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11/03/2025

“La première arrestation d'une longue série à venir” : Mahmoud Khalil menacé de déportation des USA

Mahmoud Khalil, un étudiant palestinien de 30 ans récemment diplômé de l'université Columbia, vient d'être arrêté à New York et placé dans un centre de rétention en Louisiane. Il est menacé de déportation alors qu'il est titulaire d'une carte verte de résident et marié à  une citoyenne usaméricaine. Lire nos traductions des articles du New York Times consacrés à  cette affaire

 

09/03/2025

GIDEON LEVY
Le dernier rédempteur national de la gauche sioniste : Daniel Hagari, le porte-parole évincé de l’armée israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 9/3/2025
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

Notre couronne est tombée : le porte-parole de Tsahal, le contre-amiral Daniel Hagari, a été évincé. Les médias sociaux sont inondés de lamentations. L’auteure-compositrice-interprète Aya Korem a composé une chanson de nostalgie à son sujet. Même le nouveau chef d’état-major des forces de défense israéliennes, le lieutenant-général Eyal Zamir, qui fut brièvement le chouchou d’Israël, a perdu ses faveurs aux yeux de la moitié de la nation du jour au lendemain, simplement parce qu’il a éloigné Hagari de nous.


Le contre-amiral Daniel Hagari sur les lieux d’un tir de roquette à Majdal Shams en 2024. Photo Gil Eliahu

Tout le monde parlait de son intégrité - oh, l’intégrité de Hagari - de sa décence et de ses apparitions publiques. Comment il nous a protégés pendant la guerre et comment il était toujours là pour nous réconforter et nous encourager. Une semaine après que le chef du service de sécurité Shin Bet a été nommé au poste de sauveur de la démocratie, c’est au tour du porte-parole de l’armée d’être nommé au rôle de rédempteur national. C’est comme ça dans la gauche sioniste éclairée.

En effet, le porte-parole déchu a bien fait son devoir. Ce devoir était de mentir, de couvrir, de dissimuler, de tromper, de nier, de désavouer, de cacher aux yeux du monde et à nos propres yeux tous les crimes. Le prince de l’intégrité et de l’équité, Hagari, a excellé dans son travail. Il trompait et dissimulait, mentait sans sourciller et paraissait si décent, si humain. Une fois, il s’est même étranglé, tant il était sensible.

C’est pour cela que nous l’aimions. Grâce à Hagari, non seulement nous n’avons rien su, mais nous n’avons rien entendu et nous n’avons rien vu. Grâce à Hagari et à ses semblables, il y a encore des Israéliens qui sont convaincus que les FDI sont l’armée la plus morale du monde. Il n’est pas étonnant que son éviction ait déclenché une telle vague de gratitude.

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Le fait que Hagari soit détesté par le Premier ministre Benjamin Netanyahou a certainement joué un rôle dans le fait qu’il a gagné en puissance et est devenu le chouchou d’Israël. Il n’y a pas eu de chouchou national en temps de guerre comme Hagari depuis son prédécesseur d’il y a des décennies, Nachman Shai, qui, pendant la guerre du Golfe, a exhorté les Israéliens effrayés dans leurs chambres scellées à boire un verre d’eau. Pourquoi a-t-il été évincé ? Hagari, qui nous a fait nous sentir si bien alors que le monde entier nous condamnait et nous fuyait ?

On peut être impressionné par la personnalité de Hagari, son charme et ses apparitions publiques, mais entre lui et la décence et l’intégrité se trouve un sombre abîme. Hagari n’a jamais dit la vérité sur ce que les FDI faisaient à Gaza, tout comme il n’a jamais dit la vérité sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh, journaliste d’Al Jazeera dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, en 2022. C’était son travail, et c’est le travail de tous les porte-parole des FDI : couvrir les crimes de l’armée.

Pendant des décennies, j’ai demandé à l’unité du porte-parole des FDI des réponses aux péchés quotidiens de l’occupation, et je n’en ai jamais reçu une seule qui soit véridique. Les réponses génériques vont de « une enquête a été ouverte » - ce qui est douteux, et de toute façon, elle ne se terminera jamais - au diabolique « l’incident est connu de nous », jusqu’au « danger mortel » (représenté par un garçon tenant une pierre ou une fille à la fenêtre de sa maison).

Le porte-parole des FDI n’a jamais été connu pour sa contrition, pour admettre le blâme, accepter la responsabilité ou exprimer un iota de regret ou d’excuse. Hagari était le porte-parole des FDI dans les années les plus sombres que l’armée ait connues - et il est aujourd’hui un symbole de notre intégrité. Hagari a été le porte-parole d’un génocide, et il est aujourd’hui le symbole de l’humanité d’Israël. Qui l’aurait cru ?

Les lamentations sur l’éviction de Hagari en disent beaucoup plus sur les lamentateurs que sur lui. Après tout, on ne pouvait s’attendre à rien d’autre de sa part, dans un travail défini par la tromperie et la propagande. Les admirateurs de Hagari lui disent en substance : « Mentez-nous encore, autant que vous le pouvez. Continuez à nous faire croire que l’armée est morale, continuez à nous dire à quel point nous sommes beaux et à quel point l’IDF est adorable, de préférence de la bouche d’un officier qui s’exprime bien et qui est séduisant ». C’est exactement ce qu’était Hagari.

Comme il était réconfortant d’entendre de sa bouche qu’il n’y avait aucun problème à détruire une tour d’habitation à Gaza parce que l’adjoint du financier du Hamas y vivait, et comme il était bon d’entendre de sa bouche que nos soldats ne tuaient jamais de femmes ou d’enfants, et que le monde ne faisait que nous calomnier.

L’envie de bien paraître et de se sentir bien dans sa peau et dans celle de son armée est si désespérée que seul un bel Israélien comme Hagari peut la satisfaire. Après tout, il n’est pas Itamar Ben-Gvir ou Ofer Winter : Il est le bel Israël, moral, éthique - et blanc - qui n’est plus, le pays qui nous a gentiment caché tous ses crimes depuis le début. Et maintenant, il a été évincé, pouvez-vous imaginer ça ?

 

Ossama Hajjaj


04/03/2025

GIDEON LEVY
Et si Netanyahou avait été sur la sellette de Trump au lieu de Zelensky ?

Gideon Levy , Haaretz, 2/3/2025
 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Dans mon rêve, ce n’est pas le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui était assis dans le bureau ovale l’autre jour, mais bien le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Le président usaméricain Donald Trump et le vice-président JD Vance assaillaient le premier ministre devant les caméras du monde entier, lui disant qu’en refusant de mettre fin à la guerre à Gaza, il jouait avec la Troisième Guerre mondiale.

 

Trump et Zelensky dans le bureau ovale vendredi 28 février. Photo Saul Loeb/AFP

 « Vous devez dire plus souvent merci. Vos gens sont en train de mourir. Et vous nous dites : “Je ne veux pas de cessez-le-feu”. Si vous pouviez obtenir un cessez-le-feu maintenant, je vous dirais de l’accepter. Ainsi, les balles cesseront de voler et vos hommes cesseront d’être tués. Mais vous ne voulez pas de cessez-le-feu. Je veux un cessez-le-feu. Vous n’avez pas les cartes en main. Avec nous, vous avez les cartes. Mais sans nous, vous n’avez aucune carte. Ou bien vous faites un deal, ou bien nous, on se casse ».

Dans mon rêve, Trump a dit à Netanyahou exactement ce qu’il a dit à Zelensky. Voilà, mot pour mot, ce qu’il a à lui dire.

Mais un rêve est un rêve et le spectacle d’horreur de vendredi ne s’est pas produit avec Netanyahou. On peut supposer qu’il ne se produira jamais, même s’il le devrait. Imaginez une telle conversation. Netanyahou quitte la Maison Blanche en panique, le visage aussi cendré que celui de Zelensky, et le lendemain, il revient frapper à la porte à plusieurs reprises : Il est prêt à mettre fin à la guerre à Gaza  et à retirer immédiatement toutes les forces israéliennes de la bande de Gaza. Tous les otages sont libérés et un autre génocide est évité.

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En l’absence d’une telle conversation, Israël galope vers la reprise de la guerre. Il est difficile d’imaginer une perspective plus horrible, de penser à une guerre plus inutile, dont le deuxième chapitre sera encore plus terrifiant.

Le bizutage infligé à l’allié impuissant Zelensky, y compris les abus malveillants inhérents aux personnes de l’acabit de Trump et de Vance, n’était certainement pas sans précédent. La nouveauté, c’est qu’il s’est déroulé devant des caméras. Hormis le « Signe, chien ! » de Hosni Moubarak à Yasser Arafat lors de la signature de l’accord Gaza-Jéricho au Caire en 1994, jamais les caméras n’avaient montré un tel étalage humiliant de la puissance des seigneurs du monde, ou de ceux qui croient l’être, envers un protégé.

Il faut remercier Trump d’avoir révélé son monde intérieur, dans lequel il n’y a pas de place pour la justice, les valeurs, le droit international,  l’humanité ou la loyauté.. Seulement le pouvoir et l’argent, l’argent et le pouvoir. Mais même cette perspective est appliquée de manière sélective. La rencontre Trump-Zelensky aurait pu et dû avoir lieu avec Netanyahou également. Chaque mot prononcé par Trump à l’encontre de Zelensky est pertinent pour Netanyahou. Mais personne n’imagine un tel scénario, peut-être parce qu’aucun gisement de minerai n’a été découvert sous la Cisjordanie. Mais qu’en est-il de la Riviera à Gaza ?

Pour Netanyahou et pour Israël - qui ne comprennent que le langage de la force - il pourrait s’agir d’une conversation historique qui changerait la donne. Il est probable qu’elle n’aura pas lieu. Mais tant que nous rêvons, pourquoi ne pas rêver grand ? Énorme ? Imaginez une conversation similaire à la Maison Blanche, avec pour thème la fin de l’occupation israélienne. Dans son sillage, l’occupation prendrait fin plus rapidement que nous ne pouvons l’imaginer. En fait, le seul moyen restant de mettre fin à l’occupation est une telle conversation.


Trump et Netanyahou en conférence de presse à la Maison Blanche à Washington, le mois dernier. Photo Jim Watson/AFP

Israël n’a pas d’autres cartes pour perpétuer l’occupation que le soutien usaméricain. Des personnes sont tuées à cause de l’occupation en permanence. C’est un foyer de tension qui met le monde en danger. Aucun pays ne la soutient et aucun sujet n’unit le monde comme l’opposition à l’occupation, du moins pour la forme.

Il est difficile de comprendre quel intérêt usaméricain est servi par cette occupation, qui fait que les USA sont méprisés au même titre que leur protégé. Même en termes trumpiens, il est difficile de comprendre pourquoi une telle conversation n’a jamais eu lieu.

Dans mon rêve, Netanyahou arrive à la Maison Blanche et Trump, cet homme terrible et dangereux, le menace comme il a menacé Zelensky l’autre jour. Le lendemain matin, le démantèlement des colonies de Kiryat Arba et Kiryat Sefer en Cisjordanie commence. Malheureusement, ça n’est qu’un rêve.

28/02/2025

JOY METZLER
Je cherche à obtenir une dispense de l’armée usaméricaine comme objectrice de conscience à cause du génocide de Gaza. J’ai été inspirée par Aaron Bushnell

Joy Metzler, Mondoweiss, 27/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Je suis une lieutenante de l’armée de l’air en service actif qui cherche à obtenir une dispense d’objectrice de conscience en raison de l’horreur que m’inspire le rôle des USA dans le génocide de Gaza. L’auto-immolation d’Aaron Bushnell, il y a un an, a été le déclencheur de ma démarche.



L'auteure, à droite, lors d'une manifestation devant une base de la Garde nationale en 2024. 

Je m’appelle Joy Metzler et je suis lieutenante de l’armée de l’air en service actif, cherchant à obtenir une dispense d’objectrice de conscience. Cette décision est en grande partie due à l’horreur que m’inspire le soutien continu des USA au génocide de Gaza, en violation directe d’un grand nombre de lois et de valeurs qui m’ont été enseignées à l’Académie de l’armée de l’air.

J’attends que mon dossier soit approuvé, mais je n’ai jamais caché mon opposition à la politique usaméricaine à Gaza. L’auto-immolation d’Aaron Bushnell il y a un an m’a mis sur la voie, et en ce jour anniversaire de sa mort (25 février), je ressens plus que jamais le poids des crimes de notre pays.

L’une des pages que je suis et avec laquelle j’interagis, About Face : Veterans Against the War, a publié un message sur Instagram pour honorer sa mémoire. Les actions d’Aaron Bushnell ont joué un rôle déterminant dans l’évolution de ma pensée, et je lui attribue, ainsi qu’à Dieu, tout le bien que je fais. J’aimerais pouvoir dire que le fait de se souvenir de lui a été un baume pour mon âme, mais j’ai dû m’attendre aux inévitables commentaires condamnant ses actions.

Ayant moi-même lutté contre des idées de suicide, je comprends que l’on veuille éviter les imitateurs, et j’espère que beaucoup de ces commentaires partent d’une bonne intention, mais il y a peu ou pas de reconnaissance du fait que l’auto-immolation n’est pas un suicide. Au contraire, l’auto-immolation d’Aaron Bushnell a eu lieu pour une raison très explicite : Aaron refusait d’être complice d’un génocide plus longtemps. « C’est ce que notre classe dirigeante a décidé de considérer comme normal ».


Le 25 février 2025, des vétérans de tout le pays ont brûlé leur uniforme en souvenir d’Aaron Bushnell et de son appel à l’action.

Pourtant, la peur demeure chaque fois que quelqu’un essaie de se souvenir de lui, mais ce n’est pas la bonne façon d’empêcher d’autres auto-immolations. La réponse n’est pas de supprimer ou d’effacer ce qui s’est déjà produit, mais de supprimer le catalyseur ! Je suis convaincue que si le gouvernement usaméricain avait mis un terme à la crise humanitaire persistante en Palestine, Aaron Bushnell serait aujourd’hui en vie et en bonne santé. Il a expliqué très clairement la raison de sa protestation. Rappelons qu’Aaron est mort en criant “Palestine libre”. Il n’est donc pas difficile d’imaginer que s’il avait vu une Palestine libre avant de mourir, il serait encore là.

Il est important de noter que de nombreuses personnes ne peuvent tout simplement pas comprendre des sentiments aussi extrêmes. J’oserais dire que beaucoup de gens ressemblent à ceux de Fahrenheit 451 ; non, pas Guy Montag, mais plutôt sa femme et ses amis. Ils regardent un écran pendant que le monde brûle et rejettent violemment toute mention de la vérité lorsqu’elle menace de briser leur réalité. Pour le reste d’entre nous, qu’est-ce que cela fait d’être témoin de la souffrance humaine à un niveau aussi calamiteux ? En ce qui me concerne, je décrirais ce sentiment comme quelque chose de semblable à une blessure morale. Il s’agit d’une anxiété discrète mais qui s’accroît rapidement chaque fois que je mets mon uniforme. C’est un sentiment de dissonance lorsque je me rends au travail tous les jours après avoir parlé avec un habitant de Gaza qui a tout perdu. C’est la dépression qui me suit alors que je prétends que le monde va bien, riant de choses insignifiantes, comme Guy essayant de trouver de la compagnie auprès de sa femme alors que sa fausse réalité s’effondre. À l’intersection de mon désir d’être une bonne aviatrice (qui fait honneur à ceux avec qui je travaille) et de ma foi - imbriquée dans mon être même ! - exigeant que je ne contribue pas à un système destiné à apporter la mort et la destruction, se trouve une question simple : jusqu’à quel point puis-je supporter cela ?

Lorsque je pense au dernier message d’Aaron Bushnell, je me demande s’il ressentait la même chose.

À l’heure où j’écris ces lignes, j’imagine que de nombreuses personnes sont déjà en train de formuler leur réponse sur les raisons pour lesquelles l’auto-immolation est une mauvaise chose, et je vous couperai la parole en vous disant que je suis d’accord ! Je n’encouragerais jamais quelqu’un à s’immoler, pas plus que je n’encouragerais quelqu’un à s’ôter la vie, mais notre refus persistant de nous engager dans la réalité de ce que nous faisons ne fera que permettre la poursuite des atrocités contre lesquelles les gens protestent en premier lieu. Il est difficile de regarder une tragédie, qui implique souvent des violations graves et continues des droits humains, qui peut pousser quelqu’un à protester de manière aussi extrême - mais nous devons regarder. Nous devons ressentir la douleur de nos semblables, puis agir.

Le manque d’empathie qui imprègne notre monde aujourd’hui me préoccupe beaucoup. Même après la mort d’Aaron, de nombreuses personnes sont apathiques ou, pire encore, disent à d’autres qu’elles devraient faire de même. Certains disent qu’il « n’allait pas bien dans sa tête » ou tentent de détourner la conversation du sujet même de sa protestation. J’aimerais autant qu’une autre personne qu’Aaron soit encore en vie aujourd’hui pour prêter sa voix au mouvement, et j’aimerais qu’il puisse voir ce que ses actions ont déclenché. À défaut, la meilleure chose à faire - peut-être la seule - est de veiller à transmettre son message pour lui.

GIDEON LEVY
Lorsque la troisième Intifada éclatera, n’oubliez pas qu’Israël en aura été l’instigateur

Gideon LevyHaaretz, 27/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

C’est quelque chose qui se passe pour la première fois dans l’histoire d’Israël : une guerre n’est pas encore totalement terminée qu’Israël est déjà en train d’attiser la prochaine. On nous a refusé le luxe d’un moment de respiration ou d’un peu d’illusion et d’espoir. L’horizon “diplomatique” d’Israël n’est plus que guerre après guerre, sans alternative sur la table. Pas moins de trois guerres sont à l’ordre du jour : la reprise de la guerre contre Gaza, le bombardement de l’Iran et la guerre en Cisjordanie.


Un homme porte un chat le long d’une route détruite par les forces israéliennes dans le camp de réfugiés palestiniens de Nur al-Shams, près de Toulkarem, mercredi. Photo Zain Jaafar/AFP 

La dernière d’entre elles a commencé à être alimentée au lendemain du 7 octobre 2023. Lorsque la troisième intifada éclatera, il faudra se souvenir qui l’a délibérément provoquée. Le fait de se poser en victime d’attaques meurtrières ne changera pas non plus les faits. Ni la diabolisation des “animaux humains” en Cisjordaniecongénères de ceux de Gaza.

Israël portera seul la responsabilité de la prochaine guerre en Cisjordanie. Ne dites pas que nous avons été pris par surprise ; n’osez pas dire que nous ne savions pas. Cela fait 16 mois que les choses sont écrites sur le mur, à feu et à sang, et personne n’arrête ça. C’est à peine si l’on en parle.

Ce n’est plus la Cisjordanie que nous avons connue. Les choses ont changé. L’occupation - qui n’a jamais été vraiment progressiste - est devenue plus brutale que jamais. Au lendemain du 7 octobre, Israël a effectivement emprisonné les trois millions d’habitants de la Cisjordanie. Depuis lors, au moins 150 000 personnes - pour la plupart des travailleurs assidus et dévoués - ont perdu leurs moyens de subsistance. Ils n’avaient rien à voir avec le massacre perpétré le long de la frontière de Gaza. Ils cherchaient seulement à subvenir aux besoins de leur famille. Mais Israël leur a ôté la chance d’une vie décente, qui a peu de chances de revenir. Des centaines de milliers d’entre eux ont été condamnés à une vie de misère. Les plus jeunes ne resteront pas silencieux.

Ce n’était que le début. La Cisjordanie a également été fermée de l’intérieur. Environ 900 points de contrôle - certains permanents, d’autres temporaires - ont découpé la Cisjordanie et la vie de ses habitants. Chaque trajet entre les communautés est devenu un jeu de roulette russe. Le poste de contrôle sera-t-il fermé ou ouvert ? Lorsque j’ai passé six heures à attendre au poste de contrôle de Jaba, un jeune marié se rendant à son mariage se trouvait derrière moi. Le mariage a été annulé. Les routes de Cisjordanie sont devenues vides.

Les points de contrôle ne sont qu’une partie du tableau. Quelque chose a également changé chez les soldats de l’occupation. Peut-être envient-ils leurs camarades de Gaza, ou peut-être s’agit-il simplement de l’état d’esprit qui règne actuellement au sein de l’armée israélienne. Mais la plupart d’entre eux n’ont jamais traité les Palestiniens comme ils le font aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de la facilité avec laquelle ils appuient sur la gâchette ou de l’utilisation d’armes jamais déployées en Cisjordanie, comme les avions de chasse et les drones meurtriers. Il s’agit surtout de la façon dont ils considèrent les Palestiniens : comme des “animaux humains”, tout comme on le leur a dit de traiter les habitants de Gaza.

Les colons et ceux qui les soutiennent se sont engouffrés dans cette brèche avec empressement. Pour eux, il s’agit d’une occasion historique de se venger. Ils veulent une guerre à grande échelle en Cisjordanie, sous le couvert de laquelle ils pourront mettre en œuvre leur grand plan d’expulsion massive. Il est effrayant de constater que c’est là le seul plan dont dispose Israël pour résoudre la question palestinienne.

Entretemps, il ne se passe pas une semaine sans qu’apparaisse un nouvel avant-poste de colons non autorisé - une simple hutte entourée de milliers de dounums volés, revendiqués pour le “pâturage”. Il ne se passe pas un jour sans qu’un nouveau pogrom ne se produise. Ces attaques fonctionnent. Les éléments les plus faibles de la société palestinienne de Cisjordanie - les bergers - abandonnent tout simplement. Des communautés entières quittent la terre de leurs ancêtres, fuyant, terrorisées, les gangsters en kippa.

Puis c’est l’expulsion organisée des camps de réfugiés. Ne dites pas qu’il n’y a pas de plan. Il y en a un, et il est monstrueux. Il s’agit de vider tous les camps de réfugiés en Cisjordanie et de les raser. C’est la “solution” au problème des réfugiés. Elle a commencé par le démantèlement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) et se poursuit avec les bulldozers D-9. Quarante mille personnes ont déjà été expulsées, dont certaines maisons ont déjà été démolies. Les trois camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie sont aujourd’hui des terrains vagues, vidés de toute vie.

Il ne s’agit pas d’une guerre contre le terrorisme. On ne combat pas la terreur en détruisant les infrastructures hydrauliques, les réseaux électriques, les routes et les systèmes d’égouts. Il s’agit de la destruction systématique des camps de réfugiés.

Elle ne s’arrêtera pas au camp de Nur al-Shams à Toulkarem ou aux camps d’Askar et de Balata près de Naplouse. Elle se poursuivra jusqu’au camp d’Al-Fawwar, près d’Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.

C’est ce qu’Israël est en train de faire, pour être clair. Une nakba.


27/02/2025

RAMZY BAROUD
L’“arabe” perdu : Gaza et l’évolution du langage de la lutte palestinienne


Ramzy Baroud, Middle East Monitor, 26/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

La langue a son importance. Outre son impact immédiat sur notre perception des grands événements politiques, y compris la guerre, la langue définit également notre compréhension de ces événements à travers l’histoire, façonnant ainsi notre relation avec le passé, le présent et l’avenir.


Mohammad Sabaaneh, 2018

Alors que les dirigeants arabes se mobilisent pour empêcher toute tentative de déplacer la population palestinienne de Gaza, frappée par la guerre - et aussi de la Cisjordanie occupée d’ailleurs-, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à la langue : quand avons-nous cessé de parler de « conflit israélo-arabe » pour commencer à utiliser l’expression « conflit israélo-palestinien » ?

Outre le problème évident que les occupations militaires illégales ne devraient pas être décrites comme des « conflits » – un terme neutre qui crée une équivalence morale – le fait de retirer les « Arabes » du « conflit » a considérablement aggravé la situation, non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour les Arabes eux-mêmes.

Avant de parler de ces répercussions, de l’échange de mots et de la modification de phrases, il est important d’approfondir la question : quand exactement le terme « arabe » a-t-il été supprimé ? Et tout aussi important, pourquoi avait-t-il été ajouté en premier lieu ?

La Ligue des États arabes a été créée en mars 1945, plus de trois ans avant la création d’Israël. La Palestine, alors sous « mandat » colonial britannique, a été l’une des principales causes de cette nouvelle unité arabe. Non seulement les quelques États arabes indépendants comprenaient le rôle central de la Palestine dans leur sécurité collective et leur identité politique, mais ils percevaient également la Palestine comme la question la plus cruciale pour toutes les nations arabes, indépendantes ou non.

Cette affinité s’est renforcée avec le temps.

Les sommets de la Ligue arabe ont toujours reflété le fait que les peuples et les gouvernements arabes, malgré les rébellions, les bouleversements et les divisions, étaient toujours unis par une valeur singulière : la libération de la Palestine.

La signification spirituelle de la Palestine s’est développée parallèlement à son importance politique et stratégique pour les Arabes, ce qui a permis d’ajouter une composante religieuse à cette relation.

L’attaque à la bombe incendiaire perpétrée en août 1969 contre la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem occupée a été le principal catalyseur de la création de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) plus tard dans l’année. En 2011, elle a été rebaptisée Organisation de la coopération islamique, bien que la Palestine soit restée le sujet central du dialogue musulman.

Pourtant, le « conflit » restait « arabe », car ce sont les pays arabes qui en ont supporté le poids, qui ont participé à ses guerres et subi ses défaites, mais qui ont aussi partagé ses moments de triomphe.

La défaite militaire arabe de juin 1967 face à l’armée israélienne, soutenue par les USA et d’autres puissances occidentales, a marqué un tournant. Humiliées et en colère, les nations arabes ont déclaré leurs fameux « trois non » lors du sommet de Khartoum en août-septembre de la même année : pas de paix, pas de négociations et pas de reconnaissance d’Israël tant que les Palestiniens seront retenus captifs.

Cette position ferme n’a cependant pas résisté à l’épreuve du temps. La désunion entre les nations arabes est apparue au grand jour, et des termes tels qu’Al-’Am al-Qawmi al-’Arabi (la sécurité nationale arabe), souvent axés sur la Palestine, se sont fragmentés en de nouvelles conceptions autour des intérêts des États-nations.

Les accords de Camp David signés entre l’Égypte et Israël en 1979 ont approfondi les divisions arabes - et marginalisé davantage la Palestine – même s’ils ne les avaient pas créées.

C’est à cette époque que les médias occidentaux, puis le monde universitaire, ont commencé à inventer de nouveaux termes concernant la Palestine.

Le terme « arabe » a été abandonné au profit de « palestinien ». Ce simple changement a été bouleversant, car les Arabes, les Palestiniens et les peuples du monde entier ont commencé à établir de nouvelles associations avec le discours politique relatif à la Palestine. L’isolement de la Palestine a ainsi dépassé celui des sièges physiques et de l’occupation militaire pour entrer dans le domaine du langage.

Les Palestiniens se sont battus avec acharnement pour obtenir la position légitime et méritée de gardiens de leur propre combat. Bien que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ait été créée à la demande de l’Égypte lors du premier sommet arabe au Caire en 1964, les Palestiniens, sous la direction de Yasser Arafat du Fatah, n’en ont pris la tête qu’en 1969.

Cinq ans plus tard, lors du sommet arabe de Rabat (1974), l’OLP était collectivement considérée comme le « seul représentant légitime du peuple palestinien », et devait plus tard se voir accorder le statut d’observateur aux Nations unies.

Idéalement, un leadership palestinien véritablement indépendant devait être soutenu par une position arabe collective et unifiée, l’aidant dans le processus difficile et souvent sanglant de la libération. Les événements qui ont suivi ont toutefois témoigné d’une trajectoire bien moins idéale : Les divisions arabes et palestiniennes ont affaibli la position des deux camps, dispersant leurs énergies, leurs ressources et leurs décisions politiques.

Mais l’histoire n’est pas destinée à suivre le même schéma. Bien que les expériences historiques puissent sembler se répéter, la roue de l’histoire peut être canalisée pour aller dans la bonne direction.

Gaza, et la grande injustice résultant de la destruction causée par le génocide israélien dans la bande de Gaza, est une fois de plus un catalyseur pour le dialogue arabe et, s’il y a assez de volonté, pour l’unité.

Les Palestiniens ont démontré que leur soumoud (résilience) suffit à repousser toutes les stratagèmes visant à leur destruction, mais les nations arabes doivent reprendre leur position de première ligne de solidarité et de soutien au peuple palestinien, non seulement pour le bien de la Palestine elle-même, mais aussi pour celui de toutes les nations arabes.

L’unité est désormais essentielle pour recentrer la juste cause de la Palestine, afin que le langage puisse, une fois de plus, évoluer, en insérant la composante « arabe » comme un mot essentiel dans une lutte pour la liberté qui devrait concerner toutes les nations arabes et musulmanes, et, en fait, le monde entier.


24/02/2025

URI MISGAV
Netanyahou, le trouillard cynique, a utilisé et abandonné la famille Bibas

Uri Misgav, Haaretz, 20/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le cynisme du Premier ministre Benjamin Netanyahou envers la famille Bibas est sans limite. Au début du mois, sa femme a posté des photos de la Chambre des représentants des USA sur Instagram : elle se tient près d’une grande affiche d’Ariel Bibas qui y est exposée. Lors de sa précédente visite, elle portait une tenue orange en hommage aux enfants Bibas. Ils sont roux, elle est en orange - vous saisissez ? Il faut les ramener à la maison.


Affiches montrant Shiri, Kfir et Ariel Bibas sur la place des Otages à Tel-Aviv, mercredi. Photo Tomer Appelbaum

 Nous savons depuis un certain temps que Shiri et ses jeunes enfants ne sont plus en vie. Ils ont probablement été tués par les bombardements de l’armée de l’air israélienne au début de la guerre de Gaza. Les djihadistes barbares sont responsables de leur enlèvement et de leur mort, mais le gouvernement israélien et l’armée, qui ne faisaient que suivre les ordres, sont complices de leur mort, comme celle de tous les autres otages morts en captivité. La pression militaire ne les a pas ramenés, elle les a tués.

Cela ne s’arrête pas là. Avant la première série de libérations d’otages en décembre 2023, le Hamas a annoncé qu’il ne pouvait pas rendre la famille Bibas parce qu’elle était morte et a proposé à la place trois otages vivants de sexe masculin. Netanyahou a refusé l’offre. Les trois hommes sont également morts depuis. Les Bibas ont été utilisés pour sacrifier la vie d’autres otages.

L’institut de médecine légale a été prévenu de se préparer à l’arrivée des corps tôt jeudi matin. Netanyahou espère certainement que cela se fera pendant qu’il fait encore nuit. Canal 12 s’est rapidement porté volontaire pour ne pas diffuser les photos « sans le consentement des familles ». Il ne reste presque plus de famille Bibas pour le faire ; les parents de Shiri ont également été assassinés le 7 octobre.

J’ai visité les ruines du kibboutz Kfar Aza cette semaine ; deux semaines plus tôt, j’ai visité Kissufim. Le temps s’est presque arrêté là-bas, dans la vallée du massacre. Et le Premier ministre détaché et narcissique, qui n’y est pas allé depuis le massacre, a le culot de dire à un sympathique intervieweur de Fox News qu’il se sent merveilleusement bien ; il a récemment informé ses juges intimidés qu’il va bien. Cet homme devrait être jugé pour des crimes mille fois plus graves que la corruption, la fraude et l’abus de confiance.

Pendant ce temps, il exploite la faiblesse d’une démocratie malmenée pour planifier son attaque contre l’Iran. Ses alliés, Yariv Levin et Simcha Rothman, font de leur mieux pour relancer la réforme judiciaire. Sa chaîne de propagande diffuse des histoires de trahison qui auraient eu lieu le 7 octobre. La Haute Cour de justice est présentée comme une alliée du Hamas (quelle ironie !).

Le sang des hauts fonctionnaires de la Cour suprême est versé. Son président élu, Isaac Amit, est désigné comme « l’accusé » ; l’ancien vice-président est « Mohammed » Vogelman. Le nouvel eunuque, le ministre des Affaires étrangères Gideon Sa’ar, attaque grossièrement le procureur général qu’il a lui-même nommé. Pendant ce temps, Netanyahou qualifie le chef du service de sécurité du Shin Bet, responsable de sa sécurité personnelle et de l’enquête sur l’affaire du Qatar, de « fonctionnaire ».

Voici une nouvelle tactique : inonder la fonction publique de fonctionnaires intérimaires sans caractère. Drorit Steinmetz en tant que directeur général par intérim du cabinet du Premier ministre et Roi Kahlon en tant que commissaire par intérim de la fonction publique. Netanyahou demande également le remplacement du conseiller juridique de son bureau qui prend sa retraite. Les personnes nommées à titre conditionnel sont évaluées en fonction de leur capacité à servir loyalement la famille. Et comme il ne s’agit pas de nominations permanentes, elles ne peuvent pas être contestées devant les tribunaux.

Dans cet État épuisé et en désintégration, Netanyahou fantasme sur le sacrifice des otages restants et la reprise de la guerre. C’est pourquoi les chefs du Shin Bet et du Mossad ont été écartés de la direction des négociations de la deuxième étape. Le lâche Netanyahou s’exprime anonymement contre eux, affirmant qu’ils ne savaient que « donner et donner » dans les négociations. À leur place, il a nommé l’ombre Ron Dermer, qui n’a jamais brigué de mandat et n’est fidèle qu’aux intérêts de son maître.

Pendant ce temps, Netanyahu dirige de fait un gouvernement minoritaire qui s’enfonce dans les sondages et manque de légitimité. Les chefs de l’establishment de la défense, avec les USAméricains d’un côté et l’opinion publique de l’autre, doivent lui faire comprendre que cela ne peut pas durer. Netanyahou ne comprend que le pouvoir.

23/02/2025

GIDEON LEVY
Le discours violent de Netanyahou porte en germe les futurs crimes de guerre de l’armée israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 23/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Tout rhétoricien sait que lorsque l’argument est faible, la solution consiste à augmenter le volume. Le ton de la conversation publique en Israël au cours des dernières semaines ne montre pas seulement la faiblesse de l’argumentation et la bassesse croissante du discours, il est également dangereux en soi.

 
Un homme discute avec un soldat israélien après avoir été empêché d’entrer dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, lors d’une opération militaire en cours, au début de la semaine. Photo MOHAMMAD MANSOUR/AFP

Le discours public israélien a adopté le langage basique de l’incitation à la violence contre tous les Palestiniens et les Arabes. Du Premier ministre au plus humble des reporters de terrain bafouilleux de la télévision, tous se sentent obligés de déblatérer grossièrement contre le Hamas et la bande de Gaza autant que possible, comme si cela renforçait la validité de leurs arguments. On ne peut plus dire “Hamas” [en le prononçant Khamas, NdT] sans y accoler l’adjectif “nazi”, ni parler de Gaza sans dire “monstres” ; c’est cette façon de parler qui est proprement monstrueuse.

Après que Benjamin Netanyahou a donné le ton, la compétition nationale de jurons et d’insultes a commencé.

« Nous sommes tous en colère contre les monstres du Hamas », a déclaré le premier ministre le  jour de la restitution des quatre corps des otages , conformément au cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, et il a immédiatement promis d’“anéantir” les assassins.

Le style, c’est l’homme, et ceux qui prononcent des mots tels que “monstres” et “anéantir” en disent plus sur eux-mêmes que sur l’objet de leurs paroles. Le meurtre de la famille Bibas était cruel et odieux. Mais celui qui parle de “monstres” décrit aussi les actions de ses soldats, qui ont tué des milliers d’enfants.

Lorsqu’il a été annoncé que les restes présumés de Shiri Bibas n’étaient pas les siens, il n’a plus pris de gants. Netanyahou a répété “monstres”, cette fois dans sa langue officielle, l’anglais. L’armée des aboyeurs a suivi dans son sillage, et le fait que le Hamas ait corrigé l’erreur du jour au lendemain n’y a rien changé. Monstres ils étaient, monstres ils restent.

Les cérémonies de remise d’otages, y compris les cérémonies émouvantes de samedi, ont également attesté du “nazisme” et de la “monstruosité” du Hamas. Ceux qui organisent de telles cérémonies sont des nazis - on ne sait pas trop pourquoi - et ceux qui exploitent ce moment à des fins de propagande sont aussi, apparemment, des nazis. Seul Israël est autorisé à exploiter le retour des otages à des fins de propagande.

La vérité doit être dite : la plupart des remises d’otages se sont déroulées sans heurts, même si les Israéliens n’aiment pas voir un otage déposer un baiser sur le front de ses deux ravisseurs, comme l’a fait l’un d’entre eux samedi. Les présentateurs des journaux télévisés se sont empressés de rassurer les téléspectateurs : le baiser a été forcé, même si cela ne semblait pas être le cas.

Pourquoi font-ils cela ? Après tout, le mal du Hamas est évident dans ses actions : pourquoi tout le monde, de l’armée au journaliste israélien Amnon Abramovich, ajoute-t-il de l’incitation à la haine ? Netanyahou, qui se nourrit de l’incitation pour ses besoins politiques, est une chose, mais pourquoi les médias ? Mais seulement pour trouver des faveurs, pour recevoir une tape dans le dos de la part des masses enflammées.

Le Hamas n’est pas à défendre. Il s’agit d’une organisation dépravée [sic] qui a mené une attaque dépravée [resic] contre Israël. Mais le discours contaminé aura un prix élevé. Un cinquième des Israéliens sont des Palestiniens : Comment allons-nous vivre avec eux alors que leurs frères sont des monstres nazis ? La moitié des personnes vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée sont des Palestiniens : comment allons-nous vivre à leurs côtés ? Israël a lancé cette terrible attaque sur Gaza avant que le discours sur les “monstres” ne commence.

Le 7 octobre 2023 a semé le trouble dans la conscience des Israéliens, et la rhétorique incendiaire des politiciens et des médias y a ajouté. L’humanité n’existe plus en Israël, car il n’y a plus de non-combattants à Gaza. Pas même les nourrissons qui sont morts à peine nés. Ni même les hommes de paix et de sagesse de Gaza (oui, il y en a aussi).

Ajoutez à cela le discours empoisonné de ces dernières semaines et imaginez à quoi ressemblera la prochaine guerre, qui sera dirigée non seulement contre le Hamas mais aussi contre les monstres nazis.

Imaginez les pensées qui traversent la tête d’un soldat envahissant une maison en Cisjordanie, alors que cette incitation coule dans ses veines. S’il croit entrer dans la maison de monstres nazis, comment traitera-t-il ses habitants ? Il détruira davantage et tuera davantage, d’une manière plus brutale que jamais. 

Un jour, nous regretterons la délicatesse et la retenue morale de Tsahal dans la guerre actuelle, avec seulement la moitié de la bande de Gaza détruite et seulement 15 000 enfants morts. Attendez la prochaine guerre que nous mènerons contre les nazis.


Emad Hajjaj


 

20/02/2025

GIDEON LEVY
Il n’y a aucun pavé de la mémoire à Gaza pour honorer la mémoire des Palestiniens morts

Gideon Levy, Haaretz, 19/02/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans le quartier berlinois de Charlottenburg, a écrit Naama Riba (Haaretz en hébreu, mardi), il y a une rue avec des dizaines de Stolpersteine, ou pavés de la mémoire, de couleur dorée, incrustés dans le trottoir en mémoire des Juifs qui y ont vécu autrefois. Le droit d’Israël à exister, a fait valoir Riba, découle des événements que ces pierres commémorent.

Les « Stolpersteine », des “pierres sur lesquelles on trébuche”, commémorent les dernières résidences volontaires de Juifs tués par les nazis. Ici dans la Servitengasse à Vienne. Photo Fausto Giudice

En revanche, dans le quartier de Rimal, à Gaza, il ne reste plus de trottoirs, seulement une dévastation totale. L’hôpital Al-Shifa de la ville a également été détruit, ainsi que des immeubles d’habitation, des écoles et des hôtels. Il n’y a pas de « Stolpersteine » dorés à Rimal pour honorer la mémoire des centaines de ses résidents palestiniens tués pendant la guerre. Si de telles pierres existaient, elles pourraient témoigner de la lutte du peuple palestinien pour un État qui le protégerait.

Mais Riba est aveugle aux ruines de Rimal et de Gaza. Elle ne voit que la façon dont les Palestiniens traitent les personnes LGBTQ+. Dans son éditorial, elle critique trois auteurs de Haaretz : Hanin Majadli, Michael Sfard et moi-même, pour avoir remis en question la légitimité de l’existence d’Israël, un État dont la justification – affirme-t-elle – réside dans les pierres de la rue Giesebrecht à Berlin-Charlottenburg.

Je n’ai jamais remis en question le droit d’Israël à exister. Ce que je remets en question, en revanche, c’est son droit d’agir comme il le fait et de commettre les atrocités qu’il commet. Ce sont les actions d’Israël qui remettent en question sa légitimité.

Depuis un siècle, les Palestiniens subissent des persécutions, des dépossessions, des meurtres et des destructions incessants. Aucun meurtre, pas même celui de l’arrière-grand-père de Riba, tué par des Arabes alors qu’il se rendait à la synagogue de Haïfa, ne peut justifier cela.

19/02/2025

RONEN TAL
Le chercheur israélien Hani Zubida a une question pour les Mizrahim : “Quand allez-vous réaliser que vous êtes arabes ? ”

Le chercheur et activiste social Hani Zubida refuse d’accepter les stéréotypes sur les Mizrahim et aime jouer avec la double identité que suggère son nom tout en cherchant à promouvoir un nouveau discours ethnique israélien.


Hani Zubida. Photo : Ella Barak

Ronen Tal, Haaretz, 15/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Hani Zubida a l’habitude d’être automatiquement traité comme un suspect dans les aéroports à cause de son nom, mais lors de l’interrogatoire de sécurité auquel il a été soumis à son entrée en Israël lors de sa dernière visite, il a estimé que les émissaires de l’État avaient exagéré.

« Ils nous ont soumis à trois contrôles. Aviva, ma femme, a failli craquer d’angoisse », raconte-t-il. « Une fille de 21 ans pensait que je suis arabe. Elle est allée parler aux responsables et cela a pris des heures. Elle est partie, revenue, puis repartie. Zubida. Arabe. Terroriste. Elle a des tonnes de questions. « Êtes-vous mariés ? » Oui. « Avez-vous des enfants ? » Oui. « Comment s’appellent les enfants ? » »

Zubida a affirmé à maintes reprises qu’en tant que Juif né en Irak, il vivait en harmonie avec son identité arabe. Mais cela ne signifie pas qu’il veut qu’on lui rappelle à chaque fois la procédure humiliante que subissent 20 % des citoyens israéliens lorsqu’ils ont l’envie de partir en vacances à l’étranger.

« Ils nous rendent toujours fous. Je comprends la question de la sécurité. Avant, j’essayais de garder mon calme, mais cette fois-ci, je n’ai vraiment pas trouvé ça drôle. Ce qui me met en colère, c’est l’ignorance qui permet que cela se produise. Mais d’un autre côté, ça équilibre ma perception du monde. J’ai un doctorat en sciences politiques, j’ai fait de la télévision, je suis célèbre, mais au final, tu as un nom arabe, alors calme-toi, tu n’es pas vraiment Israélien. »

Quand il n’est pas en train d’attendre pour s’enregistrer, Zoubi aime en fait défier le public avec sa double identité. « Je vais parler dans les zones périphériques, et ils me voient et s’énervent. Tout de suite, ils me disent : « Tu aimes les Arabes. » Je leur dis [en chuchotant] : « Ne le dites à personne, mais [en criant] vous êtes aussi des Arabes. Quand vous rentrez chez vous, quelle langue parlez-vous ? » Je sors le téléphone et je mets de la musique de Farid El Atrache, et tout le monde apprécie. « Alors, ça suffit. Vous êtes arabes. Quand allez-vous réaliser que vous êtes arabes ? »

La routine automatique du contrôle de sécurité - un homme d’apparence moyen-orientale soupçonné d’être arabe - aurait pu faire l’objet d’un article dans le recueil d’essais récemment publié par Zubida, coédité avec le Dr Reut Reina Bendrihem, Brique noire : les Juifs mizrahim écrivent une nouvelle réalité israélienne (en hébreu). C’est un livre ambitieux, d’une ampleur sans précédent (557 pages), qui cherche à proposer un nouveau discours ethnique israélien, inclusif et ouvert, en lieu et place de l’approche actuelle, exclusive, qui encourage la haine et sert principalement les politiciens et les pourvoyeurs de poison. Les 80 articles du livre ont été écrits par des universitaires, des intellectuels, des artistes et des militants sociaux, parmi lesquels Yehouda Shenhav-Shahrabani, Merav Alush Levron, Ishak Saporta, Yifat Bitton et Carmen Elmakiyes.

Le livre couvre presque tous les aspects imaginables de la vie israélienne : de l’éducation à la télévision, du système judiciaire au logement social, de l’affaire des enfants yéménites à l’équipe de football Betar de Jérusalem, du Shas aux kibboutzim, de la féminité à la masculinité, de la nourriture au design. Parmi les auteurs figurent également des Ashkénazes, des membres de la communauté éthiopienne et des Arabes.

« Nous voulions donner une tribune aux écrivains issus de groupes marginaux qui ont été exclus de l’écriture de l’histoire collective d’Israël », écrivent les éditeurs dans l’avant-propos. Il en ressort un panorama critique qui élargit la discussion et l’ouvre également à des groupes qui ne sont pas mizrahim, c’est-à-dire des Juifs dont les origines se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. On y trouve une voix féministe prononcée, des expressions de solidarité avec les citoyens palestiniens d’Israël et un appel à une véritable égalité, le tout dans un contexte d’introspection, de reconnaissance des torts qui ont été commis et de volonté d’engager un dialogue sincère à leur sujet.

L’idée, explique Zubida, 58 ans, a vu le jour il y a six ans lors d’une rencontre sociale. « C’était à Nes Tziona, dans l’appartement de [l’intellectuel politique] Benny Nurieli et [de l’anthropologue] Reut Reina Bendrihem, qui étaient alors en couple. Une réunion autour d’un café et d’une bière, au cours de laquelle une conversation s’est engagée sur ce qui manquait à la société israélienne. J’ai dit que ce qui manquait, c’était un nouveau contenu, que nous utilisions des concepts obsolètes pour voir le monde contemporain, et que nous devions les mettre à jour.

J’ai suggéré de publier un recueil d’articles. Qu’il devrait contenir au moins 50 % de femmes et que je voulais également une représentation de l’Éthiopie, de l’ex-Union soviétique et des pays arabes. Le but de ce livre n’est pas de dénigrer davantage. Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec ce que je dis, mais parlons-en, et pas dans des cercles de dialogue où le fort vient vers le faible et lui dit : « Viens, assieds-toi, défoule-toi, puis retourne retrouver tes amis. »