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07/08/2025

HAARETZ
Une entreprise US, des chauffeurs d’Europe de l’Est, des liens avec Israël : qui est derrière l’acheminement de l’aide à Gaza

Arkel International, un sous-traitant du gouvernement usaméricain et d’armées du monde entier, transporte de l’aide vers les sites de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Son représentant en Israël est un homme d’affaires, consul honoraire du Rwanda, qui a précédemment négocié des contrats de défense en Afrique.

Bar Peleg, Yaniv Kubovich et Avi ScharfHaaretz, 5/8/2025

Traduit par Tlaxcala


Des véhicules blindés escortent des camions d’aide humanitaire vers le passage de Kerem Shalom, à la frontière entre Israël et la bande de Gaza. On peut voir un graffiti représentant le mot « millénaire » en hébreu sur l’avant d’un camion. Photo : Eliahu Hershkovitz

Au cours des derniers mois, un hôtel situé dans un kibboutz du sud d’Israël est devenu le lieu de résidence de chauffeurs routiers étrangers venus de plusieurs pays d’Europe de l’Est.

La plupart d’entre eux sont arrivés en Israël au cours des derniers mois après s’être vu promettre une opportunité financière qui leur permettrait de gagner un salaire beaucoup plus élevé que dans leur pays d’origine. Pour gagner leur vie, les chauffeurs doivent effectuer un trajet quotidien, parfois deux, entre le point de passage frontalier de Kerem Shalom et les points de distribution alimentaire à l’intérieur de la bande de Gaza.

Ces chauffeurs, principalement originaires de Géorgie et de Serbie, pays avec lesquels Israël n’a pas conclu d’accord bilatéral en matière de main-d’œuvre, ont été amenés en Israël par une société usaméricaine impliquée dans le projet d’aide alimentaire dans la bande de Gaza : Arkel International LLC, une entreprise de construction et de logistique qui opère en tant que sous-traitant pour la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), a appris Haaretz.

La GHF, qui gère quatre centres de distribution d’aide dans la bande de Gaza, emploie au moins trois entreprises en tant que sous-traitants.

Jusqu’à présent, deux de ces sociétés étaient connues : la première est UG Solutions, qui a participé plus tôt cette année à la sécurisation du corridor de Netzarim lors d’un échange d’otages et qui s’occupe désormais de certains aspects de la sécurité sur les sites de distribution de l’aide humanitaire. La deuxième est Safe Reach Solutions, une société de logistique et d’opérations.

La troisième société, Arkel International, est responsable de la logistique des opérations de distribution de l’aide humanitaire.

Selon les documents constitutifs de la société en Israël, son représentant autorisé dans le pays est Hezi Bezalel, un homme d’affaires israélien qui a précédemment négocié des contrats de défense en Afrique. La société affirme qu’il n’est pas impliqué dans ses activités et qu’il a seulement aidé à sa création en Israël.

« Je suis chauffeur routier en Géorgie . Mon patron m’a proposé de venir en Israël par l’intermédiaire d’un courtier et m’a dit que je pouvais gagner deux fois plus, voire plus », a déclaré à Haaretz un chauffeur routier de 32 ans, marié et père d’une fille.

Lorsqu’on lui a demandé qui l’avait amené en Israël et qui payait son salaire, il a répondu : « C’est la société Arkel qui nous a amenés ici. C’est elle qui nous paie nos salaires, et c’est avec elle que nous avons signé le contrat. Notre travail consiste à partir le matin dans un convoi de camions et à entrer dans Gaza. L’armée israélienne nous escorte jusqu’à la zone de distribution. Nous arrivons avec les camions, ils les déchargent pour nous sur le site, et nous repartons immédiatement. Il y a parfois deux trajets par jour », a déclaré le chauffeur.

Arkel transporte des colis alimentaires depuis un point de chargement près de Kerem Shalom vers des lieux de livraison à l’intérieur de Gaza : trois dans le sud, près des ruines de Rafah, et un le long de la partie sud du corridor de Netzarim. Dans le cadre de ce projet, Arkel a fait venir en Israël des dizaines de travailleurs étrangers, dont certains chauffeurs routiers d’Europe de l’Est.

Arkel est enregistrée dans l’État de Louisiane, aux USA, depuis 2005. La société s’est enregistrée en Israël en tant que société étrangère le 13 mai 2025, une semaine avant que les centres de distribution de l’aide du GHF ne commencent leurs activités dans la bande de Gaza et un jour avant l’enregistrement de Safe Reach Solutions en Israël. Au moins un des dirigeants d’Arkel vit en Israël depuis octobre 2024.


Hezi Bezalel (né en 1951) est un homme d'affaires, banquier d'investissement et producteur de cinéma très impliqué en Afrique de l'Est (Kenya, Ouganda, Rwanda, Éthiopie) et ami personnel de Paul Kagame

Au moins un mois avant l’enregistrement officiel de la société en Israël, des discussions étaient déjà en cours concernant sa création. Comme l’a précédemment rapporté Haaretz, l’opération d’aide à Gaza a été lancée par des officiers du commandement sud de l’armée israélienne, à l’insu de l’ensemble des autorités de défense, et coordonnée par le bureau du Premier ministre.

Selon une source proche du projet, Arkel devait initialement construire les sites de distribution à l’intérieur de Gaza, mais cette tâche a finalement été confiée à l’armée israélienne.

Dans les documents constitutifs d’Arkel en Israël, c’est Hezi Bezalel, un homme d’affaires qui a fondé un opérateur de téléphonie mobile en Israël, négocié des contrats de défense en Afrique et occupe le poste de consul honoraire du Rwanda en Israël, qui est désigné comme le représentant de la société en Israël.

La société lui a donné procuration pour gérer ses activités en Israël, ouvrir et gérer un compte bancaire pour la société, nommer des avocats et des comptables pour la société et recevoir des documents juridiques au nom de la société.

La société affirme que Bezalel n’a fait que l’aider à se lancer en Israël, grâce à une relation de longue date nouée au fil de projets menés en Afrique depuis des décennies, et qu’il n’est pas un partenaire commercial. Selon une source bien informée, Bezalel aurait même obtenu l’accord du ministère de la Défense avant l’ouverture de la société en Israël.

Un employé d’Arkel a déclaré à Haaretz que les seuls signataires autorisés au sein de la société sont aujourd’hui le PDG et le directeur des opérations ; cependant, le nom de Bezalel n’a pas encore été retiré du dossier de la société auprès de l’Autorité des sociétés israéliennes.

Actuellement, l’activité principale de la société consiste à transporter des marchandises depuis le point de chargement de Kerem Shalom vers des centres de distribution situés dans la bande de Gaza. Les camions utilisés par Arkel appartenaient auparavant à la société de logistique israélienne Millennium.

Des photos obtenues par Haaretz à proximité de Kerem Shalom montrent que le nom de la société a été grossièrement effacé à la peinture. Selon Arkel, les camions leur ont été vendus par Millennium.

Millennium a déclaré que les camions avaient été vendus à un fournisseur, sans toutefois préciser lequel. Les camions entrent dans la bande de Gaza en longs convois, sans plaque d’immatriculation, et sont sécurisés par du personnel d’autres entreprises sous-traitantes.

Comme mentionné, les chauffeurs sont des travailleurs d’Europe de l’Est, notamment de Géorgie et de Serbie, pays avec lesquels Israël n’a pas conclu d’accords bilatéraux pour l’importation de main-d’œuvre.


Des camions d’aide humanitaire d’Arkel sont garés dans le quai de chargement près du kibboutz Kerem Shalom, dans le sud d’Israël, dimanche. Les camions n’ont pas de plaques d’immatriculation et certains portent des graffitis noircissant le nom « Millennium ». Photo : Eliahu Hershkovitz

Les chauffeurs sont logés dans un kibboutz dans le sud d’Israël. « En gros, nous restons au kibboutz toute la journée, sauf lorsque nous livrons des marchandises à Gaza », a déclaré un chauffeur serbe. « Nous voulions vraiment visiter Jérusalem et Nazareth, mais nous ne sommes pas autorisés à trop nous déplacer à l’extérieur et, jusqu’à présent, nous n’avons pas organisé de visite touristique. »

Les chauffeurs indiquent qu’ils gagnent environ 4 000 shekels (1004 €) par mois, soit plus que le salaire moyen dans leur pays d’origine. « Le travail n’est pas vraiment dangereux », explique l’un d’eux. « Nous ne distribuons pas la nourriture. Nous quittons généralement Gaza dès que le chargement est déchargé. Il y a beaucoup d’explosions et de tirs tout le temps, mais cela ne nous vise pas, donc dans l’ensemble, c’est sûr. »

La plupart des chauffeurs interrogés par Haaretz ont déclaré que leur contrat expirait le mois prochain. « À l’heure actuelle, tout le monde ici est censé partir en septembre. On ne sait pas si les contrats seront prolongés ou si d’autres personnes seront recrutées pour nous remplacer. Un responsable a déclaré cette semaine que nous pourrions rentrer [chez nous] encore plus tôt, dans les prochaines semaines, car ces convois vers Gaza pourraient devenir inutiles », a déclaré un chauffeur.

Les marchandises transportées par les camions – certaines achetées en Israël, selon TheMarker – sont emballées dans des entrepôts en Israël, en partie au port d’Ashdod et à Jérusalem, puis chargées dans des camions dans un centre logistique construit près de la frontière avec Gaza.

TheMarker a indiqué que l’une des entreprises responsables était Millennium. Lors d’un entretien avec Haaretz, le propriétaire de Millennium, Shimon Sabah, a déclaré que son entreprise ne fournissait plus aucune aide logistique au client impliqué dans l’aide humanitaire à Gaza et que le fait que le logo n’ait pas été effacé des camions était dû à une négligence de la part de l’entreprise.

Arkel International est une société d’infrastructure et de services créée aux USA il y a environ 60 ans et enregistrée en Louisiane depuis 20 ans. Le seul propriétaire de toutes les actions d’Arkel est George H. Knost III. Le directeur est John Moore.

La société est un sous-traitant du gouvernement usaméricain et d’armées et de gouvernements du monde entier, qui gère des projets de construction, d’énergie et de logistique. Selon le site web aujourd’hui disparu de la société, celle-ci opère « là où d’autres ne peuvent ou ne veulent pas ».

Depuis 2010, la société a remporté plus d’une centaine de contrats d’une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars auprès du ministère usaméricain de la Défense et du département d’État pour des projets en Irak, en Afghanistan et ailleurs. C’est la première fois qu’elle entreprend un projet civilo-militaire de cette envergure en Israël.

La société est également impliquée dans le forage pétrolier et gazier et travaille comme sous-traitant pour le gouvernement usaméricain, ainsi que pour des armées et des gouvernements du monde entier, gérant des projets de construction, d’énergie et de logistique.


Des cartons contenant de l’aide humanitaire sont entreposés du côté gazaoui du point de passage de Kerem Shalom avant d’être distribués par la Fondation humanitaire de Gaza, en juillet. Photo : Ohad Zwigenberg/AP

Malgré les critiques internationales à l’encontre du projet d’aide à Gaza, Arkel est fière de ce travail, qu’elle considère comme un soutien à Israël et une aide pour renverser le contrôle du Hamas sur Gaza. Une source au sein de l’entreprise, s’exprimant auprès du journal Haaretz, a déclaré qu’elle estimait que la plupart des critiques à l’encontre du projet étaient « des fausses informations et de la propagande du Hamas visant à discréditer Israël ».

Travis Daharash, chef de projet chez Arkel, a déclaré : « Arkel fournit à la GHF un soutien logistique et en matière de construction. Bien que nous ne fournissions pas d’informations spécifiques sur notre main-d’œuvre pour des raisons de sécurité, celle-ci répond à toutes les exigences locales. »

Le financement du projet d’aide humanitaire est largement opaque et la GHF ne révèle pas l’identité de ses donateurs. En juin de cette année, environ un mois après le début des activités du fonds, le département d’État usaméricain a approuvé un financement de 30 millions de dollars pour l’entreprise. Selon un rapport de Reuters, cette somme sera versée par l’Agence américaine pour le développement international à la GHF, dont sept millions de dollars seront transférés immédiatement.

Jeudi, Reuters a rapporté que des responsables de l’administration Trump avaient déclaré au Congrès en juillet qu’Israël avait accepté de verser une somme équivalente à celle versée par les USA et de transférer 30 millions de dollars au fonds.

En juin dernier, Liel Kyzer a rapporté pour la chaîne publique Kan que le gouvernement avait prévu 700 millions de shekels [175 M€] pour l’aide humanitaire à Gaza et que cette mesure était financée par une réduction massive du budget de l’État, y compris des services sociaux.

Le ministère des Finances et le bureau du Premier ministre ont démenti cette information à l’époque, affirmant qu’Israël ne finance pas l’aide humanitaire à Gaza.

Les centres d’aide de la GHF ont commencé à fonctionner en mai. Ce fonds a été créé par Israël en collaboration avec des sociétés de sécurité privées.

Des travailleurs usaméricains et palestiniens gèrent ces centres, tandis que l’armée israélienne les sécurise à plusieurs centaines de mètres de distance. Chaque jour, des milliers, voire des dizaines de milliers de Gazaouis viennent chercher de la nourriture dans ces centres. Malgré les promesses faites par le fonds au début du projet d’aide, la distribution ne se fait pas de manière ordonnée, mais dans une bousculade générale pour s’emparer des cartons.

Haaretz a fait état d’un chaos généralisé sur les sites de distribution, où des centaines de Palestiniens ont été tués alors qu’ils se rendaient sur place pour recevoir de la nourriture depuis que le GHF a commencé ses opérations d’aide ces derniers mois.

 

04/08/2025

Lettre du gratin de l'appareil militaro-policier israélien à Trump

Voici la lettre que le gratin des retraités des forces armées, policières, de renseignement d’Israël, cosignée par 600 de leurs collègues, viennent d’envoyer à Mister Trump. Un document d’anthologie.



 Lettre des Commandants pour la sécurité d’Israël 

@cisorgil

 au président Trump

Président Donald J. Trump

La Maison Blanche

Monsieur le Président,

Arrêtez la guerre à Gaza !

Au nom du CIS, le plus grand groupe d’anciens généraux de l’armée israélienne et d’équivalents du Mossad, du Shin Bet, de la police et du corps diplomatique, nous vous exhortons à mettre fin à la guerre à Gaza.

Vous l’avez fait au Liban. Il est temps de le faire à Gaza également.

L’armée israélienne a depuis longtemps atteint les deux objectifs qui pouvaient être atteints par la force : démanteler les formations militaires et le gouvernement du Hamas. Le troisième, et le plus important, ne peut être atteint que par un accord : ramener tous les otages chez eux.

Selon notre avis professionnel, le Hamas ne représente plus une menace stratégique pour Israël, et notre expérience nous montre qu’Israël dispose de tous les moyens nécessaires pour faire face à ses capacités terroristes résiduelles, à distance ou autrement.

La traque des derniers cadres du Hamas peut être effectuée plus tard.

Nos otages ne peuvent pas attendre.

Votre crédibilité auprès de la grande majorité des Israéliens renforce votre capacité à orienter le Premier ministre Netanyahu et son gouvernement dans la bonne direction : mettre fin à la guerre, ramener les otages, mettre fin aux souffrances et forger une coalition régionale et internationale qui aide l’Autorité palestinienne (une fois réformée) à offrir aux Gazaouis et à tous les Palestiniens une alternative au Hamas et à son idéologie vicieuse.

Avec tout notre respect,

Général de division (à la retraite) Matan Vilnai
Ancien chef d’état-major adjoint de l’armée israélienne Président du CIS

Tamir Pardo
Ancien directeur du Mossad

Ambassadeur (à la retraite) Jeremy Issacharoff.
Ancien vice-directeur général, ministère des Affaires étrangères 

Assaf Hefetz
Ancien commissaire, police israélienne

Amiral (à la retraite) Ami Ayalon
 Ancien directeur de l’ISA (Shabak/Shinbet)

 @realDonaldTrump

@SteveWitkoff

#Stopthewar #BringThemHomeNow

SARAH B.
Tontons flingueurs en croisade : comment des extrémistes évangéliques et d’anciens membres des forces spéciales ont détourné l’humanitaire à Gaza

À Gaza, l’humanitarisme a été détourné par des croisés armés de fusils, d’exorcismes et d’une mission divine visant à refaire le champ de bataille à l’image de Dieu.

Sarah B., DD Geopolitics , 31/7/2025
Traduit par Tlaxcala

Sommaire

I. Le retour de la croisade…………………………………………………….2

II. Une nouvelle race de mercenaires : rencontrez les croisés……......4

III. La doctrine de la délivrance……………………………………………..15

IV. Les enfants : la lutte contre la traite comme couverture………......20

V. Gaza : un champ de bataille pour l’âme………………………………..23

VI. Au-delà de Gaza, un réseau de domination…………………………..26

VII. L’ombre des complots et des fronts du renseignement………..…29

VIII. Conclusion : l’instrumentalisation de la foi………………………....31


Écouter résumé audio (6:52)



RICARDO MOHREZ MUVDI
Que cache l’avalanche de reconnaissances de l’État palestinien ?

Ricardo Mohrez Muvdi, Resumen Latinoamericano, 3/8/2025

Traduit par Tlaxcala

Ricardo Mohrez Muvdi, Bogotá, est membre de la présidence de l’Union palestinienne d’Amérique latine (UPAL) et président de la Fondation culturelle colombo-palestinienne.

Au cours des dernières semaines, une vague de pays – dont l’Espagne, la Norvège, l’Irlande et la Slovénie – a annoncé en grande pompe sa reconnaissance de l’État palestinien. Pour certains, il s’agit d’un événement historique. Pour d’autres, c’est une victoire morale après des décennies d’occupation et de souffrances. Mais derrière ces gestes diplomatiques se cache une stratégie beaucoup plus complexe. La question est inévitable : quels sont les intérêts réels qui se cachent derrière cette avalanche soudaine de reconnaissances ?



Un État palestinien... ou une issue pour l’Occident ?

Tout d’abord, il faut comprendre que ces reconnaissances ne surgissent pas de nulle part. Elles interviennent au milieu d’une guerre génocidaire contre Gaza, où Israël a échoué dans sa tentative d’éliminer la résistance palestinienne, en particulier le Hamas. Ni les bombes, ni la famine, ni les déplacements forcés n’ont réussi à soumettre un peuple qui résiste avec dignité.

Face à cet échec, l’Occident – et en particulier les USA et l’Europe – cherchent un « plan B ». Ils ne peuvent plus soutenir le discours selon lequel Israël « se défend ». Ils doivent proposer une alternative qui permette de maintenir le contrôle politique, de désamorcer la résistance et d’apaiser la pression sociale interne. C’est là qu’intervient la reconnaissance de l’« État palestinien ».

Mais il y a un hic. Car l’État reconnu n’a ni frontières, ni armée, ni souveraineté sur son territoire. Il ne contrôle ni son espace aérien ni son espace maritime. Il ne peut garantir la sécurité de ses citoyens et n’a aucune unité politique. Il s’agit, en substance, d’un fantôme administratif sous occupation. Et ce n’est pas un véritable État.

Une opération de blanchiment d’image pour l’Europe

Ces reconnaissances servent également à soulager la conscience de l’Europe. Après des mois de complicité avec le génocide – que ce soit par le silence, le soutien militaire ou des sanctions sélectives contre la résistance – elle tente maintenant d’équilibrer la balance par un geste symbolique. Elle parle de « deux États » comme si c’était encore une option viable, alors qu’en réalité Israël a tellement fragmenté et colonisé le territoire que cette formule est devenue impraticable.

On reconnaît un « État palestinien », mais on ne sanctionne pas Israël, on ne cesse pas la vente d’armes, on n’arrête pas l’expansion des colonies. En d’autres termes, on légitime une solution diplomatique sans modifier les conditions matérielles de l’occupation.

Et si le véritable objectif était de remplacer la résistance ?

Un autre élément préoccupant est la question de savoir qui on reconnait. La plupart de ces pays continuent de considérer l’[In]Autorité palestinienne comme le « gouvernement légitime » du peuple palestinien, malgré son manque de représentativité, sa corruption interne et sa collaboration avec l’occupation.

Sommes-nous face à une tentative de réorganisation de la direction palestinienne depuis l’extérieur, excluant les mouvements de résistance tels que le Hamas ou le Jihad islamique ? Cherche-t-on à créer un État artificiel, obéissant, qui administrerait l’occupation sans la remettre en question ?

Si tel est le cas, l’avalanche de reconnaissances serait moins un signe de solidarité qu’une manœuvre géopolitique visant à neutraliser la lutte du peuple palestinien.

Le piège de l’État fictif

Il y a un risque énorme que le monde commence à parler de la Palestine comme d’un « État reconnu » alors qu’elle reste en pratique une nation occupée, colonisée et bloquée. Cette fiction juridique peut être utilisée pour geler le conflit, désamorcer les dénonciations internationales et rendre les victimes elles-mêmes responsables de leur situation.

Dans ce scénario, la cause palestinienne passe d’une lutte anticoloniale légitime à un différend bureaucratique entre « deux gouvernements ». L’histoire est effacée, l’apartheid est rendu invisible et la voix des martyrs est étouffée.

Conclusion

L’avalanche de reconnaissances n’est ni gratuite, ni désintéressée, ni révolutionnaire. Elle s’inscrit dans un réajustement politique mondial face à l’usure morale de l’Occident et à la montée de la résistance palestinienne. Elle peut être utile sur le plan diplomatique, certes, mais nous ne devons pas nous laisser berner : la véritable libération ne viendra pas des chancelleries, mais de la détermination du peuple palestinien, à Gaza, en Cisjordanie, en exil et dans la diaspora. Tant que le régime d’occupation sioniste ne sera pas démantelé, aucune reconnaissance ne sera complète. Et tant que le sang continuera de couler à Gaza, aucun geste symbolique ne suffira.

 

David Grossman : misère du sionisme de gauche
“Notre cœur est au bon endroit : il bat dans une réalité qui est sans cœur”

Le 1er août, le quotidien italien la Repubblica a publié un entretien avec l’écrivain David Grossman reconnaissant qu’Israël est en train de commettre un génocide à Gaza. Les médias francophones se sont contentés de publier une dépêche de l’Agence France-Presse résumant le contenu de l’entretien. Il nous a semblé utile de le traduire in extenso pour que tout un chacun comprenne l’état d’esprit lamentable dans lequel se trouve une grande partie de la vieille “gauche sioniste” censée être pacifiste. On lira, après l’entretien, le commentaire d’un blogueur militant italien.-FG, Tlaxcala


David Grossman : “À Gaza, c’est un génocide, ça me brise le cœur, mais je dois le dire maintenant”

Francesca Caferri, la Repubblica, 1/8/2025

« Pendant de nombreuses années, j’ai refusé d’utiliser ce mot. Mais aujourd’hui, après les images que j’ai vues, ce que j’ai lu et ce que j’ai entendu de la bouche de personnes qui étaient là-bas, je ne peux plus m’empêcher de l’utiliser », explique l’écrivain israélien.

Entre le moment où nous avons pris contact pour cette interview et le moment où elle a effectivement eu lieu, soit moins de 24 heures, 103 personnes sont mortes à Gaza : 47 alors qu’elles tentaient d’accéder à l’aide alimentaire, sept de faim, les autres lors de différentes opérations militaires israéliennes. David Grossman a lu, comme moi, les chiffres publiés dans Haaretz : c’est de là que part cette conversation. Elle est dictée, nous explique-t-il, par un sentiment d’« inévitabilité. Je ressens une urgence intérieure de faire ce qui est juste, et c’est le moment de le faire, explique-t-il. Parfois, on ne parvient à vraiment comprendre les choses qu’en en parlant ».

Commençons par les chiffres : quand vous lisez les chiffres des morts à Gaza, que pensez-vous ?

« Je me sens mal. Même si je sais que ces chiffres sont contrôlés par le Hamas et qu’Israël ne peut être le seul responsable de toutes les atrocités dont nous sommes témoins. Malgré ça, lire dans un journal ou entendre dans des conversations avec des amis en Europe l’association des mots « Israël » et « famine » ; le faire en partant de notre histoire, de notre prétendue sensibilité à la souffrance humaine, de la responsabilité morale que nous avons toujours dit avoir envers chaque être humain et pas seulement envers les Juifs... tout ça est dévastateur. Et ça me trouble : non pas d’un point de vue moral, mais personnel. Je me demande : comment avons-nous pu en arriver là ? À être accusés de génocide ? Le simple fait de prononcer ce mot, « génocide », en référence à Israël, au peuple juif : cela suffirait, le fait qu’il y ait cette association, pour dire qu’il se passe quelque chose de très grave. Un juge de la Cour suprême israélienne a dit un jour que le pouvoir corrompt, et que le pouvoir absolu corrompt absolument. Et voilà, c’est ce qui nous est arrivé : l’occupation nous a corrompus. Je suis absolument convaincu que la malédiction d’Israël est née avec l’occupation des territoires palestiniens en 1967. Les gens en ont peut-être assez d’en entendre parler, mais c’est ainsi. Nous sommes devenus très forts sur le plan militaire et nous avons succombé à la tentation générée par notre pouvoir absolu et l’idée que nous pouvons tout faire ».

Vous avez utilisé le mot interdit : « génocide ». Dans un article publié il y a quelques jours dans Haaretz, la juriste israélienne Orit Kamir a qualifié ce qui se passe à Gaza de « trahison des victimes de l’Holocauste ». Dans le New York Times, l’historien israélien Omer Bartov a écrit : «Je suis un spécialiste du génocide. Quand j’en vois un, je le reconnais Un génocide est en cours à Gaza ». Êtes-vous d’accord ?

« Pendant des années, j’ai refusé d’utiliser ce mot : « génocide ». Mais aujourd’hui, je ne peux plus m’empêcher de l’utiliser, après ce que j’ai lu dans les journaux, après les images que j’ai vues et après avoir parlé à des personnes qui étaient là-bas. Mais vous voyez, ce mot sert principalement à donner une définition ou à des fins juridiques : moi, je veux parler en tant qu’être humain né dans ce conflit et dont toute l’existence a été dévastée par l’occupation et la guerre. Je veux parler en tant que personne qui a fait tout ce qu’elle pouvait pour ne pas en arriver à qualifier Israël d’État génocidaire. Et maintenant, avec une immense douleur et le cœur brisé, je dois constater que cela se passe sous mes yeux. « Génocide ». C’est un mot qui fait l’effet d’une avalanche : une fois prononcé, il ne fait que grossir, comme une avalanche justement. Et il apporte encore plus de destruction et de souffrance.

Où allons-nous à partir de là ?

« Nous devons trouver un moyen de sortir de cette association entre Israël et le génocide. Tout d’abord, nous ne devons pas permettre à ceux qui ont des sentiments antisémites d’utiliser et de manipuler le mot « génocide ». Ensuite, nous devons nous poser la question suivante : sommes-nous capables, en tant que nation, sommes-nous assez forts pour résister aux germes du génocide, de la haine, des massacres ? Ou devons-nous nous abandonner au pouvoir que nous confère le fait d’être les plus forts ? J’entends des gens comme Smotrich et Ben Gvir (deux ministres israéliens d’extrême droite, ndlr) dire que nous devons reconstruire des colonies à Gaza : mais que disent-ils ? Ne se souviennent-ils pas de ce qui se passait quand nous étions là-bas, avec le Hamas qui tuait des centaines de civils israéliens, des femmes et des enfants, sans que nous puissions les protéger ? Nous n’avons pas quitté Gaza par générosité, mais parce que nous ne pouvions pas protéger notre peuple. La grande erreur des Palestiniens est qu’ils auraient pu en faire un endroit prospère : au lieu de cela, ils ont cédé au fanatisme et l’ont utilisé comme rampe de lancement pour des missiles contre Israël. S’ils avaient fait un autre choix, cela aurait peut-être poussé Israël à céder également la Cisjordanie et à mettre fin à l’occupation il y a des années. Au lieu de cela, les Palestiniens n’ont pas su résister à la tentation du pouvoir : ils nous ont tiré dessus, nous leur avons tiré dessus et nous nous sommes retrouvés dans la même situation. Si nous avions été plus mûrs politiquement, plus courageux, la réalité aurait pu être complètement différente. »

Pourquoi n’y a-t-il pas des millions de personnes dans les rues en Israël pour mettre fin à tout cela ? La faim, les massacres... Pourquoi n’y a-t-il toujours qu’une minorité du pays dans les rues ?

« Parce qu’il est plus facile de ne pas voir. Et il est très facile de céder à la peur et à la haine. Encore plus après le 7 octobre : vous étiez ici à cette époque, vous pouvez comprendre quand je dis que ça a été horrible, beaucoup de gens ne comprennent toujours pas ce que ça a signifié pour nous. Beaucoup de personnes que je connais ont abandonné depuis ce jour-là nos valeurs communes de gauche, ont cédé à la peur ; et soudain, leur vie est devenue plus facile, ils se sont sentis acceptés par la majorité, ils n’ont plus eu besoin de réfléchir. Sans comprendre que plus on cède à la peur, plus on est isolé et détesté en dehors d’Israël. La vie est l’histoire que nous nous racontons : ça vaut pour tout le monde. Mais quand on est Israël, entouré de voisins qui ne veulent pas de vous dans cette région, comme la Syrie, et qu’on commence à perdre le soutien de l’Europe, l’isolement s’accroît et on se retrouve dans un piège de plus en plus profond, dont il est difficile de sortir. Au contraire, vous risquez de ne pas pouvoir en sortir ».

Le silence de la majorité risque d’emporter tout le monde sans distinction, Israéliens et Juifs, y compris ceux qui ne sont pas d’accord. Vous savez ce qui s’est passé ces derniers jours dans un restaurant Autogrill près de Milan [un touriste français juif y aurait été agressé, NdT], puis il y a eu le navire qui n’a pas été autorisé à accoster en Grèce. Des artistes et des écrivains israéliens ont vu leurs invitations à l’étranger annulées pour avoir critiqué le gouvernement : pensez-vous que cela puisse vous arriver aussi ?

« Bien sûr que j’y pense : ce serait le signe des temps dans lesquels nous vivons. Ce serait regrettable. Mais cela ne m’empêchera pas de dire ce que je pense : je crois qu’il est essentiel d’écouter des idées comme les miennes en ce moment. Pour Israël et pour ceux qui aiment Israël ».

Vous avez dit que tout a commencé avec l’occupation. Vous l’avez écrit dans « Le Vent jaune », en 1987. Parlons de la Cisjordanie à l’époque : en Europe, on parle encore de deux États, mais il suffit de sortir de Jérusalem pour voir qu’il n’y a plus, physiquement, de place pour deux États. Les colonies sont en train de manger la terre des Palestiniens...

« Je reste désespérément fidèle à l’idée de deux États, principalement parce que je ne vois pas d’alternative. Ce sera complexe et nous devrons, tout comme les Palestiniens, faire preuve de maturité politique face aux attaques qui ne manqueront pas de se produire. Mais il n’y a pas d’autre plan ».

Que pensez-vous de la reconnaissance de l’État palestinien proposée par Macron ?

« Je pense que c’est une bonne idée et je ne comprends pas l’hystérie qui l’a accueillie ici en Israël. Peut-être qu’avoir affaire à un véritable État, avec des obligations réelles, et non à une entité ambiguë comme l’Autorité palestinienne, aura ses avantages. Il est clair qu’il devra y avoir des conditions très précises : pas d’armes. Et la garantie d’élections transparentes dont seront exclus tous ceux qui envisagent d’utiliser la violence contre Israël ».

À la fin de cette conversation, j’aimerais vous demander de répondre à ceux – et ils sont nombreux – qui disent que vous, les intellectuels israéliens, n’avez pas dit ou fait assez pour mettre fin à ce qui se passe à Gaza.

« Je pense qu’il est injuste de s’en prendre à ceux qui ont combattu l’occupation pendant 70 ans, qui ont consacré la majeure partie de leur vie et de leur carrière à cette lutte. Lorsque cette guerre a commencé, nous étions dans un état de désespoir total, car nous avions perdu tout ce en quoi nous avions cru et tout ce que nous aimions : je pense que notre réaction lente était naturelle et compréhensible. Il nous a fallu du temps pour comprendre ce que nous ressentions et ce que nous pensions, puis pour trouver les mots pour le dire. Ceux qui cherchaient une réaction en temps réel devaient la chercher ailleurs : je parle pour moi et pour ceux que je vois chaque semaine dans les manifestations, depuis des années maintenant. Notre cœur est au bon endroit : il bat dans une réalité qui est sans cœur ».

L’aveu de Grossman sur le génocide commis par Israël est la preuve qu’Israël ne rendra jamais justice

Alessandro Ferretti, 1/8/2025

Chercheur en physique à l’Université de Turin et blogueur

L’interview de David Grossman dans laquelle le gourou du sionisme de gauche se décide enfin à admettre qu’Israël est en train de commettre un génocide n’est pas un repentir dicté par l’empathie pour les horreurs indescriptibles que sa patrie a infligées et continue d’infliger aux Palestiniens, mais un condensé d’autoréférentialité absolue, une tentative pathétique et cynique de sauver Israël des conséquences de ses crimes.

Bien qu’il avoue savoir qu’Israël commet des crimes innommables, il n’exprime jamais de douleur pour les victimes, mais seulement de l’inquiétude pour Israël et pour l’impasse dans laquelle il s’est fourré, en essayant de sauver tout ce qui peut être sauvé de l’entreprise sioniste. Cette priorité est évidente dans tous les points de l’interview : « Je veux parler comme quelqu’un qui a fait tout ce qu’il pouvait pour ne pas en arriver à qualifier Israël d’État génocidaire ». À la question « que faire », sa réponse n’est pas « arrêter le génocide et rendre liberté et justice aux victimes », mais « nous devons trouver un moyen de sortir de cette association entre Israël et le génocide. Avant tout, nous ne devons pas permettre à ceux qui ont des sentiments antisémites d’utiliser et de manipuler le mot « génocide » ».

En outre, il réitère sans vergogne des récits totalement faux et tendancieux, comme celui selon lequel le Hamas aurait eu la possibilité de transformer Gaza en un jardin des délices, et tout en se déclarant à contrecœur favorable à la solution à deux États comme « seule possibilité », il a l’arrogance d’ajouter : « Il est clair qu’il devra y avoir des conditions très précises : pas d’armes. Et la garantie d’élections transparentes dont seront exclus tous ceux qui envisagent d’utiliser la violence contre Israël ». En pratique, sa solution est un bantoustan sans défense, sous tutelle et à souveraineté limitée, présenté de surcroît comme un cadeau généreux.

En somme, si l’on pouvait auparavant justifier son attitude par le doute qu’il n’ait pas compris ce qui se passait, il est désormais malheureusement incontestable que Grossman est une personne émotionnellement lobotomisée, dépourvue d’empathie, horrible et corrompu jusqu’à la moelle, et si Grossman est représentatif de la grande majorité de l’opposition à Netanyahu, alors nous avons une nouvelle confirmation qu’il n’y a aucun espoir à court terme qu’Israël reconnaisse de lui-même ses crimes et rende leur dignité et leur indépendance aux Palestiniens. Au lieu de démontrer qu’Israël comprendra et reviendra sur ses pas, cette interview prouve le contraire : seules des sanctions politiques, diplomatiques et économiques pourront mettre fin au massacre et rétablir la justice, et le seul moyen d’y parvenir est d’agir à la base contre les gouvernements (comme celui de l’Italie) qui continuent de rendre possible l’horreur.

03/08/2025

GIDEON LEVY
Reconnaître la Palestine n'arrêtera pas le génocide à Gaza – Seules des sanctions contre Israël le feront

Gideon Levy, Haaretz, 3/8/2025
Traduit par Tlaxcala

La reconnaissance européenne de la Palestine est un geste creux qui permet à Israël de s'en tirer à bon compte. Sans sanctions pour mettre fin au massacre à Gaza, ce n'est pas de la diplomatie, c'est de la complicité.


La reconnaissance internationale d'un État palestinien récompense Israël, qui devrait remercier chaque pays qui le fait, car cette reconnaissance sert d'alternative trompeuse à ce qui doit réellement être fait : imposer des sanctions.

La reconnaissance est un substitut erroné aux boycotts et aux mesures punitives qui devraient être pris à l'encontre d'un pays qui perpétue un génocide. La reconnaissance est une déclaration creuse que les gouvernements européens hésitants et faibles utilisent pour montrer à leur opinion publique en colère qu'ils ne restent pas silencieux.

Reconnaître un État palestinien, qui n'existe pas et n'existera pas dans un avenir proche, voire jamais, est un silence honteux. Les habitants de Gaza meurent de faim, et la réaction de l'Europe est de reconnaître un État palestinien. Cela sauvera-t-il les Gazaouis affamés ? Israël peut ignorer ces déclarations avec le soutien des USA.


Eran Wolkowski, Haaretz

On parle d'un « tsunami » diplomatique en Israël, tout en sachant qu'il n'atteindra pas les côtes israéliennes tant que la reconnaissance ne s'accompagnera pas d'un prix à payer pour le génocide.

Le Premier ministre britannique Keir Starmer, l'un des premiers à reconnaître la Palestine dans la vague actuelle, après la France, s'est surpassé. Il s'est empressé de présenter sa décision comme une sanction (conditionnelle), remplissant ainsi son devoir. Si Israël se comporte bien, a-t-il promis, il retirera son index accusateur.

De quel genre de sanction s'agit-il, Monsieur le Premier ministre ? Si, selon vous, la reconnaissance de la Palestine favorise une solution, pourquoi la présenter comme une sanction ? Et s'il s'agit d'une mesure punitive, où est-elle ?

C'est ainsi que les choses se passent lorsque la peur de Donald Trump s'empare de l'Europe et la paralyse, lorsqu'il est clair que quiconque impose des sanctions à Israël en paiera le prix. Le monde préfère pour l'instant une fête verbale. Les sanctions sont bonnes quand il s'agit d'invasions russes, pas israéliennes.

La décision de Starmer a incité beaucoup d'autres à suivre son exemple, ce qui est présenté en Israël comme un raz-de-marée diplomatique, un tsunami. Cela n'arrêtera pas le génocide, qui ne sera pas stoppé sans mesures concrètes de la part de la communauté internationale. Celles-ci sont d'une urgence insupportable, car les tueries et la famine intense se poursuivent à Gaza.

La reconnaissance ne suffira pas non plus à créer un État. Comme l'a dit un jour la leader des colons Daniella Weiss, après une précédente vague de reconnaissances : « J'ouvre ma fenêtre et je ne vois pas d'État palestinien ». Elle n'en verra pas de sitôt.

À court terme, Israël tire profit de cette vague de reconnaissances, car elle remplace la sanction qu'il mérite. À long terme, la reconnaissance d'un État imaginaire pourrait présenter certains avantages, car elle soulève la nécessité de trouver une solution.

Mais il faut être d'un optimisme et d'une naïveté démesurés pour croire que la reconnaissance est encore pertinente. Il n'y a jamais eu de pire moment ; reconnaître maintenant, c'est comme siffler dans le noir. Les Palestiniens sont sans dirigeants, et les dirigeants israéliens ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour empêcher la création d'un tel État, et ils ont réussi.

C'est bien que le 10 Downing Street veuille un État palestinien, mais tant que Jérusalem ne le veut pas, avec la colonie extrémiste de Yitzhar qui s'emploie à détruire les biens palestiniens et qui se renforce grâce au soutien aveugle de Washington à Israël, cela n'arrivera pas.

Alors que la droite israélienne est au sommet de son pouvoir et que le centre israélien vote à la Knesset en faveur de l'annexion et contre la création d'un État palestinien, alors que le Hamas est la plus forte entité politique palestinienne et que les colons et leurs partisans constituent l'organisation la plus puissante en Israël, de quel État palestinien parlons-nous ? Où serait-il ?

Une tempête dans un verre d'eau. Le monde remplit son devoir tandis qu'Israël détruit et affame. Le plan de nettoyage ethnique prôné par le gouvernement israélien est d'abord mis en œuvre à Gaza. On ne peut imaginer pires conditions pour nourrir des rêves d'État.

Où serait-il établi ? Dans un tunnel creusé entre Yitzhar et Itamar ? Existe-t-il une force capable d'évacuer des centaines de milliers de colons ? Laquelle ?

Existe-t-il un camp politique qui se battrait pour cela ?

Il serait préférable de prendre d'abord des mesures punitives concrètes pour forcer Israël à mettre fin à la guerre – l'Europe en a les moyens – puis de mettre à l'ordre du jour la seule solution qui reste aujourd'hui : une démocratie entre la Méditerranée et le Jourdain, une personne, une voix. L'apartheid ou la démocratie. À notre grand effroi, il n'y a plus de troisième voie.

ADAM GRANT
Cette sensation d’engourdissement que vous ressentez ? Il existe un mot pour la décrire


Adam Grant, The New York Times, 1/1/2024
Traduit par Tlaxcala


Illustration Cari Vander Yacht

Adam Grant (1981), contributeur à la rubrique Opinion du New York Times, est psychologue organisationnel à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie. Il est l’auteur de « Hidden Potential » et « Think Again », et l’animateur du podcast TED « Re: Thinking ».

À la mi-octobre, quelques jours après l’attaque contre Israël, une amie m’a envoyé un SMS d’une rabbine. Elle disait qu’elle ne pouvait détourner les yeux des horreurs rapportées par les médias, mais qu’elle se sentait complètement engourdie. Elle avait du mal à se sentir utile, même de la plus infime manière : « Que puis-je faire ? »

Beaucoup de gens se sentent tout aussi désemparés, et beaucoup d’autres sont indignés par l’inaction politique qui s’ensuit. Une de mes collègues musulmanes s’est dite consternée par l’indifférence face aux atrocités et aux pertes de vies innocentes à Gaza et en Israël. Comment peut-on continuer à vivre comme si de rien n’était ?

Une conclusion courante est que les gens s’en moquent. Mais l’inaction n’est pas toujours causée par l’apathie. Elle peut aussi être le fruit de l’empathie. Plus précisément, elle peut résulter de ce que les psychologues appellent la « détresse empathique » : souffrir pour les autres tout en se sentant incapable d’aider.

Je l’ai ressenti intensément cet automne, alors que la violence s’intensifiait à l’étranger et que la colère résonnait à travers les USA. Impuissante en tant qu’enseignant, je ne savais pas comment protéger mes élèves de l’hostilité et de la haine. Inutile en tant que psychologue et écrivain, je trouvais les mots trop vides pour offrir un quelconque espoir. Impuissant en tant que parent, je cherchais des moyens de rassurer mes enfants en leur disant que le monde est un endroit sûr et que la plupart des gens sont bons. Très vite, j’ai fini par éviter complètement les informations et changer de sujet dès que la guerre était évoquée. Comprendre comment l’empathie peut nous paralyser ainsi est une étape essentielle pour aider les autres, mais aussi nous-mêmes.

La détresse empathique explique pourquoi de nombreuses personnes se sont désengagées à la suite de ces tragédies. Les petits gestes qu’elles pourraient faire semblent futiles. Faire un don à une association caritative revient à verser une goutte d’eau dans l’océan. Publier sur les réseaux sociaux revient à mettre les pieds dans un nid de guêpes. Ayant conclu que rien de ce qu’elles font ne changera quoi que ce soit, elles commencent à devenir indifférentes.

Les symptômes de la détresse empathique ont été initialement diagnostiqués dans le domaine de la santé, chez des infirmières et des médecins qui semblaient devenir insensibles à la douleur de leurs patients. Les premiers chercheurs ont qualifié ce phénomène de « fatigue compassionnelle » et l’ont décrit comme « le coût de l’empathie ». La théorie était que le fait d’être témoin d’autant de souffrance est une forme de traumatisme vicariant [indirect] qui nous épuise jusqu’à ce que nous n’ayons plus assez d’énergie pour nous soucier des autres.

Mais lorsque deux neuroscientifiques, Olga Klimecki et Tania Singer, ont examiné les preuves, elles ont découvert que le terme « fatigue compassionnelle » était impropre. Prendre soin des autres n’est pas coûteux en soi. Ce qui épuise les gens, ce n’est pas seulement d’être témoin de la douleur des autres, mais de se sentir incapable de la soulager. En période d’angoisse prolongée, l’empathie est source de détresse supplémentaire, voire de dépression dans certains cas. Ce dont nous avons besoin, c’est plutôt de compassion.

Bien que ces termes soient souvent utilisés de manière interchangeable, l’empathie et la compassion ne sont pas la même chose. L’empathie consiste à absorber les émotions des autres comme si elles étaient les vôtres : « Je souffre pour vous ». La compassion concentre votre action sur leurs émotions : « Je vois que vous souffrez, et je suis là pour vous ».

C’est une grande différence. « L’empathie est partiale », écrit le psychologue Paul Bloom. C’est quelque chose que nous réservons généralement à notre propre groupe, et en ce sens, elle peut même être « une force puissante pour la guerre et les atrocités ».

Une autre différence est que l’empathie nous fait souffrir. Les neuroscientifiques peuvent le voir dans les scanners cérébraux. Le Dr Klimecki, le Dr Singer et leurs collègues ont formé des personnes à faire preuve d’empathie en essayant de ressentir la douleur des autres. Lorsque les participants voyaient quelqu’un souffrir, cela activait un réseau neuronal qui s’illuminait s’ils ressentaient eux-mêmes de la douleur. Cela faisait mal. Et lorsque les gens ne peuvent pas aider, ils échappent à la douleur en se retirant.

Pour lutter contre cela, l’équipe de Klimecki et Singer a appris à ses participants à réagir avec compassion plutôt qu’avec empathie, en se concentrant non pas sur le partage de la douleur des autres, mais sur la prise en compte de leurs sentiments et le réconfort. Un autre réseau neuronal s’est activé, associé à l’affiliation et aux liens sociaux. C’est pourquoi de plus en plus de preuves suggèrent que la compassion est meilleure pour la santé et plus bienveillante envers les autres que l’empathie : lorsque vous voyez quelqu’un souffrir, au lieu de vous submerger et de vous faire battre en retraite, la compassion vous motive à tendre la main et à aider.

Au milieu des récentes turbulences sur les campus universitaires, j’ai reçu un e-mail inattendu d’une vieille amie nommée Sarah. Consciente de l’impact que cela avait sur moi et mes étudiants, elle m’a écrit : « Je n’ai rien d’autre à dire, si ce n’est que je voulais t’envoyer un gros câlin. Et te rappeler que je vous aime beaucoup, vous et votre famille. » Elle a ajouté : « Si tu as besoin de quelqu’un à qui parler, je suis là. » Cela m’a réchauffé le cœur de savoir qu’elle pensait à nous.

La forme la plus élémentaire de compassion n’est pas d’apaiser la détresse, mais de la reconnaître. Lorsque nous ne pouvons pas soulager les gens, nous pouvons tout de même faire une différence en leur montrant qu’ils sont pris en considération. Et dans mes recherches, j’ai découvert qu’être utile avait un avantage secondaire : c’est un antidote au sentiment d’impuissance.

Pour déterminer qui a besoin de votre soutien après un événement terrible, la psychologue Susan Silk suggère d’imaginer une cible, avec les personnes les plus proches du traumatisme dans le centre et celles qui sont plus périphériquement touchées dans les anneaux extérieurs.

Les victimes de la violence en Israël et à Gaza se trouvent dans le cercle central. Les membres de leur famille immédiate et leurs amis les plus proches se trouvent dans le cercle qui les entoure. La communauté locale se trouve dans le cercle suivant, suivie des personnes d’autres communautés qui partagent une identité ou une affiliation avec elles. Une fois que vous avez déterminé où vous vous situez sur la cible, cherchez du soutien auprès de personnes extérieures à votre cercle et offrez-le à celles qui sont plus proches du centre.

Même si les personnes ne sont pas personnellement dans la ligne de mire, les attaques visant les membres d’un groupe spécifique peuvent briser le sentiment de sécurité de toute une population. C’est ce que ressentent de nombreux musulmans en réaction à la terrible fusillade qui a coûté la vie à trois étudiants palestiniens dans le Vermont. C’est ce que ressentent de nombreux juifs face aux expressions ignobles d’antisémitisme. Et c’est ce qui laisse beaucoup de personnes autour d’eux paralysées par la détresse empathique, ne sachant pas comment aider.

Si vous remarquez qu’une personne de votre entourage semble indifférente à une question qui vous tient à cœur, il vaut la peine de vous demander quelle souffrance elle porte en elle. Au lieu de lui demander d’en faire plus, il est peut-être temps de lui montrer de la compassion et de l’aider à trouver de la compassion pour elle-même.

Votre petit geste de gentillesse ne mettra pas fin à la crise au Moyen-Orient, mais il peut aider quelqu’un d’autre. Et cela peut vous donner la force d’aider davantage.

C’est pourquoi j’écris cet article. Ce n’est pas parce que je ressens votre douleur. C’est parce que je vois votre douleur, tout comme d’autres ont vu la mienne et m’ont tendu la main. ça m’a aidé.