La demande du procureur général de la Cour pénale
internationale de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre du Premier ministre
et du ministre de la Défense d’Israël, ainsi que de trois dirigeants du Hamas,
place Israël dans une réalité diplomatique à laquelle il n’’a jamais été
confronté auparavant.
À court terme, et pour la première fois, elle met les dirigeants israéliens
face à une véritable menace internationale suite à leur décision de poursuivre
la guerre à Gaza. À long terme, si les mandats d’arrêt sont délivrés, nous
risquons de nous retrouver face à une avalanche diplomatique, avec de possibles
effets considérables sur les relations économiques, scientifiques et
commerciales, ainsi que dans d’autres domaines.
Ces mesures prises à l’encontre d’un pays démocratique [sic] en
pleine guerre sont sans précédent et mettent Benjamin Netanyahou et Yoav
Gallant en danger d’extradition s’ils se rendent dans des pays membres de la
Cour.
Les responsables israéliens ont
critiqué à juste titre [sic]
la décision de mettre dans le même sac Netanyahou, Gallant et Yahya
Sinwar, Mohammed Deif et Ismail Haniyeh, les chefs d’une organisation
terroriste dont les membres ont commencé la guerre par un massacre de civils
israéliens.
Cependant, on peut soupçonner que l’ordre des démarches du procureur
général était inversé. Il a cherché à traduire les dirigeants israéliens en
justice pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les dirigeants du
Hamas ont été ajoutés à la demande afin de créer une fausse représentation d’équilibre
impartial dans le processus.
Contrairement aux premières prévisions, l’enquête du procureur général,
Karim Khan, ne vise que des hommes politiques. Aucun officier de l’armée n’est
inclus à ce stade. Les allégations se concentrent sur les mesures prises à l’encontre
des habitants de Gaza, principalement la privation
de nourriture des civils comme méthode de guerre.
Cela indique probablement que Khan sait que l’affirmation selon laquelle
les forces de défense israéliennes tuent délibérément de nombreux civils ne
tient pas la route. Il est apparu récemment que des organisations
internationales ont commencé à mettre en doute les données qu’elles ont reçu du
Hamas, qui tentait de faire valoir un taux particulièrement bas de combattants
palestiniens par rapport aux civils parmi les personnes tuées.
La démarche de M. Khan est susceptible d’éclairer la Cour internationale de
justice de La Haye, qui délibère sur une décision appelant à la fin de la
guerre. Le refus de Netanyahou d’accepter cette décision risque de mettre
Israël sur la voie de sanctions internationales, si le Conseil de sécurité des
Nations unies commence à discuter de la question. Israël
n’est ni la Russie ni l’Iran, c’est un pays démocratique qui dépend entièrement de
ses relations avec l’Occident.
Cette situation ne dérange probablement pas les dirigeants d’extrême droite
du gouvernement, mais un danger potentiel est en train de se développer qui
pourrait avoir un impact négatif sur la vie de nombreux citoyens israéliens. On
peut imaginer que Sinwar et Deif sont moins gênés par la perspective de ne pas
pouvoir se rendre en Europe.
Comme beaucoup d’autres incidents dans cette guerre, il semble que ce
développement découle en partie non seulement du deux poids deux mesures de la communauté
internationale à l’égard d’Israël, mais aussi de la conduite insensée des
dirigeants israéliens.
Les accusations de famine sont entendues précisément au moment où Israël
autorise une large distribution de l’aide humanitaire à Gaza et où la situation
s’est améliorée dans de nombreuses régions. Mais au début de la guerre, le
gouvernement a pris des mesures délibérées pour rendre la vie difficile à la
population palestinienne et a coupé toutes les voies d’approvisionnement entre
Israël et la bande de Gaza. C’est ainsi que la crise actuelle a été créée, et
elle a été aggravée par des commentaires extrêmes et étranges de ministres et
de membres de la coalition.
Netanyahou a attaqué l’enquête de M. Khan lundi et a reçu un soutien
relativement large de la part des hommes politiques israéliens, depuis le
président jusqu’aux rangs les plus élevés. Aujourd’hui, un effort tardif est
fait pour enrôler l’administration usaméricaine afin qu’elle menace la CPI.
Ils se tournent vers l’administration et le président mêmes que les
ministres et les députés israéliens ont régulièrement dénigrés. Amir Tibon a
rapporté dans ces pages dimanche que le conseiller usaméricain à la sécurité
nationale, Jake Sullivan, a informé Netanyahou que les USA lui fourniraient
bientôt le texte intégral de l’accord
usaméricano-saoudien en cours d’élaboration, dont une partie porte sur la
normalisation entre Riyad et Jérusalem.
Netanyahou devra décider s’il l’adopte, y compris une déclaration sur le
principe de l’établissement d’un Etat palestinien à l’avenir. Pour l’instant,
il semble que le Premier ministre répondra par la négative, malgré la
dépendance à l’égard des USA sur la scène internationale et la nécessité
croissante de mettre fin à la guerre à Gaza et à la frontière libanaise.
À ce stade, on ne sait pas encore comment la bombe lâchée à La Haye
affectera les bombes qui continuent de tomber sur Rafah. L’opération militaire
est plus importante que ce que l’on dit au public. La 162edivision s’est
emparée de plus de la moitié de la route de Philadelphie, le long de la
frontière égyptienne, et progresse lentement jusqu’à la périphérie de Rafah.
Des combats ont déjà lieu autour de la première ligne de maisons du camp de
réfugiés de Brazil, dans la partie la plus occidentale de la ville. En outre,
les responsables des FDI ont l’impression que l’opposition tranchée des USAméricains
à l’entrée d’Israël à Rafah s’affaiblit.
Cela se produit en partie parce que la principale revendication usaméricaine
contre l’opération n’a pas eu lieu. Quelque 1,4 million de civils palestiniens
s’étaient rassemblés dans la ville et ses environs après que l’armée eut
conquis d’autres régions. Israël a déclaré pouvoir évacuer la plupart d’entre
eux en cinq semaines et les USAméricains
ont estimé que cette promesse était sans fondement. Après deux
semaines, entre 800 000 personnes (selon l’UNRWA) et 1 million (selon l’armée)
ont quitté les lieux, s’installant dans des abris temporaires et surpeuplés.
Au sein de l’establishment de la défense, les avis sur la poursuite de l’opération
sont partagés. Les partisans de la conquête de Rafah estiment qu’Israël doit
vaincre la dernière brigade régionale du Hamas et ses quatre bataillons.
Cependant, même eux admettent que cela ne signifiera pas la défaite du
Hamas, mais nécessitera plutôt la poursuite des combats dans d’autres parties
de Gaza pendant de nombreux mois. Les opposants à l’opération estiment qu’il
faut s’efforcer de parvenir à un accord sur les otages et mettre fin à la
guerre sur les deux fronts, même s’il faut pour cela admettre qu’Israël n’a pas
atteint son objectif et n’a pas complètement démantelé le régime du Hamas.
Les deux parties s’opposent à la solution la plus radicale présentée par Netanyahou
et ses ministres d’extrême droite : la préparation de l’établissement d’une
administration militaire prétendument temporaire à Gaza. Gallant a réitéré son
opposition à cette idée lundi devant un public hostile, la délégation du Likoud
à la Knesset. Il a prévenu que l’armée n’avait pas assez de soldats pour
remplir une telle mission et qu’elle serait obligée d’étendre le service
obligatoire des combattants à quatre ans.
Quiconque connaît l’état
d’esprit des soldats et de leurs parents sait qu’il serait très difficile de mettre en œuvre
une telle mesure. Pour l’instant, Netanyahou adopte la ligne militante, mais il
reste à voir si le danger personnel qu’il court à La Haye aura un impact sur
ses considérations.
Les points d’interrogation se multiplient
L’armée subit de plein fouet les conséquences de cette situation. Plus la
guerre à Gaza s’éternise et tant qu’aucune date n’est fixée pour le retour des
habitants du nord dans leurs foyers, plus l’opinion publique s’interroge sur
les chances d’atteindre les objectifs qu’Israël s’est fixés au départ. Dans le
même temps, l’opinion publique perd également confiance dans l’armée.
L’Institut d’études de sécurité nationale de l’université de Tel-Aviv a
réalisé cette semaine un sondage d’opinion. Les résultats sont assez clairs. La
confiance de l’opinion publique s’effrite, qu’il s’agisse de l’annonce faite
à l’armée ou des décisions prises par le chef d’état-major Herzl Halevi.
Depuis le début de la guerre, l’institut a suivi l’évolution de la
confiance du public dans les rapports du porte-parole des FDI. Le point le plus
bas, ce qui n’est pas surprenant, a été atteint la semaine suivant le début de
la guerre : 66 % des Juifs interrogés faisaient alors confiance au
porte-parole. Ce chiffre a atteint 88 % au plus fort de l’opération terrestre,
à la mi-novembre. Il est tombé à 78 % à la mi-avril. Cette semaine, il a encore
chuté à 68%.
Halevi
devrait également s’inquiéter. Les sondeurs ont demandé si le chef d’état-major
avait le mandat de nommer une nouvelle série de commandants au sein de l’état-major
général, comme cela a été fait au début du mois lorsque cinq nominations de ce
type ont été annoncées. Seuls 26 % des personnes interrogées ont répondu qu’il
disposait d’un tel mandat pour procéder à des nominations en fonction de ses
propres considérations, tandis que 34 % ont répondu « uniquement les
nominations nécessaires » et 23 % ont déclaré qu’il ne disposait pas d’un
tel mandat.
Halevi a décidé de nommer le général de brigade Shlomi Binder à la tête du
renseignement militaire au sein de l’état-major général, en remplacement du
général de division Aharon Haliva, qui prenait sa retraite, mais il a choisi de
procéder à trois autres nominations (et d’en promouvoir une cinquième, Avi
Blut, pour remplacer Yehuda Fuchs à la tête du commandement central).
Une grande partie des critiques à l’encontre de Halevi sont politiques et
visent à lui faire porter l’entière responsabilité des échecs
du 7 octobre, afin de couvrir la responsabilité de Netanyahou.
Cependant, le chef de cabinet devrait prêter attention aux conclusions : le
large soutien du public à son égard, malgré l’horrible massacre, était basé en
grande partie sur l’hypothèse que son mandat était limité dans le temps et qu’il
avait l’intention de prendre sa retraite.
Une longue série de nominations soulève des questions. Il en va de même du
sentiment que la guerre n’atteint pas ses objectifs. Il s’agit là d’un problème
croissant pour l’armée, qui s’ajoute aux difficultés que le Premier ministre et
ses messagers lui imposent.