Mahmoud Khalil, un étudiant palestinien de 30 ans récemment diplômé de l'université Columbia, vient d'être arrêté à New York et placé dans un centre de rétention en Louisiane. Il est menacé de déportation alors qu'il est titulaire d'une carte verte de résident et marié à une citoyenne usaméricaine. Lire nos traductions des articles du New York Times consacrés à cette affaire
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11/03/2025
“La première arrestation d'une longue série à venir” : Mahmoud Khalil menacé de déportation des USA
09/03/2025
GIDEON LEVY
Le dernier rédempteur national de la gauche sioniste : Daniel Hagari, le porte-parole évincé de l’armée israélienne
Gideon
Levy, Haaretz,
9/3/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Notre couronne est tombée : le
porte-parole de Tsahal, le contre-amiral Daniel Hagari, a été évincé. Les
médias sociaux sont inondés de lamentations. L’auteure-compositrice-interprète
Aya Korem a composé une chanson de nostalgie à son sujet. Même le nouveau chef
d’état-major des forces de défense israéliennes, le lieutenant-général Eyal
Zamir, qui fut brièvement le chouchou d’Israël, a perdu ses faveurs aux yeux de
la moitié de la nation du jour au lendemain, simplement parce qu’il a éloigné
Hagari de nous.
Le contre-amiral Daniel Hagari sur les lieux d’un tir de roquette à Majdal Shams en 2024. Photo Gil Eliahu
Tout le monde parlait de son
intégrité - oh, l’intégrité de Hagari - de sa décence et de ses apparitions
publiques. Comment il nous a protégés pendant la guerre et comment il était
toujours là pour nous réconforter et nous encourager. Une semaine après que le
chef du service de sécurité Shin Bet a été nommé au poste de sauveur de la
démocratie, c’est au tour du porte-parole de l’armée d’être nommé au rôle de
rédempteur national. C’est comme ça dans la gauche sioniste éclairée.
En effet, le porte-parole déchu a
bien fait son devoir. Ce devoir était de mentir, de couvrir, de dissimuler, de
tromper, de nier, de désavouer, de cacher aux yeux du monde et à nos propres
yeux tous les crimes. Le prince de l’intégrité et de l’équité, Hagari, a
excellé dans son travail. Il trompait et dissimulait, mentait sans sourciller
et paraissait si décent, si humain. Une fois, il s’est même étranglé, tant il
était sensible.
C’est pour cela que nous l’aimions.
Grâce à Hagari, non seulement nous n’avons rien su, mais nous n’avons rien
entendu et nous n’avons rien vu. Grâce à Hagari et à ses semblables, il y a
encore des Israéliens qui sont convaincus que les FDI sont l’armée la plus
morale du monde. Il n’est pas étonnant que son éviction ait déclenché une telle
vague de gratitude.
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Le fait que Hagari soit détesté
par le Premier ministre Benjamin Netanyahou a certainement joué un rôle
dans le fait qu’il a gagné en puissance et est devenu le chouchou d’Israël. Il
n’y a pas eu de chouchou national en temps de guerre comme Hagari depuis son
prédécesseur d’il y a des décennies, Nachman Shai, qui, pendant la guerre du
Golfe, a exhorté les Israéliens effrayés dans leurs chambres scellées à boire
un verre d’eau. Pourquoi a-t-il été évincé ? Hagari, qui nous a fait nous
sentir si bien alors que le monde entier nous condamnait et nous fuyait ?
On peut être impressionné par la
personnalité de Hagari, son charme et ses apparitions publiques, mais entre lui
et la décence et l’intégrité se trouve un sombre abîme. Hagari n’a jamais dit
la vérité sur ce que les FDI faisaient à Gaza, tout comme il n’a jamais dit la
vérité sur l’assassinat de Shireen
Abu Akleh, journaliste d’Al Jazeera dans la ville de Jénine, en
Cisjordanie, en 2022. C’était son travail, et c’est le travail de tous les
porte-parole des FDI : couvrir les crimes de l’armée.
Pendant des décennies, j’ai
demandé à l’unité du porte-parole des FDI des réponses aux péchés quotidiens de
l’occupation, et je n’en ai jamais reçu une seule qui soit véridique. Les
réponses génériques vont de « une enquête a été ouverte » - ce qui
est douteux, et de toute façon, elle ne se terminera jamais - au diabolique « l’incident
est connu de nous », jusqu’au « danger mortel » (représenté par un
garçon tenant une pierre ou une fille à la fenêtre de sa maison).
Le porte-parole des FDI n’a
jamais été connu pour sa contrition, pour admettre le blâme, accepter la
responsabilité ou exprimer un iota de regret ou d’excuse. Hagari était le
porte-parole des FDI dans les années les plus sombres que l’armée ait connues -
et il est aujourd’hui un symbole de notre intégrité. Hagari a été le
porte-parole d’un génocide, et il est aujourd’hui le symbole de l’humanité d’Israël.
Qui l’aurait cru ?
Les lamentations sur l’éviction
de Hagari en disent beaucoup plus sur les lamentateurs que sur lui. Après tout,
on ne pouvait s’attendre à rien d’autre de sa part, dans un travail défini par
la tromperie et la propagande. Les admirateurs de Hagari lui disent en
substance : « Mentez-nous encore, autant que vous le pouvez. Continuez à
nous faire croire que l’armée est morale, continuez à nous dire à quel point
nous sommes beaux et à quel point l’IDF est adorable, de préférence de la
bouche d’un officier qui s’exprime bien et qui est séduisant ». C’est
exactement ce qu’était Hagari.
Comme il était réconfortant d’entendre
de sa bouche qu’il n’y avait aucun problème à détruire une tour d’habitation à
Gaza parce que l’adjoint du financier du Hamas y vivait, et comme il était bon
d’entendre de sa bouche que nos soldats ne tuaient jamais de femmes ou d’enfants,
et que le monde ne faisait que nous calomnier.
L’envie de bien paraître et de se
sentir bien dans sa peau et dans celle de son armée est si désespérée que seul
un bel Israélien comme Hagari peut la satisfaire. Après tout, il n’est pas
Itamar Ben-Gvir ou Ofer Winter : Il est le bel Israël, moral, éthique - et
blanc - qui n’est plus, le pays qui nous a gentiment caché tous ses crimes
depuis le début. Et maintenant, il a été évincé, pouvez-vous imaginer ça ?
04/03/2025
GIDEON LEVY
Et si Netanyahou avait été sur la sellette de Trump au lieu de Zelensky ?
Gideon
Levy , Haaretz,
2/3/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Dans mon rêve, ce n’est pas le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui était assis dans le bureau ovale l’autre jour, mais bien le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Le président usaméricain Donald Trump et le vice-président JD Vance assaillaient le premier ministre devant les caméras du monde entier, lui disant qu’en refusant de mettre fin à la guerre à Gaza, il jouait avec la Troisième Guerre mondiale.
Trump et
Zelensky dans le bureau ovale vendredi 28 février. Photo Saul Loeb/AFP
Dans mon
rêve, Trump a dit à Netanyahou exactement ce qu’il a dit à Zelensky. Voilà, mot
pour mot, ce qu’il a à lui dire.
Mais un
rêve est un rêve et le spectacle d’horreur de vendredi ne s’est pas produit
avec Netanyahou. On peut supposer qu’il ne se produira jamais, même s’il le
devrait. Imaginez une telle conversation. Netanyahou quitte la Maison Blanche
en panique, le visage aussi cendré que celui de Zelensky, et le lendemain, il
revient frapper à la porte à plusieurs reprises : Il est prêt à mettre fin à la
guerre à Gaza et à retirer immédiatement
toutes les forces israéliennes de la bande de Gaza. Tous les otages sont libérés
et un autre génocide est évité.
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En l’absence
d’une telle conversation, Israël galope vers la reprise de la guerre. Il est
difficile d’imaginer une perspective plus horrible, de penser à une guerre plus
inutile, dont le deuxième chapitre sera encore plus terrifiant.
Le
bizutage infligé à l’allié impuissant Zelensky, y compris les abus malveillants
inhérents aux personnes de l’acabit de Trump et de Vance, n’était certainement
pas sans précédent. La nouveauté, c’est qu’il s’est déroulé devant des caméras.
Hormis le « Signe, chien ! » de Hosni Moubarak à Yasser Arafat lors
de la signature de l’accord Gaza-Jéricho au Caire en 1994, jamais les caméras n’avaient
montré un tel étalage humiliant de la puissance des seigneurs du monde, ou de
ceux qui croient l’être, envers un protégé.
Il faut
remercier Trump d’avoir révélé son monde intérieur, dans lequel il n’y a pas de
place pour la justice, les valeurs, le droit international, l’humanité ou la loyauté..
Seulement le pouvoir et l’argent, l’argent et le pouvoir. Mais même cette
perspective est appliquée de manière sélective. La rencontre Trump-Zelensky
aurait pu et dû avoir lieu avec Netanyahou également. Chaque mot prononcé par
Trump à l’encontre de Zelensky est pertinent pour Netanyahou. Mais personne n’imagine
un tel scénario, peut-être parce qu’aucun gisement de minerai n’a été découvert
sous la Cisjordanie. Mais qu’en est-il de la Riviera à Gaza ?
Pour
Netanyahou et pour Israël - qui ne comprennent que le langage de la force - il
pourrait s’agir d’une conversation historique qui changerait la donne. Il est
probable qu’elle n’aura pas lieu. Mais tant que nous rêvons, pourquoi ne pas
rêver grand ? Énorme ? Imaginez une conversation similaire à la Maison Blanche,
avec pour thème la fin de
l’occupation israélienne. Dans son sillage, l’occupation prendrait
fin plus rapidement que nous ne pouvons l’imaginer. En fait, le seul moyen
restant de mettre fin à l’occupation est une telle conversation.
Israël n’a
pas d’autres cartes pour perpétuer l’occupation que le soutien usaméricain. Des
personnes sont tuées à cause de l’occupation en permanence. C’est un foyer de
tension qui met le monde en danger. Aucun pays ne la soutient et aucun sujet n’unit
le monde comme l’opposition à l’occupation, du moins pour la forme.
Il est
difficile de comprendre quel intérêt usaméricain est servi par cette
occupation, qui fait que les USA sont méprisés au même titre que leur protégé.
Même en termes trumpiens, il est difficile de comprendre pourquoi une telle
conversation n’a jamais eu lieu.
Dans mon
rêve, Netanyahou arrive à la Maison Blanche et Trump, cet homme terrible et
dangereux, le menace comme il a menacé Zelensky l’autre jour. Le lendemain
matin, le démantèlement des colonies de Kiryat Arba et Kiryat Sefer en
Cisjordanie commence. Malheureusement,
ça n’est qu’un rêve.
28/02/2025
JOY METZLER
Je cherche à obtenir une dispense de l’armée usaméricaine comme objectrice de conscience à cause du génocide de Gaza. J’ai été inspirée par Aaron Bushnell
Joy Metzler, Mondoweiss,
27/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Je suis une lieutenante de l’armée de l’air en service actif qui cherche à obtenir une dispense d’objectrice de conscience en raison de l’horreur que m’inspire le rôle des USA dans le génocide de Gaza. L’auto-immolation d’Aaron Bushnell, il y a un an, a été le déclencheur de ma démarche.
Je m’appelle Joy Metzler et je
suis lieutenante de l’armée de l’air en service actif, cherchant à obtenir une dispense
d’objectrice de conscience. Cette décision est en grande partie due à l’horreur
que m’inspire le soutien continu des USA au génocide de Gaza, en violation
directe d’un grand nombre de lois et de valeurs qui m’ont été enseignées à l’Académie
de l’armée de l’air.
J’attends que mon dossier soit
approuvé, mais je n’ai jamais caché mon opposition à la politique usaméricaine
à Gaza. L’auto-immolation d’Aaron Bushnell il y a un an m’a mis sur la voie, et
en ce jour anniversaire de sa mort (25 février), je ressens plus que jamais le
poids des crimes de notre pays.
L’une des pages que je suis et
avec laquelle j’interagis, About Face :
Veterans Against the War, a publié un message sur Instagram pour honorer sa
mémoire. Les actions d’Aaron Bushnell ont joué un rôle déterminant dans l’évolution
de ma pensée, et je lui attribue, ainsi qu’à Dieu, tout le bien que je fais. J’aimerais
pouvoir dire que le fait de se souvenir de lui a été un baume pour mon âme,
mais j’ai dû m’attendre aux inévitables commentaires condamnant ses actions.
Ayant moi-même lutté contre des
idées de suicide, je comprends que l’on veuille éviter les imitateurs, et j’espère
que beaucoup de ces commentaires partent d’une bonne intention, mais il y a peu
ou pas de reconnaissance du fait que l’auto-immolation n’est pas un suicide.
Au contraire, l’auto-immolation d’Aaron Bushnell a eu lieu pour une raison très
explicite : Aaron refusait d’être complice d’un génocide plus longtemps. « C’est
ce que notre classe dirigeante a décidé de considérer comme normal ».
Le 25 février 2025, des vétérans de tout le
pays ont brûlé leur uniforme en souvenir d’Aaron Bushnell et de son appel à l’action.
Pourtant, la peur demeure chaque
fois que quelqu’un essaie de se souvenir de lui, mais ce n’est pas la bonne
façon d’empêcher d’autres auto-immolations. La réponse n’est pas de supprimer
ou d’effacer ce qui s’est déjà produit, mais de supprimer le catalyseur ! Je
suis convaincue que si le gouvernement usaméricain avait mis un terme à la
crise humanitaire persistante en Palestine, Aaron Bushnell serait aujourd’hui
en vie et en bonne santé. Il a expliqué très clairement la raison de sa
protestation. Rappelons qu’Aaron est mort en criant “Palestine libre”. Il n’est
donc pas difficile d’imaginer que s’il avait vu une Palestine libre avant de
mourir, il serait encore là.
Il est important de noter que de
nombreuses personnes ne peuvent tout simplement pas comprendre des sentiments
aussi extrêmes. J’oserais dire que beaucoup de gens ressemblent à ceux de Fahrenheit
451 ; non, pas Guy Montag, mais plutôt sa femme et ses amis. Ils regardent
un écran pendant que le monde brûle et rejettent violemment toute mention de la
vérité lorsqu’elle menace de briser leur réalité. Pour le reste d’entre nous,
qu’est-ce que cela fait d’être témoin de la souffrance humaine à un niveau
aussi calamiteux ? En ce qui me concerne, je décrirais ce sentiment comme
quelque chose de semblable à une blessure morale. Il s’agit d’une anxiété
discrète mais qui s’accroît rapidement chaque fois que je mets mon uniforme. C’est
un sentiment de dissonance lorsque je me rends au travail tous les jours après
avoir parlé avec un habitant de Gaza qui a tout perdu. C’est la dépression qui
me suit alors que je prétends que le monde va bien, riant de choses
insignifiantes, comme Guy essayant de trouver de la compagnie auprès de sa
femme alors que sa fausse réalité s’effondre. À l’intersection de mon désir d’être
une bonne aviatrice (qui fait honneur à ceux avec qui je travaille) et de ma
foi - imbriquée dans mon être même ! - exigeant que je ne contribue pas à un
système destiné à apporter la mort et la destruction, se trouve une question
simple : jusqu’à quel point puis-je supporter cela ?
Lorsque je pense au dernier
message d’Aaron Bushnell, je me demande s’il ressentait la même chose.
À l’heure où j’écris ces lignes,
j’imagine que de nombreuses personnes sont déjà en train de formuler leur
réponse sur les raisons pour lesquelles l’auto-immolation est une mauvaise
chose, et je vous couperai la parole en vous disant que je suis d’accord ! Je n’encouragerais
jamais quelqu’un à s’immoler, pas plus que je n’encouragerais quelqu’un à s’ôter
la vie, mais notre refus persistant de nous engager dans la réalité de ce que
nous faisons ne fera que permettre la poursuite des atrocités contre lesquelles
les gens protestent en premier lieu. Il est difficile de regarder une tragédie,
qui implique souvent des violations graves et continues des droits humains, qui
peut pousser quelqu’un à protester de manière aussi extrême - mais nous devons
regarder. Nous devons ressentir la douleur de nos semblables, puis agir.
Le manque d’empathie qui imprègne
notre monde aujourd’hui me préoccupe beaucoup. Même après la mort d’Aaron, de
nombreuses personnes sont apathiques ou, pire encore, disent à d’autres qu’elles
devraient faire de même. Certains disent qu’il « n’allait pas bien dans sa
tête » ou tentent de détourner la conversation du sujet même de sa
protestation. J’aimerais autant qu’une autre personne qu’Aaron soit encore en
vie aujourd’hui pour prêter sa voix au mouvement, et j’aimerais qu’il puisse
voir ce que ses actions ont déclenché. À défaut, la meilleure chose à faire -
peut-être la seule - est de veiller à transmettre son message pour lui.
GIDEON LEVY
Lorsque la troisième Intifada éclatera, n’oubliez pas qu’Israël en aura été l’instigateur
Gideon
Levy, Haaretz,
27/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
C’est quelque chose qui se passe
pour la première fois dans l’histoire d’Israël : une guerre n’est pas
encore totalement terminée qu’Israël est déjà en train d’attiser la prochaine.
On nous a refusé le luxe d’un moment de respiration ou d’un peu d’illusion et d’espoir.
L’horizon “diplomatique” d’Israël n’est plus que guerre après guerre, sans alternative
sur la table. Pas moins de trois guerres sont à l’ordre du jour : la reprise de
la guerre contre Gaza, le bombardement de l’Iran et la guerre en Cisjordanie.
La dernière d’entre elles a commencé
à être alimentée au lendemain du 7 octobre 2023. Lorsque la troisième intifada
éclatera, il faudra se souvenir qui l’a
délibérément provoquée. Le fait de se poser en victime d’attaques
meurtrières ne changera pas non plus les faits. Ni la diabolisation des “animaux
humains” en Cisjordanie, congénères de ceux de Gaza.
Israël portera seul la
responsabilité de la prochaine guerre en Cisjordanie. Ne dites pas que nous
avons été pris par surprise ; n’osez pas dire que nous ne savions pas. Cela
fait 16 mois que les choses sont écrites sur le mur, à feu et à sang, et
personne n’arrête ça. C’est à peine si l’on en parle.
Ce n’est plus la Cisjordanie que
nous avons connue. Les choses ont changé. L’occupation - qui n’a jamais été vraiment
progressiste - est devenue plus brutale que jamais. Au lendemain du 7 octobre,
Israël a effectivement emprisonné les trois millions d’habitants de la
Cisjordanie. Depuis lors, au moins 150 000 personnes - pour la plupart des
travailleurs assidus et dévoués - ont perdu leurs moyens de subsistance. Ils n’avaient
rien à voir avec le massacre perpétré le long de la frontière de Gaza. Ils
cherchaient seulement à subvenir aux besoins de leur famille. Mais Israël leur
a ôté la chance d’une vie décente, qui a peu de chances de revenir. Des
centaines de milliers d’entre eux ont été condamnés à une vie de misère. Les
plus jeunes ne resteront pas silencieux.
Ce n’était que le début. La
Cisjordanie a également été fermée de l’intérieur. Environ 900 points de
contrôle - certains permanents, d’autres temporaires - ont découpé la
Cisjordanie et la vie de ses habitants. Chaque trajet entre les communautés est
devenu un jeu de roulette russe. Le poste de contrôle sera-t-il fermé ou ouvert
? Lorsque j’ai passé six heures à attendre au poste de contrôle de Jaba, un
jeune marié se rendant à son mariage se trouvait derrière moi. Le mariage a été
annulé. Les routes de Cisjordanie sont devenues vides.
Les points de contrôle ne sont qu’une
partie du tableau. Quelque chose a également changé chez les soldats de l’occupation.
Peut-être envient-ils leurs camarades de Gaza, ou peut-être s’agit-il
simplement de l’état d’esprit qui règne actuellement au sein de l’armée
israélienne. Mais la plupart d’entre eux n’ont jamais traité les Palestiniens
comme ils le font aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de la facilité avec
laquelle ils appuient sur la gâchette ou de l’utilisation d’armes jamais
déployées en Cisjordanie, comme les avions de chasse et les drones meurtriers.
Il s’agit surtout de la façon dont ils considèrent les Palestiniens : comme des
“animaux humains”, tout comme on le leur a dit de traiter les habitants de Gaza.
Les colons et ceux qui les
soutiennent se sont engouffrés dans cette brèche avec empressement. Pour eux,
il s’agit d’une occasion historique de se venger. Ils veulent une guerre à
grande échelle en Cisjordanie, sous le couvert de laquelle ils pourront mettre
en œuvre leur grand plan d’expulsion massive. Il est effrayant de constater que
c’est là le seul plan dont dispose Israël pour résoudre la question palestinienne.
Entretemps, il ne se passe pas
une semaine sans qu’apparaisse un nouvel avant-poste de colons non autorisé -
une simple hutte entourée de milliers de dounums volés, revendiqués pour le “pâturage”.
Il ne se passe pas un jour sans qu’un nouveau pogrom ne se produise. Ces
attaques fonctionnent. Les éléments les plus faibles de la société
palestinienne de Cisjordanie - les bergers - abandonnent tout simplement. Des
communautés entières quittent la terre de leurs ancêtres, fuyant, terrorisées,
les gangsters en kippa.
Puis c’est l’expulsion organisée
des camps de réfugiés. Ne dites pas qu’il n’y a pas de plan. Il y en a un, et
il est monstrueux. Il s’agit de vider tous les camps de réfugiés en Cisjordanie
et de les raser. C’est la “solution” au problème des réfugiés. Elle a commencé
par le démantèlement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies
(UNRWA) et se poursuit avec les bulldozers D-9. Quarante mille personnes ont
déjà été expulsées, dont certaines maisons ont déjà été démolies. Les trois
camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie sont aujourd’hui des terrains
vagues, vidés de toute vie.
Il ne s’agit pas d’une guerre
contre le terrorisme. On ne combat pas la terreur en détruisant les
infrastructures hydrauliques, les réseaux électriques, les routes et les
systèmes d’égouts. Il s’agit de la destruction systématique des camps de
réfugiés.
Elle ne s’arrêtera pas au camp de
Nur al-Shams à Toulkarem ou aux camps d’Askar et de Balata près de Naplouse.
Elle se poursuivra jusqu’au camp d’Al-Fawwar, près d’Hébron, dans le sud de la
Cisjordanie, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
C’est ce qu’Israël est en train
de faire, pour être clair. Une nakba.
27/02/2025
RAMZY BAROUD
L’“arabe” perdu : Gaza et l’évolution du langage de la lutte palestinienne
Ramzy Baroud, Middle East Monitor,
26/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La langue a son importance. Outre son impact immédiat sur notre perception des grands événements politiques, y compris la guerre, la langue définit également notre compréhension de ces événements à travers l’histoire, façonnant ainsi notre relation avec le passé, le présent et l’avenir.
Alors que
les dirigeants arabes se mobilisent
pour empêcher toute tentative de déplacer la population palestinienne de
Gaza, frappée par la guerre - et aussi de la Cisjordanie occupée d’ailleurs-,
je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à la langue : quand avons-nous cessé de
parler de « conflit israélo-arabe » pour commencer à utiliser l’expression «
conflit israélo-palestinien » ?
Outre le
problème évident que les occupations militaires illégales
ne devraient pas être décrites comme des « conflits » – un terme neutre qui
crée une équivalence morale – le fait de retirer les « Arabes » du « conflit »
a considérablement aggravé la situation, non seulement pour les Palestiniens,
mais aussi pour les Arabes eux-mêmes.
Avant de
parler de ces répercussions, de l’échange de mots et de la modification de
phrases, il est important d’approfondir la question : quand exactement le terme
« arabe » a-t-il été supprimé ? Et tout aussi important, pourquoi avait-t-il
été ajouté en premier lieu ?
La Ligue des
États arabes a été créée
en mars 1945, plus de trois ans avant la création d’Israël. La Palestine,
alors sous « mandat » colonial britannique, a été l’une des principales causes
de cette nouvelle unité arabe. Non seulement les quelques États arabes
indépendants comprenaient le rôle central de la Palestine dans leur sécurité
collective et leur identité politique, mais ils percevaient également la Palestine
comme la question la plus cruciale pour toutes les nations arabes,
indépendantes ou non.
Cette
affinité s’est renforcée avec le temps.
Les sommets
de la Ligue arabe ont toujours reflété le fait que les peuples et les
gouvernements arabes, malgré les rébellions, les bouleversements et les
divisions, étaient toujours unis par une valeur singulière : la libération de
la Palestine.
La
signification spirituelle de la Palestine s’est développée parallèlement à son
importance politique et stratégique pour les Arabes, ce qui a permis d’ajouter
une composante religieuse à cette relation.
L’attaque
à la bombe incendiaire perpétrée en août 1969 contre la mosquée Al-Aqsa à
Jérusalem occupée a été le principal catalyseur de la création
de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) plus tard dans l’année.
En 2011, elle a été rebaptisée
Organisation de la coopération islamique, bien que la Palestine soit restée le
sujet central du dialogue musulman.
Pourtant, le
« conflit » restait « arabe », car ce sont les pays arabes qui en ont supporté
le poids, qui ont participé à ses guerres et subi ses défaites, mais qui ont
aussi partagé ses moments de triomphe.
La défaite
militaire arabe de juin 1967 face à l’armée israélienne, soutenue par les USA
et d’autres puissances occidentales, a marqué un tournant. Humiliées et en
colère, les nations arabes ont déclaré leurs fameux « trois non » lors du
sommet de Khartoum en août-septembre de la même année : pas de paix, pas de
négociations et pas de reconnaissance d’Israël tant que les Palestiniens seront
retenus captifs.
Cette
position ferme n’a cependant pas résisté à l’épreuve du temps. La désunion
entre les nations arabes est apparue au grand jour, et des termes tels qu’Al-’Am
al-Qawmi al-’Arabi (la sécurité nationale arabe), souvent axés sur la
Palestine, se sont fragmentés en de nouvelles conceptions autour des intérêts
des États-nations.
Les accords
de Camp David signés
entre l’Égypte et Israël en 1979 ont approfondi les divisions arabes - et
marginalisé davantage la Palestine – même s’ils ne les avaient pas créées.
C’est à
cette époque que les médias occidentaux, puis le monde universitaire, ont
commencé à inventer de nouveaux termes concernant la Palestine.
Le terme «
arabe » a été abandonné au profit de « palestinien ». Ce simple changement a
été bouleversant, car les Arabes, les Palestiniens et les peuples du monde
entier ont commencé à établir de nouvelles associations avec le discours
politique relatif à la Palestine. L’isolement de la Palestine a ainsi dépassé
celui des sièges physiques et de l’occupation militaire pour entrer dans le
domaine du langage.
Les
Palestiniens se sont battus avec acharnement pour obtenir la position légitime
et méritée de gardiens de leur propre combat. Bien que l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP) ait été créée à la demande de l’Égypte
lors du premier sommet arabe au Caire en 1964, les Palestiniens, sous la
direction de Yasser Arafat du Fatah, n’en ont pris la tête qu’en 1969.
Cinq ans
plus tard, lors du sommet arabe de Rabat (1974), l’OLP était collectivement considérée comme
le « seul représentant légitime du peuple palestinien », et devait plus tard se
voir accorder le
statut d’observateur aux Nations unies.
Idéalement,
un leadership palestinien véritablement indépendant devait être soutenu par une
position arabe collective et unifiée, l’aidant dans le processus difficile et
souvent sanglant de la libération. Les événements qui ont suivi ont toutefois
témoigné d’une trajectoire bien moins idéale : Les divisions arabes et
palestiniennes ont affaibli la position des deux camps, dispersant leurs
énergies, leurs ressources et leurs décisions politiques.
Mais l’histoire
n’est pas destinée à suivre le même schéma. Bien que les expériences
historiques puissent sembler se répéter, la roue de l’histoire peut être
canalisée pour aller dans la bonne direction.
Gaza, et la
grande injustice résultant de la destruction causée par le génocide israélien
dans la bande de Gaza, est une fois de plus un catalyseur pour le dialogue
arabe et, s’il y a assez de volonté, pour l’unité.
Les
Palestiniens ont démontré que leur soumoud (résilience) suffit à repousser
toutes les stratagèmes visant à leur destruction, mais les nations arabes
doivent reprendre leur position de première ligne de solidarité et de soutien
au peuple palestinien, non seulement pour le bien de la Palestine elle-même,
mais aussi pour celui de toutes les nations arabes.
L’unité est
désormais essentielle pour recentrer la juste cause de la Palestine, afin que
le langage puisse, une fois de plus, évoluer, en insérant la composante « arabe
» comme un mot essentiel dans une lutte pour la liberté qui devrait concerner
toutes les nations arabes et musulmanes, et, en fait, le monde entier.
24/02/2025
URI MISGAV
Netanyahou, le trouillard cynique, a utilisé et abandonné la famille Bibas
Uri Misgav, Haaretz, 20/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Le cynisme du Premier ministre
Benjamin Netanyahou envers la famille Bibas est sans limite. Au début du mois,
sa femme a posté des photos de la Chambre des représentants des USA sur
Instagram : elle se tient près d’une grande affiche d’Ariel Bibas qui y est
exposée. Lors de sa précédente visite, elle portait une tenue orange en hommage
aux enfants Bibas. Ils sont roux, elle est en orange - vous saisissez ? Il faut
les ramener à la maison.
Affiches montrant Shiri, Kfir et Ariel Bibas sur la place des Otages à Tel-Aviv, mercredi. Photo Tomer Appelbaum
Nous savons depuis un certain temps que Shiri et ses jeunes enfants ne sont plus en vie. Ils ont probablement été tués par les bombardements de l’armée de l’air israélienne au début de la guerre de Gaza. Les djihadistes barbares sont responsables de leur enlèvement et de leur mort, mais le gouvernement israélien et l’armée, qui ne faisaient que suivre les ordres, sont complices de leur mort, comme celle de tous les autres otages morts en captivité. La pression militaire ne les a pas ramenés, elle les a tués.
Cela ne s’arrête pas là. Avant la
première série de libérations d’otages en décembre 2023, le Hamas a annoncé qu’il
ne pouvait pas rendre la famille Bibas parce qu’elle était morte et a proposé à
la place trois otages vivants de sexe masculin. Netanyahou a refusé l’offre.
Les trois hommes sont également morts depuis. Les Bibas ont été utilisés pour
sacrifier la vie d’autres otages.
L’institut de médecine légale a
été prévenu de se préparer à l’arrivée des corps tôt jeudi matin. Netanyahou
espère certainement que cela se fera pendant qu’il fait encore nuit. Canal 12 s’est
rapidement porté volontaire pour ne pas diffuser les photos « sans le
consentement des familles ». Il ne reste presque plus de famille Bibas pour le
faire ; les parents de Shiri ont également été assassinés le 7 octobre.
J’ai visité les ruines du
kibboutz Kfar Aza cette semaine ; deux semaines plus tôt, j’ai visité Kissufim.
Le temps s’est presque arrêté là-bas, dans la vallée du massacre. Et le Premier
ministre détaché et narcissique, qui n’y est pas allé depuis le massacre, a le
culot de dire à un sympathique intervieweur de Fox News qu’il se sent
merveilleusement bien ; il a récemment informé ses juges intimidés qu’il va
bien. Cet homme devrait être jugé pour des crimes mille fois plus graves que la
corruption, la fraude et l’abus de confiance.
Pendant ce temps, il exploite la
faiblesse d’une démocratie malmenée pour planifier son attaque contre l’Iran.
Ses alliés, Yariv Levin et Simcha Rothman, font de leur mieux pour relancer la
réforme judiciaire. Sa chaîne de propagande diffuse des histoires de trahison
qui auraient eu lieu le 7 octobre. La Haute Cour de justice est présentée comme
une alliée du Hamas (quelle ironie !).
Le sang des hauts fonctionnaires
de la Cour suprême est versé. Son président élu, Isaac Amit, est désigné comme
« l’accusé » ; l’ancien vice-président est « Mohammed » Vogelman. Le nouvel
eunuque, le ministre des Affaires étrangères Gideon Sa’ar, attaque
grossièrement le procureur général qu’il a lui-même nommé. Pendant ce temps,
Netanyahou qualifie le chef du service de sécurité du Shin Bet, responsable de
sa sécurité personnelle et de l’enquête sur l’affaire du Qatar, de «
fonctionnaire ».
Voici une nouvelle tactique :
inonder la fonction publique de fonctionnaires intérimaires sans caractère.
Drorit Steinmetz en tant que directeur général par intérim du cabinet du
Premier ministre et Roi Kahlon en tant que commissaire par intérim de la fonction
publique. Netanyahou demande également le remplacement du conseiller juridique
de son bureau qui prend sa retraite. Les personnes nommées à titre conditionnel
sont évaluées en fonction de leur capacité à servir loyalement la famille. Et
comme il ne s’agit pas de nominations permanentes, elles ne peuvent pas être
contestées devant les tribunaux.
Dans cet État épuisé et en
désintégration, Netanyahou fantasme sur le sacrifice des otages restants et la
reprise de la guerre. C’est pourquoi les chefs du Shin Bet et du Mossad ont été
écartés de la direction des négociations de la deuxième étape. Le lâche
Netanyahou s’exprime anonymement contre eux, affirmant qu’ils ne savaient que «
donner et donner » dans les négociations. À leur place, il a nommé l’ombre Ron
Dermer, qui n’a jamais brigué de mandat et n’est fidèle qu’aux intérêts de son
maître.
Pendant ce temps, Netanyahu
dirige de fait un gouvernement minoritaire qui s’enfonce dans les sondages et
manque de légitimité. Les chefs de l’establishment de la défense, avec les USAméricains
d’un côté et l’opinion publique de l’autre, doivent lui faire comprendre que
cela ne peut pas durer. Netanyahou ne comprend que le pouvoir.
23/02/2025
GIDEON LEVY
Le discours violent de Netanyahou porte en germe les futurs crimes de guerre de l’armée israélienne
Gideon
Levy, Haaretz,
23/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Tout rhétoricien sait que lorsque l’argument est faible, la solution consiste à augmenter le volume. Le ton de la conversation publique en Israël au cours des dernières semaines ne montre pas seulement la faiblesse de l’argumentation et la bassesse croissante du discours, il est également dangereux en soi.
Un homme discute avec un soldat israélien après avoir été empêché d’entrer dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, lors d’une opération militaire en cours, au début de la semaine. Photo MOHAMMAD MANSOUR/AFP
Le discours public israélien a adopté le langage basique de l’incitation à la violence contre tous les Palestiniens et les Arabes. Du Premier ministre au plus humble des reporters de terrain bafouilleux de la télévision, tous se sentent obligés de déblatérer grossièrement contre le Hamas et la bande de Gaza autant que possible, comme si cela renforçait la validité de leurs arguments. On ne peut plus dire “Hamas” [en le prononçant Khamas, NdT] sans y accoler l’adjectif “nazi”, ni parler de Gaza sans dire “monstres” ; c’est cette façon de parler qui est proprement monstrueuse.
Après
que Benjamin Netanyahou a donné le ton, la compétition nationale de jurons et d’insultes
a commencé.
« Nous
sommes tous en colère contre les monstres du Hamas », a déclaré le premier
ministre le jour de la restitution des quatre corps des
otages , conformément au cessez-le-feu entre Israël et le
Hamas, et il a immédiatement promis d’“anéantir” les assassins.
Le
style, c’est l’homme, et ceux qui prononcent des mots tels que “monstres” et “anéantir”
en disent plus sur eux-mêmes que sur l’objet de leurs paroles. Le meurtre de la
famille Bibas était cruel et odieux. Mais celui qui parle de “monstres” décrit
aussi les actions de ses soldats, qui ont
tué des milliers d’enfants.
Lorsqu’il
a été annoncé que les restes présumés de Shiri Bibas n’étaient pas les siens, il
n’a plus pris de gants. Netanyahou a répété “monstres”, cette fois dans sa
langue officielle, l’anglais. L’armée des aboyeurs a suivi dans son sillage, et le
fait que le Hamas ait corrigé l’erreur du jour au lendemain n’y a rien changé. Monstres
ils étaient, monstres ils restent.
Les
cérémonies de remise d’otages, y compris les cérémonies émouvantes de samedi,
ont également attesté du “nazisme” et de la “monstruosité” du Hamas. Ceux qui
organisent de telles cérémonies sont des nazis - on ne sait pas trop pourquoi -
et ceux qui exploitent ce moment à des fins de propagande sont aussi,
apparemment, des nazis. Seul Israël est autorisé à exploiter le retour des
otages à des fins de propagande.
La
vérité doit être dite : la plupart des remises d’otages se sont déroulées sans
heurts, même si les Israéliens n’aiment pas voir un otage déposer un baiser sur
le front de ses deux ravisseurs, comme l’a
fait l’un d’entre eux samedi. Les présentateurs des journaux
télévisés se sont empressés de rassurer les téléspectateurs : le baiser a été
forcé, même si cela ne semblait pas être le cas.
Pourquoi
font-ils cela ? Après tout, le mal du Hamas est évident dans ses actions : pourquoi
tout le monde, de l’armée au journaliste israélien Amnon Abramovich,
ajoute-t-il de l’incitation à la haine ? Netanyahou, qui se nourrit de l’incitation
pour ses besoins politiques, est une chose, mais pourquoi les médias ? Mais
seulement pour trouver des faveurs, pour recevoir une tape dans le dos de la
part des masses enflammées.
Le
Hamas n’est pas à défendre. Il s’agit d’une organisation dépravée [sic] qui a mené
une attaque dépravée [resic] contre Israël. Mais le discours contaminé aura un prix
élevé. Un cinquième des Israéliens sont des Palestiniens : Comment allons-nous
vivre avec eux alors que leurs frères sont des monstres nazis ? La moitié des
personnes vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée sont des Palestiniens
: comment allons-nous vivre à leurs côtés ? Israël a lancé cette terrible
attaque sur Gaza avant que le discours sur les “monstres” ne commence.
Le 7
octobre 2023 a semé le trouble dans la conscience des
Israéliens, et la rhétorique incendiaire des politiciens et des médias y a
ajouté. L’humanité n’existe plus en Israël, car il n’y a plus de
non-combattants à Gaza. Pas même les nourrissons qui sont morts à peine nés. Ni
même les hommes de paix et de sagesse de Gaza (oui, il y en a aussi).
Ajoutez
à cela le discours empoisonné de ces dernières semaines et imaginez à quoi
ressemblera la prochaine guerre, qui sera dirigée non seulement contre le Hamas
mais aussi contre les monstres nazis.
Imaginez les pensées qui traversent la tête d’un soldat envahissant une maison en Cisjordanie, alors que cette incitation coule dans ses veines. S’il croit entrer dans la maison de monstres nazis, comment traitera-t-il ses habitants ? Il détruira davantage et tuera davantage, d’une manière plus brutale que jamais.
Un jour, nous regretterons la délicatesse et la retenue morale de Tsahal dans la guerre actuelle, avec seulement la moitié de la bande de Gaza détruite et seulement 15 000 enfants morts. Attendez la prochaine guerre que nous mènerons contre les nazis.
20/02/2025
GIDEON LEVY
Il n’y a aucun pavé de la mémoire à Gaza pour honorer la mémoire des Palestiniens morts
Gideon Levy, Haaretz, 19/02/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Dans le quartier berlinois de Charlottenburg, a écrit Naama Riba (Haaretz en hébreu, mardi), il y a une rue avec des dizaines de Stolpersteine, ou pavés de la mémoire, de couleur dorée, incrustés dans le trottoir en mémoire des Juifs qui y ont vécu autrefois. Le droit d’Israël à exister, a fait valoir Riba, découle des événements que ces pierres commémorent.
En revanche, dans le quartier de Rimal, à Gaza, il ne reste plus de trottoirs, seulement une dévastation totale. L’hôpital Al-Shifa de la ville a également été détruit, ainsi que des immeubles d’habitation, des écoles et des hôtels. Il n’y a pas de « Stolpersteine » dorés à Rimal pour honorer la mémoire des centaines de ses résidents palestiniens tués pendant la guerre. Si de telles pierres existaient, elles pourraient témoigner de la lutte du peuple palestinien pour un État qui le protégerait.
Mais Riba
est aveugle aux ruines de Rimal et de Gaza. Elle ne voit que la façon dont les
Palestiniens traitent les personnes LGBTQ+. Dans son éditorial, elle critique
trois auteurs de Haaretz : Hanin Majadli, Michael Sfard et moi-même,
pour avoir remis en question la légitimité de l’existence d’Israël, un État
dont la justification – affirme-t-elle – réside dans les pierres de la rue
Giesebrecht à Berlin-Charlottenburg.
Je n’ai
jamais remis en question le droit d’Israël à exister. Ce que je remets en
question, en revanche, c’est son droit d’agir comme il le fait et de commettre
les atrocités qu’il commet. Ce sont les actions d’Israël qui remettent en
question sa légitimité.
Depuis un
siècle, les Palestiniens subissent des persécutions, des dépossessions, des
meurtres et des destructions incessants. Aucun meurtre, pas même celui de l’arrière-grand-père
de Riba, tué par des Arabes alors qu’il se rendait à la synagogue de Haïfa, ne
peut justifier cela.
19/02/2025
RONEN TAL
Le chercheur israélien Hani Zubida a une question pour les Mizrahim : “Quand allez-vous réaliser que vous êtes arabes ? ”
Le chercheur et activiste social Hani Zubida refuse d’accepter les stéréotypes sur les Mizrahim et aime jouer avec la double identité que suggère son nom tout en cherchant à promouvoir un nouveau discours ethnique israélien.
Ronen
Tal, Haaretz, 15/2/2025
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Hani Zubida
a l’habitude d’être automatiquement traité comme un suspect dans les aéroports
à cause de son nom, mais lors de l’interrogatoire de sécurité auquel il a été
soumis à son entrée en Israël lors de sa dernière visite, il a estimé que les
émissaires de l’État avaient exagéré.
« Ils nous
ont soumis à trois contrôles. Aviva, ma femme, a failli craquer d’angoisse »,
raconte-t-il. « Une fille de 21 ans pensait que je suis arabe. Elle est allée
parler aux responsables et cela a pris des heures. Elle est partie, revenue,
puis repartie. Zubida. Arabe. Terroriste. Elle a des tonnes de questions. «
Êtes-vous mariés ? » Oui. « Avez-vous des enfants ? » Oui. « Comment s’appellent
les enfants ? » »
Zubida a
affirmé à maintes reprises qu’en tant que Juif né en Irak, il vivait en
harmonie avec son identité arabe. Mais cela ne signifie pas qu’il veut qu’on
lui rappelle à chaque fois la procédure humiliante que subissent 20 % des
citoyens israéliens lorsqu’ils ont l’envie de partir en vacances à l’étranger.
« Ils nous
rendent toujours fous. Je comprends la question de la sécurité. Avant, j’essayais
de garder mon calme, mais cette fois-ci, je n’ai vraiment pas trouvé ça drôle.
Ce qui me met en colère, c’est l’ignorance qui permet que cela se produise.
Mais d’un autre côté, ça équilibre ma perception du monde. J’ai un doctorat en
sciences politiques, j’ai fait de la télévision, je suis célèbre, mais au
final, tu as un nom arabe, alors calme-toi, tu n’es pas vraiment Israélien. »
Quand il n’est
pas en train d’attendre pour s’enregistrer, Zoubi aime en fait défier le public
avec sa double identité. « Je vais parler dans les zones périphériques, et ils
me voient et s’énervent. Tout de suite, ils me disent : « Tu aimes les Arabes.
» Je leur dis [en chuchotant] : « Ne le dites à personne, mais [en criant] vous
êtes aussi des Arabes. Quand vous rentrez chez vous, quelle langue parlez-vous
? » Je sors le téléphone et je mets de la musique de Farid El Atrache, et tout
le monde apprécie. « Alors, ça suffit. Vous êtes arabes. Quand allez-vous
réaliser que vous êtes arabes ? »
La routine
automatique du contrôle de sécurité - un homme d’apparence moyen-orientale
soupçonné d’être arabe - aurait pu faire l’objet d’un article dans le recueil d’essais
récemment publié par Zubida, coédité avec le Dr Reut Reina Bendrihem, Brique noire : les Juifs mizrahim écrivent
une nouvelle réalité israélienne (en hébreu). C’est un livre
ambitieux, d’une ampleur sans précédent (557 pages), qui cherche à proposer un
nouveau discours ethnique israélien, inclusif et ouvert, en lieu et place de l’approche
actuelle, exclusive, qui encourage la haine et sert principalement les
politiciens et les pourvoyeurs de poison. Les 80 articles du livre ont été
écrits par des universitaires, des intellectuels, des artistes et des militants
sociaux, parmi lesquels Yehouda Shenhav-Shahrabani, Merav Alush Levron, Ishak
Saporta, Yifat Bitton et Carmen Elmakiyes.
Le livre
couvre presque tous les aspects imaginables de la vie israélienne : de l’éducation
à la télévision, du système
judiciaire au logement social, de l’affaire
des enfants yéménites à l’équipe
de football Betar de Jérusalem, du Shas aux kibboutzim, de la féminité à la
masculinité, de la nourriture
au design. Parmi les auteurs figurent également des Ashkénazes, des membres de
la communauté éthiopienne et des Arabes.
« Nous
voulions donner une tribune aux écrivains issus de groupes marginaux qui ont
été exclus de l’écriture de l’histoire collective d’Israël », écrivent les
éditeurs dans l’avant-propos. Il en ressort un panorama critique qui élargit la
discussion et l’ouvre également à des groupes qui ne sont pas mizrahim, c’est-à-dire
des Juifs dont les origines se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
On y trouve une voix féministe prononcée, des expressions de solidarité avec
les citoyens palestiniens d’Israël et un appel à une véritable égalité, le tout
dans un contexte d’introspection, de reconnaissance des torts qui ont été
commis et de volonté d’engager un dialogue sincère à leur sujet.
L’idée,
explique Zubida, 58 ans, a vu le jour il y a six ans lors d’une rencontre
sociale. « C’était à Nes Tziona, dans l’appartement de [l’intellectuel
politique] Benny Nurieli et [de l’anthropologue] Reut Reina Bendrihem, qui
étaient alors en couple. Une réunion autour d’un café et d’une bière, au cours
de laquelle une conversation s’est engagée sur ce qui manquait à la société
israélienne. J’ai dit que ce qui manquait, c’était un nouveau contenu, que nous
utilisions des concepts obsolètes pour voir le monde contemporain, et que nous
devions les mettre à jour.
J’ai suggéré
de publier un recueil d’articles. Qu’il devrait contenir au moins 50 % de
femmes et que je voulais également une représentation de l’Éthiopie, de l’ex-Union
soviétique et des pays arabes. Le but de ce livre n’est pas de dénigrer
davantage. Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec ce que je dis, mais
parlons-en, et pas dans des cercles de dialogue où le fort vient vers le faible
et lui dit : « Viens, assieds-toi, défoule-toi, puis retourne retrouver tes
amis. »