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25/05/2025

GIDEON LEVY
N’y aura-t-il pas un seul Israélien pour dire : “Mettez fin à la guerre pour le bien de Gaza” ?
Il n’y a pas un seul juste à Sodome

Gideon Levy Haaretz, 25/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En Israël, il y a plus de quelques politiciens et personnalités publiques qui appellent à mettre fin à la guerre. Il y a beaucoup de gens qui se battent courageusement pour la libération des otages. Beaucoup d’autres souhaitent ardemment que le gouvernement actuel soit renversé. Certains craignent pour la position internationale d’Israël, qui devient un État paria. Beaucoup s’inquiètent également des conséquences de l’ostracisme d’Israël et de ses coûts économiques et sociétaux. 

Des personnes en deuil assistent aux funérailles de Palestiniens tués lors de frappes israéliennes, à l’hôpital Nasser, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi. Photo : Hatem Khaled/ REUTERS

Et il n’y a pas un seul juste à Sodome. Rares sont ceux qui s’inquiètent publiquement non seulement de la réputation et de la moralité d’Israël, mais aussi et surtout du sort des habitants de Gaza.

Aucune personnalité israélienne ne voit son sommeil troublé par les enfants qui hurlent de terreur et de douleur dans les hôpitaux, par les personnes âgées qui sont transportées d’un endroit à l’autre dans des charrettes tirées par des ânes et par l’élimination de familles entières, l’une après l’autre.

La souffrance de Gaza est un bruit secondaire dans la conversation publique, un bruit de fond dans un tout autre débat. Même les meilleurs d’entre nous ne s’intéressent qu’aux implications de la guerre pour Israël.

La voix humaine est absente ; l’humanisme est mort. Il est complètement absent de la politique ; la plupart des intellectuels ont été frappés de mutisme, et il n’y a aucune allusion à cela dans les médias. Il n’y a pas un seul Yeshayahu Leibowitz, Janusz Korczak ou Bertrand Russell pour crier : cela doit cesser quel qu’en soit le prix, à cause de ce que Gaza a subi. L’ensemble de la société israélienne n’a pas l’humanité élémentaire pour être ébranlée par la souffrance des pires victimes.

Le choc humain provoqué par ce qui s’est passé le 7 octobre n’a pas été remplacé par un choc similaire provoqué par ce qu’Israël fait à Gaza. Comment cela se fait-il ? Parce que nous sommes juifs et qu’ils ne le sont pas ? La bonté humaine ne peut-elle pas franchir les frontières et estomper les affinités nationales face à la destruction ? « Ne nous dérangez pas, nous sommes encore au 7 octobre ».


Des enfants palestiniens attendent devant un camion de distribution de repas chauds dans un camp de déplacés près du port de la ville de Gaza, jeudi.
Photo Omar Al Qattaa/AFP

 Mais depuis, nous avons commis mille 7 octobre qui n’ont pas réussi à toucher le cœur des Israéliens. Les médias traîtres aident en effet les gens à ne pas voir les horreurs. Mais même sans les médias, on peut savoir qu’une catastrophe épouvantable est en train de se produire là-bas grâce à notre travail.

Les protestations contre ça ne sont pas entendues ici. Les causes de cette situation sont nombreuses, mais rien ne la justifie. Il est évident que les gens se soucient davantage de leurs propres concitoyens, et chaque nation s’occupe d’abord de son propre peuple. Mais ça ? Dans quelle mesure ? Lorsqu’il y a quelques jours, j’ai montré à une parente une horrible vidéo de Gaza, elle m’a demandé machinalement : « Tu es sûr que ce n’était pas une vidéo truquée ? ». Rien ne fissurera le mur de protection que les Israéliens ont construit autour d’eux. Rien à Gaza ne suscite la moindre culpabilité. Nous n’avons même pas le genre de protestation qui a secoué les USA pendant des années, celle contre la guerre du Viêt Nam. Il n’y a pas d’Eugène McCarthy qui se présente avec un programme anti-guerre.

Prenons l’exemple de l’article d’Orna Rinat, paru jeudi en hébreu, qui est peut-être l’article le plus dérangeant publié en Israël au sujet de la guerre. A-t-il fait des vagues ? Où est la personne qui montera sur les podiums pour dire que l’horreur doit cesser avant tout en raison de la souffrance des habitants de Gaza, et au diable toutes les autres considérations savantes ?

L’ancien Premier ministre Ehud Barak, l’un des leaders du mouvement de protestation, a écrit jeudi un autre essai mordant appelant à la fin de la guerre. Je l’ai lu deux fois. Il n’y a pas la moindre trace de compassion ou de sympathie humaine pour la bande de Gaza. La dernière chose qui intéresse Barak, c’est la souffrance qui y règne. Il a de nombreuses explications sur les raisons pour lesquelles la guerre doit être arrêtée. Il parle même de la nécessité d’une « aide humanitaire », principalement pour apaiser le monde. Mais où sont les protestations contre les destructions ?

L’éditorial de l’ancien Premier ministre Ehud Olmert dans le même numéro était à la fois plus courageux et plus humain.

À l'époque de l'apartheid en Afrique du Sud, les Juifs blancs se sont engagés dans la lutte, oui, la lutte contre l'apartheid, aux côtés des Noirs. Ils ont été blessés, emprisonnés pendant des années et sont même morts. En Israël, il n'y a même pas quelqu'un pour exprimer la douleur des victimes.

La guerre doit cesser avant tout parce qu'il s'agit d'une guerre de destruction, qui cause des souffrances inhumaines à la population de Gaza. Il n'y a personne en Israël qui puisse l'exprimer en ces termes.


24/05/2025

GIDEON LEVY
Les chefs militaires israéliens ne font pas qu’“obéir aux ordres”. Ils auraient pu empêcher le massacre de Gaza

Gideon Levy Haaretz, 22/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les forces de défense israéliennes ont tué des milliers d’enfants et de bébés dans la bande de Gaza. Que ce soit par hobby ou à dessein, en tant que profession, ou que ce soit intentionnellement ou par erreur, les FDI sont une armée responsable de massacres d’enfants, de femmes et de personnes âgées, et personne dans le monde ne peut le nier.


Il faut donc être reconnaissant à Yair Golan, le chef du parti israélien Les Démocrates, pour la vérité qu’il a exprimée, alors que cette vérité aurait dû être évidente. Les protestations qu’il a suscitées, du chef de l’opposition Yair Lapid au ministre des finances d’extrême droite Bezalel Smotrich, n’ont fait qu’attester du fait que la vérité elle-même est devenue un sujet de controverse en Israël.

Cependant, dans le sillage de cette agitation, l’ancien général de Tsahal Golan, un homme censément courageux et honnête, s’est empressé de convoquer une conférence de presse pour « expliquer » sa déclaration évidente, enterrant ainsi une partie de la vérité qu’il avait exposée et enterrant le courage dont il avait fait preuve. Golan s’est empressé d’absoudre l’armée de toute faute. Général un jour, général toujours ; sioniste de gauche un jour, sioniste de gauche toujours : le cœur et l’intégrité de Golan ne vont pas au-delà de blâmer la responsabilité du gouvernement. Blâmer l’armée pour avoir tué des enfants est au-delà de ses capacités. Il n’est pas un vrai leader de gauche. Tout espoir en ce sens, s’il a jamais existé, a été dissipé.

« Je tiens à être clair. Ma critique ne s’adresse en aucun cas à l’armée. Je le répète : mes critiques s’adressaient au gouvernement, pas à Tsahal », a déclaré Golan lors de la conférence de presse, et la vache sacrée n’a pas été souillée. Contrairement à la droite, qui a depuis longtemps le courage d’attaquer l’armée et de souiller sa répugnante sainteté, la gauche n’en est pas là. Elle croit encore aux généraux. La gauche regorge de généraux et est imprégnée du caractère sacré de l’armée.

Les milliers d’enfants de Gaza qui sont morts ont été tués par le gouvernement. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou avec son « canon sacré », le ministre de la défense Israel Katz dans le cockpit d’un F-35I, la ministre des transports Miri Regev pilotant un drone suicide, le ministre des affaires étrangères Gideon Sa’ar dans un hélicoptère d’attaque et le ministre des communications Shlomo Karhi dans un véhicule d’artillerie mobile. Ils ont bombardé ces enfants sans pitié. Selon Golan, ils sont les seuls à blâmer. Les mains des pilotes sont propres, tout comme celles des artilleurs. Même les mains de l’état-major sont aussi pures que la neige vierge. Il s’agit d’une tromperie lâche. Elle témoigne également d’une attitude autoritaire à l’égard de Tsahal, qui se transforme en une armée de soldats robotisés et zombies, qui ne font qu’exécuter automatiquement les ordres du gouvernement.

Non, Yair Golan. Les enfants de Gaza ont été tués par tes collègues et amis, les soldats et les pilotes. Ce sont eux qui commettent ces crimes. Ils le font depuis 19 mois sans aucune insubordination, certains avec un enthousiasme évident, d’autres avec une obéissance aveugle. Ils ne sont peut-être que des sous-traitants qui exécutent la mission - et il est douteux que ce soit le cas - mais ils ont les mains couvertes de sang. Ils ne peuvent être exonérés de toute responsabilité.

Sans les FDI, le massacre de Gaza n’aurait pas eu lieu, même si le gouvernement l’avait voulu. Les ordres de combat pour cette opération incluent des crimes de guerre, formulés par l’armée comme faisant partie de ses objectifs. Ce n’est pas la ministre des missions nationales, Orit Strock, qui a déterminé que « concentrer et déplacer la population » était l’une des missions de l’opération. Le ministre de la coopération régionale, David Amsalem, n’est pas le chef d’état-major Eyal Zamir, qui s’est vanté que « nous continuerons jusqu’à ce que nous ayons brisé les capacités de combat du Hamas », alors que les capacités de combat de l’ennemi ont été vaincues depuis longtemps. Les forces de défense israéliennes opèrent contre des squelettes ambulants qui se déplacent parmi les ruines.

Le gouvernement porte la responsabilité et la faute, qui sont impardonnables. Mais absoudre les militaires uniquement parce qu’ils n’ont pas le courage de dire la vérité ? Seulement parce que tes amis tuent des enfants ? Seulement parce que l’objectif de renverser Netanyahou éclipse tout à tes yeux ?

On ne peut pas prétendre que l’armée ne fait qu’obéir aux ordres et que le chef d’état-major n’est qu’un rouage de la machine. Le chef d’état-major et le commandant de l’armée de l’air ne sont pas des rouages. Pas plus que les personnes placées sous leur commandement.

Ce sont eux qui mènent la campagne visant à détruire la bande de Gaza et ils pourraient l’arrêter s’ils pensaient qu’un drapeau noir flottait sur cette campagne. Ils mènent une guerre criminelle et sans but contre les restes de la population de Gaza, qui n’a aucun endroit sûr vers lequel se tourner. Les exonérer de toute culpabilité relève de la lâcheté ou du mensonge, voire des deux.


11/05/2025

ORLY NOY
Ce qu’un « sommet de la paix » révèle sur l’état de la gauche israélienne

Des ateliers de dialogue bien intentionnés, des panels sur des solutions politiques lointaines, mais aucune mention du génocide : ce sont des distractions privilégiées que nous ne pouvons plus nous permettre.
Orly Noy, Local Call/+972 Magazine 7/5 /2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala
Orly Noy est née à Téhéran en 1979. Elle s’appelait alors Mozghan Abginehsaz. Arrivée en Palestine avec ses parents en janvier 1979, elle a dû changer de prénom puis a adopté le nom de famille de son mari Chaim par commodité. Elle s’est engagée à l’adolescence dans la défense des droits des Mizrahim (les Juifs orientaux) et dans les efforts pour établir des alliances entre Palestiniens et Mizrahim. Traductrice, elle a notamment traduit en 2012 le roman Mon oncle Napoléon, d’Iraj Pezeshkzad en hébreu. Présidente du CA de l’ONG B’Tselem, elle est rédactrice en chef du site ouèbe Local Call et milite au parti Balad-Tajamu, créé et animé par des Palestiniens de 1948 et comptant dans ses rangs des militants juifs. 
Ce week-end, une coalition de 50 organisations israéliennes de paix et de partage social s’est réunie à Jérusalem pour le « Sommet du peuple pour la paix » - un rassemblement de deux jours qui vise, selon son site Internet, à « [travailler] ensemble avec détermination et courage pour mettre fin au conflit israélo-palestinien par le biais d’un accord politique qui garantira le droit des deux peuples à l’autodétermination et à des vies sûres ». 


Ici, en Israël-Palestine, nous vivons une période sombre et amère, comme nous n’en avons jamais connue auparavant. Dans ces circonstances, une démonstration de force aussi impressionnante de la part de la gauche réveillée est sans aucun doute importante et significative, et je tire mon chapeau à tous ceux qui travaillent à créer un changement vers un avenir meilleur.

Pourtant, il faut reconnaître que la conférence se déroulera au milieu d’un génocide en cours, qui a déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de Palestiniens à Gaza, et qui est susceptible de s’intensifier encore dans un avenir proche. Après avoir examiné attentivement le programme très dense des activités et des panels de la conférence, le mot « Gaza » n’apparaît que dans un seul événement, intitulé : « La paix après le 7 octobre - Voix de l’enveloppe de Gaza et de Gaza », qui présente « [des] résidents [israéliens] de la zone frontalière de Gaza et des survivants du massacre, ainsi que des messages vidéo d’activistes pacifistes à Gaza ».

Plus d’un an et demi après l’anéantissement systématique de la bande de Gaza par Israël, les seules victimes que les organisateurs de l’événement semblent vouloir reconnaître sont les victimes israéliennes du massacre du 7 octobre. Les habitants de Gaza - ceux qui font face à un génocide - doivent être désignés comme des « militants de la paix » afin d’obtenir la légitimité d’exprimer leur point de vue devant les participants.

Cela soulève des questions troublantes : Comment le « camp de la paix » conçoit-il son rôle en ces temps sans précédent ? Et, plus fondamentalement encore, comprend-il l’ampleur du génocide dans lequel nous nous trouvons ?

Faire face à une nouvelle réalité

C’est peut-être la volonté d’être « du peuple » qui a conduit les organisateurs à choisir des titres aussi stériles et rassurants pour un grand nombre d’événements de la conférence : « Woodstock pour la paix« , avec une “journée entière de connexion à la terre, à la nature, à la paix et à l’espoir” ; “Des jeunes Israéliens et Palestiniens présentent leur point de vue sur le mot ”paix’ » ; « Il y a un chemin » ; « L’espoir de Jérusalem » ; etc.

Le désir d’offrir de l’espoir, à une époque où il est si profondément absent, est compréhensible. Mais lorsque pas un seul événement du programme de la conférence n’est consacré au génocide en cours à Gaza, cet espoir devient, au mieux, détaché de la réalité et, au pire, une échappatoire dépolitisée cherchant à abrutir et à engourdir.

Parallèlement, la conférence comprend plusieurs tables rondes traitant des solutions politiques potentielles futures et des cadres pour « mettre fin au conflit ». Cela suggère que, malgré ce qui se déroule sous notre nez, les organisateurs pensent que le rôle principal de la gauche israélienne reste inchangé : insister sur le fait que le conflit israélo-palestinien n’est pas inévitable et que des solutions existent pour bénéficier à toutes les personnes vivant entre le fleuve et la mer. À mon avis, nous sommes aujourd’hui dans l’obligation de réexaminer non seulement la réalité, mais aussi notre rôle au sein de celle-ci.

L’accent mis sur les « solutions politiques » implique que ce qui nous fait le plus défaut aujourd’hui, c’est « l’imagination politique », un concept fréquemment invoqué lors de la conférence. Cette hypothèse mérite d’être remise en question. Ce qui se passe à Gaza n’est pas le résultat d’un manque d’imagination de la part des Israéliens et des Palestiniens, ou parce qu’on ne leur a pas présenté de plans de paix suffisamment clairs au cours des dernières décennies. Le fascisme meurtrier n’a pas pris le contrôle du gouvernement israélien parce que le public ne s’est pas vu proposer suffisamment d’alternatives.

En effet, nous ne pouvons pas considérer comme acquis que la rupture profonde et sanglante que nous vivons conduira naturellement le public israélien à réaliser qu’une voie différente doit être trouvée. Bien qu’une partie des Israéliens ait peut-être appris cette leçon depuis le 7 octobre, le sentiment le plus répandu est qu’Israël peut et doit « mettre fin à la question palestinienne » par la force et, si nécessaire, par l’anéantissement, l’épuration ethnique et l’expulsion.

Si les sondages n’indiquent pas de montée en puissance spectaculaire des partis de gauche, ce n’est pas parce que l’opinion publique ne connaît pas leur offre politique, mais parce qu’elle n’en veut pas. Telle est la réalité à laquelle la gauche doit faire face.

En ce sens, la conférence de paix se replie sur la zone de confort de la gauche israélienne, évitant les questions existentielles auxquelles ce moment historique nous oblige à nous confronter. Et cela avant même de considérer les obstacles pratiques des solutions proposées, comme le démantèlement délibéré par Israël du leadership palestinien et l’évidement de l’Autorité palestinienne.

Dures vérités

Je pense que cette conférence est une réponse au profond et écrasant sentiment d’impuissance que nous ressentons tous, alors que les rivières de sang continuent de couler sous nos yeux. Bien qu’il soit tentant d’offrir de l’optimisme, de la paix et des solutions - après tout, ce sont des choses dont nous avons tous désespérément besoin - l’espoir n’est jamais un luxe ; c’est un moteur nécessaire pour le changement.

Mais pour que l’espoir se transforme d’un vœu creux en un plan réalisable, il doit être ancré dans la réalité, et non en être détaché. Je suggère à la gauche de s’attarder un moment dans ce lieu de rupture totale et d’impuissance, de reconnaître nos limites dans cette réalité génocidaire et, à partir de là, de réexaminer notre rôle.

La répression institutionnalisée qui vise désormais ouvertement toutes les organisations de gauche en Israël fait également partie de la réalité à laquelle nous devons faire face, et elle exige des choix tactiques et stratégiques radicalement différents de ceux sur lesquels nous nous sommes appuyés jusqu’à présent. Nous devons affronter la dure vérité : aucune des solutions politiques actuellement proposées n’est réalisable sous ce régime d’apartheid. Le temps des illusions est révolu. 

Notre tâche consiste maintenant à repenser l’organisation d’un camp d’opposition qui se consacre au démantèlement de ce système. Cela nécessitera une bonne dose d’humilité et la reconnaissance sobre du fait qu’avant que des solutions puissent émerger, nous devons d’abord endurer une période douloureuse de lutte prolongée. C’est là que notre énergie doit être dirigée.

Pour être clair, ces mots ne sont pas écrits par cynisme ; j’apprécie vraiment les organisateurs de la conférence et ses nombreux participants. Je ne doute pas de leurs bonnes intentions et de leur engagement sincère à changer notre horrible réalité. Pourtant, alors qu’Israël affame systématiquement les habitants du camp d’extermination de Gaza, la gauche israélienne ne peut plus rester dans sa zone de confort.

Le message de Macron au « Sommet de la paix »

07/03/2025

GIDEON LEVY
Un cauchemar palestinien dans un rêve israélien : chasse à l’homme au centre commercial

 Gideon Levy, Haaretz, 6/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Une grande catastrophe a été évitée cette semaine. Au nouveau Big Fashion Glilot, le plus grand centre commercial d’Israël et le couronnement des récentes réalisations nationales, 10 Palestiniens qui se trouvaient en Israël sans permis d’entrée ont été découverts.

Imaginez, 10 Palestiniens sans papiers dans un complexe de “loisirs et de shopping”. Des idoles dans le temple sacré israélien.


Un panneau au centre commercial Big Fashion dans le centre d’Israël, qui a été visité par 150 000 personnes lors de son ouverture vendredi. Photo Tomer Appelbaum

Les 150 000 Israéliens avides de shopping qui ont pris d’assaut le centre commercial au cours du week-end ont été exposés à un danger dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Nommez imméiatement une commission d’enquête. Les survivants de la catastrophe qui n’a pas eu lieu ont été interviewés partout et ont déclaré qu’ils n’auraient jamais imaginé qu’il y aurait des Palestiniens non autorisés dans leur nouveau centre commercial.

Après tout, ils veulent se sentir en sécurité lorsqu’ils vont manger un hamburger ou acheter une paire de baskets. Un homme de ménage sans papiers a été découvert dans un magasin Zara, et il semblerait qu’il y en ait eu un autre dans le magasin Delta.


Le centre commercial lundi. Les “clandestins” ont été emmenés, menottés, à la vue de tous. Photo Tomer Appelbaum

Les “clandestins” ont été emmenés, menottés, au vu et au su de tout le monde. Les policiers des frontières, héros israéliens, les ont capturés avec le courage et la détermination qui les caractérisent. Les responsables des relations publiques des chaînes de magasins s’efforcent de limiter les dégâts et de rassurer le public : Il n’y aura plus de “clandestins” à Big Fashion.


Le centre commercial lundi. Les journalistes israéliens audacieux s’empressent de les signaler aux autorités ; ils ont alors le sentiment d’avoir rempli une mission journalistique. Photo Tomer Appelbaum

Tout le monde est invité à revenir dans un centre commercial nettoyé.

05/03/2025

DAHLIA SCHEINDLIN
Pourquoi il est impossible de célébrer pleinement le succès de “No Other Land” aux Oscars

Je crains que, tout comme l’âge d’or des documentaires sur Israël et la Palestine qui a transformé mon appréciation du genre, cela ne suffise pas. Le film n’arrêtera pas l’occupation

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 3/3/2025

 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Basel Adra et Yuval Abraham posent avec l’Oscar du meilleur film documentaire pour No Other Land lors du Governors Ball qui suit le spectacle des Oscars à la 97e cérémonie des Oscars à Hollywood, Los Angeles, Californie, dimanche soir. Photo : Mike Blake/Reuters

Lorsque j’ai appris à mon réveil que “No Other Land” avait remporté l’Oscar du meilleur film documentaire, j’étais ravie. Ravie pour les réalisateurs et pleine d’espoir que les messages émouvants de leur discours de remerciement - arrêter la guerre, rendre les otages, libérer le peuple palestinien - soient entendus par tous les Israéliens qui écoutent les nouvelles du matin. Mais il manquait encore quelque chose.

Je suis assez âgée pour me souvenir du film “Budrus”, sorti en 2009, qui raconte la lutte des Palestiniens de Cisjordanie contre la barrière de séparation. Mais le mur n’a fait que grandir, et en 2011, le documentaire “5 Broken Cameras” est apparu. Ce documentaire exquis a profondément humanisé la vie des Palestiniens sous l’occupation. Le principe d’un père qui documente son enfant mais qui est entraîné dans la politique par le biais de sa caméra était créatif, original et universel.

Ce film avait lui aussi été réalisé par un Israélien et un Palestinien (Guy Davidi et Emad Burnat). Il avait lui aussi été nominé aux Oscars, propulsant le sort des Palestiniens sous les feux de la rampe, à la vue du monde entier.

Cette situation aurait dû susciter une nouvelle vague d’indignation lorsque le réalisateur palestinien Burnat a fait l’objet de tracasseries à son entrée aux USA  pour assister à la cérémonie. Mais le film n’a pas gagné, le mur de béton qu’il a détesté et documenté a été construit, et l’occupation s’est poursuivie.

Je suis du côté de “No Other Land”. Je me sens mal à l’aise face à la violence brutale, kafkaïenne, exercée pendant toute la durée de l’occupation contre les villages palestiniens pauvres et sales de Masafer Yatta. J’ai visité les collines du sud d’Hébron, j'ai vu comment ils vivent, je me suis assise avec les enfants, j'ai regardé leurs livres scolaires et j'ai vu “No Other Land” lors d'une projection spéciale en plein air qui s'y est tenue l'année dernière..

Je suis assez fière que le coréalisateur israélien, Yuval Abraham, ait été un grand reporter d’investigation pour Local Call et +972 Magazine - un projet médiatique que j’ai aidé à fonder en 2010, avec des collègues. J’ai beaucoup écrit pour +972 Magazine et j’ai été présidente du conseil d’administration de l’ONG pendant les huit premières années (qui se sont achevées avant l’arrivée d’Abraham).

Inutile de dire que le film lui-même est excellent. Mais en le regardant, je me suis sentie troublée. Je suis déjà passée par là.

De plus, “5 Broken Cameras” est apparu dans une phase où les conflits israélo-palestiniens et israélo-arabes ont produit certains des plus superbes films documentaires que j’avais vus jusqu’alors.

Il y avait “Valse avec Bashir” en 2008, qui ne traitait pas de l’occupation des territoires palestiniens mais exposait le traumatisme et l’angoisse morale de la première guerre du Liban à travers ce qui était pour moi un style cinématographique envoûtant. “The Law in these Parts”, de 2011, reste le meilleur exposé cinématographique d’un aspect sous-estimé et pourtant omniprésent de l’occupation : le système juridique militaire d’(in)justice qui sous-tend les pratiques d’occupation les plus injustes, raconté par ceux qui l’ont construit minutieusement au fil des ans. Les recherches du film ont été si riches que les créateurs ont créé un un site ouèbe dédié, rempli de documents d’archives, qui ne laisse aucune excuse pour ne pas connaître cette colonne vertébrale essentielle de l’occupation.

Et puis il y a eu “Les gardiens”. Ce film de 2012 a fait sensation dans le monde entier. Pendant des années, des personnes extérieures m’ont demandé si le film avait marqué un tournant dans l’attitude des Israéliens à l’égard de l’occupation ou, plus généraleEment, des pratiques militaires d’Israël. La réponse était non.

Il y a près de deux ans, j’ai été bouleversé par le film documentaire “20 jours à Mariupol”.  J’étais sûre que personne ne pourrait rester indifférent à la souffrance de l’Ukraine après l’avoir vu. Un an plus tard, le film le film remporte l’Oscar tant convoité. Mais la guerre continue, le monde avance - et la vérité aussi : selon le président usaméricain Donald Trump, l’Ukraine a déclenché la guerre, Volodymyr Zelenskyy est un dictateur, et le pays pourrait être contraint de renoncer à ses ressources et à son territoire pour parvenir à la paix.

Je suis ravie pour Basel Adra et Yuval Abraham. J’espère désespérément que leur collaboration et leur amitié convaincront les gens de suspendre leur cynisme, de respecter la façon dont les gens peuvent canaliser l’injustice et la fureur qui en résulte dans l’art plutôt que dans la violence. Je ne cesserai jamais d’aimer les grands documentaires émouvants, et je prie pour que Miki Zohar, le bouffon ministre de la culture d’Israël, qui a vomi sa bile sur le film qu'il n'a pas vu, soit démasqué pour le fraudeur proto-fasciste qu'il est.

Mais je crains que, tout comme l’âge d’or des documentaires israéliens et palestiniens qui ont transformé mon appréciation du genre, cela ne suffise pas. Le film n’arrêtera pas l’occupation.

En même temps, si une seule personne change d’avis pour s’opposer à l’occupation, le film est un succès à mes yeux, bien au-delà des Oscars.