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16/03/2024

Les travailleurs palestiniens face au Grand Remplacement

C’est un aspect peu connu, à travers le monde, de la guerre lancée par Israël en octobre dernier : la suppression des possibilités de travailler en Israël pour les Palestiniens de Cisjordanie et Jérusalem-Est et leur remplacement par des travailleurs importés d’Asie, principalement d’Inde. Ci-dessous 3 articles qui jettent la lumière sur la tentative de Grand Remplacement en cours et ses contradictions, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

MAAN informe la délégation de l’UE de ses efforts pour que les travailleurs palestiniens puissent retourner travailler en Israël

wac-maan.org.il, 12/3/2024

Introduction d’Assaf Adiv, directeur exécutif de MAAN, à la réunion d’information organisée dans les locaux de l’UE avec des délégations étrangères le 11 mars à Tel-Aviv.

Quelque 200 000 Palestiniens sont interdits de travail en Israël depuis le 7 octobre. Sans aucune forme de filet de sécurité, la situation est devenue insupportable dans les villes et les villages de Cisjordanie. Les employeurs en Israël - en particulier dans les secteurs de la construction et de l’agriculture - ont également été laissés dans l’incertitude car ils n’ont pas d’alternative réelle à la main-d’œuvre palestinienne.

Après l’attaque du Hamas et le déclenchement de la guerre, l’état d’urgence a été déclaré en Israël. L’entrée des Palestiniens en Israël a été interdite et 11 points de contrôle reliant la Cisjordanie à Israël ont été fermés. Alors que les travailleurs palestiniens ne trouvent pas d’emploi dans l’économie palestinienne en faillite, les projets de certains ministres israéliens visant à remplacer les Palestiniens par des travailleurs migrants ne sont pas viables et ne servent que des objectifs politiques populistes.

L’association des travailleurs MAAN, un syndicat indépendant en Israël qui défend les travailleurs palestiniens, s’est engagée avec d’autres forces dans une campagne visant à faire pression sur les autorités israéliennes pour qu’elles ouvrent les portes d’Israël au retour des travailleurs palestiniens.

La faim chez les travailleurs de Cisjordanie

Cinq mois de chômage forcé ont laissé les travailleurs dans une situation désastreuse. Les travailleurs palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza qui étaient employés sur le marché du travail israélien jusqu’au 7 octobre ont contribué à plus de 20 % du produit national brut palestinien (environ 4 milliards de dollars US) par an. (voir le récent rapport de l’INSS)

Or, ces travailleurs ne bénéficient pas de l’assurance chômage. Cette situation a été mise en évidence lors de la pandémie de coronavirus, lorsque des dizaines de milliers de personnes ont été mises au chômage en raison des fermetures et des restrictions imposées et se sont retrouvées sans source de revenus pendant des mois. Aujourd’hui, les travailleurs témoignent de l’état des repas sautés et de la faim, tandis que l’incertitude quant à l’avenir aggrave l’inquiétude et le bien-être mental.

Dans un témoignage que nous avons publié sur le site Internet de MAAN (en hébreu), l’un de ces travailleurs a décrit comment il a épuisé toutes ses économies et s’est retrouvé dans l’incapacité d’acheter ne serait-ce que du lait pour ses enfants. Un autre ouvrier s’est plaint de l’Autorité palestinienne à Ramallah qui, comme à l’époque de la pandémie de coronavirus, n’a manifesté aucune sympathie à l’égard des travailleurs. Plusieurs travailleurs se sont moqués des propositions avancées par le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, de « revenir à la culture de la terre et de vivre des légumes et des fruits qu’ils cultivent ». Un travailleur qui nous a parlé s’est moqué de cette idée et a déclaré : « J’ai mon appartement en ville et je n’ai pas un mètre de terre à cultiver. Cet appel n’est que pure fantaisie. Shtayyeh sait que sans les revenus des travailleurs, son AP est finie ».

De nombreux travailleurs témoignent d’une terrible frustration face à la position d’Israël. Après des années de travail en Israël, partant à l’aube pour une dure journée de travail et rentrant chez eux à la nuit tombée, contribuant ainsi à l’économie israélienne, ils ont le sentiment d’être tenus pour responsables d’un massacre qu’ils n’ont pas commis.

Remplacer les Palestiniens par des travailleurs indiens n’est pas réaliste

Dans le contexte de la guerre et des appels à la vengeance contre tous les Palestiniens, qu’ils soient membres du Hamas ou non, des ministres israéliens appellent à mettre fin au travail des Palestiniens en Israël. Le chef de file des partisans du remplacement des Palestiniens par des travailleurs indiens est le ministre de l’économie et de l’industrie, Nir Barkat (Likoud), qui a déclaré à plusieurs reprises son intention de faire venir 160 000 travailleurs de l’Inde et d’un certain nombre de pays africains pour remplacer les travailleurs palestiniens dans tous les secteurs de l’économie. Le ministre Barkat et le ministre des Finances d’extrême droite Bezalel Smotrich, qui appellent à mettre fin à la dépendance d’Israël à l’égard des travailleurs palestiniens, proposent des idées qui ne peuvent pas fonctionner. L’économie israélienne manque aujourd’hui non seulement des 200 000 travailleurs palestiniens, mais aussi des quelque 17 000 travailleurs immigrés qui ont quitté Israël depuis le début de la guerre.

La difficulté de recruter des travailleurs à l’étranger est toujours présente et il n’y a aucune chance de faire venir des dizaines de milliers de personnes en quelques mois, même dans des conditions normales, et encore moins pendant une guerre impitoyable. Le fait que le 7 octobre, plus de 40 travailleurs étrangers aient été assassinés/enlevés rend l’idée de travailler en Israël beaucoup moins attrayante. Malgré les déclarations ambitieuses de Barkat, le nombre de travailleurs arrivant en Israël à la fin du mois de février 2024 (cinq mois après le début de la guerre) était minime. Voir (l’article de Globes qui rapporte l’arrivée des 1000 premiers travailleurs indiens à la fin du mois de février).

Le journal Calcalist qualifie le projet de Barkat d’ « illusoire ». L’article cite un haut fonctionnaire qui affirme que même avant la guerre, le projet de Barkat de faire venir 30 000 travailleurs d’Inde était bloqué depuis des mois. Le directeur général du ministère de l’Économie, Amnon Merhav, explique également dans l’article qu’il n’existe pas de solutions magiques et que le plan est irréaliste.

Les forces de sécurité insistent sur le fait que les Palestiniens doivent retourner au travail

Les services de sécurité israéliens, qui ont annoncé en octobre une fermeture totale et une interdiction d’entrée des travailleurs palestiniens en Israël, sont depuis lors confrontés à un dilemme complexe. D’une part, ils reconnaissent la sympathie écrasante de l’opinion publique palestinienne pour le Hamas et ses actions, et donc la crainte que l’entrée de travailleurs palestiniens en Israël s’accompagne d’activités terroristes. D’autre part, ils craignent les frictions avec les Palestiniens et la pression que cette crainte exerce sur les maires et les décideurs israéliens. D’autre part, l’administration civile et le COGAT [Coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires palestiniens, unité du ministère israélien de la Défense] préviennent que le fait de laisser 200 000 travailleurs chez eux, sans aucune compensation ni source de revenus, entraînera certainement des difficultés économiques extrêmes, voire une explosion de violence.

Une proposition du cabinet a donc été formulée à la fin du mois de novembre pour permettre l’entrée de 28 000 travailleurs dans les secteurs de la construction et de l’agriculture, dans un premier temps. Un mois plus tard, le Conseil de sécurité nationale a présenté un plan visant à employer 80 000 travailleurs. Cependant, une discussion au sein du cabinet le 10 décembre n’a abouti à aucun résultat, étant donné l’opposition de plusieurs ministres de droite à cette mesure. M. Smotrich a affirmé qu‘ « un pays qui accorde de l’importance à la vie n’autorise pas l’entrée de citoyens de l’ennemi pendant une guerre ». Netanyahou a cédé face à cette opposition, a reporté le vote et la situation est restée telle qu’elle était jusqu’à présent (début mars 2024) : les travailleurs palestiniens ne sont pas autorisés à reprendre leur travail en Israël.

Toutefois, ce raisonnement sécuritaire s’est rapidement révélé totalement infondé lorsque les employeurs des zones industrielles des colonies (également connues sous le nom de zone C), les mêmes colons représentés par Smotrich à la Knesset, ont exigé d’être autorisés à renvoyer leurs travailleurs dans les usines. Cette pression des colons a conduit à l’entrée de 10 000 travailleurs palestiniens de Cisjordanie pour travailler dans les colonies.

Depuis plus de quatre mois, ces travailleurs sont employés dans les zones de colonisation sans provoquer de heurts ou de confrontations violentes. Il n’y a aucune raison pour que seuls les employeurs israéliens en Israël se voient refuser la possibilité d’employer des Palestiniens.

Les travailleurs palestiniens sont la bonne alternative économique

Les entrepreneurs et les agriculteurs israéliens qui, pendant des années, ont fait appel à des travailleurs palestiniens, critiquent sévèrement le gouvernement. Le président de l’Association des constructeurs israéliens, Raul Srugo, a expliqué à la commission de la Knesset sur les travailleurs étrangers (25.12) que les entrepreneurs étaient en grande difficulté. « Le secteur de la construction est presque complètement à l’arrêt et n’est productif qu’à 30 %. 50 % des chantiers sont fermés, ce qui aura un impact sur l’économie israélienne et le marché du logement ». Un rapport de situation présenté à la commission de la Knesset par le ministère des Finances a montré que la fermeture du secteur de la construction coûte à l’économie israélienne 3 milliards de NIS [= 750 millions d’€] chaque mois.

Faisant référence au fait que les travailleurs palestiniens n’étaient pas autorisés à entrer en Israël mais à travailler dans les colonies, le président de l’Association des entrepreneurs en rénovation, Eran Siev, a déclaré : « Il s’agit d’une décision ridicule prise par une bande de personnes délirantes au sein du gouvernement israélien, qui nuit directement aux travailleurs manuels et à l’industrie de la rénovation, qui est en train de s’effondrer. La décision actuelle est déconnectée d’Israël sur le terrain et des propriétaires d’entreprises sur le terrain qui sont confrontés à la faillite et à l’effondrement économique ». Siev a ajouté : 3Nous appelons à l’uniformité et à l’évitement de la politique de bas étage - la loi en Judée et Samarie comme en Israël » (Real Estate Center, 21/12/2023, en hébreu).

S’il est mis en œuvre, le plan de Nir Barkat visant à remplacer les Palestiniens par des migrants aura également des effets dévastateurs sur le marché du travail israélien. L’importation massive de travailleurs en provenance de pays avec lesquels Israël n’a pas conclu d’accords bilatéraux entraînera d’horribles phénomènes de trafic de main-d’œuvre, de perception d’énormes frais de courtage auprès des travailleurs pauvres et d’exploitation extrême, en violation des normes et traités internationaux auxquels Israël est lié. En outre, les dommages à long terme causés aux travailleurs israéliens par la création d’une armée de travailleurs bon marché et affaiblis ont fait l’objet de recherches et ont été prouvés de manière irréfutable.

La rédactrice en chef de The Marker, Merav Arlosoroff, a mentionné la signification négative du plan dans son article publié en hébreu le 12/12/23. Elle souligne que « l’arrêt de l’emploi des travailleurs palestiniens n’entraînera pas seulement l’effondrement de l’économie palestinienne et l’augmentation du risque sécuritaire, il nuira également à l’économie israélienne. Ils seront remplacés par des travailleurs étrangers moins qualifiés. En outre, ce type d’importation est entaché d’une corruption qui se chiffre en milliards de shekels par an et constitue en pratique une forme d’esclavage moderne ».

Dans son article, Mme Arlosoroff cite abondamment le rapport détaillé du professeur Zvi Eckstein, rédigé en 2011 pour le compte d’une commission gouvernementale, dans lequel il explique la différence entre l’emploi de Palestiniens qui rentrent chez eux chaque jour et celui de travailleurs migrants : « Les travailleurs palestiniens sont bien plus bénéfiques pour l’économie que les travailleurs étrangers », déclare Eckstein. « Ils travaillent en Israël pendant des années, apprennent la langue et se spécialisent dans le type de travail requis ici - et leur productivité est bien plus élevée ».

Les lieux de travail en Israël sont également d’une importance cruciale pour les travailleurs et l’économie palestinienne. En l’absence d’autres sources d’emploi dans les territoires de l’Autorité palestinienne, travailler sur le marché du travail israélien est devenu la principale source de revenus des résidents de Cisjordanie. Les résidents palestiniens titulaires d’un diplôme universitaire préfèrent également travailler en Israël dans le secteur de la construction ou des services et recevoir un salaire mensuel de 6 000 NIS [=1 500€] (les ouvriers professionnels de la construction gagnent un salaire plus élevé) plutôt que d’accepter un poste d’enseignant pour un salaire mensuel de 3 000 NIS [=750€].

Il y a longtemps que l’Autorité palestinienne n’a plus rien à voir avec la vie et les moyens de subsistance des habitants de la Cisjordanie. Ses dirigeants débitent des slogans nationaux qui définissent ceux qui travaillent en Israël comme étant « moins patriotiques » (voir par exemple le refus d’un haut responsable de l’Autorité palestinienne de reconnaître sa réunion avec les responsables de la sécurité israélienne le 6 février – en arabe). Ces slogans n’affectent cependant pas les travailleurs, qui affirment à juste titre que tant que l’Autorité palestinienne n’est pas en mesure de fournir des emplois alternatifs, ou même une assistance financière aux travailleurs pendant les périodes de chômage forcé, comme lors de la pandémie de COVID ou de la guerre, elle n’a pas le droit d’exiger qu’ils cessent de travailler en Israël.

L’importance économique et politique du retour des travailleurs palestiniens en Israël

Il est donc urgent de permettre aux travailleurs palestiniens de retourner travailler en Israël. Les employeurs en Israël n’ont pas d’alternative réelle à la main-d’œuvre palestinienne. Les travailleurs palestiniens n’ont pas d’alternative à leur travail en Israël. Les dangers liés aux frictions entre les populations peuvent être résolus. La preuve en est l’expérience réussie de l’emploi de milliers de Palestiniens dans les industries des colonies, sans aucune confrontation violente.

Au lendemain de la guerre de Gaza, l’attitude à l’égard des 200 000 travailleurs palestiniens employés en Israël revêt une grande importance, car elle peut avoir un impact sur la perspective de créer un tissu de vie normal, où Israéliens et Palestiniens trouvent des moyens de travailler et de vivre ensemble pour le bien de tous.

Le retour des travailleurs palestiniens sur le marché du travail en Israël est donc une nécessité urgente à laquelle il convient de répondre immédiatement.


 
Grave crise de l’emploi à Jérusalem-Est à l’approche du Ramadan

Erez Wagner, wac-maan.org.il, 13/3/2024

À la veille du Ramadan, les résidents palestiniens de Jérusalem-Est sont confrontés à une crise économique et sociale exacerbée par une augmentation de 7,6 % du chômage depuis le début de la guerre. En dépit de cette crise, le gouvernement compromet gravement son propre plan quinquennal pour Jérusalem-Est. L’association des travailleurs MAAN demande au maire et au nouveau conseil municipal d’obtenir des budgets pour réduire les écarts socio-économiques dans la ville.

La population de Jérusalem-Est (JE) souffre d’une grave discrimination structurelle et de négligence. Au cours de la dernière décennie, les indices de pauvreté parmi les Palestiniens de Jérusalem ont atteint 80 %. Le plan quinquennal du gouvernement pour JE, mis en œuvre pour la première fois en 2018, a été une bouffée d’air frais et a apporté un certain soulagement, mais dans le contexte de la guerre et des coupes budgétaires, nous plongeons dans une crise sans précédent.

Le plan quinquennal pour JE était novateur. C’était le premier plan ciblant JE depuis son annexion en 1967 ; c’était la première fois que le gouvernement annonçait son intention de réduire les écarts socio-économiques entre Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest. Le programme vise notamment à promouvoir l’emploi des femmes. Seulement 21% des femmes palestiniennes de Jérusalem participent au marché du travail.  En comparaison, le taux de participation des femmes en général (juives et arabes) est de 76% et le taux de participation des femmes arabes en Israël au marché du travail était de 42% en 2022.

La mise en œuvre du plan quinquennal a permis des améliorations dans des domaines importants : une augmentation significative du nombre d’étudiants palestiniens à l’université hébraïque et dans les collèges de Jérusalem-Ouest, ainsi que la construction d’écoles et de jardins d’enfants, et bien d’autres choses encore. Mais une grande détresse persiste.

Cependant, lorsque le gouvernement de droite de Netanyahou a pris ses fonctions en janvier 2023, le renouvellement du plan quinquennal a été remis en question. Bien qu’un nouveau plan ait finalement été approuvé en août 2023, sa mise en œuvre et le transfert des budgets ont subi des retards répétés.

Aujourd’hui, dans le contexte de la guerre, le gouvernement a décidé de réduire le budget du programme de 14%. De plus, au cours de la première semaine de mars, les budgets gelés et le manque de clarté concernant la mise en œuvre ont conduit à la résiliation des contrats des sept chercheurs et gestionnaires qui dirigent le personnel d’encadrement. Même si la mise en œuvre est renouvelée à un moment donné, la perte du personnel de haut niveau causera probablement des dommages irréparables au programme. Ces dommages s’inscrivent dans le contexte de la guerre et de la grave récession économique que connaît Israël.

À Jérusalem-Est, la situation est pire qu’ailleurs dans le pays. Depuis le début de la guerre, l’antenne de MAAN sur place a traité des demandes de résidents de JE confrontés à une vague de licenciements et de congés sans solde. Ces licenciements sont dus à la fois à la réduction de l’activité commerciale et au phénomène de discrimination raciste ouverte, y compris le refus des employeurs de continuer à employer des Arabes.

En outre, les résidents de JE craignent pour leur sécurité lorsqu’ils se rendent au travail. Ils ont également des difficultés à s’y rendre en raison des restrictions à la liberté de mouvement imposées par la police, ainsi que des fermetures arbitraires des points de passage des quartiers situés au-delà de la barrière de séparation (en particulier le camp de réfugiés de Sho’afat et Kufr Aqab).

Une pondération des données du service de l’emploi sur les personnes qui s’inscrivent pour chercher un emploi, ainsi que l’annuaire de Jérusalem le plus récent, reflètent la situation difficile. En 2022, la population active palestinienne dans la ville s’élevait à 96 200 personnes (dont 73 600 hommes et 22 600 femmes). Depuis le début de la guerre, il y a eu une augmentation cumulée de 7 338 travailleurs qui sont enregistrés de façon permanente au bureau de l’emploi comme étant au chômage (5 896 hommes et 1 442 femmes).  Cela représente 7,6 % de la main-d’œuvre palestinienne à Jérusalem. Il convient de mentionner que l’augmentation du taux de chômage à Jérusalem-Ouest pour la même période a été de 4%.

Un coup aussi dur porté à la main-d’œuvre risque d’exacerber la détresse économique, sociale et sécuritaire à Jérusalem pour les années à venir, surtout si le gouvernement persiste dans sa politique de décimation du plan quinquennal pour JE.

Aujourd’hui, à la veille du Ramadan, la ville ne respire pas la joie. D’ordinaire, le mois sacré favorise l’activité économique à Jérusalem, mais cette année, l’avenir semble plus sombre que jamais.

À Jérusalem-Est, MAAN gère un centre d’exercice des droits depuis juillet 2000. Depuis plus de vingt ans, les militants de MAAN aident des milliers de résidents de JE - en particulier des femmes - à faire face aux difficultés bureaucratiques avec les bureaux de l’emploi et de l’assurance nationale, ainsi qu’à traiter les cas d’abus de la part des employeurs. Le bureau de MAAN participe à des projets de promotion des femmes de JE, en les aidant à apprendre l’hébreu et en leur transmettant des compétences en vue de leur intégration sur le marché du travail.

Avec des organisations telles que Kulna et le Rossing Center, MAAN dirige la salle des opérations de JE depuis le mois d’octobre. En plus d’aider les travailleurs à conserver leur emploi dans la ville, les organisations aident les familles dans le besoin à recevoir des produits de première nécessité et à obtenir des bons d’alimentation du gouvernement.

Pour éviter d’aggraver la crise économique, la municipalité de Jérusalem doit agir de manière responsable : augmenter l’emploi des résidents de JE, prévenir la discrimination à leur encontre, travailler à une solution permanente qui permettra la liberté de mouvement à Jérusalem depuis les quartiers situés au-delà de la barrière de séparation, et transférer tous les fonds promis dans le plan quinquennal pour améliorer la situation socio-économique.


L’association de travailleurs MAAN syndique des hommes et des femmes issus de divers secteurs d’activité, sans discrimination fondée sur la religion, la nationalité ou le sexe. MAAN est la seule organisation de travailleurs en Israël qui syndique les Palestiniens employés dans les colonies de Cisjordanie ainsi que ceux qui travaillent en Israël. @wac_maan
Assaf Adiv est le directeur exécutif de Maan et Erez Wagner est le directeur de MAAN à Jérusalem-Est.


La Coopérative des Apicultrices de Jérusalem regroupe 115 femmes, formées par le Sinsila Center for Urban Sustainability, qui possèdent désormais chacune au moins deux ruches sur les toits de Jérusalem-Est.

 

Les syndicats indiens dénoncent le besoin « immoral et désastreux » d’Israël de recruter davantage de travailleurs indiens dans le contexte de la guerre

  • Des militants et des dirigeants syndicaux s’interrogent sur l’interdiction de travailler imposée par Israël aux travailleurs palestiniens et sur les raisons pour lesquelles des travailleurs indiens sont recrutés dans le cadre d’un conflit.
  • Mais certains travailleurs indiens considèrent que travailler en Israël leur permet d’échapper à la pauvreté et d’améliorer leurs perspectives économiques, malgré les risques.

Durdana Bhat et Kamran Yousuf, South China Morning Post, 14/2/2024

L’interdiction faite par Israël à des dizaines de milliers de Palestiniens de travailler à l’intérieur de ses frontières a entraîné une crise de l’emploi, après plus de 100 jours de guerre entre Israël et Gaza, et une campagne de recrutement de travailleurs indiens s’est avérée controversée.

Des travailleurs indiens se rassemblent pour chercher un emploi en Israël lors d’une campagne de recrutement à l’Institut de formation industrielle de Lucknow, capitale de l’État indien de l’Uttar Pradesh. Photo : AFP

L’opposition des syndicats indiens a suscité un débat en Inde, avec des arguments opposant les préoccupations humanitaires aux opportunités économiques. La controverse porte sur des considérations éthiques et met en lumière la dynamique complexe du recrutement international de main-d’œuvre.

Des militants et des dirigeants syndicaux ont remis en question l’interdiction de travailler imposée par Israël aux Palestiniens et la décision d’embaucher davantage de travailleurs indiens dans le cadre d’un conflit, et ont souligné la nécessité d’accorder la priorité à la sécurité et au bien-être des travailleurs indiens.

Sucheta De, militante et vice-présidente nationale du All India Central Council of Trade Unions, a souligné la nécessité d’examiner les raisons qui ont motivé l’envoi de travailleurs indiens en Israël pendant le conflit, compte tenu de la menace qui pèse sur leur sécurité et des conditions relativement pacifiques qui règnent en Inde.

Elle a également attiré l’attention sur l’opération Ajay qui a vu quelque 1 200 citoyens indiens rentrer en Inde depuis Israël en octobre de l’année dernière, alors que la guerre s’intensifiait.

Certains travailleurs indiens considèrent toutefois que travailler en Israël leur permet d’échapper à la pauvreté et d’améliorer leurs perspectives économiques, malgré les risques.

En novembre de l’année dernière, Vikas, 37 ans, ouvrier du bâtiment originaire de Panipat, dans l’Haryana, a passé des entretiens pour différents emplois en Inde, notamment dans la police, la Border Security Force et la Central Reserve Police Force.

Mais il n’a reçu aucune offre d’emploi et cherche maintenant des opportunités en Israël. Malgré la guerre, « les circonstances pressantes du chômage et les responsabilités familiales m’ont forcé à prendre le risque de chercher un emploi en Israël », a-t-il déclaré.

Les syndicats se sont unanimement opposés à l’ « exportation » de travailleurs indiens vers Israël pour remplacer les travailleurs palestiniens.

Tapan Kumar Sen, ancien membre du parlement indien et secrétaire général du Centre of Indian Trade Unions, a exprimé son inquiétude quant à l’impact de la mobilité transfrontalière de la main-d’œuvre. Bien que son organisation ne s’oppose pas à ce concept, il souligne la nécessité de veiller à ce qu’il ne porte pas atteinte aux droits et aux possibilités des travailleurs palestiniens.

« Dans certains cas, des travailleurs palestiniens ont été déplacés et des travailleurs indiens ont été chargés de les remplacer, ce qui est en contradiction avec les principes de leur syndicat », dit M. Sen.

Il a déclaré que son organisation avait protesté contre la demande de travailleurs indiens formulée par l’association israélienne des constructeurs. « Nous avons appelé les syndicats à ne pas participer à cette campagne de recrutement, en soulignant qu’Israël est une zone de conflit ».

Lors de la visite du ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, à New Delhi en mai de l’année dernière, les deux pays avaient convenu qu’Israël embaucherait 42 000 travailleurs indiens - 34 000 ouvriers du bâtiment et 8 000 infirmier·ères.

En octobre, des entreprises de construction israéliennes auraient demandé au gouvernement l’autorisation d’embaucher jusqu’à 100 000 travailleurs indiens pour remplacer les Palestiniens dont les permis de travail ont été suspendus après le début de l’offensive à Gaza.

De nombreux jeunes hommes originaires d’États tels que l’Haryana, l’Uttar Pradesh, le Punjab et le Rajasthan ont afflué pour être recrutés en Israël.

Un groupe créé en décembre de l’année dernière par le gouvernement de l’État pour fournir de la main-d’œuvre contractuelle aux entités gouvernementales a depuis lors publié 10 000 offres d’emploi en Israël - 3 000 charpentiers de coffrage, 3 000 pour le cintrage du fer, 2 000 pour le carrelage en céramique et 2 000 pour le plâtrage.

En novembre, dix grands syndicats indiens ont vivement déconseillé au gouvernement d’envoyer des travailleurs indiens en Israël en raison du conflit.

« Rien ne pourrait être plus immoral et désastreux pour l’Inde que l’ « exportation » de travailleurs vers Israël. Le fait que l’Inde envisage même d’ « exporter » des travailleurs montre à quel point elle a déshumanisé et transformé en marchandises les travailleurs indiens », indique la déclaration commune des syndicats.

Communiqué de presse publié le 9 novembre 2023

La plateforme commune des centrales syndicales et des fédérations/associations indépendantes s’oppose à toute initiative visant à

EXPORTER DES TRAVAILLEURS INDIENS EN ISRAËL POUR REMPLACER LES TRAVAILLEURS PALESTINIENS

Israël intensifie sans vergogne son attaque génocidaire contre les Palestiniens, rejetant les appels au cessez-le-feu lancés par l’ONU ou même par ses maîtres, les USA !

Le manque d’éthique et la duplicité du gouvernement Modi sur cette question sont également exposés : d’abord l’expression rapide de la solidarité avec Israël, puis la marche arrière envisagée par le ministère des Affaires étrangères, l’envoi d’aide humanitaire à la Palestine et enfin l’abstention de soutenir la résolution de l’ONU pour un cessez-le-feu !

En mai 2023, lors de la visite du ministre israélien desaaffaires étrangères, Eli Cohen, à New Delhi, les deux pays ont signé un accord prévoyant l’envoi de 42 000 travailleurs indiens en Israël, dont 34 000 dans le secteur de la construction, pour remplacer les travailleurs palestiniens. Aujourd’hui, le gouvernement indien prévoit d’exporter environ 90 000 travailleurs de la construction vers Israël, sur sa demande. Le gouvernement indien joue un rôle méprisable en soutenant les plans israéliens visant à expulser les travailleurs palestiniens. Les représailles à l’attaque du Hamas ne sont qu’une excuse !

En l’état, l’occupation coloniale de la Palestine a décimé son économie, provoquant des niveaux élevés de pauvreté et de chômage, et a rendu les Palestiniens dépendants d’Israël pour l’emploi. Bien que les chiffres aient fluctué au fil du temps, une moyenne de 130 000 Palestiniens étaient employés en Israël, le secteur de la construction représentant la plus grande part des travailleurs palestiniens, avec des travailleurs palestiniens représentant près de 65-70% de la main-d’œuvre totale.

Rien ne pourrait être plus immoral et désastreux pour l’Inde que cette « exportation » de travailleurs vers Israël. Le fait que l’Inde envisage même d’ « exporter » des travailleurs montre la manière dont elle a déshumanisé  les travailleurs indiens et fait d’eux des marchandises. Une telle démarche équivaudra à une complicité de la part de l’Inde avec la guerre génocidaire qu’Israël mène actuellement contre les Palestiniens et aura naturellement des conséquences négatives pour les travailleurs indiens dans l’ensemble de la région.

Le mouvement syndical indien doit se solidariser avec les travailleurs palestiniens et rejeter cette idée désastreuse. Décidons que nous ne travaillerons pas pour remplacer les travailleurs palestiniens en Israël ! L’Inde et les travailleurs indiens doivent boycotter les produits israéliens ! Les travailleurs indiens, comme leurs homologues dans certains pays occidentaux, devraient refuser de décharger les cargaisons israéliennes !

Nous exigeons que l’accord conclu avec Israël pour l’exportation de travailleurs indiens soit immédiatement annulé ; nous exigeons l’arrêt immédiat de l’agression israélienne contre la Palestine, la fin de l’occupation ; nous exigeons que le droit des Palestiniens à une patrie souveraine soit respecté - c’est la seule voie possible vers la paix.

 

Fédérations/associations sectorielles indépendantes             

Chandan Kumar, 32 ans, ouvrier du bâtiment, a vu dans l’opportunité de travailler en Israël un moyen d’échapper à la pauvreté et aux perspectives d’emploi limitées en Inde.

« À une époque où les opportunités de travail sont rares et les situations désespérées, nous sommes dans une situation désespérée. Même si le pire nous arrivait là-bas, nos familles auraient au moins un soutien financier pour leurs dépenses quotidiennes. Tenter sa chance en Israël offre la promesse d’un salaire substantiel et d’un avenir plus radieux », dit-il.

Durdana Bhat est une journaliste multimédia indépendante basée en Inde qui réalise des reportages sur des questions telles que les droits humains, l’environnement, les conflits et le genre.

Kamran Yousuf est un journaliste multimédia basé en Inde qui couvre les droits humains, la politique et la technologie en Asie du Sud. Son travail a été publié dans un grand nombre de médias internationaux et locaux.

28/04/2023

ANNAMARIA RIVERA
Le gros bobard de la “substitution ethnique”, version italiote du “Grand Remplacement”

 Annamaria Rivera, Comune-Info, 27/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Un de ces mots-qui-tuent et qui devrait être définitivement abandonné, comme celui de “race”, est celui d’ethnie, qui, en revanche, bien qu’il soit tout aussi discriminatoire, continue à remporter un succès extraordinaire, même dans les milieux intellectuels, ainsi que dans les milieux de droite.

Pourtant, pour déconstruire ce pseudo-concept et montrer sa signification et son sens discriminatoire, un certain nombre de volumes scientifiques ont été publiés au fil du temps. Le plus connu, L'imbroglio ethnique en quatorze mots-clés (Payot, Lausanne, 2000), dont je suis l’inspiratrice et co-auteure avec l’historien René Gallissot et l’anthropologue Mondher Kilani, a été publié plusieurs fois et a été réédité trois fois en italien, la dernière fois en 2012.

Mais malgré tout, ce travail intellectuel ne semble pas avoir soulevé de doutes quant aux significations et à l’opportunité de l’utilisation du terme “ethnie”. C’est pour cette raison que je propose ici le résumé d’une des quatorze parties qui composent le volume, toutes introduites par des mots clés : il s’agit de celle, précisément, sur Ethnie-ethnicité. 

Dans le langage courant, dans les médias et parfois même dans le langage scientifique, les termes “ethnie” et “ethnique” sont utilisés pour désigner synthétiquement, avec un seul mot, des groupes de population immigrés et des minorités qui se distingueraient des majorités par des différences de coutumes et/ou de langue, ainsi que par leur origine, leurs cultures, leurs manières et leurs modes de vie. En réalité, ceux qui abusent du vocabulaire ethniciste entendent faire allusion à une forme de différence fondamentale et irréductible : qu’il s’agisse de caractéristiques somatiques, d’une “essence” culturelle prémoderne ou même d’un fondement ancestral. Il y a aussi ceux qui pensent qu’ “ethnie” est le terme le plus approprié pour nommer les différences sans recourir au vocabulaire dit racial ; il y a ceux qui le considèrent ou le “sentent” plus spécifique et pertinent que “culture”, moins dévalorisant et donc plus politiquement correct que “tribu”.

Certains chercheurs sont même prêts à prétendre que le terme “ethnie” inaugurerait une vision plus rationnelle et plus juste, plus neutre et plus valorisante des différentes composantes de l’humanité que d’autres. En réalité, le mot cache souvent la croyance ou le préjugé selon lequel les différences entre les cultures et les modes de vie sont fondées sur un principe ancestral, sur une identité originelle ; en fait, il est souvent utilisé comme synonyme euphémique de “race”.

En tout état de cause, l’utilisation du terme et de la notion reflète la division claire établie entre la société à laquelle appartient l’observateur (considérée comme normale, générale et universelle) et les autres groupes et cultures. Presque toujours, les “ethnies” sont les autres qui, s’écartant de la norme de la société dominante et de la culture majoritaire, sont perçues comme différentes, particulières, marginales, périphériques, archaïques, en danger ou “simplement” non conformes à la norme nationale.

 
Une utilisation très particulière du terme, par auto-attribution (“les ethniques, c’est nous”) de la part de secteurs de la société dominante, est celle du Front national [et la galaxie zemmouro-identitaire, NdT] en France et, en Italie, de la Lega Nord et d’autres formations de droite, qui parlent respectivement d’“ethnie française” et d’“ethnie padane”.

L’ethnicisation est un processus non seulement de reconnaissance ou d’invention de différences culturelles, mais aussi de classification subreptice, pourrait-on dire, des hiérarchies sociales, économiques, politiques. En effet, en ethnicisant des groupes sociaux, on tend à masquer leur position de subordination ou de marginalisation par rapport à la société globale.

La chronique de la guerre fratricide en ex-Yougoslavie a représenté le triomphe des schémas et désignations ethniques, qui se sont ainsi imposés comme un fait incontestable et se sont solidement ancrés dans le langage courant.

 Cela a contribué dans une large mesure à la construction des idéologies qui ont soutenu et dissimulé les raisons de la guerre civile sanglante, avec sa panoplie horrible de “nettoyage ethnique” réciproque (ainsi que l’idéologie qui a servi à dissimuler les objectifs de la guerre “humanitaire” de l’OTAN dans les Balkans) ; et a conduit à la séparation artificielle de populations qui avaient longtemps coexisté et partagé un territoire, une langue, des coutumes, des habitudes, un projet et des institutions politiques.

C’est précisément parce que ce qui est représenté comme l’Autre absolu·e s’avère souvent très semblable au Nous qu’il est perçu comme une menace : c’est l’un des mécanismes qui conduisent aux “nettoyages ethniques”.

En fin de compte, l’ethnicisation néfaste d’un tel conflit, l’utilisation d’une stratégie qui conduirait finalement à la sécession, encouragée et approuvée par les puissances européennes, avait pour principal enjeu la redistribution du pouvoir.

Même le conflit au Rwanda, qui a culminé dans le génocide des Tutsis, a fait l’objet d’une interprétation rigoureusement ethniciste, identitaire et tribaliste, qui a laissé dans l’ombre d’autres logiques bien plus décisives, en négligeant surtout le caractère de conflit économique, social et politique. En effet, bien que s’exprimant dans des formes de barbarie sanglante, ce conflit relevait à bien des égards d’une “modernité terrifiante”, selon l’expression de l’historien Alessandro Triulzi. La politique d’anéantissement a en effet été conçue, planifiée et mise en œuvre non pas par des chefs tribaux du pays profond, mais par les élites intellectuelles urbaines*.

Peu de gens se souviennent que ce sont les colonisateurs, d’abord les Allemands puis les Belges, qui ont ethnicisé la classe aristocratique tutsie et les agriculteurs hutus : les individus de sexe masculin étaient classés et traités comme Tutsis ou Hutus selon qu’ils possédaient plus ou moins de dix têtes de bétail. L’interprétation ethniciste et le langage qui en découle se sont généralisés et se sont imposés comme un truisme, qu’il conviendrait au contraire d’étudier et de critiquer.

C’est Georges Vacher de Lapouge, idéologue raciste et partisan de programmes eugéniques visant à empêcher le “mélange des races”, qui a introduit le terme et la notion d’ethnie dans la langue française.


L’ouvrage immortel du sieur Vacher de Lapouge (télécharger). Citation :
L’immigration a introduit depuis un demi-siècle plus d’éléments étrangers que toutes les invasions barbares. Les éléments franchement exotiques deviennent nombreux. On ne rencontre pas encore à Paris autant de jaunes et de noirs qu’à Londres, mais il ne faut se faire la moindre illusion. Avant un siècle, l’Occident sera inondé de travailleurs exotiques (...). Arrive un peu de sang jaune pour achever le travail, et la population française serait un peuple de vrais Mongols. "Quod Dii omen avertant !" [ Puissent les dieux démentir ce présage ! ] .

Ainsi, dès le départ, l’“ethnie” est connotée d’un sens défectueux : elle est comprise comme un groupement de population auquel il manque quelque chose de décisif par rapport à la société à laquelle appartient l’observateur, c’est-à-dire celle qui a le pouvoir de nommer et de définir les autres. En bref, ce mot-qui-tue est souvent compris comme la somme des traits négatifs ou en tout cas résultant de la non-civilisation ou de l’arriération.

Le colonialisme, en particulier, a produit des classifications “ethniques” fondées sur l’invention d’ethnonymes souvent totalement arbitraires : ceux-ci résultaient souvent de la transposition sémantique par les ethnologues et les fonctionnaires coloniaux de toponymes, de noms identifiant des unités politiques, d’appellations désignant tel ou tel groupe commercial, ou de stéréotypes par lesquels un certain groupe ou une certaine population était désigné, souvent de manière péjorative, par des groupes voisins ou des classes dirigeantes**.

Lorsque, il y a plus de vingt ans, nous avons écrit L’Imbroglio ethnique, nous étions prévoyants, mais pas au point d’imaginer que l’avenir nous réserverait un gouvernement d’extrême droite, au point d’évoquer la pseudo-théorie du risque de “substitution ethnique” dû aux immigrés et aux réfugiés.

Almor et Claudio Mellana

En effet, le 18 avril, Francesco Lollobrigida, beau-frère de Meloni et ministre de l’Agriculture [outre qu'il est le petit-neveu de Gina, l'actrice, NdT], a évoqué “le risque de substitution ethnique”, une théorie du complot typique de l’extrême droite. D’ailleurs, Meloni elle-même, depuis quelques années, avait soutenu à plusieurs reprises cette théorie du complot, affirmant que la gauche, au niveau mondial, préparait “une invasion d’immigrés”, donc “un remplacement des peuples”.

Bien entendu, ce petit monde justifie sa “théorie” (pour ainsi dire) de la “substitution ethnique”, entre autres, par des conjectures concernant les données démographiques, en particulier les tendances en matière de natalité.

Il s’agit d’une longue histoire qui remonte à l’après-guerre, lorsque les cercles néo-nazis appelaient à une lutte commune contre l’invasion supposée de l’Europe par les “mongols” et les “nègres”.

La rhétorique de la “substitution ethnique” est extrêmement dangereuse et, dans ce cas, l’expression d’un gouvernement fasciste, de sorte que la gauche et les démocrates auraient le devoir de s’unir et de s’opposer vigoureusement au gouvernement le plus à droite de l’histoire de la République italienne.  

NdT

*Les idéologues du Hutu Power, inspirateurs de la “Révolution assistée” (par les gendarmes belges) de 1959, des massacres de Tutsis de 1972 et du génocide de 1994, étaient tous d’anciens séminaristes catholiques nourris du récit délirant des missionnaires belges, inventeurs des “races” hamitique (les Tutsis) et bantoue (les Hutus).

**Un exemple parmi tant d’autres : le fleuve Niger et les pays qui en ont pris le nom. Appelé egerou n-igerou, “le fleuve des fleuves”, en tamasheq, la langue des Touaregs, traduit en arabe par nahr el nahr, il devint Niger sous la plume de Hassan Al Wazzan, diplomate chérifien capturé par des pirates siciliens et “offert” au pape Léon X, devenu célèbre sous le nom de Léon l’Africain : dans sa Description de l’Afrique (Cosmographia de Affrica , 1526), il a confondu n-igeru avec le latin niger (noir). Le nom du pays appelé Nigeria fut inventé en 1897 par Miss Flora Show, future épouse du gouverneur de la colonie Frederick Lugard.

 

23/08/2022

JORGE MAJFUD
Psychopatriotisme yankee

Jorge Majfud, Escritos Críticos, 21/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

En vertu d'une loi de 1994 (Holocaust Education Bill), les écoles publiques de Floride ont une matière appelée “Holocauste”, dans laquelle sont étudiées les atrocités racistes commises en Europe contre les juifs. En 2020, le gouverneur Ron DeSantis a promulgué une autre loi exigeant que toutes les écoles primaires et secondaires certifient qu'elles enseignent l'Holocauste aux nouvelles générations. Dans le même temps, les sénateurs de la communauté afro ont réussi à faire inclure dans le programme la mention du massacre d'Ocoee, où au moins 30 Noirs ont été tués en 1920, ce qui, pour comprendre le racisme endémique et les injustices sociales, revient à expliquer le corps humain par son ombre.

Le 2 novembre 1920, July Perry est lynché par une foule lors du massacre d'Ocoee, le pire jour d'élections de l'histoire des USA. Les problèmes ont commencé lorsqu'un homme noir du nom de Moses Norman s'est vu refuser le droit de vote, parce qu'on lui a dit qu'il ne pouvait pas voter parce qu'il n'avait pas payé sa taxe électorale (photo de July Perry, avec l'aimable autorisation du Orange County Regional History Center) (Orlando Sentinel). Ci-dessous deux plaques commémoratives apposées pour le centenaire.


 

Par la loi également, à partir de 2022, dans ces mêmes lycées de Floride, il est interdit de discuter de l'histoire raciste usaméricaine. La raison, selon le gouverneur Ron DeSantis, est que « personne ne devrait apprendre à se sentir inégal ou à avoir honte de sa race. En Floride, nous ne laisserons pas l'agenda de l'extrême-gauche prendre le contrôle de nos écoles et de nos lieux de travail. Il n'y a pas de place pour l'endoctrinement ou la discrimination en Floride ».

Si on n'en parle pas, ça n'existe pas. De ce côté-ci de l'Atlantique, le racisme n'existe pas et n'a jamais existé.

Les mêmes esclavagistes qui définissaient des millions d'esclaves (la base de la prospérité du pays) comme “propriété privée” sur la base de leur couleur de peau, appelaient ce système une “bénédiction de l'esclavage”, qu'ils voulaient “répandre dans le monde entier” pour “lutter pour la liberté” tout en appelant leur système de gouvernement “démocratie” (Brown, 1858).

“Ce nègre a voté”. Cette photo provient de Miami, en Floride, dans les années 1920, où le Klu Klux Klan a lancé une “parade de la peur” destinée à effrayer les électeurs noirs pour qu'ils ne votent pas.
Après le massacre, jusqu'à 500 Noirs ont été chassés de leurs terres à Ocoee et le Klu Klux Klan a mis en place un embargo autour de la ville pour s'assurer qu'aucun d'entre eux ne pourrait retourner chez lui. Pendant ce temps, les Blancs saisissent leurs biens, parfois avec des actes exigeant que les terres “ne soient plus cédées aux Noirs”.

Les mêmes personnes qui ont volé et exterminé des peuples autochtones bien plus démocratiques et civilisés que la nouvelle nation de la ruée vers l'or avant la ruée vers l'or, ont appelé cela de la “légitime défense” contre des “attaques non provoquées” de sauvages (Jackson, 1833 ; Wayne, 1972).