Ramzy Baroud, Middle East Monitor,
26/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La langue a son importance. Outre son impact immédiat sur notre perception des grands événements politiques, y compris la guerre, la langue définit également notre compréhension de ces événements à travers l’histoire, façonnant ainsi notre relation avec le passé, le présent et l’avenir.
Alors que
les dirigeants arabes se mobilisent
pour empêcher toute tentative de déplacer la population palestinienne de
Gaza, frappée par la guerre - et aussi de la Cisjordanie occupée d’ailleurs-,
je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à la langue : quand avons-nous cessé de
parler de « conflit israélo-arabe » pour commencer à utiliser l’expression «
conflit israélo-palestinien » ?
Outre le
problème évident que les occupations militaires illégales
ne devraient pas être décrites comme des « conflits » – un terme neutre qui
crée une équivalence morale – le fait de retirer les « Arabes » du « conflit »
a considérablement aggravé la situation, non seulement pour les Palestiniens,
mais aussi pour les Arabes eux-mêmes.
Avant de
parler de ces répercussions, de l’échange de mots et de la modification de
phrases, il est important d’approfondir la question : quand exactement le terme
« arabe » a-t-il été supprimé ? Et tout aussi important, pourquoi avait-t-il
été ajouté en premier lieu ?
La Ligue des
États arabes a été créée
en mars 1945, plus de trois ans avant la création d’Israël. La Palestine,
alors sous « mandat » colonial britannique, a été l’une des principales causes
de cette nouvelle unité arabe. Non seulement les quelques États arabes
indépendants comprenaient le rôle central de la Palestine dans leur sécurité
collective et leur identité politique, mais ils percevaient également la Palestine
comme la question la plus cruciale pour toutes les nations arabes,
indépendantes ou non.
Cette
affinité s’est renforcée avec le temps.
Les sommets
de la Ligue arabe ont toujours reflété le fait que les peuples et les
gouvernements arabes, malgré les rébellions, les bouleversements et les
divisions, étaient toujours unis par une valeur singulière : la libération de
la Palestine.
La
signification spirituelle de la Palestine s’est développée parallèlement à son
importance politique et stratégique pour les Arabes, ce qui a permis d’ajouter
une composante religieuse à cette relation.
L’attaque
à la bombe incendiaire perpétrée en août 1969 contre la mosquée Al-Aqsa à
Jérusalem occupée a été le principal catalyseur de la création
de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) plus tard dans l’année.
En 2011, elle a été rebaptisée
Organisation de la coopération islamique, bien que la Palestine soit restée le
sujet central du dialogue musulman.
Pourtant, le
« conflit » restait « arabe », car ce sont les pays arabes qui en ont supporté
le poids, qui ont participé à ses guerres et subi ses défaites, mais qui ont
aussi partagé ses moments de triomphe.
La défaite
militaire arabe de juin 1967 face à l’armée israélienne, soutenue par les USA
et d’autres puissances occidentales, a marqué un tournant. Humiliées et en
colère, les nations arabes ont déclaré leurs fameux « trois non » lors du
sommet de Khartoum en août-septembre de la même année : pas de paix, pas de
négociations et pas de reconnaissance d’Israël tant que les Palestiniens seront
retenus captifs.
Cette
position ferme n’a cependant pas résisté à l’épreuve du temps. La désunion
entre les nations arabes est apparue au grand jour, et des termes tels qu’Al-’Am
al-Qawmi al-’Arabi (la sécurité nationale arabe), souvent axés sur la
Palestine, se sont fragmentés en de nouvelles conceptions autour des intérêts
des États-nations.
Les accords
de Camp David signés
entre l’Égypte et Israël en 1979 ont approfondi les divisions arabes - et
marginalisé davantage la Palestine – même s’ils ne les avaient pas créées.
C’est à
cette époque que les médias occidentaux, puis le monde universitaire, ont
commencé à inventer de nouveaux termes concernant la Palestine.
Le terme «
arabe » a été abandonné au profit de « palestinien ». Ce simple changement a
été bouleversant, car les Arabes, les Palestiniens et les peuples du monde
entier ont commencé à établir de nouvelles associations avec le discours
politique relatif à la Palestine. L’isolement de la Palestine a ainsi dépassé
celui des sièges physiques et de l’occupation militaire pour entrer dans le
domaine du langage.
Les
Palestiniens se sont battus avec acharnement pour obtenir la position légitime
et méritée de gardiens de leur propre combat. Bien que l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP) ait été créée à la demande de l’Égypte
lors du premier sommet arabe au Caire en 1964, les Palestiniens, sous la
direction de Yasser Arafat du Fatah, n’en ont pris la tête qu’en 1969.
Cinq ans
plus tard, lors du sommet arabe de Rabat (1974), l’OLP était collectivement considérée comme
le « seul représentant légitime du peuple palestinien », et devait plus tard se
voir accorder le
statut d’observateur aux Nations unies.
Idéalement,
un leadership palestinien véritablement indépendant devait être soutenu par une
position arabe collective et unifiée, l’aidant dans le processus difficile et
souvent sanglant de la libération. Les événements qui ont suivi ont toutefois
témoigné d’une trajectoire bien moins idéale : Les divisions arabes et
palestiniennes ont affaibli la position des deux camps, dispersant leurs
énergies, leurs ressources et leurs décisions politiques.
Mais l’histoire
n’est pas destinée à suivre le même schéma. Bien que les expériences
historiques puissent sembler se répéter, la roue de l’histoire peut être
canalisée pour aller dans la bonne direction.
Gaza, et la
grande injustice résultant de la destruction causée par le génocide israélien
dans la bande de Gaza, est une fois de plus un catalyseur pour le dialogue
arabe et, s’il y a assez de volonté, pour l’unité.
Les
Palestiniens ont démontré que leur soumoud (résilience) suffit à repousser
toutes les stratagèmes visant à leur destruction, mais les nations arabes
doivent reprendre leur position de première ligne de solidarité et de soutien
au peuple palestinien, non seulement pour le bien de la Palestine elle-même,
mais aussi pour celui de toutes les nations arabes.
L’unité est
désormais essentielle pour recentrer la juste cause de la Palestine, afin que
le langage puisse, une fois de plus, évoluer, en insérant la composante « arabe
» comme un mot essentiel dans une lutte pour la liberté qui devrait concerner
toutes les nations arabes et musulmanes, et, en fait, le monde entier.