Les
structures fondées sur les Nations Unies sont fragiles et ont besoin d’une mise
à niveau urgente ; nous devrions prendre cela en considération lors du Sommet de l’avenir de l’ONU les 22 et 23
septembre prochains.
Jeffrey D. Sachs, Common Dreams, 24/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
L’année
prochaine marquera le 230e anniversaire de l’essai célèbre d’Immanuel
Kant, « Projet de paix perpétuelle » (1795). Le grand
philosophe allemand a proposé un ensemble de principes directeurs pour parvenir
à une paix perpétuelle entre les nations de son époque. Alors que nous nous démenons
dans un monde en guerre, et de fait en grave danger d’Armageddon nucléaire,
nous devrions nous appuyer sur l’approche de Kant pour notre temps. Un ensemble
mis à jour de principes devrait être soumis au Sommet de l’avenir de l’ONU en
septembre.

Kant était
pleinement conscient que ses propositions se heurteraient au scepticisme des
politiciens « pratiques » :
Le Politique pratique a
coutume de témoigner au faiseur de théories autant de dédain qu’il a de
complaisance pour lui-même. À ses yeux, ce dernier n’est qu’un pédant d’école,
dont les idées creuses ne portent jamais préjudice à l’État, auquel il faut des
principes déduits de l’expérience, qu’un joueur insignifiant, à qui il permet
de faire, de suite tous ses coups, sans avoir besoin de prendre, dans sa
sagesse, des mesures contre lui.
Néanmoins,
comme l’a noté l’historien Mark Mazower dans son étude magistrale sur la
gouvernance mondiale [Governing the World: The History of an Idea, 1815 to
the Present, 2013], l’œuvre de Kant était un « texte qui allait ifluencer
par intermittence des générations de penseurs sur le gouvernement mondial jusqu’à
notre époque », aidant à jeter les bases des Nations Unies et du droit
international sur les droits humains , la conduite de la guerre et le contrôle
des armements.
Les
propositions centrales de Kant tournaient autour de trois idées. Premièrement,
il rejetait les armées permanentes. Celles-ci « menacent incessamment d’autres
États par leur disponibilité à se montrer à tout moment prêtes pour la guerre.
» En cela, Kant anticipait d’un siècle et demi l’avertissement célèbre du
président américain Dwight D. Eisenhower sur les dangers du complexe
militaro-industriel. Deuxièmement, Kant appelait à la non-ingérence dans les
affaires intérieures des autres pays. En cela, Kant s’insurgeait contre le
genre d’opérations secrètes auxquelles les USA ont recouru sans relâche pour
renverser des gouvernements étrangers. Troisièmement, Kant appelait à une «
fédération d’États libres », qui dans notre époque est devenue les Nations
Unies, une « fédération » de 193 États engagés à opérer sous la Charte de l’ONU.
Kant plaçait
de grands espoirs dans la forme républicaine, opposée au règne d’un seul, comme
frein à la guerre. Kant estimait qu’un dirigeant unique céderait facilement à
la tentation de la guerre :
(…) dans une constitution,
où les sujets ne sont pas citoyens de l’État, c’est-à-dire qui n’est pas républicaine,
une déclaration de guerre est la chose du monde la plus aisée à décider ;
puisqu’elle ne coûte pas au chef, propriétaire t non pas membre de l’État, le
moindre sacrifice de ses plaisirs de la table, de la chasse, de la campagne, de
la cour etc. ; Il peut donc résoudre une guerre, comme une partie de
plaisir, par les raisons les plus frivoles, et en abandonner avec indifférence
la justification, qu’exige la bienséance, au corps diplomatique, qui sera
toujours prêt à la faire.
En revanche,
selon Kant :
... si le consentement de
chaque citoyen est requis pour décider que la guerre doit être déclarée (et
dans cette [constitution républicaine] il ne peut en être autrement), ils seraient
naturellement très prudents pour décréter contre eux-mêmes toutes les calamités
de la guerre.
Kant
était beaucoup trop optimiste quant à la capacité de l’opinion publique à restreindre
les actes de guerre. Les républiques athénienne et romaine étaient notoirement
belliqueuses. La Grande-Bretagne était la démocratie de pointe du XIXe
siècle, mais peut-être aussi sa puissance la plus belliqueuse. Depuis des
décennies, les USA se sont engagés sans relâche dans des guerres choisies et
des renversements violents de gouvernements étrangers.
Il y a au
moins trois raisons pour lesquelles Kant s’est trompé à ce sujet. Premièrement,
même dans les démocraties, le choix de lancer des guerres repose presque
toujours sur un petit groupe d’élites qui sont en fait largement isolées de l’opinion
publique. Deuxièmement, et tout aussi important, l’opinion publique est
relativement facile à manipuler par la propagande pour susciter le soutien
public à la guerre. Troisièmement, le public peut être tenu à l’écart à court
terme des coûts élevés de la guerre en finançant la guerre par la dette plutôt
que par l’impôt, et en s’appuyant sur des sous-traitants, des recrues payées et
des combattants étrangers plutôt que sur la conscription.
Les idées
centrales de Kant sur la paix perpétuelle ont contribué à faire évoluer le
monde vers le droit international, les droits humains et la conduite décente en
temps de guerre (comme les Conventions de Genève) au XXe Siècle.
Pourtant, malgré les innovations dans les institutions mondiales, le monde
reste terriblement éloigné de la paix. Selon l’Horloge de l’Apocalypse du
Bulletin des scientifiques atomiques, nous sommes à 90 secondes de minuit, plus
proches de la guerre nucléaire que jamais depuis l’introduction de l’horloge en
1947.
L’appareil
mondial des Nations Unies et du droit international a sans doute empêché une
troisième guerre mondiale à ce jour. Le Secrétaire général de l’ONU, U Thant,
par exemple, a joué un rôle vital dans la résolution pacifique de la crise des
missiles cubains de 1962. Pourtant, les structures fondées sur l’ONU sont
fragiles et ont besoin d’une mise à niveau urgente.