions d’Israël ne suggère pas un véritable changement de politique étrangère, mais plutôt un changement de discours. Les anciens discours ne peuvent tout simplement pas résister à l’abîme qui s’est ouvert à Gaza. Cela s’explique en partie par les images : des enfants en bas âge émaciés, des familles exécutées par les forces israéliennes alors qu’elles attendaient aux points de distribution « d’aide » de la GHF, des secouristes retirés morts de fosses communes improvisées.

Les sondages montrent qu’une majorité de la population allemande rejette désormais le comportement d’Israël. Cette opinion s’est renforcée malgré la couverture médiatique, dans laquelle les grands médias continuent de minimiser, d’ignorer ou de déformer activement ce qui se passe à Gaza.

Mais les faits ne peuvent rester éternellement balayés sous le tapis. Selon le ministère de la Santé de Gaza, l’armée israélienne a tué près de 56 000 Palestiniens depuis le 7 octobre, dont près de 16 000 enfants, plus de 8 000 femmes et près de 4 000 personnes âgées. Plus de 116 000 autres personnes ont été blessées, beaucoup d’entre elles souffrant de blessures qui ont changé leur vie ou ayant subi des amputations. Des estimations indépendantes suggèrent que le bilan réel est bien plus élevé. Le projet « Costs of War » estime que les chiffres sont largement sous-estimés, un avis partagé par de nombreux experts. The Lancet a estimé le nombre total de morts à plus de 186 000. C’était en juillet 2024.

Le fait que l’Allemagne, un pays qui invoque si souvent l’ordre international d’après-guerre, ait non seulement échoué à empêcher ces crimes, mais les ait activement facilités, constitue un échec historique. Cela symbolise l’érosion des normes et des principes mêmes sur lesquels l’ordre mondial a été construit après l’Holocauste. Cet ordre était fragile avant Gaza. Après Gaza, il pourrait bien être irréparable.

Lors de la visite du ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Sa’ar à Berlin début juin, Wadephul a réaffirmé le soutien de l’Allemagne à Israël en des termes très clairs. Israël, a-t-il déclaré, « a le droit de se défendre contre le Hamas et d’autres ennemis ». L’Allemagne continuera à fournir des armes à Israël – « cela n’a jamais fait aucun doute ».

Il a également rejeté la reconnaissance d’un État palestinien, la qualifiant de « mauvais signal ». L’accord d’association de l’UE avec Israël, a insisté Wadephul, doit rester inchangé. Tous ceux qui espéraient que ses précédentes déclarations annonçaient un léger changement de cap, voire des conséquences, sont restés bouche bée. Ses déclarations aux côtés de Sa’ar sont revenues sur pratiquement tout ce qu’il avait laissé entendre auparavant.

La position actuelle de l’Allemagne pourrait être décrite comme un nouveau pragmatisme – un pragmatisme qui ne peut plus soutenir le silence total ou le soutien inconditionnel au génocide israélien, car le climat international ne le permet tout simplement pas, mais qui refuse toujours de traduire même ses critiques les plus timides et tardives en conséquences réelles. L’Allemagne s’est mise elle-même dans une impasse.

Quiconque prétend prendre au sérieux la responsabilité historique de l’Allemagne ne peut pas considérer le déplacement systématique et le massacre de dizaines, voire de centaines de milliers de Palestiniens à Gaza, l’annexion de la Cisjordanie ou la mort de civils à Téhéran comme des nécessités malheureuses. Compte tenu de la réalité actuelle, parler d’un « changement de paradigme » dans la politique allemande à l’égard d’Israël et de la Palestine est tout simplement absurde. Ce qui est encore plus absurde, c’est qu’un tel changement n’ait toujours pas été réclamé plus ouvertement.

 Ô Allemagne, mère blafarde, statue de Fritz Cremer inspirée du poème de Bertolt Brecht de 1933, Berlin

21/07/2024

HANNO HAUENSTEIN
“Se débarrasser de Netanyahou ne suffit pas : le monde doit mettre fin à l’apartheid d’Israël”
Entretien avec Gideon Levy

Hanno Hauenstein, jacobin.de, 16/7/2024
English original: Gideon Levy: Getting Rid of Netanyahu Is Not Enough
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Hanno Hauenstein (*1986) est un journaliste indépendant allemand qui vit à Berlin. Ses articles ont été publiés entre autres par le Guardian, the Intercept, Zeit Online, Haaretz et la taz. Il a été pendant plusieurs années rédacteur et chef de rubrique au service culturel de la Berliner Zeitung. En octobre 2022, il a été démis de ses fonctions pour avoir critiqué l’invitation de Viktor Orban à un débat avec l’éditeur de la BZ, Holger Friedrich. Il a également été le fondateur et l’éditeur de la revue artistique et littéraire germano- hébraïque aviv Magazine. 

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Gideon Levy est l’un des critiques les plus en vue de la politique d’occupation et de guerre israélienne. Dans un entretien avec JACOBIN, il illustre les effets dévastateurs de la guerre de Gaza, l’escalade de l’annexion de la Cisjordanie et la stagnation du discours public en Israël.

Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, Israël se trouve dans un état d’urgence absolu. Le pays est gouverné par un cabinet de guerre, les censures militaires noircissent des articles sélectionnés et expulsent certains médias étrangers, tandis que la guerre dévastatrice continue de faire rage à Gaza.

On entend souvent dire que tout ce qui se passe en Israël et en Palestine depuis le 7 octobre est de la seule faute du Hamas. Mais le conflit au Proche-Orient n’est pas né de l’attaque terroriste du Hamas. Ce conflit a une histoire longue et sanglante, au cours de laquelle la Palestine a été occupée pendant des décennies par Israël et la population arabe entre la Méditerranée et le Jourdain privée de ses droits.

Peu d’Israéliens le savent mieux que le journaliste Gideon Levy, qui couvre depuis des décennies la politique de colonisation et d’exclusion qu’Israël mène à l’égard des Palestinien·nes. Dans un entretien avec JACOBIN, il a évoqué l’histoire du conflit, la possible annexion de la Cisjordanie et ses espoirs pour la région.

 


Le 13 juillet, des dizaines de Palestinien·nes [92] ont été tué·es lors d’une attaque aérienne israélienne à Gaza, qui visait apparemment le chef militaire du Hamas, Mohammed Deif. Des images de l’attaque ont montré de grands cratères et d’énormes nuages de fumée à des endroits qu’Israël avait déclarés comme “zone sûre”. 279 Gazaouis ont été tués lors de l’opération de libération de quatre otages à Nuseirat il y a quelques semaines. La plupart étaient des civils. Le fait que le prix de cette guerre soit si élevé fait-il l’objet d’un débat au sein de l’opinion publique israélienne ?

Non, pas du tout. Je peux te garantir que s’il n’y avait pas eu 200 morts à Nuseirat, mais 2.000, cela aurait quand même été justifié pour la plupart des gens en Israël. À leurs yeux, Israël a le droit de faire ce qu’il veut après le 7 octobre. Et ce n’est pas au monde de nous imposer des limites. C’est la façon de penser. Bien sûr, il y a des gens qui voient les choses différemment. Mais ils sont une petite minorité et ont peur d’élever la voix. La plupart des Israéliens justifieraient en ce moment toute agression contre la population palestinienne. Dans n’importe quelle proportion.



Maternité
, par Malak Mattar

De nombreux objectifs déclarés de la guerre - comme la libération des otages ou la destruction du Hamas - ont à peine été atteints après neuf mois. L’opinion publique israélienne ne doute-t-elle pas de la poursuite de l’effusion de sang à Gaza ?

C’est là qu’Israël est divisé. On ne peut pas dire que les objectifs ont été atteints alors que le Hamas continue de tirer des roquettes et que la plupart des otages n’ont pas été libérés. Au niveau international, Israël devient un paria. Mais l’aile droite argumente que tout cela est dû au fait que nous ne nous sommes pas battus assez fort et que nous n’avons pas tué assez de gens. Ils pensent que l’armée israélienne n’est pas assez déterminée.

D’un autre côté, nombreux sont ceux qui commencent à comprendre, avec neuf mois de retard, que cette guerre ne peut pas atteindre ses objectifs, car ils sont par définition inatteignables. Des gens comme moi le disent depuis le premier jour. Mais malgré cela, personne ne tire la conséquence de mettre fin à la guerre aujourd’hui. Si elle n’a rien donné après neuf mois, elle ne donnera rien non plus après neuf autres mois, si ce n’est plus de tueries et plus de destructions. Alors pourquoi continuer ? 

La dernière fois que nous nous sommes parlés, c’était juste avant les dernières élections en Israël, qui ont porté au pouvoir le gouvernement actuel, dirigé par des extrémistes. Tu avais alors exprimé de très faibles attentes vis-à-vis de l’opposition. La guerre contre Gaza dure maintenant depuis neuf mois. Des dizaines de milliers de civils ont été tués. Vois-tu aujourd’hui une opposition significative en Israël ?

Il y a une opposition engagée, ils manifestent chaque semaine et bloquent même parfois la circulation. Mais ils ne se concentrent que sur deux choses : se débarrasser de Netanyahu et ramener les otages à la maison. Il n’y a pas de véritable opposition à la guerre. Pas d’opposition aux crimes d’Israël. Pas d’opposition à la tuerie de masse à Gaza. Pas du tout. C’est pourquoi, même si Netanyahou est remplacé, aucun des autres candidats ne s’attaquera aux questions fondamentales : la guerre, l’occupation, l’apartheid. Aucun d’entre eux n’est prêt à un véritable changement. Pour ce qui est des questions essentielles, Israël restera le même.

Avant le 7 octobre, il y avait eu des manifestations en Israël contre la soi-disant réforme de la justice. Un petit bloc constant dans ces manifestations, le bloc anti-occupation, a toujours abordé les thèmes que tu as mentionnés. Ils ont tenté d’établir un lien entre l’oppression d’Israël contre les Palestiniens et la réforme judiciaire. Est-ce que cela n’était que marginal ?

Définitivement. Premièrement, lors de ces manifestations également, la majorité des manifestants ne voulaient pas de ce groupe. Ils n’ont pas toléré les drapeaux palestiniens. Ils ne voulaient pas être impliqués dans cette question, car ils craignaient que cela irrite la plupart des Israéliens. Et ce bloc se rétrécit encore plus aujourd’hui. Les gens qui sont vraiment contre la guerre et l’occupation forment un camp beaucoup plus petit après le 7 octobre.


Depuis des années, tu ne cesses de soulever toi-même des questions qui restent souvent taboues en Israël. Tu as toutefois assez souvent défendu le Premier ministre Benjamin Netanyahu et remis à leur place ses critiques libéraux. Pourquoi ça ?

Le front uni contre Netanyahu était exclusivement focalisé sur l'idée de se débarrasser de lui, tout en faisant l’impasse sur tous les autres problèmes. Comme si Israël allait se transformer en une sorte de paradis dès que nous serions débarrassés de Netanyahou. Comme si tout était de sa seule faute. L’occupation et les colonies - tout cela est dû au Parti travailliste israélien, pas à Netanyahou. Shimon Peres, qui a reçu le prix Nobel de la paix, est responsable de plus de colonies que Netanyahou. Être contre Netanyahu est très confortable. Il n’y a pas besoin de courage pour cela. Mais si l’on n’a pas d’alternative, ni personnelle, ni programmatique, ni idéologique, cet argument est creux. En outre, je suis également d’avis que Netanyahou a personnellement un niveau bien plus élevé en tant qu’homme politique que tous les autres candidats.

Ta position a-t-elle changé ?

Aujourd’hui, je ne dirais plus un seul bon mot sur Netanyahou. Il doit dégager. Il n’y a aucun doute à ce sujet.