Gideon Levy, Haaretz, 8/6/2025
La terrible accusation de meurtre rituel impliquant du sang, de la farine et des mensonges est gravée à jamais dans l’histoire du peuple juif. Aujourd’hui, le récit s’est inversé : il est désormais question de sang, de farine et des mensonges d’Israël.
Le sang et la farine sont visibles sur une photo prise à Gaza et publiée ce week-end : on y voit un cadavre mutilé recouvert de farine mélangée au sang, formant une pâte rose horrible. Le visage du défunt est recouvert d’une veste en lambeaux ; il fait partie des dizaines de personnes tuées dans le centre de distribution alimentaire de Gaza que les Forces de défense israéliennes ont transformé en une nouvelle zone de mort.
Les mensonges sur le sang et la farine ont été colportés par le porte-parole de l’armée israélienne et ses complices serviles : la plupart des correspondants militaires israéliens. Une enquête menée par Haaretz, qui s’est appuyée sur des images vidéo, des témoignages oculaires et des modifications apportées à la version des faits donnée par l’armée, a déterminé que l’armée israélienne était responsable des tirs qui ont tué des dizaines de personnes. Une enquête menée par CNN a également réfuté ces mensonges, un par un. Il ne nous reste donc que le sang, la farine et les mensonges. Nous ne pouvons pas rester silencieux.
Dimanche dernier, des dizaines de personnes ont été abattues dans la file d’attente pour recevoir de la nourriture. Le porte-parole de l’armée israélienne a affirmé que cet incident mortel « n’avait tout simplement pas eu lieu » ! Qu’il ait eu lieu ou non, au moins 35 personnes ont été tuées et 170 blessées dans une file d’attente remplie de désespoir.
Dans la matinée, l’armée israélienne a tenté de prétendre que ses forces n’avaient pas tiré sur des civils à proximité ou à l’intérieur du site d’aide, mais dans la soirée, elle a admis que des soldats avaient tiré des « coups de semonce » à environ 1 kilomètre (1 100 mètres) du centre d’aide et qu’« il n’y avait aucun lien avec les décès survenus dans la zone ».
Des secouristes palestiniens arrivent en ambulance pour évacuer des blessés après qu’un drone israélien aurait ouvert le feu sur un rassemblement de civils près d’un centre de distribution d’aide humanitaire, dimanche. Photo : Eyad Baba/AFP
Les mensonges sont devenus des insultes à l’intelligence. L’endroit où les personnes ont été tuées se trouvait dans ce qui était défini comme la zone du complexe. La fondation qui gère le centre s’est jointe à la campagne de dissimulation : « Ces fausses informations ont été activement propagées par le Hamas. »
Quiconque a suivi de bonne foi les événements à Gaza savait dès le début que ce sont les soldats qui ont massacré les civils affamés, à moins que ces derniers ne se soient suicidés en masse.
Depuis le meurtre de la journaliste palestino-usaméricaine Shireen Abu Akleh en Cisjordanie en 2022, en passant par le meurtre de 15 ambulanciers à Rafah en mars, et jusqu’à ce massacre, il est déjà clair que les déclarations du porte-parole de l’armée israélienne doivent être considérées comme fausses jusqu’à preuve du contraire. Un cas rare.
En matière de crimes de guerre, la probabilité d’entendre un mot de vérité de la part de l’armée israélienne, surtout dans les heures qui suivent l’incident, alors qu’il est encore possible de répandre des mensonges, est négligeable, voire inexistante. Israël et ses médias ne s’en soucient guère ; après tout, tout le monde veut vivre dans le mensonge agréable et addictif de la moralité militaire.
Des Palestiniens transportent des provisions de la Fondation humanitaire de Gaza dans le sud de la bande de Gaza en mai. Photo : Hatem Khaled/Reuters
Mais cette fois-ci, ça n’a pas fonctionné. L’enquête menée par Jeremy Diamond et ses collègues de CNN a porté un coup dur aux mensonges de l’armée et des médias israéliens. Nir Dvori – un nom israélien générique pour un journaliste israélien générique – devrait apprendre les bases du journalisme auprès de Diamond. Assiste au moins à un cours d’introduction, afin de commencer à comprendre ton rôle en tant que journaliste.
Même Ilana Dayan pourrait apprendre une chose ou deux de Diamond en matière d’enquête : le journalisme d’investigation ne consiste pas seulement à susciter des émotions patriotiques et militaristes auprès du public, surtout en temps de guerre. Pas une seule enquête du type de celles menées par CNN n’a été diffusée à la télévision israélienne.
Diamond a présenté 17 témoignages oculaires, l’examen balistique des munitions trouvées dans les corps des morts et l’analyse des bruits des coups de feu, qui prouvent tous que les tirs provenaient exclusivement de mitrailleuses appartenant à l’armée israélienne. Des témoins oculaires ont rapporté avoir été pris pour cible depuis des chars, des hélicoptères, des drones et la mer. Même l’imagination la plus « levantine » ne pourrait attribuer ce massacre à quelqu’un d’autre que l’armée israélienne. Mais l’armée israélienne a ignoré le bruit de fond qui, de toute façon, n’était entendu qu’à l’étranger, et a continué à massacrer les affamés.
Ameen Khalifa, qui dimanche rampait sur le sable, terrifié par les coups de feu, et déclarait à CNN : « Nous apportons notre nourriture, trempée de sang, nous mourons de faim », a été abattu mardi, deux jours plus tard. Il avait 30 ans et mourait de faim. Cette fois, l’armée a inventé un nouveau mensonge : les soldats se sont sentis menacés. La distribution de nourriture, qui s’était transformée en distribution de sang, a été suspendue pendant quelques jours.
S’il n’y a pas de farine, alors mangez du sang, chers Gazaouis, du sang, de la farine et des mensonges.