Même en « temps
normal », 90 % de l’eau du robinet de Gaza est impropre à la consommation,
et la situation empire en temps de guerre.
Des Palestiniens
collectent de l’eau dans le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza,
pendant les bombardements israéliens du mardi 17 octobre 2023. Photo : Hatem
Moussa /AP
La famille
de mon amie M. a décidé de ne pas fuir vers le sud, mais de rester dans sa
maison du quartier de Tel al-Hawa, dans la ville de Gaza. Ils n’ont nulle part
où aller dans le sud, personne avec qui être, m’a dit M..
Il est
également difficile de partir avec une mère âgée et un fils handicapé en
fauteuil roulant, et de vivre avec eux dans l’une des écoles gérées par l’UNRWA
(l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de
Palestine), transformées en refuges pour des centaines de milliers de
personnes.
Selon les
estimations de l’ONU, plus d’un million de personnes ont été déracinées de
leurs maisons et ont fui vers la partie sud de la bande de Gaza, en raison des
bombardements directs, suivis de l’annonce par l’armée israélienne de l’obligation
d’évacuer les lieux. Mais il reste encore un nombre inconnu de familles qui,
comme celle de M., ont décidé de ne pas quitter la partie nord de la bande et
de rester chez elles. Certaines d’entre elles sont allées chercher refuge dans
les hôpitaux de Gaza, m’a écrit M., un jour avant que l’hôpital Al Ahli ne soit
touché.
« Ce
soir, nous avons été sauvés d’une trentaine de bombes et de missiles lancés sur
le quartier », m’a-t-elle envoyé par texto le matin du 16 octobre, avant
de poursuivre : « La Hajja (la mère de M.) dit : ‘Dieu soit loué, nous
avons encore une goutte d’eau à boire’ ».
Des Palestiniens
collectent de l’eau dans le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza,
pendant les bombardements israéliens, le 17 octobre 2023. Photo : AP Photo/Ali
Mohmoud
Même en
temps « normal », la bande de Gaza souffre d’une pénurie d’eau
chronique. Environ 90 % de l’eau des robinets n’est pas potable. La majorité
des 2,2 millions d’habitants dépendent de l’eau qui a été dessalée et purifiée
dans des installations spéciales et qui est vendue ou distribuée dans des
conteneurs et à des fontaines spéciales dans les villes. Seule une petite
catégorie de personnes peut se permettre d’acheter de l’eau minérale en bouteille.
La situation
s’aggrave pendant les guerres. Aujourd’hui en particulier, outre le danger
physique que représentent à chaque instant les bombardements israéliens, outre
la terreur, le deuil et la crainte constante du sort des parents et des amis,
la soif et la conscience de la nécessité de boire avec parcimonie sont
constamment présentes à l’esprit de chacun des habitants de la bande de Gaza.
L’annonce par Israël que « l’approvisionnement
en eau du sud de la bande a été renouvelé », à la demande des USA, environ
une semaine après que le ministre de l’énergie, Israel Katz, a ordonné l’arrêt
de toutes les fournitures d’électricité, d’eau et de carburant, a donné l’impression
erronée qu’il s’agissait d’un geste significatif. Mais ce n’est pas le cas.
Des Palestiniens
transportent leurs bouteilles d’eau après que les autorités israéliennes ont
cessé de leur fournir de l’électricité, de l’eau et de la nourriture, dans la
bande de Gaza, le 17 octobre 2023. Photo : Ali Jadallah / Anadolu via AFP
La
consommation annuelle d’eau à Gaza est d’environ 110 millions de mètres cubes.
Selon Gisha, le centre des droits de l’homme qui se concentre sur la situation
à Gaza et qui est en contact permanent avec les services des eaux des villes de
Gaza, cela représente environ 85 % de la quantité nécessaire aux besoins
humains.
Cette eau
provient de trois sources. La première est l’aquifère côtier, dont environ 85
millions de mètres cubes sont pompés chaque année grâce à quelque 300 forages
et puits. Il s’agit du seul réservoir d’eau de la bande de Gaza et il est pompé
à l’excès depuis des décennies, en raison de la croissance démographique. Cet
aquifère est contaminé par l’eau de mer et l’intrusion d’eaux usées ; son eau n’est
donc pas potable et doit être purifiée. Dans de nombreux endroits, elle n’est
même pas propre à la toilette. Très peu de personnes peuvent se permettre de se
laver avec de l’eau purifiée achetée.
Une deuxième source est
constituée par trois stations de dessalement de l’eau de mer établies grâce aux
dons de la communauté internationale et en collaboration avec l’Autorité
palestinienne. Elles produisent environ 8 millions de mètres cubes d’eau par an
et, en temps normal, approvisionnent environ 300 000 personnes dans la bande de
Gaza.
Des enfants
palestiniens remplissent des récipients d’eau provenant de robinets publics
pendant le conflit avec Israël à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza,
le 11 octobre 2023.Photo : REUTERS/Ibraheem Abu Mustafa
La troisième
source est l’eau de la compagnie nationale israélienne Mekorot. L’Autorité
palestinienne la paie (par le biais d’une déduction automatique des frais de
douane qu’Israël applique aux marchandises importées destinées à la zone
palestinienne). Il y a environ deux ans, la quantité achetée était de 15
millions de mètres cubes par an et, selon Gisha, à la veille de la guerre, la
quantité est passée à environ 18 millions de mètres cubes par an.
Mais l’utilisation
de ces trois sources d’eau dépend d’un approvisionnement régulier en électricité
et de la constitution de stocks de carburant pour faire fonctionner les
générateurs. Par conséquent, même en temps « normal » l’approvisionnement
en eau est irrégulier et n’est pas quotidien, car l’approvisionnement en
électricité ne répond pas non plus aux besoins de la bande de Gaza. Israël vend
à la bande 120 mégawatts d’électricité par jour.
Cet
approvisionnement a été interrompu sur les instructions de Katz dès le début de
la guerre. La centrale électrique locale, qui dépend du carburant, produit 60
mégawatts supplémentaires par jour et a cessé de fonctionner à la fin de la
semaine dernière. Le carburant utilisé par les propriétaires des grands
générateurs de quartier, qui fournissaient de l’électricité pendant plusieurs
heures par jour, est épuisé. (Les besoins quotidiens totaux de la bande de Gaza
sont d’environ 500 mégawatts).
Les trois
installations de dessalement de l’eau de mer ont également fermé, faute de
carburant et d’électricité - la dernière a fermé dimanche, selon le rapport de
l’ONU. Plusieurs installations privées ou publiques de purification de l’eau
disposent peut-être encore d’un stock de diesel pour leurs générateurs, mais il
sera lui aussi épuisé d’ici quelques jours, voire quelques heures.
Quant aux
camions qui livrent l’eau purifiée encore disponible, ils ont de plus en plus
de mal à atteindre les quartiers résidentiels car les routes sont bombardées. L’agence
de presse AP a rapporté qu’en l’absence d’électricité, la plupart des zones n’ont
pas d’eau courante, et l’eau qui coule du robinet environ 30 minutes par jour
est une eau salée, contaminée et impropre à la consommation. Les gens achètent
encore de l’eau dans les stations d’approvisionnement municipales, mais
celle-ci se raréfie également. Les bouteilles d’eau purifiée des magasins
encore ouverts s’épuisent.
Des
Palestiniens se rassemblent pour collecter de l’eau, dans un contexte de
pénurie d’eau potable, à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 15
octobre 2023.Photo : Mohammed Salem/REUTERS
Les Nations
unies ont confirmé que Mekorot avait repris l’acheminement de l’eau vers la
station de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. Gisha dit ne pas
savoir combien d’eau il y a, mais il n’y a aucun moyen de savoir quelle part de
cette quantité limitée atteint même les habitants, alors qu’il n’y a ni
électricité ni carburant. Tout cela est d’autant plus grave que les
infrastructures hydrauliques ont été endommagées par les bombardements.
Étant donné
que la plupart des habitants du nord de la bande s’entassent dans le sud par
tous les moyens possibles, la quantité d’eau qui se trouve dans les infrastructures,
ou que les familles stockaient dans des conteneurs sur le toit ou dans des
jerricans dans la maison avant la guerre, doit servir à deux fois plus de
personnes. Dans les écoles et les bâtiments publics où s’entassent des
centaines de déracinés du nord, le problème est bien plus grave.
En raison du
manque d’eau courante et de la promiscuité qui règne dans toutes les maisons et
tous les bâtiments publics remplis de réfugiés, les gens essaient d’utiliser
les toilettes le moins possible. C’est aussi une raison pour boire moins.
Les
habitants disent qu’ils essaient de boire environ un demi-litre par jour. Les
gens se douchent au maximum une fois par semaine. Dans les bâtiments publics,
il est également impossible de se doucher. En l’absence d’eau purifiée en
quantité suffisante, les hôpitaux sont obligés de nettoyer les plaies avec de l’eau
salée et polluée (quand il y en a).
Les installations de traitement
des eaux usées fermeront également bientôt, si ce n’est déjà fait, et les
quantités d’eaux usées qui s’accumuleront et créeront des lacs dans la bande et
se déverseront dans la mer augmenteront le risque de maladies et d’épidémies. C’est
pourquoi le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a qualifié la
crise actuelle de l’eau dans la bande de Gaza de question de vie ou de mort. En
début de semaine, il a prévenu que si le carburant et l’eau ne parvenaient pas
rapidement dans la bande de Gaza, « les gens commenceraient à mourir de
déshydratation sévère ».