Ça s’appelle Elnet, acronyme de European Leadership Network, à ne pas confondre avec ELN, acronyme de l’autre European Leadership Network, un think tank « respectable » créé en 2011 et basé à Londres. Elnet n’a rien de respectable : c’est une machine de guerre israélo-yankee créée en 2007 après la deuxième Intifada pour intoxiquer les opinions occidentales avec la plus pure hasbara [propagande] sioniste. Cœur de cible : les parlementaires nationaux des pays de l’UE et européens. Après le 7 octobre 2023, Elnet a organisé 20 voyages en Israël de 300 parlementaires européens et britanniques. Mais Elnet a aussi diversifié ses opérations, organisant des voyages en Terre promise de militaires, d’industriels et de grands intellectuels, notamment Bernard-Henri Lévy et Michel Onfray, sans oublier l’inénarrable Helvético-Catalan, Manuel Carlos Valls i Galfetti, ainsi que des voyages de décideurs israéliens en Europe. Parmi les parlementaires, on ratisse large, des conservateurs aux écologistes, en passant par les libéraux et les sociaux-démocrates, et des Lituaniens aux Portugais en passant par les Hongrois, Roumains, Français, Allemands, Italiens etc.. Ci-dessous des documents sur cette entreprise d’achat (à bas prix) de consciences. -Ayman El Hakim
Elnet, un agent d’influence pro-Israël au cœur du Parlement français
Depuis 2017, ce lobby a envoyé, tout frais payés, une centaine de parlementaires en Israël. Son PDG revendique avoir fait « plus que [sa] part » dans le soutien de « l’immense majorité » de l’Assemblée nationale et du Sénat à l’égard de l’État hébreu depuis le 7-Octobre.
Pauline Graulle, Mediapart, 29/12/2024
Sur les photos, ils posent en souriant devant le Mur des lamentations, l’air concentré dans une salle de réunion du ministère des affaires étrangères israélien, ou la mine grave lors d’une visite d’un kibboutz attaqué par le Hamas le 7-Octobre… Au fil des années, ces images de députés et de sénateurs français sont venues par dizaines abonder le site Internet d’Elnet – pour « European Leadership Network » –, une association bien connue de la plupart des parlementaires qui reçoivent régulièrement ses mails les invitant à des voyages en Israël.
Sur le papier, ces séjours, intégralement financés par Elnet – il faut compter 4 000 euros pour quatre jours, hôtel et trajet en avion compris –, ont de quoi attirer les élus : ils proposent des rencontres « de haut niveau » avec des intellectuels, des ambassadeurs ou des officiers de Tsahal, mais aussi des visites de la Knesset, du mémorial de Yad Vashem ou de bases militaires à la frontière palestinienne...
« Par votre présence, vous contribuerez au renforcement de la relation stratégique bilatérale entre deux pays […] qui partagent les mêmes valeurs [et] ont les mêmes ennemis », écrivait ainsi l’organisme, à l’été 2021, dans un mail envoyé à trente-quatre parlementaires macronistes, Les Républicains (LR), centristes et socialistes, à la veille de leur départ vers l’État hébreu. Un voyage durant lequel ils ont pu rencontrer un ex-numéro 2 du Mossad pour évoquer les enjeux sécuritaires du pays, ou Benyamin Nétanyahou, alors chef de l’opposition, qui a résumé en un mot la recette du « miracle israélien » : le « capitalisme ».
En mars 2023, quinze députés LR se rendaient encore à Jérusalem pour, entre autres, écouter un commandant de police leur présenter le dispositif de vidéosurveillance avec reconnaissance faciale de la vieille ville, et regarder avec lui la vidéo d’un attentat commis quelques semaines plus tôt par des Palestiniens. Deux mois auparavant, alors que les manifestations se multipliaient contre la très controversée réforme de la justice de Nétanyahou, c’était au tour de députés macronistes d’écouter un député du Likoud leur assurer que le gouvernement ne porterait en aucun cas atteinte aux libertés fondamentales…
Après le 7-Octobre, Elnet a renforcé son action. Huit jours seulement après les massacres commis par le Hamas, l’organisation envoyait dix députés LR et Renaissance – ainsi que Manuel Valls, récemment nommé ministre des outre-mer – visiter la base militaire de Shurah, au sud de Tel-Aviv, où reposaient les corps de 300 victimes non encore identifiées, rencontrer des familles d’otages et s’entretenir avec des survivants à l’hôpital Ichilov. « Alors que l’attention médiatique se tourne vers les images de destructions à Gaza, il est encore plus critique pour les décideurs européens de voir la réalité sur le terrain du point de vue israélien pour contribuer à maintenir le soutien nécessaire de la part des alliés européens clés », commentait Elnet après le déplacement.
En janvier 2024, alors que le nombre de morts à Gaza frôlait les 25 000, une délégation de 22 sénateurs et sénatrices, dont Francis Szpiner, Loïc Hervé ou Françoise Gatel, ministre des gouvernements Barnier et Bayrou, publiaient aussi une tribune à leur retour de leur voyage Elnet : « Ce voyage a renforcé notre attachement à la société israélienne et notre conviction profonde qu’Israël [...] est à l'avant-garde d'une guerre de la civilisation contre la barbarie », écrivaient-ils.
Un long travail d’influence
Créée en 2010, la branche française d’Elnet – qui dispose également d’antennes en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie – a pris ses quartiers à quelques mètres de l’Assemblée nationale, rue Saint-Dominique. Un endroit stratégique pour l’ONG qui déclare être financée « à 100 % » par des contributions privées (voir en annexes) et affiche pour ambition de « renforcer le dialogue diplomatique, politique et stratégique entre la France et Israël ».
Derrière cet objectif, Elnet cache difficilement son tropisme en faveur du gouvernement d’extrême droite emmené par Nétanyahou. Plus encore depuis le début de la guerre à Gaza que plusieurs organisations internationales, à l’instar d’Amnesty International, qualifient désormais de « génocide ». « C’est un lobby qui a pignon sur rue », résume le sénateur socialiste Rachid Temal, auteur d’un rapport publié en juillet sur les influences étrangères, qui souligne que « l’association, comme tous les autres lobbys, a le droit de faire de l’influence dès lors que c’est déclaré ».
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Une régularisation très tardive à la HATVP
Malgré la loi Sapin de 2016 sur la lutte contre la corruption qui oblige les représentants d’intérêts à s’inscrire comme tels sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), il aura pourtant fallu huit ans à Elnet pour s’enregistrer auprès de l’instance.
Une incongruité qui n’avait d’ailleurs pas échappé à la sénatrice UDI Nathalie Goulet qui, lors des discussions sur les influences étrangères au Palais du Luxembourg cet été, avait noté que « certains organismes qui invitent des parlementaires en voyage de façon régulière […] ne figurent pas sur la liste de ces lobbies, Elnet pour ne pas le nommer ».
Questionnée le 21 novembre par Mediapart sur les raisons pour lesquelles elle ne s’était pas encore déclarée auprès de la HATVP, l’association a répondu : « Nous n’estimions pas relever de la catégorie de représentant d’intérêts. Afin de nous assurer que nous étions bien en conformité avec la loi, nous avons rencontré l’HATVP et nous sommes convenus avec ses responsables qu’il nous fallait nous déclarer comme tel. C’est donc en cours. » Également contactée sur ce point, la HATVP a indiqué qu’elle ne « pouvait pas [nous] en dire plus ». Comme un heureux hasard, Elnet a finalement fait son apparition dans le registre... cinq jours après notre sollicitation.
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Le 23 septembre, dans une interview au média en ligne Qualita, une chaîne destinée aux Français ayant immigré en Israël, le président d’Elnet-France, Arié Bensemhoun, se félicitait ouvertement de l’influence de son organisation sur le microcosme politique français.
« Je reste relativement optimiste sur la capacité de changer les paramètres du discours diplomatique, disait-il. D’un côté, il y a la diplomatie officielle, et de l’autre côté, il y a la diplomatie parlementaire. Je rappelle que l’immense majorité du parlement [français] soutient Israël […] dans son combat contre le Hamas et le Hezbollah, et c’est le résultat de décennies de travail qui a été fait par les uns, par les autres, nous y avons fait plus que notre part. »
De fait, depuis 2017, les débats sur le conflit israélo-palestinien ont peu à peu changé de ton dans une Assemblée nationale qui affichait jusque-là une ligne plutôt bienveillante à l’égard de la cause palestinienne, à l’unisson avec le Quai d’Orsay. Entre le vote, en 2019, d’une résolution visant à condamner tout discours « antisioniste » au motif qu’il serait automatiquement antisémite, le réquisitoire, en plein hémicycle, contre l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri en 2022, la démission du président du groupe France-Palestine, privé de parole lors d’un débat sur « l’apartheid » en Israël, et le « soutien inconditionnel » à l’État hébreu décrété par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet en 2023, c’est peu dire que l’ambiance a changé.
De là à y voir la main d’Elnet ? L’association n’a en tout cas pas chômé pour peser sur les représentations des parlementaires français ces dernières années. Interrogée par Mediapart, l’ONG indique « ne pas tenir les comptes », mais à en croire les déclarations officielles des députés et sénateurs – tenus de rendre publique « toute acceptation d’une invitation à un voyage émanant d’une personne morale ou physique dont ils ont bénéficié à raison de leur mandat » –, 55 voyages ont été organisés pour des députés et 46 pour des sénateurs depuis 2017.
À ces chiffres, s’ajoutent les allers-retours effectués mais non déclarés : en tout, une centaine de parlementaires sont ainsi partis en Israël avec Elnet devenue, de loin, la première organisation à faire de l’influence via des voyages de parlementaires.
Des aficionados dans la macronie et chez LR
Certains parlementaires sont même devenus des habitués d’Elnet. Côté macronistes, la députée Renaissance des Français d’Israël, Caroline Yadan, mais aussi sa collègue des Hauts-de-Seine Constance Le Grip ou encore le ministre des affaires européennes Benjamin Haddad ont fait plusieurs allers-retours. Fervents défenseurs du « droit d’Israël à se défendre » depuis le 7-Octobre, tous appartiennent au groupe d’amitié France-Israël et assument une forme de prosélytisme pro-israélien dans les rangs du camp présidentiel.
C’est également le cas de l’ex-présidente du groupe d’amitié France-Israël (de 2019 à 2023), aujourd’hui ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, qui fut l’une des toutes premières à profiter des voyages Elnet. En juillet 2018, juste après son entrée au Palais-Bourbon, la jeune députée des Yvelines faisait ainsi partie d’une délégation Elnet de trente et un parlementaires reçus pour une discussion qualifiée de « constructive » avec Benyamin Nétanyahou.
“C’est un honneur de faire partie de la délégation d’Elnet”
L’ex-député LR Pierre-Henri Dumont
Depuis, celle qui juge cette association « utile pour lutter contre le fléau de l’antisémitisme, ce d’autant plus dans ce moment où il refait surface », est repartie au moins deux fois avec Elnet. Dernier voyage en date, le 7 octobre 2024, pour les commémorations des attaques meurtrières du Hamas, en compagnie de ses collègues Caroline Yadan et Sylvain Maillard. Depuis les lieux du massacre du festival Nova, ils en ont profité pour défendre une position orthogonale à celle du ministère des affaires étrangères sur l’envoi des armes en Israël.
À droite encore, Elnet trouve plusieurs autres soutiens, tels le vice-président (UDI) du Sénat Loïc Hervé, Meyer Habib, « ami personnel » de Nétanyahou, mais aussi les élus LR Michèle Tabarot, Roger Karoutchi, Karl Olive – aujourd’hui proche d’Emmanuel Macron – ou Pierre-Henri Dumont. L’ancien président de la commission des affaires internationales de l’Assemblée – qui a perdu son siège en 2024 – n’a jamais hésité à se faire l’ambassadeur de l’organisation : « C’est un honneur de faire partie de la délégation d’Elnet », assurait-il récemment dans un message calibré, dûment relayé sur les réseaux sociaux par l’organisation.
A contrario, nombre de députés ne goûtent guère les sollicitations insistantes d’Elnet. Le député macroniste Ludovic Mendès rapporte avoir été approché par le PDG d’Elnet-France il y a deux ans, lors d’un dîner du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Mais « pas question d’aller où que ce soit avec un organisme financé par on ne sait qui et qui promeut une ligne religieuse ou politique, assure-t-il à Mediapart. Quand je vais en Israël, je veux par ailleurs pouvoir me rendre où je veux, y compris du côté palestinien ». Une ancienne députée proche de Gabriel Attal raconte également avoir refusé les propositions de l’ONG : « J’ai une éthique », dit-elle.
Dans les rangs socialistes, l’ex-députée Valérie Rabault et le député Jérôme Guedj, tous deux membres du groupe France-Israël à l’Assemblée, ont eux aussi décidé de ne pas répondre aux sollicitations d’Elnet, par peur des potentielles « ingérences ». Le député Liot (Liberté, indépendants, outre-mer et territoires), ancien vice-président du Palais-Bourbon chargé des questions de déontologies, David Habib a, quant à lui, décidé de jouer cartes sur table : il a effectivement réalisé un voyage avec Elnet, mais il a payé tous les frais de sa poche.
“C’est un peu comme les voyages en URSS dans les années 1930”
Christophe Marion, député macroniste
Reste enfin les participants qui acceptent les voyages mais disent ne « pas être dupes » sur ses objectifs. « Elnet fait du soft power et n’est clairement pas là pour porter un message critique sur Israël. Mais ces voyages restent intéressants », estime le macroniste Mounir Belhamiti, membre de la commission de la défense à l’Assemblée nationale, qui s’est rendu une fois en Israël au moment de la loi de programmation militaire, mais a refusé d’y retourner après le 7-Octobre.
Une position partagée par son collègue Christophe Marion, qui s’est rendu deux fois en Israël avec Elnet : « C’est un peu comme les voyages en URSS dans les années 1930, sourit-il, même si cela permet de mieux appréhender la situation complexe dans la région. Je n’ai pas de problème à y aller du moment qu’on ne me demande pas de porter des positions ensuite. » Pour autant, l’élu reconnaît qu’il se poserait probablement davantage de questions si l’organisation lui proposait de repartir aujourd’hui.
La cible de « l’extrême gauche »
Se définissant comme un « think tank du dialogue stratégique entre la France et Israël », Elnet assure se contenter de promouvoir « la démocratie, la liberté, la justice et la paix » de manière « indépendante » et « apolitique ».
De politique, Arié Bensemhoun, le président d’Elnet-France, ne parle pourtant que de cela. Que ce soit sur Radio J où il tient une chronique régulière, ou sur CNews, il est loin de porter un regard « apolitique » sur le conflit au Proche-Orient.
Ainsi, au lendemain de la décision des juges de la Cour pénale internationale (CPI) de délivrer un mandat d’arrêt international contre le premier ministre israélien, il écrit sur X : « Les accusations portées […] ne reposent sur rien, aucune preuve, si ce n’est les allégations mensongères des ONG à la solde des islamistes et des terroristes du Hamas et de l’autorité palestinienne […]. Comme autrefois devant les nazis, les nations se sont couchées devant les islamistes qui veulent détruire nos sociétés libres et démocratiques. »
Mi-septembre, alors que l’Unicef comptabilisait plus de 43 000 morts dont plus de 14 100 enfants dans la bande de Gaza, Arié Bensemhoun expliquait aussi, sur Radio J, que « les Palestiniens civils que l’on nous dit innocents ne sont pas tous innocents. Personne ne peut imaginer que les nazis aient pu faire tout ce qu’ils ont fait sans que tout ou partie du peuple ait été complice. C’est la même chose pour les Palestiniens de Gaza », affirmait celui qui, depuis un an, dénonce « les ONG vendues au Hamas ».
En France, il s’attaque aussi aux « islamistes », « extrémistes de gauche » et autres « wokistes ». « L’extrême gauche » reste en effet la cible privilégiée de l’ancien président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) de Toulouse (Haute-Garonne), à commencer par La France insoumise (LFI) et son « obsession anti-juive » qu’Arié Bensemhoun étrille à longueur d’éditos. Il y a quelques jours, c’est Dominique de Villepin qui en faisait les frais, comme en témoigne ce texte publié sur le site d’Elnet, après des déclarations de l’ancien premier ministre.
Le 16 octobre, le patron d’Elnet-France se permettait aussi d’envoyer une lettre ouverte à la présidente de l’Assemblée nationale pour réclamer « solennellement » à Yaël Braun-Pivet de « prononcer des sanctions disciplinaires » à l’encontre du vice-président du Groupe d’amitié France-Israël, Aymeric Caron.
L’Insoumis jouerait selon lui « un rôle cynique et prépondérant dans la légitimation de la haine des Juifs dans notre pays » pour avoir relayé des vidéos « non sourcées » des massacres à Gaza ou comparé l’armée israélienne au « monstre nazi ». D’après nos informations, Yaël Braun-Pivet a opposé une fin de non-recevoir au dirigeant d’Elnet. Son entourage a toutefois refusé de nous faire lire le courrier.
Paris 18-19 mai 2025, un RV à ne pas rater