Traduit par Ayman El Hakim
Dans les documents des assassins et les carnets des bourreaux, dans les archives des services de renseignement de l’armée de l’air, son numéro était : 9077.
Un numéro sur son front, un numéro dans leurs registres, un numéro dans les listes interminables de la mort.
Mais ce n’était pas qu’un numéro... c’était mon père, Khaled Alian.
C’était un
homme simple qui aimait la vie, portait la bonté dans son cœur et avait
toujours le sourire aux lèvres. Il n’était pas un politicien, il ne portait pas
d’arme, mais l’identité de la ville de Darayya était une
charge à elle seule.
Il se
trouvait dans un pays dirigé par un criminel, et dans un pays où votre religion
et votre ville déterminent votre destin.
En 2012, ils
l’ont arrêté pour la première fois. Ils l’ont pris parmi nous, sans raison,
sans procès, sans explication. C’était peut-être juste un reportage qui lui a
rapporté quelques livres, et la part de mon père s’est résumée à des
gémissements.
Lorsqu’il
revint des mois plus tard, il n’était plus le même homme.
Il regardait
au loin, comme s’il voyait quelque chose que nous ne pouvions pas voir. Il
errait et réfléchissait beaucoup, comme s’il n’était jamais vraiment sorti de
là, comme si son âme était piégée dans les murs des cellules. Il essayait de
redevenir lui-même, il essayait de rire avec nous, mais quelque chose était
brisé en lui, et nous ne pouvions pas le réparer.
Avant que
son corps ne se remette complètement de cette arrestation, ils l’ont arrêté des
mois plus tard, à nouveau en 2013, sur un marché de Damas, après que nous avions
fui Daraya, échappant aux massacres, sans lui poser une seule question, sans
nous donner l’occasion de lui dire au revoir.
Nous l’avons
attendu longtemps... jour après jour, mois après mois, et deux années entières,
rêvant du moment où il reviendrait, arriverait de loin, nous sourirait,
ouvrirait la porte et dirait : je suis en retard.
Mais les
portes qui emportent les êtres chers en Syrie ne les ramènent jamais.
Il est sorti
et n’est jamais revenu, comme si la terre l’avait avalé. Nous n’avions aucune
certitude, aucune mort à pleurer, aucune vie à attendre, seulement un vide
mortel et des possibilités infinies.
Nous l’avons
attendu pendant deux ans, mais il n’a pas attendu... Il est mort au bout de
quinze jours seulement, comme c’était écrit sur son front.
Il est mort
là, entre les murs froids, dans les cellules sans soleil, sous les fouets
impitoyables, sous leurs poings insatiables de sang. Il n’est pas mort d’une
mort naturelle, mais d’une mort provoquée par des mains criminelles, des mains
qui ne considèrent pas l’être humain comme autre chose qu’un numéro à effacer
après qu’il a joué son rôle dans le tourbillon de la torture et le jeu de la
mort.
Il est mort
dans les prisons d’Assad, comme des dizaines ou des centaines de milliers d’autres
dont on découvre encore les charniers, aux mains des assassins qui ont gouverné
la Syrie par le feu et les prisons.
Lorsque les
photos de César ont été divulguées en 2015, je l’ai vu... J’ai vu mon père pour
la première fois après toutes ces années.
Mais il n’était
plus l’homme que je connaissais, plus avec sa voix, plus avec sa démarche, plus
avec son rire.
C’était un
corps allongé dans la terre parmi les piles de cadavres, dans des vêtements
poussiéreux, avec un visage et un corps épuisés par la torture, avec son numéro
sur le front, attendant que ceux qui l’entouraient l’emmènent au cimetière.
Je l’ai vu sur la photo, et je ne pouvais pas le laisser là, je ne pouvais pas laisser cette photo être sa fin, alors j’ai essayé de changer la scène d’une main tremblante.
J’avais
besoin de le voir sur une photo digne de lui, dans un endroit plus clément, à
la lumière du soleil qu’il n’avait jamais vu avant sa mort, sur de l’herbe
verte, dans un linceul propre. Je voulais m’excuser auprès de lui pour la
cruauté qu’il avait subie.