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22/07/2022

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
La « nouvelle définition » de l'antisémitisme : un tour de passe-passe idéologique

Luis E. Sabini Fernández, Revista Futuros, 21/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

« L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. […] L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. »

Une fois de plus, l'Argentine devient le siège de potentialités opposées. Les abus féodaux au milieu du XXe siècle contre les "travailleurs des champs" ont généré une résistance qui à son tour a été noyée par des exécutions massives par l'armée et des enterrements sommaires en Patagonie argentine...

La dictature de 1976, avec le traitement impitoyable des persécutés et le commerce de leur progéniture, a donné lieu à la redoutable revendication des mères et grands-mères de disparus et que la résistance sociale a pris une telle ampleur qu'elle atteint les enfants des disparus et, dans un nouvel élargissement de la conscience sociale et morale, aux enfants de responsables de disparitions. Et une revendication chauvine, par exemple, a servi à mettre enfin à nu une dictature encore plus atroce que les précédentes et, en sens contraire, à sensibiliser aux droits humains et contre les abus (par exemple, des hauts gradés contre les soldats du rang).

En Argentine, l'enquête sur deux événements atroces - l'attentat à la bombe contre l'ambassade d'Israël (1992) et l'attentat à la bombe contre l'AMIA (1994) - n'a jamais progressé ; les indices qui auraient dû être recueillis sur place par la police locale semblent avoir été rares et peu fiables, et l'arrivée immédiate d'autres agences de sécurité, israéliennes, usaméricaines, ne semble pas avoir éclairci le tableau, bien au contraire...

En commémoration du 28e  anniversaire de l’attentat contre l'AMIA et de la mort de 85 êtres humains dans l'effondrement, un « Forum latino-américain de lutte contre l'antisémitisme » a été tenu les 17 et 18 juillet à Buenos Aires, au siège de l'AMIA. « Pour travailler ensemble contre les discours de haine », a déclaré Claudio Epelman, l'un des organisateurs.

Lors de la réunion, une envoyée usaméricaine, Deborah Lipstadt, fonctionnaire du département d'État qui se présente comme une spécialiste de l'antisémitisme, a déclaré : « Comme si l'antisémitisme ne touchait que les Juifs [...] Mais l'antisémitisme est bien plus que cela » (ce commentaire explique peut-être l'inexplicable "ou non-juifs" dans la définition de l'antisémitisme de l'IHRA que nous avons mise en épigraphe).

Lipstadt a été rejointe par son homologue à l'OEA, Fernando Lottenberg. Invité principal, Jimmy Morales, ancien président du Guatemala.  Étaient également présents la vice-ministre des Affaires étrangères du Salvador, Adriana Mira, et une juge de la Cour constitutionnelle de Colombie, Cristina Pardo. Roy Cortina [Parti socialiste argentin] et Victoria Donda [fille de disparus argentins, directrice de l'Institut national contre la discrimination, la xénophobie et le racisme, fondatrice du parti Somos, membre du Frente de Todos] étaient parmi les participants locaux.

Le forum était une initiative du Congrès juif latino-américain et du ministère des Affaires étrangères de l'État d'Israël, en collaboration avec la Latino Coalition for Israel [sic] et le Combat Antisemitism Movement (CAM).

Cet événement nous permet d'examiner ses fondements idéologiques ; une identification entre le combat contre l'antisémitisme et la défense de l'État d'Israël.

La rareté des données sur l'atrocité de l'AMIA ne nous permet même pas de connaître sa nature, à savoir s'il s'agissait d'un acte terroriste et antisémite ou si c'était le fruit (pourri) de la géopolitique ; un acte anti-israélien (ou "tout en un").

Alors que ce Forum était annoncé, au cours de cette même deuxième semaine de juillet, les 14 et 15, une réunion a eu lieu à Buenos Aires et sur zoom, le « Forum international pour la Palestine », mettant sur le tapis le plus long conflit de notre époque - qui a commencé à la fin du XIXe siècle et se poursuit, entraînant le peuple palestinien dans une vicissitude de près d'un siècle et demi – entre les mains du sionisme.

Les deux rencontres, de portée clairement internationale, étaient parallèles, il n'y avait pas de croisement, ou dirions- nous géométriquement, elles se croiseront à l'infini.

Y a-t-il des raisons pour un tel croisement ?

Bien sûr qu'il y en a.

Parce que le Forum latino-américain contre l'antisémitisme "garde un cadavre dans le placard".


Galit Ronen, ambassadrice d'Israël en Argentine, a souligné l'énorme importance pour l'État sioniste d'aborder la question de l'antisémitisme dans une perspective multifocale : « ce fléau n'est pas le patrimoine d'un seul pays [...]. Israël travaille activement à la promotion d'un langage de rencontre qui ne laisse aucune place à l'irrationalité que la judéophobie expose encore aujourd'hui ».

Ronen essaie de nous faire croire - elle le croit sans doute elle-même - que la rationalité guide le comportement israélien : mais un examen rapide des actions du terrorisme sioniste pendant une grande partie de la première moitié du 20e  siècle, appliquées pour "nettoyer la terre sainte" suffit : faire sauter des bus, des hôtels, des véhicules stratégiquement abandonnés avec des explosifs, des marchés avec leurs acheteurs et vendeurs pacifiques, des commerces palestiniens dans les quartiers, toujours avec une population directement victime.

Le terrorisme sioniste s'étant développé sous l'administration britannique du territoire palestinien, dans l'attente de son destin politique (car les Arabes palestiniens, musulmans et chrétiens d'une part, et les Juifs sionistes d'autre part, revendiquaient la terre), ces attentats meurtriers avaient tendance à viser une immense majorité de la population locale, mais pouvaient aussi atteindre - parfois intentionnellement - comme ce fut le cas avec l'attentat à la bombe contre l'hôtel King David à Jérusalem, des Britanniques, des étrangers et même des Juifs. Lorsque l'Empire britannique a décidé de se défaire d'une "administration" coloniale aussi conflictuelle, les Juifs sionistes installés en Palestine (à ne pas confondre avec les Juifs non sionistes, installés bien avant, sans revendication territoriale, et liés depuis des temps immémoriaux aux autres populations du lieu), farouchement organisés, sont devenus juges et parties de l'ordre interne et là, les violations des droits humains de la population palestinienne ont atteint des sommets d'abus, d'enlèvements et d'assassinats collectifs.

Ronen cherche à supprimer l'irrationalité (qu'elle lie à juste titre à l'antisémitisme, et qui est génériquement liée à tout racisme). Mais elle ne peut le faire en ignorant ou en cachant ce passé indélébile, qui est dans la matrice de l'État d'Israël. Parce que c'est tellement dans sa matrice que le traitement des Palestiniens dans la seconde moitié du XXe siècle (et qui se poursuit encore aujourd'hui) continue d'être d'une irrationalité, d'un manque d'équanimité, d'un abus, d'un mépris extrêmes, et à si haute dose, que ce parti pris, privé de tout caractère démocratique, a gangrené la conscience israélienne elle-même (bien qu'occasionnellement, par le biais d'Israéliens réfractaires à cette histoire, un rejet digne mais impuissant de l'outrage et du massacre des Palestiniens germe).

On peut se demander comment combattre l'irrationalité, alors que le sionisme, précisément, a fusionné un rédemptionnisme biblique, et donc anhistorique, avec une main de fer qui l'a jumelé - dans son traitement des autres - avec le nazisme, rien de moins.

C'est la plaie ouverte qu'aucun forum contre l'antisémitisme ne peut guérir.