Luigi
Pandolfi, il manifesto, 23/6/2023
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
English The ESM calls into question the EU’s architecture, but Meloni doesn’t get it
Luigi Pandolfi (Cosenza, Italie, 1972), diplômé en sciences politiques, blogueur, collabore avec divers journaux et magazines en ligne. Auteur de nombreux livres. @LuigiPandolfi1
Lorsque Giorgia Meloni affirme qu’“il ne sert à rien de ratifier la réforme du MES si l’on ne sait pas ce que prévoit le nouveau pacte de stabilité et de croissance”, elle est totalement à côté de la plaque. Le problème se situe à Francfort plus qu’à Bruxelles
Il ne fait aucun doute que le MES constitue pour Meloni une béquille pour démontrer sa fidélité aux préceptes de son improbable souverainisme (sa subalternité face aux USA sur la guerre en Ukraine l’a réduit à un simulacre), peut-être aussi une arme de chantage dans les différents jeux ouverts en Europe (PNRR, Pacte de Stabilité). À tel point que son refus de ratifier sa dernière version ne s’accompagne pas, comme il le devrait, d’une critique de fond publique et courageuse des mécanismes qui encadrent le fonctionnement de l’union monétaire.
L’Europe est le seul endroit au monde où une banque centrale opère pour vingt pays différents, avec leurs caractéristiques politiques et économiques différentes, avec des intérêts économiques et commerciaux différents - et parfois contradictoires - à l’échelle nationale et internationale. Ils ne croissent et n’exportent pas tous de la même manière, certains ont une dette stratosphérique et d’autres non, et même l’inflation les divise actuellement.
La banque centrale, dans ce cadre, veille aux taux d’intérêt, à la stabilité des prix (elle essaie), à la solidité du système bancaire. Tout au plus, lorsque la situation est exceptionnelle (dernière crise financière mondiale, pandémie), elle s’essaie à ce que l’on appelle les “politiques monétaires non conventionnelles”, consistant le plus souvent à injecter davantage de liquidités dans le système (secteur bancaire).
La règle d’or, en somme, est de se tenir à l’écart des États et des gouvernements. Il est absolument interdit d’acheter directement des obligations d’État des États membres ou de leur accorder des “découverts” ou des “facilités de crédit”. En Europe, parler de monétisation des déficits publics (l’État couvre son déficit budgétaire en vendant ses obligations à la banque centrale, qui crée à son tour de l’argent frais pour les acheter), ainsi que d’annulation de la dette détenue par la BCE (les obligations achetées par les banques nationales dans le cadre de l’assouplissement quantitatif), est une hérésie.
C’est le marché qui décide pour les États. Si, pour une raison quelconque, un pays membre devait avoir des difficultés à se financer par le biais du placement de ses obligations d’État, la banque centrale ne pourrait que lever les bras au ciel. C’est pourquoi a été créé le Fond de sauvetage des États, une organisation financière calquée sur le FMI, qui s’adresse aux États comme une banque commerciale s’adresse à une entreprise privée ou à un citoyen. De l’argent contre des garanties précises, sous certaines conditions. Ils les appellent “programmes d’ajustement macroéconomique”, mais c’est une manière soft de parler de réduction des dépenses sociales et de politiques de privatisation/libéralisation débridées. La Grèce, l’Espagne, le Portugal, Chypre, l’Irlande en savent quelque chose. Comptes équilibrés, sociétés dévastées.
C’est le principe qui est mauvais. Autant l’indépendance des banques centrales est officiellement déclarée dans tous les pays du monde, autant il n’y a pas de pays au monde avec un certain degré de développement où il y a une imperméabilité absolue de la banque centrale aux décisions des politiques. La FED est “indépendante”, mais elle répond également au Congrès et est de facto soumise à l’influence du président usaméricain.
Le plus important, cependant, est que la FED est un prêteur en dernier ressort pour le gouvernement usaméricain. En cas de besoin, elle peut financer directement le gouvernement. Sans conditions. Comme la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon, ou la Banque populaire de Chine. Si la Russie, suite aux sanctions qui lui ont été imposées par l’Occident, s’était retrouvée dans la situation des pays européens avec la BCE, elle serait déjà en faillite. Le problème est donc beaucoup plus structurel. Il met en cause l’architecture de l’Union. Dont, avec la réforme de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), le MES est devenu un autre “pilier”.
Une sorte de constitutionnalisation de la suprématie de la finance sur la politique, les gouvernements, la démocratie.
Mais il ne semble pas que le débat en Italie soit à la hauteur du problème. Comme sur d’autres sujets, c’est la logique des alignements internes qui prévaut, l’habituel conformisme idéologique envers les décisions prises par les structures européennes, qui est très souvent contrebalancé par une dissidence non articulée et de façade. Lorsque Giorgia Meloni affirme qu’“il ne sert à rien de ratifier la réforme du MES si l’on ne sait pas ce que prévoit le nouveau pacte de stabilité et de croissance”, elle est totalement à côté de la plaque. Le problème se situe à Francfort plus qu’à Bruxelles.