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19/01/2025

GIDEON LEVY
“Il n’y a pas d’innocents à Gaza” : Réflexion sur la première guerre fasciste d’Israël

Gideon Levy, Haaretz  , 19/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

La guerre qui est censée se terminer dimanche entrera dans l’histoire comme la première guerre kahaniste*. Elle est fondamentalement différente de toutes les guerres précédentes d’Israël.

Amos Biderman, Haaretz, février 2022

La seule guerre qui lui ressemble est celle de 1948, qui a provoqué la Nakba, mais les motivations de cette guerre étaient différentes. Il s’agissait d’une guerre visant à établir un État juif ; il s’agit ici d’une guerre visant à établir un État fasciste. [cherchez la différence, NdT]

L’État kahaniste s'est érigé en Israël. La mollesse criminelle de Benjamin Netanyahou l’a rendu possible. Ce ne sont pas seulement les partis néo-nazis qui en sont responsables : c’est surtout le Likoud, le parti du Premier ministre, qui a porté le kahanisme au pouvoir.

Le changement profond qui s’est produit en Israël est parfaitement illustré par la guerre de Gaza. Presque tout dans cette guerre visait à apaiser l’extrême droite fasciste, raciste et favorable au transfert de population, et l’esprit du kahanisme a pris le contrôle de ses objectifs et de sa conduite. Ce n’était pas seulement l’ampleur de la cruauté de l’armée, c’était surtout la façon dont la cruauté était transformée en valeur dans la société israélienne dans son ensemble, en une opportunité, un atout, un miracle. La cruauté comme une chose dont on peut être fier, à laquelle on peut aspirer, dont on peut se vanter et dont on peut faire étalage.

Lors de ses précédentes guerres, Israël a également commis des actes odieux. Parfois, il a tenté de les nier, de les dissimuler et de mentir, parfois même il les a admis et en a eu honte. Pas cette fois-ci.

Cette fois-ci, le porte-parole des FDI présente fièrement l’ampleur des destructions et des tueries, les brandissant comme des exploits pour plaire à la droite kahaniste, qui est devenue le courant dominant.

Israël est devenu un État qui aspire à tuer et à détruire des Arabes uniquement pour tuer et détruire des Arabes. Ce n’était pas le cas auparavant, et il n’en était certainement pas fier. Il s’agit d’un changement profond, dont nous aurons du mal à nous défaire. Il laisse présager un avenir des plus sombres.

Lorsque Meir Kahane est apparu, il a amené avec lui un parti néo-nazi créé en Israël qui considérait les Arabes comme des chiens, dans le meilleur des cas. Israël a reculé devant lui. L’éthique du Mapai, qui consiste à « tirer et pleurer », prévalait encore ici, à côté de l’impartialité du Likoud. Menahem Begin, ainsi que le premier gouvernement Netanyahou, l’ont préservée. L’effondrement a commencé avec le deuxième gouvernement Netanyahou et a atteint son apogée dans le gouvernement actuel. De tous ses crimes, celui-ci est le plus grand et le plus impardonnable. Dans un premier temps, le fascisme a été légitimé et blanchi.

Des voix qui n’avaient jamais été considérées comme légitimes ont infiltré la politique et les médias. Bientôt, elles n’étaient plus seulement légitimes, elles étaient la voix des masses israéliennes, mais aussi celle du gouvernement et de l’armée. À la radio et à la télévision, les gens disaient « Il n’y a pas d’innocents à Gaza » et parlaient du droit et du devoir (heureux) de tuer tout le monde, avec la même aisance qu’ils discutaient du temps qu’il fait.

Desjournalistes chevronnés ont révélé les opinions qu’ils avaient cachées lorsqu’ils ont réalisé qu’elles étaient non seulement permises, mais aussi bénéfiques pour eux. D’Amit Segal et Zvi Yehezkeli à Almog Boker, des fascistes sont nés. Un tel discours n’existait tout simplement pas en Israël auparavant et n’a sa place dans aucune démocratie. Pendant ce temps, les voix anti-guerre ont été réduites au silence ; même la compassion et l’humanité ont été interdites. La prise de contrôle de la conversation publique était achevée.

Pendant les longs mois de la guerre, le kahanisme est devenu la voix dominante d’Israël et de son armée. Il n’y a plus de différence entre les commandants issus du sol pourri des colonies et leurs homologues du « bel » Israël : tous faisaient tout dans l’esprit de Kahane, sans exception et sans dissidents. Le but était de plaire à Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir. Il suffit de leur donner la quantité infinie de sang qu’ils réclament.

Un accord sur les otages a été reporté pendant des mois, Gaza a été complètement détruite, des zones entières ont été nettoyées et des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, tout cela pour satisfaire l’esprit de Kahane et de ses représentants terrestres au sein du cabinet.

Il est ironique que la première guerre de Kahane se termine maintenant avec le retrait de la coalition gouvernementale d’Otzma Yehudit, dont le chef a déjà promis de revenir lorsque le génocide reprendra. Mais le bouleversement est terminé, il n’y a plus besoin de Ben-Gvir et de ses semblables. Netanyahou et le Likoud sont suffisamment kahanistes pour continuer à poursuivre la vision de Kahane ; il n’y a même plus besoin de gribouiller « Kahane avait raison » sur les murs.

NdT

*Meir Kahane (1932-1990) : rabbin fasciste de Brooklyn, fondateur de la Ligue de défense juive puis du parti Kach, interdit en 1994 en Israël pour « terrorisme et racisme ». Ben-Gvir et Smotrich sont ses disciples.


04/04/2023

RUTH MARGALIT
Itamar Ben-Gvir, ministre israélien du Chaos

Ruth Margalit, The New Yorker, 27/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que des troubles agitent le pays, une figure controversée de l’extrême droite aide Benjamin Netanyahou à se maintenir au pouvoir.

À la fin de l’année dernière, alors qu’Israël inaugurait le gouvernement le plus à droite de son histoire, une blague désespérante a circulé en ligne. Une image divisée en carrés ressemblant à un captcha - le test conçu pour vous différencier d’un robot - représentait les membres du cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahou. La légende disait : « Sélectionnez les carrés dans lesquels apparaissent les personnes qui ont été inculpées ». La bonne réponse concernait la moitié d’entre eux. C’était le genre de message qui est devenu typique du centre et de la gauche israéliens ces dernières années : sombre, cynique et finalement résigné.

Quelques semaines plus tard, le cabinet Netanyahou a présenté la première étape d’une refonte judiciaire qui affaiblirait la Cour suprême du pays et rendrait le gouvernement largement imperméable au contrôle. Les députés de droite avaient déjà proposé une mesure similaire, mais elle avait été jugée trop radicale. Ce qui a changé, selon les opposants à Netanyahou, c’est qu’il est désormais accusé d’avoir accordé des faveurs politiques à des magnats en échange de cadeaux personnels et d’une couverture médiatique positive, accusations qu’il nie. En supprimant les contraintes qui pèsent sur le pouvoir exécutif, la refonte menaçait de placer Israël dans les rangs de démocraties peu libérales telles que la Hongrie et la Pologne. Dans un discours extraordinairement brutal, la présidente de la Cour suprême du pays, Esther Hayut, l’a qualifiée de “coup fatal” porté aux institutions démocratiques. Depuis lors, des dizaines de milliers de manifestants se sont déversés dans les rues de Tel-Aviv et d’autres villes chaque samedi. La pancarte d’un manifestant résume le sentiment général : « À vendre : Démocratie. Modèle : 1948. Sans freins ».

Netanyahou dirige le Likoud, un parti qui se définit par des idées conservatrices et populistes. Le Likoud a longtemps adopté des positions dures en matière de sécurité nationale, mais ses dirigeants ont toujours vénéré l’État de droit, maintenu l’équilibre des pouvoirs et défendu la liberté d’expression. Netanyahou avait lui aussi l’habitude de courtiser les électeurs centristes, en tentant de convaincre les indécis. Mais l’échec des négociations de paix avec les Palestiniens et la montée en puissance du nationalisme religieux ont eu pour effet de ratatiner la gauche israélienne et de rendre le parti de Netanyahou plus extrémiste. Récemment, un député du Likoud a présenté une proposition qui interdirait à de nombreux hommes politiques palestiniens de se présenter à la Knesset.

Les manifestants avertissent que les titres des journaux israéliens commencent à ressembler à un manuel pour les futures autocraties, avec des ministres apparemment triés sur le volet pour saper les services qu’ils dirigent. Le nouveau ministre de la Justice a l’intention de priver le système judiciaire de son pouvoir. Le ministre des Communications a menacé de défaire le radiodiffuseur public israélien, espérant apparemment canaliser l’argent vers une chaîne favorable à Netanyahou. Le ministre des Affaires de Jérusalem et des Traditions a qualifié les organisations représentant les juifs réformés de “danger actif” pour l’identité juive.

Ben-Gvir a bâti sa carrière sur la provocation. En tant que ministre de la sécurité nationale, il supervisera ce qu’un fonctionnaire appelle une “armée privée”. Illustration de Yonatan Popper

Cependant, personne n’offense les Israéliens libéraux et centristes autant qu’Itamar Ben-Gvir. Entré à la Knesset en 2021, il dirige un parti d’extrême droite appelé Otzma Yehudit, Pouvoir juif. Son modèle et sa source idéologique sont depuis longtemps Meir Kahane, un rabbin de Brooklyn qui s’est installé en Israël en 1971 et qui, au cours d’un seul mandat à la Knesset, a testé les limites morales du pays. Les hommes politiques israéliens s’efforcent de concilier les identités d’Israël en tant qu’État juif et que démocratie. Kahane a affirmé que « l’idée d’un État juif démocratique est absurde ». Selon lui, les tendances démographiques allaient inévitablement faire des non-Juifs d’Israël une majorité, et la solution idéale était donc « le transfert immédiat des Arabes ». Pour Kahane, les Arabes étaient des “chiens” qui “doivent rester tranquilles ou dégager”. Sa rhétorique était si virulente que les députés des deux bords avaient l’habitude de quitter la Knesset lorsqu’il prenait la parole. Son parti, le Kach (Ainsi), a finalement été exclu du parlement en 1988. Pouvoir Juif est une émanation idéologique du Kach ; Ben-Gvir a été l’un des responsables de la jeunesse du Kach et a qualifié Kahane de “saint”.

Âgé de quarante-six ans, il a été condamné pour au moins huit chefs d’accusation, dont le soutien à une organisation terroriste et l’incitation au racisme. Son casier judiciaire est si long que, lorsqu’il comparaissait devant un juge, « nous devions changer l’encre de l’imprimante », m’a dit Dvir Kariv, un ancien fonctionnaire de l’agence de renseignement Shin Bet. En octobre dernier encore, Netanyahou refusait de partager la scène avec lui, ou même d’être vu avec lui sur des photos. Mais une série d’élections décevantes a convaincu Netanyahou de changer d’avis.