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19/01/2025

GIDEON LEVY
“Il n’y a pas d’innocents à Gaza” : Réflexion sur la première guerre fasciste d’Israël

Gideon Levy, Haaretz  , 19/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

La guerre qui est censée se terminer dimanche entrera dans l’histoire comme la première guerre kahaniste*. Elle est fondamentalement différente de toutes les guerres précédentes d’Israël.

Amos Biderman, Haaretz, février 2022

La seule guerre qui lui ressemble est celle de 1948, qui a provoqué la Nakba, mais les motivations de cette guerre étaient différentes. Il s’agissait d’une guerre visant à établir un État juif ; il s’agit ici d’une guerre visant à établir un État fasciste. [cherchez la différence, NdT]

L’État kahaniste s'est érigé en Israël. La mollesse criminelle de Benjamin Netanyahou l’a rendu possible. Ce ne sont pas seulement les partis néo-nazis qui en sont responsables : c’est surtout le Likoud, le parti du Premier ministre, qui a porté le kahanisme au pouvoir.

Le changement profond qui s’est produit en Israël est parfaitement illustré par la guerre de Gaza. Presque tout dans cette guerre visait à apaiser l’extrême droite fasciste, raciste et favorable au transfert de population, et l’esprit du kahanisme a pris le contrôle de ses objectifs et de sa conduite. Ce n’était pas seulement l’ampleur de la cruauté de l’armée, c’était surtout la façon dont la cruauté était transformée en valeur dans la société israélienne dans son ensemble, en une opportunité, un atout, un miracle. La cruauté comme une chose dont on peut être fier, à laquelle on peut aspirer, dont on peut se vanter et dont on peut faire étalage.

Lors de ses précédentes guerres, Israël a également commis des actes odieux. Parfois, il a tenté de les nier, de les dissimuler et de mentir, parfois même il les a admis et en a eu honte. Pas cette fois-ci.

Cette fois-ci, le porte-parole des FDI présente fièrement l’ampleur des destructions et des tueries, les brandissant comme des exploits pour plaire à la droite kahaniste, qui est devenue le courant dominant.

Israël est devenu un État qui aspire à tuer et à détruire des Arabes uniquement pour tuer et détruire des Arabes. Ce n’était pas le cas auparavant, et il n’en était certainement pas fier. Il s’agit d’un changement profond, dont nous aurons du mal à nous défaire. Il laisse présager un avenir des plus sombres.

Lorsque Meir Kahane est apparu, il a amené avec lui un parti néo-nazi créé en Israël qui considérait les Arabes comme des chiens, dans le meilleur des cas. Israël a reculé devant lui. L’éthique du Mapai, qui consiste à « tirer et pleurer », prévalait encore ici, à côté de l’impartialité du Likoud. Menahem Begin, ainsi que le premier gouvernement Netanyahou, l’ont préservée. L’effondrement a commencé avec le deuxième gouvernement Netanyahou et a atteint son apogée dans le gouvernement actuel. De tous ses crimes, celui-ci est le plus grand et le plus impardonnable. Dans un premier temps, le fascisme a été légitimé et blanchi.

Des voix qui n’avaient jamais été considérées comme légitimes ont infiltré la politique et les médias. Bientôt, elles n’étaient plus seulement légitimes, elles étaient la voix des masses israéliennes, mais aussi celle du gouvernement et de l’armée. À la radio et à la télévision, les gens disaient « Il n’y a pas d’innocents à Gaza » et parlaient du droit et du devoir (heureux) de tuer tout le monde, avec la même aisance qu’ils discutaient du temps qu’il fait.

Desjournalistes chevronnés ont révélé les opinions qu’ils avaient cachées lorsqu’ils ont réalisé qu’elles étaient non seulement permises, mais aussi bénéfiques pour eux. D’Amit Segal et Zvi Yehezkeli à Almog Boker, des fascistes sont nés. Un tel discours n’existait tout simplement pas en Israël auparavant et n’a sa place dans aucune démocratie. Pendant ce temps, les voix anti-guerre ont été réduites au silence ; même la compassion et l’humanité ont été interdites. La prise de contrôle de la conversation publique était achevée.

Pendant les longs mois de la guerre, le kahanisme est devenu la voix dominante d’Israël et de son armée. Il n’y a plus de différence entre les commandants issus du sol pourri des colonies et leurs homologues du « bel » Israël : tous faisaient tout dans l’esprit de Kahane, sans exception et sans dissidents. Le but était de plaire à Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir. Il suffit de leur donner la quantité infinie de sang qu’ils réclament.

Un accord sur les otages a été reporté pendant des mois, Gaza a été complètement détruite, des zones entières ont été nettoyées et des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, tout cela pour satisfaire l’esprit de Kahane et de ses représentants terrestres au sein du cabinet.

Il est ironique que la première guerre de Kahane se termine maintenant avec le retrait de la coalition gouvernementale d’Otzma Yehudit, dont le chef a déjà promis de revenir lorsque le génocide reprendra. Mais le bouleversement est terminé, il n’y a plus besoin de Ben-Gvir et de ses semblables. Netanyahou et le Likoud sont suffisamment kahanistes pour continuer à poursuivre la vision de Kahane ; il n’y a même plus besoin de gribouiller « Kahane avait raison » sur les murs.

NdT

*Meir Kahane (1932-1990) : rabbin fasciste de Brooklyn, fondateur de la Ligue de défense juive puis du parti Kach, interdit en 1994 en Israël pour « terrorisme et racisme ». Ben-Gvir et Smotrich sont ses disciples.


18/01/2025

GIDEON LEVY
Pour le centre-gauche éclairé d'Israël, le chef de l'armée est le dernier né des nouveaux messies

Gideon Levy, Haaretz  , 16/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il y a une nouvelle victime innocente dans nos vies : Herzl alias Herzi Halevi, le martyr de la colonie de Kfar Oranim* « Le peuple est avec toi », a écrit avec enthousiasme l’éditorialiste Nehemia Shtrasler en début de semaine. « Nous devons à Halevi les réalisations et les succès qui ont suivi le 7 octobre. » Réussites ? Succès ? « Des généraux du monde entier viennent en Israël pour apprendre « comment se rétablir si rapidement », s'étonne Nehemia Shtrasler.


« Les soldats et les commandants sont avec toi, et le peuple est avec toi », a déclaré le principal avocat de l’armée, Navot Tel Aviv-Zur, en prêtant serment d'allégeance sur la plateforme de médias sociaux X. « La grande majorité a une confiance totale en toi et en ton intégrité ». Pas seulement un agneau sacrificiel, mais aussi un héros. Honnêteté, décence, réussite, succès - oui, oui, bien sûr.

La haine pour le Premier ministre Benjamin Netanyahou peut tout accomplir, y compris créer un chaos total. C'est ainsi que les choses se passent lorsque le seul véritable sujet de discorde en Israël est Netanyahou. Selon cette division maladive, quiconque s'oppose à Netanyahou est un ennemi de la droite et un favori de la gauche - peu importe ce qu'il a fait en plus d'être une épine dans le pied de Netanyahou.

L'armée a toujours été une vache sacrée pour la gauche, bien plus que pour la droite. Ses beaux jeunes hommes venaient de la gauche, et la gauche les récompensait par son admiration. Cette vache a été abattue en octobre 1973, au début de la guerre du Kippour. Elle est redevenue sacrée depuis, mais à un degré moindre.

Les généraux ne sont plus des rock stars, comme après 1967, mais on les retrouve toujours dans les rôles de prochains messies, principalement de la gauche et du centre. En soi, ça jette une lourde ombre sur la gauche dans un pays dont l'armée est essentiellement une force d'occupation brutale.

Le 7 octobre a exposé l'armée israélienne dans toute sa nudité, un château de cartes qui s'est effondré - mais dès le lendemain, le centre-gauche s'est remis à se souvenir de ses premiers jours de gloire. Aujourd'hui, l'inversion insensée des rôles est achevée : La droite bibiste est contre le chef d'état-major et ses militaires, tandis que le centre-gauche les soutient.

Les responsables non seulement du plus grand fiasco de l'histoire du pays, mais aussi de ses crimes de guerre les plus graves, sont les chouchous de la gauche. Et comment ! Halevi est un héros pour lequel nous devons nous battre afin qu'il reste à son poste, de peur que nous perdions le défenseur du pays, celui qui préserve son image.
L'armée continue d'être le héros des manifestations de la rue Kaplan à Tel Aviv. Il n'y a jamais eu de manifestation de masse en Israël qui s'oppose à l'armée, quelle que soit la gravité de ses crimes. Des Frères et Sœurs d'armes aux bons vieux boys, la moitié du mouvement de protestation est composée de militaires.

Mais la critique de l'armée dans ce bloc ne vise que les officiers qui ne sont pas « des nôtres ». À Gaza, des commandants de tous les blocs tuent des gens, et les responsables de cette horrible destruction sont avant tout nos « bons gars » : le chef d'état-major, suivi du chef de l'armée de l'air.

Pour la droite, les militaires sont les principaux responsables du fiasco du 7 octobre - et depuis, ils ne tuent pas assez, ne détruisent pas assez et ne maltraitent pas assez pour satisfaire la soif de sang de cette droite, qui ne sera jamais étanchée. Pour cette droite, le chef d'état-major est trop faible. Ses accusations ont défini Halevi comme le héros de l'autre bloc. La bande de Gaza est devenue un enfer, et la gauche israélienne salue la cause de cet enfer.

L'armée maltraite des milliers d'otages palestiniens dans les centres de torture qu'elle a construits, et Halevi est un homme « honnête », « décent ». Comment est-ce possible ? Comment est-il possible d'être impressionné par quelqu'un qui dirige l'organisation qui commet toutes ces horreurs ? Seulement parce que son supérieur est encore pire ? Même le propagandiste de l'armée, Daniel Hagari, qui est responsable du paquet de mensonges et de tromperies que l'armée diffuse pour blanchir ses péchés, est un héros de ce bloc. Après tout, Netanyahou est contre lui.

Halevi a toujours l'air affligé. Son visage suscite l'empathie. Il est possible qu'il soit un homme honnête, modeste et décent dans sa vie privée. Il a assumé la responsabilité de l'échec du 7 octobre, a poursuivi son travail sans sourciller et s'est lancé dans la pire campagne de nettoyage ethnique et de tuerie de l'histoire du pays, le tout en tant que héros du bloc éclairé. Ne le laissons pas démissionner sur notre dos. Dieu nous en préserve.

NdT
*Herzl Halevi, né en décembre 1967, a été ainsi prénommé en hommage à son oncle, tué dans la bataille de Jérusalem durant la Guerre des Six jours. Son père était militant du Likoud et son grand-père membre de l’Irgoun et du Bataillon des défenseurs de la langue (hébreue) dans les années 1920, qui attaquait les Juifs parlant le yiddish ou le russe dans la rue. Il vit dans la colonie juive de Kfar Oranim, en Cisjordanie occupée. Bref, le nec plus ultra du sionihilisme.

13/01/2025

GIDEON LEVY
Libérez tous les otages - israéliens et palestiniens

Gideon Levy, Haaretz  , 12/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Photo postée par un ancien soldat des FDI sur Facebook

Il n’y a pas de campagne plus juste que celle visant à libérer les otages israéliens détenus à Gaza. Leur incarcération est criminelle.
Pourtant, cette campagne est teintée d’hypocrisie et d’immoralité. Elle fait la différence entre le sang et le sang, entre un être humain et un être humain.

Il est donc difficile d’adhérer pleinement à cette campagne. On ne peut pas critiquer les familles des otages ; elles se battent pour ce qu’elles ont de plus précieux, comme n’importe qui se battrait pour ses proches. Mais la campagne publique, qui est devenue internationale, ne peut être complète d’un point de vue éthique tant qu’elle se concentre uniquement sur le sort des Israéliens.

Il y a 98 captifs israéliens détenus par le Hamas, et 10 ou peut-être 100 fois plus de captifs palestiniens entre les mains d’Israël. Eux aussi sont des otages, détenus sans procès ni avocat, sans visite de la Croix-Rouge, sans identité connue ni message à leurs familles.
La plupart d’entre eux sont innocents, tout comme les captifs israéliens, et la cruauté dont ils font l’objet en captivité n’a rien à envier à celle du Hamas. Ignorer leur sort équivaut, dans le pire des cas, à pratiquer le double standard.

Dans le discours israélien, il n’est pas fait mention des otages palestiniens. Ils n’ont même pas le droit d’être qualifiés d’otages. Après tout, qu’est le Dr Hussam Abou Safiya, directeur de l’hôpital Kamal Adwan, sinon un otage ? Israël a d’abord tenté de le faire disparaître, comme dans les régimes les plus sombres, comme le Hamas, avant d’admettre qu’il le retenait prisonnier. Le risque pour sa vie dans une prison israélienne est aussi grave que le risque pour la vie de chaque otage israélien détenu par le Hamas. Au moins 68 otages palestiniens sont morts en prison des suites de tortures, de violences ou d’un manque de soins médicaux.

Étant donné que certains otages israéliens sont morts lors d’opérations des FDI, on peut dire qu’Israël a causé la mort d’un plus grand nombre de prisonniers que le Hamas. Tout comme les otages israéliens qui pourrissent et souffrent de manière inimaginable, des centaines de prisonniers palestiniens sont détenus dans les centres de torture israéliens. Leurs familles n’ont pas la moindre information sur leur sort, et personne dans le monde ne se bat pour leur libération.

Le rapport choquant de Jonathan Pollak (lire ici en français) présente les conditions d’incarcération de ceux qui ont survécu. Il est impossible de concevoir des conditions plus cruelles. Peut-on lire ces descriptions effrayantes et attacher un ruban jaune à la portière de la voiture uniquement pour nos propres otages ? Lutter pour leur libération en ignorant les otages en captivité en Israël ?

La campagne d’Israël pour la libération de ses otages ne perdrait pas un iota de son pouvoir moral si elle incluait une demande de libération des otages palestiniens. Donald Trump menace de déclencher l’enfer si les otages israéliens ne sont pas libérés avant son entrée en fonction. Et qu’en est-il des Palestiniens, Mister President ?
Ne subissent-ils pas d’horribles sévices ? Lisez les témoignages fournis par Pollak : « Nous ne sommes pas des êtres humains là-bas, nous sommes de la chair en décomposition », a déclaré Nazar, un otage palestinien libéré. Le régime de famine, la méchanceté des gardiens, la torture et les mauvais traitements ne feraient pas honte au Hamas, et ici ils sont commis par l’État.

Un endroit où les prisonniers tentent d’appeler à l’aide un de leurs amis mourants, en réponse à une série d’abus, est l’endroit le plus chaud de l’enfer. Un endroit où l’on entasse des êtres humains les uns sur les autres, où on les bat sans pitié et où l’on lance des chiens sur eux n’est pas moins infernal que les tunnels du Hamas. Peut-on l’ignorer ? Est-il moral de l’ignorer ? Est-ce sage ?

Le traitement réservé par Israël aux otages qu’il détient ne fait que restreindre son droit d’exiger la libération de ses propres otages. Les membres des familles de nos otages auraient dû être les premiers à s’en rendre compte.

Il est vrai que les otages palestiniens ne font l’objet d’aucune discussion dans le monde - ils n’existent pas dans le système de propagande sophistiqué d’Israël - mais on ne peut accepter cette différenciation éthique. La plupart de ces prisonniers ne sont pas des membres de la Nukhba, et même ces derniers ont des droits. Allô allô, y a-t-il quelqu’un de prêt à entendre ça ?




JONATHAN POLLAK
“J'ai vu que le sol était plein de sang. J'ai ressenti de la peur comme de l'électricité dans mon corps. Je savais exactement ce qui allait arriver”
Témoignages sur le goulag sioniste

Viol. Faim. Coups mortels. Maltraitance. Quelque chose de fondamental a changé dans les prisons israéliennes. Aucun de mes amis palestiniens qui ont récemment été libérés n’est resté la personne qu’il était auparavant.

Jonathan Pollak, Haaretz , 9/1/2025
Traduit par Shofty Shmaha, Tlaxcala

Jonathan Pollak (1982) est l’un des fondateurs en 2003 du groupe israélien Anarchistes contre le mur. Blessé et incarcéré à plusieurs reprises, il collabore au quotidien Haaretz. Il a notamment refusé de comparaître devant un tribunal civil, exigeant d’être jugé par un tribunal militaire, comme un vulgaire Palestinien, ce qui lui a évidemment été refusé

Jonathan Pollak face à un soldat israélien lors d’une manifestation contre la fermeture de la route principale du village palestinien de Beit Dajan, près de Naplouse, Cisjordanie occupée, vendredi 9 mars 2012. (Anne Paq/Activestills)


Jonathan Pollak au tribunal de première instance de Jérusalem, arrêté dans le cadre d’une campagne juridique sans précédent menée par l’organisation sioniste Ad Kan, le 15 janvier 2020. (Yonatan Sindel/Flash90)


Des militants brandissent des affiches de soutien à Jonathan Pollak lors de la manifestation hebdomadaire dans la ville palestinienne de Beita, en Cisjordanie occupée, le 3 février 2023. (Wahaj Banimoufleh)


Jonathan Pollak aux côtés de son avocate Riham Nasra au tribunal de Petah Tikva lors de son procès pour avoir jeté des pierres lors d’une manifestation contre l’avant-poste de colons juifs d’Eviatar à Beita, en Cisjordanie occupée, le 28 septembre 2023. (Oren Ziv)

Lorsque je suis revenu dans les territoires [occupés depuis 1967] après une longue détention suite à une manifestation dans le village de Beita, la Cisjordanie était très différente de ce que je connaissais. Ici aussi, Israël a perdu son calme. Meurtres de civils, attaques de colons agissant avec l’armée, arrestations massives. Peur et terreur à chaque coin de rue. Et ce silence, un silence écrasant. Déjà avant ma libération, il était clair que quelque chose de fondamental avait changé. Quelques jours après le 7 octobre, Ibrahim Alwadi, un ami du village de Qusra, a été tué avec son fils Ahmad. Ils ont été abattus alors qu’ils accompagnaient quatre Palestiniens abattus la veille — trois par des colons qui ont envahi le village, le quatrième par des soldats qui les accompagnaient.

Après ma libération, j’ai compris que quelque chose de très mauvais se passait dans les prisons. Au cours de l’année écoulée, alors que je retrouvais ma liberté, des milliers de Palestiniens — y compris de nombreux amis et connaissances — ont été arrêtés en masse par Israël. À mesure qu’ils commençaient à être libérés, leurs témoignages ont dressé un tableau systématique de la torture. Les coups mortels sont un motif récurrent dans chaque récit. Cela se produit dans les comptages des détenus, lors des fouilles des cellules, à chaque mouvement d’un endroit à l’autre. La situation est si grave que des détenus demandent à leurs avocats de tenir les audiences sans leur présence, car le chemin de la cellule à la salle où est installée la caméra est un chemin de douleurs et d’humiliations.

 J’ai longtemps hésité sur la façon de partager les témoignages que j’ai entendus de mes amis revenus de la détention. Après tout, je ne révèle pas ici de nouveaux détails. Tout, dans les moindres détails, remplit déjà volumes sur volumes dans les rapports des organisations de droits humains. Mais pour moi, ce ne sont pas les histoires de gens lointains. Ce sont des personnes que j’ai connues et qui ont survécu à l’enfer. Aucun d’eux n’est plus la personne qu’il était auparavant. Je cherche à raconter ce que j’ai entendu de mes amis, expérience partagée par d’innombrables autres, même en changeant leurs noms et en masquant les détails identifiables. Après tout, la peur de représailles revenait dans chaque conversation.

 Les coups et le sang

J’ai rendu visite à Malak quelques jours après sa libération. Une porte jaune et une tour de garde bloquaient le chemin qui menait autrefois au village depuis la route principale. La plupart des autres routes passant par les villages voisins sont toutes bloquées. Seule une route sinueuse, celle qui passe près de l’église byzantine qu’Israël a fait exploser en 2002, est restée ouverte. Pendant des années, ce village avait été pour moi comme une seconde maison, et c’est la première fois que j’y retourne depuis ma libération.

Malak a été détenu pendant 18 jours. Il a été interrogé trois fois, et lors de tous les interrogatoires, il a été questionné sur des banalités. Il était donc convaincu qu’il serait transféré en détention administrative — c’est-à-dire sans procès et sans preuves, sans qu’il soit accusé de quoi que ce soit, sous un vernis de soupçons secrets et sans limite de temps. C’est en effet le sort de la plupart des détenus palestiniens en ce moment.

Après le premier interrogatoire, il a été emmené au jardin des supplices. Pendant la journée, les gardiens retiraient les matelas et les couvertures des cellules, et les restitueraient le soir lorsqu’ils étaient à peine secs, et parfois même encore mouillés. Malak décrit le froid des nuits d’hiver à Jérusalem comme des flèches pénétrant dans la chair jusqu’aux os s. Il raconte comment ils le battaient, comme les autres détenus, à chaque occasion. À chaque comptage, à chaque fouille, à chaque mouvement d’un endroit à l’autre, chaque chose était une occasion de frapper et d’humilier.

« Une fois, lors du comptage du matin », m’a-t-il dit, « nous étions tous à genoux, le visage tourné vers les lits. Un des gardiens m’a attrapé par derrière, m’a menotté les mains et les pieds, et m’a dit en hébreu ‘Viens, bouge’. Il m’a soulevé par les menottes aux mains, dans le dos, et m’a conduit courbé à travers la cour à côté des cellules. Pour sortir, il y a une sorte de petite pièce qu’il faut traverser, entre deux portes avec une petite fenêtre ». Je sais exactement de quelle petite pièce il parle, je l’ai traversée des dizaines de fois. C’est un passage de sécurité où à un moment donné, seule une des portes peut être ouverte. « Alors nous y sommes arrivés », continue Malek, « et ils m’ont plaqué contre la porte, le visage contre la fenêtre. J’ai regardé à l’intérieur et j’ai vu que le sol était couvert de sang coagulé. J’ai ressenti la peur passer comme de l’électricité dans mon corps. Je savais exactement ce qui allait arriver. Ils ont ouvert la porte, un est entré et s’est tenu près de la fenêtre au fond, l’a bloquée, et l’autre m’a jeté à l’intérieur sur le sol. Ils m’ont donné des coups de pied. J’ai essayé de protéger ma tête, mais mes mains étaient menottées, je n’avais pas vraiment de moyen de le faire. C’étaient des coups meurtriers. Je pensais vraiment qu’ils allaient peut-être me tuer. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. À un moment donné, je me suis souvenu que la nuit précédente, quelqu’un m’avait dit “Quand ils te frappent, crie de toutes tes forces. Qu’est-ce que ça peut te faire ? Ça ne peut pas être pire, et peut-être que quelqu’un entendra et viendra”. Alors j’ai commencé à crier vraiment fort, et effectivement, quelqu’un est arrivé. Je ne comprends pas l’hébreu, mais il y a eu quelques cris entre lui et eux. Et puis ils sont partis et il m’a emmené d’ici. J’avais du sang qui coulait de ma bouche et de mon nez ».

 Khaled, l’un de mes amis les plus proches, a également souffert de la violence des gardiens. Lorsqu’il est sorti de prison après une détention administrative de huit mois, son fils ne l’a pas reconnu de loin. La distance entre la prison d’Ofer et sa maison de Beitunia, il l’a parcourue en courant. Plus tard, il a dit qu’on ne lui avait pas dit que la détention administrative était terminée, et il avait peur qu’il y ait eu une erreur et qu’ils allaient bientôt l’arrêter à nouveau. Cela s’était déjà produit pour quelqu’un qui était avec lui dans la cellule. Sur la photo que son fils m’a envoyée quelques minutes après leur rencontre, il a l’air d’une ombre humaine. Sur tout son corps — ses épaules, ses bras, son dos, son visage, ses jambes — on voyait des signes de violence. Quand je suis venu lui rendre visite, il s’est levé pour m’embrasser, mais quand je l’ai pris dans mes bras, il a gémi de douleur. Quelques jours plus tard, les examens ont montré un œdème autour de la colonne vertébrale et une côte qui avait guéri.

Prison de Megiddo


Chaque action est une occasion de frapper et d’humilier

Un autre témoignage que j’ai entendu de la bouche de Nizar, qui était déjà en détention administrative avant le 7 octobre, et depuis il a été transféré dans plusieurs prisons, dont Megiddo. Un soir, les gardiens sont entrés dans la cellule voisine et il a pu entendre depuis sa cellule les coups, les cris de douleur. Après un certain temps, les gardiens ont pris un détenu et l’ont jeté seul dans la cellule d’isolement. Pendant la nuit et le jour suivant, il a gémi de douleur et n’a pas cessé de crier “mon ventre” et d’appeler à l’aide. Personne n’est venu. Cela a continué aussi la nuit suivante. Vers le matin, les cris ont cessé. Le lendemain, lorsqu’un infirmier est venu faire un tour dans le quartier, ils ont compris d’après le tumulte et les cris des gardiens que le détenu était mort. Jusqu’à aujourd’hui, Nizar ne sait pas qui c’était. Il était interdit de parler entre les cellules, et il ne sait pas quelle était la date.

Après sa libération, il a compris que pendant la période où il était détenu, ce détenu n’avait pas été le seul à mourir à Megiddo. Taoufik, qui a été libéré en hiver de la prison de Gilboa, m’a raconté que pendant une vérification du quartier par des officiers de la prison, un des détenus s’est plaint de ne pas être autorisé à sortir dans la cour. En réponse, l’un des officiers lui a dit : “Tu veux la cour ? Dis merci de ne pas être dans les tunnels du Hamas à Gaza”. Ensuite, pendant deux semaines, chaque jour pendant le comptage de midi, ils les faisaient sortir dans la cour et leur ordonnaient de s’allonger sur le sol froid pendant deux heures. Même sous la pluie. Pendant qu’ils étaient allongés, les gardiens se promenaient dans la cour avec des chiens. Parfois, les chiens passaient entre eux, et parfois ils marchaient vraiment sur les détenus allongés ; ils leur marchaient dessus.

 Selon Taoufik, chaque rencontre d’un détenu avec un avocat avait un prix. « Je savais à chaque fois que le chemin de retour, entre la salle de visite et le quartier, me rajouterait au moins trois volées de coups. Mais je n’ai jamais refusé d’y aller. Toi, tu étais dans une prison cinq étoiles. Tu ne comprends pas ce que c’est d’être 12 personnes dans une cellule où on était à l’étroit même à six. C’est vivre dans un cercle fermé. Ça ne me dérangeait pas du tout ce qu’ils allaient me faire. Juste voir quelqu’un d’autre qui parle avec toi comme un humain, voir peut-être quelque chose dans le couloir en chemin, ça valait tout pour moi ».

Mondher Amira  — le seul ici à apparaître sous son vrai nom — a été libéré de prison par surprise avant la fin de sa période de détention administrative. Même aujourd’hui, personne ne sait pourquoi. Contrairement à beaucoup d’autres qui ont été avertis et craignent des représailles, Amira a raconté aux caméras la catastrophe dans les prisons, les qualifiant de cimetières pour vivants. À moi, il a raconté qu’une nuit, une unité Kt’ar a fait irruption dans leur cellule à la prison d’Ofer, accompagnée de deux chiens. Ils ont ordonné aux détenus de se déshabiller jusqu’à leurs sous-vêtements et de s’allonger sur le sol, puis ont ordonné aux chiens de renifler leur corps et leur visage. Ensuite, ils ont ordonné aux prisonniers de s’habiller, les ont conduits aux douches et les ont rincés à l’eau froide habillés. Une autre fois, il a essayé d’appeler un infirmier à l’aide après qu’un détenu a tenté de se suicider. La punition pour avoir appelé à l’aide a été une autre descente de l’unité Kt’ar. Cette fois, ils ont ordonné aux détenus de s’allonger les uns sur les autres et les ont frappés avec des matraques. À un moment donné, un des gardiens a écarté leurs jambes et les a frappés aux testicules avec une matraque. 

 La faim et les maladies

Mondher a perdu 33 kilos pendant sa détention. Je ne sais pas combien de kilos Khaled a perdus, lui qui a toujours été un homme mince, mais sur la photo qui m’a été envoyée, j’ai vu un squelette humain. Dans le salon de sa maison, la lumière de la lampe a ensuite révélé deux profondes dépressions à l’endroit où se trouvaient ses joues. Ses yeux étaient entourés d’un contour rouge, celui d’une personne qui n’a pas dormi depuis des semaines. Sur ses bras maigres pendaient une peau lâche qui semblait avoir été fixée artificiellement, comme un emballage en plastique. Les analyses sanguines des deux ont montré des carences graves. Tous ceux avec qui j’ai parlé, quelle que soit la prison où ils sont passés, ont répété presque exactement le même menu, qui est parfois mis à jour, ou plutôt réduit. La dernière version que j’ai entendue, de la prison d’Ofer, était : au petit-déjeuner, une boîte et demi de fromage pour une cellule de 12 personnes, trois tranches de pain par personne, 2 ou 3 légumes, généralement un concombre ou une tomate, pour toute la cellule. Une fois tous les quatre jours, 250 grammes de confiture pour toute la cellule. Au déjeuner, un gobelet en plastique jetable avec du riz par personne, deux cuillères de lentilles, quelques légumes, trois tranches de pain. Au dîner, deux cuillères (à café, pas à soupe) de houmous et de tahini par personne, quelques légumes, trois tranches de pain par personne. Parfois un autre gobelet de riz, parfois une boule de falafel (une seule !) ou un œuf, qui est généralement un peu avarié, parfois avec des points rouges, parfois bleu. Voilà.  Nazar m’a dit à ce sujet : « Ce n’est pas seulement la quantité. Même ce qui a déjà été apporté n’est pas comestible. Le riz est à peine cuit, presque tout est avarié. Et tu sais, il y a même de vrais enfants là-bas, ceux qui n’ont jamais été en prison. Nous avons essayé de prendre soin d’eux, de leur donner de notre nourriture pourrie. Mais si tu donnes un peu de ta nourriture, c’est comme si tu te suicidais. Dans la prison, il y a maintenant une famine (maja’a  مَجَاعَة), et ce n’est pas une catastrophe naturelle, c’est la politique du service pénitentiaire ».

Récemment, la faim a même augmenté. En raison de l’exiguïté, le service pénitentiaire trouve des moyens de rendre les cellules encore plus étroites. Espaces publics, cantine — tout endroit est devenu une cellule supplémentaire. Le nombre de prisonniers dans les cellules, qui étaient déjà surpeuplées auparavant, a encore augmenté. Il y a des sections où 50 prisonniers supplémentaires ont été ajoutés, mais la quantité de nourriture est restée la même. Il n’est donc pas surprenant que les prisonniers perdent un tiers, voire plus, de leur poids en quelques mois.

La nourriture n’est pas la seule chose qui manque en prison, et les détenus ne sont en fait pas autorisés à posséder quoi que ce soit d’autre qu’un seul ensemble de vêtements. Une chemise, une paire de sous-vêtements, une paire de chaussettes, un pantalon, un sweat-shirt. C’est tout. Pour toute la durée de leur détention. Je me souviens qu’une fois, lorsque l’avocate de Mondher, Riham Nasra, lui a rendu visite, il est arrivé dans la salle de visite pieds nus. C’était en hiver et il faisait un froid glacial à Ofer. Quand elle lui a demandé pourquoi, il a simplement dit : « Il n’y en a pas ».  Un quart de tous les prisonniers palestiniens sont atteints de gale, selon une déclaration du service pénitentiaire lui-même au tribunal. Nizar a été libéré lorsque sa peau était en phase de guérison. Les lésions sur sa peau ne saignent plus, mais les croûtes couvrent encore de grandes parties de son corps. « L’odeur dans la cellule était quelque chose qu’on ne peut même pas décrire. Comme la décomposition, nous étions là et nous nous décomposions, notre peau, notre chair. Nous ne sommes pas des êtres humains là-bas, nous sommes de la chair en décomposition », dit-il. « Maintenant, comment ne pas l’être ? La plupart du temps, il n’y a pas d’eau du tout, souvent seulement une heure par jour, et parfois nous n’avions pas d’eau chaude pendant des jours. Il y a eu des semaines entières sans que je prenne de douche. J’ai mis plus d’un mois à recevoir du savon. Et nous restons là, dans les mêmes vêtements, car personne n’a de vêtements de rechange, et ils sont pleins de sang et de pus et il y a une puanteur, pas de saleté, mais de mort. Nos vêtements étaient imbibés de nos corps en décomposition ».

 Taoufik a raconté qu’« il n’y avait de l’eau courante qu’une heure par jour. Pas seulement pour la douche, mais en général, même pour les toilettes. Donc, pendant cette heure-là, 12 personnes dans la cellule devaient faire tout ce qui nécessitait de l’eau, y compris les besoins naturels. Évidemment, c’était insupportable. Et aussi, parce que la plupart de la nourriture était avariée, nous avions tous des troubles digestifs presque tout le temps. Tu ne peux pas imaginer à quel point notre cellule puait ».

Dans ces conditions, l’état de santé des prisonniers se détériore, évidemment. Une perte de poids aussi rapide, par exemple, pousse le corps à consommer ses propres tissus musculaires. Lorsque Mondher a été libéré, il a raconté à Sana, sa femme, qui est infirmière, qu’il était si sale que sa sueur avait teint ses vêtements en orange. Elle l’a regardé et a demandé, « Et l’urine ? » Il a répondu : « Oui, j’ai aussi pissé du sang ». « Espèce d’idiot », lui a-t-elle crié, « ce n’était pas de la saleté, c’était ton corps qui rejetait les muscles qu’il avait mangés ».

Les analyses de sang de presque toutes mes connaissances ont montré qu’ils souffraient de malnutrition et de graves carences en fer, en minéraux essentiels et en vitamines. Mais même les soins médicaux sont un luxe. On ne sait pas ce qui se passe dans les infirmeries de la prison, mais pour les prisonniers, elles n’existent pas. Les traitements réguliers ont simplement cessé. De temps en temps, un infirmier fait un tour dans les cellules, mais aucun traitement n’est administré, et « l’examen » se résume à une conversation à travers la porte de la cellule. La réponse médicale, au mieux, est du paracétamol et, le plus souvent, quelque chose du genre « bois de l’eau ». Il va sans dire qu’il n’y a pas assez d’eau dans les cellules, car il n’y a pas d’eau courante la plupart du temps. Parfois, une semaine ou plus passent sans que même l’infirmier ne passe dans le bloc.


Et si l’on parle peu de viol, il n’y a pas besoin de parler des humiliations sexuelles — des vidéos de prisonniers conduits complètement nus par le service pénitentiaire ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Ces actes n’auraient pas pu être documentés autrement que par les gardiens eux-mêmes qui cherchaient à se vanter de leurs actes. L’utilisation de la fouille comme une opportunité pour une agression sexuelle, souvent en frappant l’aine avec la main ou le détecteur de métaux, est une expérience presque constante, dont la description revient régulièrement chez les prisonniers qui ont été dans différentes prisons.

Je n’ai pas entendu parler des agressions contre les femmes de première main, évidemment. Ce que j’ai entendu, et pas une seule fois, c’est le manque de matériel hygiénique pendant les règles et son utilisation pour humilier. Après les premiers coups le jour de son arrestation, Mounira a été emmenée à la prison de Sharon. À l’entrée de la prison, tout le monde passe par une fouille corporelle, mais une fouille à nu n’est pas la norme et nécessite un motif raisonnable de soupçonner que la détenue cache un objet interdit. Une fouille à nu nécessite également l’approbation de l’officier responsable. Pendant la fouille, aucun officier n’était là pour Mounira, et certainement pas une procédure organisée pour vérifier un soupçon raisonnable. Mounira a été poussée par deux gardiennes dans une petite pièce de fouille, où elles l’ont forcée à enlever tous ses vêtements, y compris ses sous-vêtements et son soutien-gorge, et à se mettre à genoux. Après quelques minutes où elles l’ont laissée seule, l’une des gardiennes est revenue, l’a frappée et est partie. À la fin, ses vêtements lui ont été rendus et elle a été autorisée à s’habiller. Le lendemain était le premier jour de ses règles. Elle a reçu une serviette hygiénique et devait s’en débrouiller pour toute la période de ses règles. Et c’était pareil pour toutes. Lorsqu’elle a été libérée, elle souffrait d’une infection et d’une grave inflammation des voies urinaires.

Épilogue

Sde Teiman était le lieu de détention le plus terrible, et c’est soi-disant la raison pour laquelle ils l’ont fermé. En effet, il est difficile de penser aux descriptions de l’horreur et de l’atrocité qui sont sorties de ce camp de torture sans penser à l’endroit comme l’un des cercles de l’enfer. Mais ce n’est pas sans raison que l’État a accepté de transférer ceux qui y étaient détenus vers d’autres endroits — principalement Nitzan et Ofer. Sde Teiman ou pas Israël détient des milliers de personnes dans des camps de torture et au moins 68 d’entre elles y ont perdu la vie. Rien que depuis début décembre, la mort de quatre autres détenus a été signalée. L’un d’eux, Mahmad Walid Ali, 45 ans, du camp de Nour Shams près de Toulkarem, est mort une semaine seulement après son arrestation. Les tortures sous toutes leurs formes, la faim, l’humiliation, l’agression sexuelle, la promiscuité, les coups et la mort, ne sont pas le fruit du hasard. Elles constituent ensemble la politique israélienne. Voilà la réalité.


 



08/01/2025

AVI STEINBERG
La citoyenneté israélienne a toujours été un outil de génocide : je renonce donc à la mienne

Ma décision relève du constat que ce statut n’a jamais eu la moindre légitimité.
Avi Steinberg, Truthout, 26/12/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

الكاتب آفي شتاينبرغ: الجنسية الإسرائيلية كانت أداة للإبادة الجماعية منذ البداية: لذلك أتخلى عن جنسيتي

Avi Steinberg est né à Jérusalem de parents USaméricains juifs orthodoxes retournés aux USA en 1993. Il est l’auteur de Running the Books: The Adventures of an Accidental Prison Librarian (2010), The lost Book of Mormon: a journey through the mythic lands of Nephi, Zarahemla, and Kansas City, Missouri (2014) et The Happily Ever After: A Memoir of an Unlikely Romance Novelist (2020). Il travaille actuellement à une biographie de l’écrivaine et militante féministe Grace Paley

Récemment, je suis entré dans un consulat israélien et j’ai présenté des documents pour renoncer officiellement à ma citoyenneté. C’était une journée d’automne exceptionnellement chaude et les employés de bureau en pause se prélassaient au bord de l’étang de Boston Common. La nuit précédente avait été marquée par une série d’attaques aériennes particulièrement épouvantables menées par Israël contre des camps de tentes de réfugiés à Gaza. Alors que les Palestiniens comptaient encore les corps ou, dans de nombreux cas, rassemblaient ce qui restait de leurs proches, la banlieusarde qui me précédait dans la file d’attente du consulat m’a joyeusement demandé ce qui m’amenait ici aujourd’hui.
Les universitaires, les journalistes et les juristes du monde entier dressent un inventaire détaillé de toutes les façons dont les crimes commis par Israël depuis octobre 2023 constituent des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides pouvant donner lieu à des poursuites judiciaires. Mais l’histoire va bien au-delà des horreurs de l’année écoulée. La citoyenneté, telle que je la possède, a été un élément matériel d’un processus génocidaire de longue date. Depuis sa création, l’État israélien s’est appuyé sur la normalisation de lois suprémacistes fondées sur des critères ethniques pour soutenir un régime militaire dont l’objectif colonial clair est l’élimination de la Palestine.
En haut du formulaire que j’avais apporté au consulat ce jour-là figure une citation de la loi sur la citoyenneté de 1952, la base juridique sur laquelle mon statut m’a été conféré à la naissance. La raison pour laquelle je renonce à ce statut est en effet directement liée à cette loi - ou plutôt à la situation sur le terrain dans les années 1950, le contexte de la Nakba, qui a façonné cette loi.

Emad Hajjaj

En 1949, dans les mois qui ont suivi la signature des accords d’armistice mettant ostensiblement fin à la guerre de 1948, les colons sionistes, qui avaient réussi à massacrer et à expulser les trois quarts de la population palestinienne autochtone dans les territoires désormais sous leur contrôle, ont commencé à chercher des moyens de sécuriser leur État de garnison militarisé. Leur préoccupation la plus pressante était de s’assurer que les Palestiniens qui avaient été chassés de leurs villages et de leurs fermes ancestrales ne reviendraient jamais, que leurs terres passeraient en possession légale du nouvel État, prêtes à être occupées par les prochaines vagues d’immigrants juifs venus de l’étranger. Plus de 500 villages et villes palestiniens ont été vidés de leur substance en l’espace d’un an, et il était désormais temps de les effacer à jamais de la carte.
Bien qu’il ait fallu de nombreuses décennies pour que l’État colonisateur reconnaisse officiellement qu’il était une entité suprémaciste juive de jure, la pratique du nettoyage ethnique était intégrée dans la stratégie militaire, sociale et juridique de l’État. Il a toujours été question d’un État juif conçu pour créer et maintenir une majorité juive sur une terre qui était à 90 % non juive avant l’arrivée massive des sionistes dans les premières décennies du XXe siècle.
L’achèvement du processus de nettoyage ethnique nécessiterait en effet une ingénierie agressive et, compte tenu de la forte résistance indigène, n’aboutirait jamais. En 1949, les frontières arbitrairement tracées étaient encore poreuses et les territoires ruraux sous occupation sioniste étaient encore loin d’être entièrement sous leur contrôle. Les Palestiniens, nouvellement réfugiés, vivaient dans des tentes à quelques kilomètres de chez eux. Nombre d’entre eux survivaient avec un seul maigre repas par jour et étaient déterminés, après l’armistice, à retrouver leurs maisons et leurs récoltes.
Certains ont tenté d’agir dans le cadre du nouveau système juridique colonial imposé à la hâte. Ils font appel à la « Déclaration d’indépendance » de la nouvelle entité, qui revendique l’égalité des droits pour tous. Mais ce document n’avait aucune valeur juridique et était conçu comme un document de propagande destiné à obtenir l’acceptation internationale au sein des toutes jeunes Nations unies. La demande d’adhésion à l’ONU, présentée par cette nouvelle entité se désignant elle-même comme l’« État d’Israël », avait déjà été rejetée une première fois, et les dirigeants sionistes s’efforçaient de donner à leur nouvelle demande un air de légitimité. Un clin d’œil symbolique aux droits des Palestiniens, espéraient-ils, donnerait une couverture politique à cet État résolument illibéral pour qu’il rejoigne l’ordre international émergent, dominé par les USA.
Indépendamment de ce que la machine de propagande de l’État mettait en avant à l’étranger, la situation sur le terrain était un cas flagrant de nettoyage ethnique. Pendant près de dix ans, les colons sionistes ont utilisé tous les moyens de la force pour rompre le lien entre les autochtones palestiniens et leurs terres. En avril 1949, ils ont adopté une politique de « tir libre », en vertu de laquelle des milliers de soi-disant infiltrés - c’est-à-dire des Palestiniens autochtones retournant dans les maisons qu’ils avaient habitées depuis des générations - pouvaient être, et ont souvent été, abattus à vue. L’État a créé des camps de concentration en procédant à de vastes rafles de villageois et d’agriculteurs. À partir de ces camps, des masses de Palestiniens ont été déportées de l’autre côté de la « frontière », où elles ont été transférées dans des camps de réfugiés de plus en plus nombreux en Jordanie et au Liban, ainsi que dans la bande de Gaza, sous contrôle égyptien. C’est ainsi que Gaza est devenue le territoire le plus densément peuplé de la planète.
Rappelons que de telles scènes se sont produites après l ‘armistice, c’est-à-dire après la fin supposée de la guerre de 1948. Cela faisait partie d’une stratégie délibérée d’après-guerre qui utilisait les cessez-le-feu comme couverture pour sécuriser un territoire ethniquement nettoyé, un schéma qui allait se répéter pendant des décennies. L’objectif était clairement défini dès le départ : expulser les Palestiniens de leurs terres pour toujours, affaiblir les intérêts de ceux qui restaient, et effacer la Palestine à la fois dans le concept et dans la réalité matérielle.
C’est dans ce contexte qu’ont été promulguées les lois sur la citoyenneté de l’État au début des années 1950 : tout d’abord, la loi du retour de 1950, qui accordait la citoyenneté à tout juif dans le monde, puis la loi sur la citoyenneté de 1952, qui annulait tout statut de citoyen détenu par les Palestiniens. La reconfiguration de la citoyenneté par l’État selon les principes de la suprématie juive sera son principe constitutionnel clé. L’effet de cette législation radicale, appliquée par une force d’occupation armée brutale sur le terrain, « a rendu les colons indigènes et a fait des indigènes palestiniens des étrangers », écrit l’universitaire Lana Tatour. Ce cadre juridique n’était pas un échec politique, note Lana Tatour, mais il « faisait ce pour quoi il avait été créé : normaliser la domination, naturaliser la souveraineté des colons, classer les populations, produire des différences et exclure, racialiser et éliminer les indigènes ».
Dix-neuf ans après la promulgation de la loi sur la citoyenneté de 1952, mes parents ont quitté les USA pour s’installer à Jérusalem et ont obtenu la citoyenneté et tous les droits en vertu de la « loi du retour ». Par une naïveté juvénile qui allait se transformer en ignorance délibérée, ils ont réussi à devenir à la fois des libéraux usaméricains opposés à l’invasion du Viêt Nam, tout en agissant comme des colons armés sur la terre d’un autre peuple. Ils se sont installés dans un quartier de Jérusalem qui avait fait l’objet d’un nettoyage ethnique quelques années auparavant. Ils ont occupé une maison construite et récemment habitée par une famille palestinienne dont la communauté avait été expulsée vers la Jordanie et dont le retour avait été violemment interdit par le canon d’un fusil - et par les papiers de citoyenneté que ma famille tenait entre ses mains.
Ce remplacement d’une personne par une autre n’était pas un secret. Des gens comme ma famille vivaient dans ces quartiers précisément parce qu’il s’agissait d’une « maison arabe », fièrement présentée comme telle en raison de son élégance et de ses hauts plafonds, en opposition aux immeubles d’habitation utilitaires et construits au petit bonheur par les colons sionistes. Je suis né dans le village palestinien d’Ayn Karim, qui a fait l’objet d’un nettoyage ethnique et qui est très prisé pour son charme arabe, sans qu’aucun Arabe ne vienne troubler ce joli tableau. Mon père était dans l’armée israélienne, dont lui et nombre de ses amis sont sortis, après la monstrueuse invasion du Liban en 1982, partisans libéraux de la « paix ». Mais pour eux, ce mot signifiait toujours vivre dans un pays à majorité juive ; il s’agissait d’une « paix » dans laquelle le péché originel de l’État, le processus continu de nettoyage ethnique, resterait fermement en place, légitimé et donc plus sûr que jamais. En d’autres termes, ils recherchaient la paix pour les Juifs ayant la citoyenneté israélienne, mais pour les Palestiniens, la « paix » signifiait une reddition totale, une occupation permanente et l’exil.
Tout cela pour dire : je ne considère pas ma décision de renoncer à cette citoyenneté comme une tentative de renverser un statut légal, mais plutôt comme une reconnaissance du fait que ce statut n’a jamais eu la moindre légitimité. La loi sur la citoyenneté israélienne est fondée sur les pires types de crimes violents que nous connaissons et sur une litanie croissante de mensonges destinés à blanchir ces crimes. L’aspect officiel, les apparats de la gouvernance légale, avec leurs sceaux du ministère de l’intérieur, ne témoignent de rien d’autre que de l’effort rampant de cet État pour dissimuler son illégalité fondamentale. Il s’agit de faux documents. Plus important encore, il s’agit d’un instrument contondant utilisé pour déplacer continuellement des personnes vivantes, des familles, des populations entières d’habitants indigènes de la terre.
Dans sa campagne génocidaire visant à effacer le peuple autochtone de Palestine, l’État a militarisé mon existence même, ma naissance et mon identité - et celles de tant d’autres. Le mur qui empêche les Palestiniens de rentrer chez eux est constitué autant de papiers d’identité que de dalles de béton. Notre travail doit consister à retirer ces dalles de béton, à déchirer les faux papiers et à perturber les récits qui font apparaître ces structures d’oppression et d’injustice comme légitimes ou, à Dieu ne plaise, comme inévitables.
À ceux qui invoqueront à bout de souffle le point de discussion selon lequel les Juifs « ont le droit à l’autodétermination », je dirai simplement que si ce droit existe, il ne peut en aucun cas impliquer l’invasion, l’occupation et le nettoyage ethnique d’un autre peuple. Personne n’a ce droit. En outre, on peut penser à quelques pays européens qui doivent des terres et des réparations à leurs Juifs persécutés. Le peuple palestinien, en revanche, n’a jamais rien dû aux Juifs pour les crimes commis par l’antisémitisme européen, et il ne le doit pas non plus aujourd’hui.
Ma conviction personnelle, comme celle de nombre de mes ancêtres du XXe siècle, est que la libération juive est inséparable de vastes mouvements sociaux. C’est la raison pour laquelle tant de Juifs étaient socialistes dans l’Europe d’avant-guerre et que beaucoup d’entre nous se rattachent à cette tradition aujourd’hui.
En tant que juif traditionnel, je pense que la Torah est radicale dans son affirmation que le peuple juif, ou tout autre peuple, n’a aucun droit à une quelconque terre, mais qu’il est plutôt lié par des responsabilités éthiques rigoureuses. En effet, si la Torah a un seul message, c’est que si vous opprimez la veuve et l’orphelin, si vous êtes corrompus par la cupidité et la violence sanctionnées par le gouvernement, et si vous acquérez des terres et des richesses aux dépens des gens ordinaires, vous serez chassés par le Dieu de la justice. La Torah est régulièrement brandie par les nationalistes adorateurs de la terre comme s’il s’agissait d’un acte de propriété, mais si on la lit vraiment, c’est un enregistrement de reproches prophétiques contre l’abus de pouvoir de l’État.
La seule entité ayant des droits souverains, selon la Torah, est le Dieu de la justice, le Dieu qui méprise l’usurpateur et l’occupant. Le sionisme n’a rien à voir avec le judaïsme ou l’histoire juive, si ce n’est que ses dirigeants ont longtemps vu dans ces sources profondes une série de récits puissamment mobilisateurs pour faire avancer leur programme colonial - et c’est à ce seul programme colonial que nous devons nous attaquer. Les efforts constants pour évoquer l’histoire de la victimisation juive afin de justifier ou simplement de détourner l’attention des actions d’une puissance économique et militaire seraient positivement risibles s’ils n’étaient pas aussi cyniquement armés et mortels.
La colonisation sioniste ne peut être ni réformée ni libéralisée : son identité existentielle, telle qu’elle est exprimée dans ses lois sur la citoyenneté et répétée ouvertement par ses citoyens, équivaut à un engagement en faveur du génocide. Les appels à des embargos sur les armes, ainsi qu’à des boycotts, à des désinvestissements et à des sanctions, sont des demandes qui relèvent du bon sens. Mais ils ne constituent pas une vision politique. La décolonisation l’est. Elle est à la fois le chemin et la destination. Nous devons tous orienter notre organisation en conséquence.
C’est déjà le cas. Une réalité différente est déjà en train d’être construite par un mouvement large, énergique et plein d’espoir de personnes du monde entier qui savent que le seul avenir éthique est une Palestine libre, libérée de la domination coloniale. Nous y parviendrons grâce à un mouvement de libération soutenu au niveau mondial, mais en fin de compte local, dirigé par les Palestiniens, un mouvement dont les politiques et les tactiques sont déterminées par les Palestiniens. Cette libération se fera par le biais d’une diversité de tactiques, en fonction des situations - y compris la résistance armée, un droit universellement reconnu pour tout peuple occupé.
La décolonisation commence par l’écoute et la réponse aux appels des organisateurs palestiniens à développer une conscience et une pratique décolonisatrices, à supprimer les structures matérielles qui ont été placées entre les Palestiniens et leur terre, et à inverser la normalisation de ces barrières arbitraires. La décolonisation de la citoyenneté implique également de comprendre le lien matériel entre le colonialisme israélien et d’autres formes de colonialisme à travers le monde. Il est bien connu que les USA fournissent sans cesse des armes et du capital politique à leur allié colonial ; ce que l’on sait moins, c’est que la conception australienne de la jurisprudence anti-indigène a servi de modèle juridique à Israël. La lutte pour une Palestine libérée est liée à la lutte des mouvements de défense des terres indigènes partout dans le monde. Ma citoyenneté unique n’est qu’une brique dans ce mur. Néanmoins, c’est une brique. Et elle doit être physiquement enlevée.
Ceux qui occupent exactement la même position que moi sont invités à rejoindre un réseau croissant et solidaire de personnes qui se défont de leur citoyenneté dans le cadre d’une pratique décolonisatrice plus large. Ceux qui ne sont pas dans cette situation devraient prendre d’autres mesures. Si vous vivez en Palestine occupée, rejoignez le mouvement de résistance et faites-en quelque chose de concret. Luttez pour décoloniser et révolutionner le mouvement ouvrier et faites-en le levier du pouvoir antiétatique qu’il devrait être. Rejoignez la résistance dirigée par les Palestiniens. Si vous ne pouvez pas faire ces choses, partez et résistez depuis l’étranger. Prenez des mesures matérielles pour démanteler cet édifice colonial, pour perturber le récit qui dit que c’est normal, que c’est l’avenir. Ce n’est pas notre avenir. La Palestine sera libérée. Mais seulement lorsque nous nous engagerons, dès maintenant, dans les pratiques de libération.

YANIV KUBOVICH
L’armée israélienne met en garde ses soldats: lorsque vous voyagez à l’étranger, vous pourriez être poursuivis pour des crimes de guerre présumés commis à Gaza

Alors que les soldats d’active et de carrière doivent obtenir une autorisation pour leurs vols vers l’étranger, les FDI s’inquiètent de l’absence de supervision pour les réservistes. Israël s’efforce de bloquer les enquêtes à l’étranger alors que des fonctionnaires critiquent le chef des FDI pour n’avoir pas réussi à limiter les fuites de vidéos sur Gaza.
Yaniv Kubovich, Haaretz   5/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les agences de sécurité et les ministères israéliens se préparent à aider les soldats et les réservistes qui risquent d’être arrêtés à l’étranger pour avoir participé à des crimes de guerre présumés à Gaza.

Un peu de détente entre deux crimes de guerre

Les autorités israéliennes se coordonnent avec les cabinets d’avocats locaux pour fournir une aide juridique immédiate si nécessaire. Certains voyageurs israéliens ont été avertis qu’ils risquaient d’être arrêtés, mais la plupart d’entre eux ont poursuivi leur voyage sans incident ni interrogatoire.
Alors que les soldats en service actif doivent faire approuver leurs destinations de voyage par des commandants supérieurs, le corps de l’avocat général des armées s’est inquiété du manque de supervision pour les réservistes.
Des plaintes ont été déposées contre des soldats des FDI en Afrique du Sud, au Sri Lanka, en Belgique, en France et au Brésil. Dans ce dernier pays, un tribunal a récemment ordonné une enquête sur un réserviste qui avait fui le pays.
Aucune plainte similaire dans d’autres pays n’a encore donné lieu à des enquêtes formelles, et les responsables juridiques israéliens s’efforcent d’empêcher d’autres enquêtes ou arrestations. Cependant, de hauts responsables juridiques avertissent que les déclarations des membres du gouvernement pourraient saper les efforts de défense des soldats.
Un groupe de travail conjoint du corps de l’avocat général des armées, du ministère des affaires étrangères, du Conseil de sécurité nationale et du Shin Bet analyse actuellement les risques encourus par les soldats dans différents pays et surveille les enquêtes potentielles, comme celle qui a été lancée au Brésil.
Ces derniers mois, les autorités israéliennes ont identifié des organisations pro-palestiniennes qui recueillent des témoignages, des photos et des vidéos partagés par des soldats de Tsahal sur les médias sociaux pendant la guerre à Gaza.
Ces organisations surveillent également l’activité en ligne des soldats à l’étranger, exposant ceux qui publient du contenu permettant de les localiser à d’éventuelles plaintes en justice.
Les FDI reconnaissent que la guerre de Gaza a fait l’objet d’une documentation plus abondante que tout autre conflit antérieur, les deux parties ayant produit des quantités sans précédent d’images.
Au début de la guerre, de hauts responsables juridiques ont averti que les soldats qui publiaient des vidéos en ligne présentaient des risques importants. Bien que le chef d’état-major de l’armée israélienne, Herzl Halevi, ait pris des mesures pour résoudre le problème après avoir été alerté par de hauts fonctionnaires, certains estiment que sa réponse a été insuffisante et critiquent le fait qu’il n’ait pas poursuivi les officiers et les soldats responsables de la documentation non autorisée.
Les juristes des systèmes civil et militaire avertissent que sans commission d’enquête sur les événements du 7 octobre et la guerre de Gaza, et avec des menaces continues sur l’indépendance judiciaire, la capacité d’Israël à défendre ses soldats au niveau international va s’affaiblir.
Avant même la guerre, de hauts fonctionnaires avaient prévenu que les réformes judiciaires pourraient nuire à la réputation du système judiciaire à l’étranger et exposer les dirigeants politiques et militaires israéliens à des poursuites pénales.
Ces craintes se sont concrétisées avec les récents mandats d’arrêt émis à l’encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahou et de l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant. Des sources juridiques militaires préviennent que ces mandats pourraient n’être qu’un début.
Les responsables craignent que si Israël ne parvient pas à convaincre la communauté internationale que son système judiciaire est capable d’enquêter sur les crimes de guerre et de les poursuivre de manière crédible, les soldats seront de plus en plus exposés à des risques d’arrestation et de poursuites judiciaires à l’étranger.
Ils avertissent que les déclarations de hauts fonctionnaires s’opposant aux enquêtes sur les abus présumés, tels que l’incident de la base de Sde Teiman, affaiblissent la position d’Israël.
De même, les attaques de ministres et de membres de la Knesset contre des personnalités judiciaires de haut rang ne font qu’éroder la confiance internationale dans la capacité d’Israël à mener des enquêtes indépendantes.
Récemment, de hauts responsables juridiques ont fait savoir à des dirigeants gouvernementaux que leurs déclarations publiques auraient des conséquences directes sur les procédures judiciaires internationales impliquant des soldats des FDI.
Les représentants juridiques israéliens doivent souvent fournir des explications à divers organismes internationaux concernant des remarques controversées faites par des ministres et des membres de la Knesset, y compris des appels à annexer Gaza ou à y établir des colonies.
Selon des sources familières avec les procédures de la Cour internationale de justice de La Haye, l’argument principal d’Israël est que Gaza n’est pas un territoire occupé mais une zone de combat. Elles préviennent que les déclarations contraires des membres de la Knesset et des ministres pourraient nuire à la défense juridique d’Israël et exposer ses soldats à des risques supplémentaires à l’étranger.
De même, les appels lancés par des responsables gouvernementaux à affamer la population de Gaza afin de faire pression sur le Hamas ont suscité de vives critiques de la part de la communauté internationale, qui a déjà condamné Israël pour n’avoir autorisé qu’une aide humanitaire limitée à entrer dans le territoire.
Les responsables juridiques et sécuritaires israéliens ont été appelés à plusieurs reprises à défendre ces politiques auprès des alliés du pays.



06/01/2025

AMIR TIBON
Comment un mandat d’arrêt brésilien pour crimes de guerre a mis Israël en mode panique

Le gouvernement israélien a très peu d’options lorsque des mandats d’arrêt sont émis au niveau international contre des soldats qui ont servi à Gaza et au Liban - mais il ne les déploie même pas en ce moment.

Amir Tibon, Haaretz  5/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il est rare que la principale nouvelle du jour en Israël concerne un événement qui se déroule à l’autre bout de la planète. C’est pourtant ce qui a réveillé les Israéliens dimanche, après l’apparition d’informations selon lesquelles les autorités locales brésiliennes cherchaient à arrêter un touriste israélien pour son implication présumée dans des crimes de guerre commis à Gaza.

Yuval Vagdani

Le nom du citoyen israélien n’a pas été publié [du côté israélien ; il s’appelle Yuval Vagdani, NdT], mais le ministère israélien des Affaires étrangères a déclaré dimanche que l’ambassade d’Israël à Brasilia et lui-même avaient aidé l’homme à fuir le pays sud-américain avant que les autorités ne parviennent à l’arrêter.

Il s’est avéré que les poursuites engagées contre lui reposaient sur des preuves qu’il avait lui-même fournies par inadvertance, après avoir téléchargé des vidéos et des images de l’époque où il servait en tant que réserviste à Gaza. Ces informations ont été portées à l’attention des procureurs brésiliens par une organisation non gouvernementale pro-palestinienne [la Fondation Hind Rajab, NdT]. Si cet homme a échappé à l’arrestation, d’autres affaires concernant des Israéliens voyageant à l’étranger sont déjà en cours de préparation.

Lorsque la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant en novembre, j’ai écrit ce qui suit:

« L’une des conséquences prévisibles de cette décision est que de nombreux Israéliens qui ont participé à la guerre de Gaza - des officiers de haut rang aux soldats de combat subalternes - réfléchiront à deux fois avant de se rendre à l’étranger, compte tenu de la menace croissante de mandats d’arrêt délivrés à leur encontre sur le sol étranger.
« Maintenant que la plus haute autorité en matière de droit international a déclaré si clairement que les dirigeants israéliens sont soupçonnés de crimes de guerre, qui, dans son esprit, prendrait le risque qu’un tribunal local en Espagne, en France ou en Allemagne conclue que tout Israélien ayant contribué à ces crimes présumés devrait à tout le moins faire l’objet d’une enquête
« Cela peut être qualifié d’outrage, d’antisémitisme, d’injustice, mais pour l’instant, il s’agit d’une caractéristique de la nouvelle réalité d’Israël qu’il est impossible d’ignorer ».

Il était facile de faire cette prédiction, et il est encore plus facile de prédire que ce qui s’est passé au Brésil la semaine dernière se répétera bientôt dans d’autres pays.
Au cours des 15 derniers mois, des milliers de soldats israéliens ont partagé des vidéos et des images en provenance de Gaza et du Liban, malgré les appels de leurs commandants à ne pas le faire - pour des raisons opérationnelles et juridiques. Il s’agit là d’un symptôme de la perte de discipline de l’armée israélienne et du mépris croissant de nombreux soldats, qu’ils fassent partie du service obligatoire ou de la réserve, à l’égard des hauts gradés des Forces de défense israéliennes.
Ignorer les avertissements des commandants supérieurs et des assistants juridiques, qui affirment depuis des mois que ce phénomène met en danger les soldats, pourrait coûter cher. Cela a failli se produire au Brésil, et cela se produira ailleurs tôt ou tard.
La vraie question est de savoir ce que le gouvernement israélien peut faire face à ce problème et s’il prend effectivement des mesures.
Le chef de l’opposition et ancien ministre des AAffaires étrangères, Yair Lapid, a déclaré dimanche que le gouvernement qui a envoyé ces soldats sur le champ de bataille ne les protège plus contre le risque d’arrestation une fois qu’ils ont terminé leur service. Cette déclaration a donné lieu à un échange intense entre Lapid et l’homme qui occupe actuellement son ancien poste, Gideon Sa’ar. Toutefois, la guerre des mots n’a pas permis de recueillir beaucoup d’informations utiles.
Une source haut placée du ministère des Affaires étrangères a confié à Haaretz qu’Israël ne disposait que de très peu d’options pour traiter le problème, et que même celles-ci n’étaient pas utilisées de manière adéquate à l’heure actuelle.

La source a mentionné l’importance de convaincre autant de pays que possible qu’Israël mène des enquêtes honnêtes et sans crainte sur les actes répréhensibles commis dans ses propres rangs. Elle s’est toutefois inquiétée du fait que le gouvernement actuel fait exactement le contraire en attaquant le parquet militaire pour avoir pris des mesures à l’encontre de soldats soupçonnés d’avoir infligé des violences physiques à des détenus palestiniens.
Un ancien ambassadeur israélien qui a travaillé sur des cas similaires dans le passé a ajouté que bien qu’il y ait « des personnes excellentes et talentueuses qui s’occupent de ces questions dans les ministères des Affaires étrangères et de la Justice », leur capacité à aider était principalement « au cas par cas », en utilisant les liens avec les gouvernements locaux, les militaires, les procureurs et les parlementaires pour rendre les pays moins dangereux pour les voyageurs israéliens qui ont servi dans l’armée.
La commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset a annoncé qu’elle tiendrait une audition d’urgence sur la question lundi, au cours de laquelle les représentants des ministères concernés seront invités à présenter les mesures qu’ils prennent. Mais il semble que la plupart de leurs réponses seront tactiques et spécifiques à chaque pays, et non générales - ce qui n’est pas particulièrement rassurant.
« On peut travailler avec les gouvernements pour limiter leur coopération avec les organisations qui poussent à ces arrestations », explique l’ancien diplomate. « Mais ce dont on a vraiment besoin, c’est d’une stratégie diplomatique et juridique plus large pour traiter ce problème - et pour l’instant, je ne vois aucun signe que le gouvernement israélien en ait une ».



05/01/2025

GIDEON LEVY
“Sale nazi” : attaqué pour avoir dénoncé les crimes de guerre commis par Israël à Gaza

Gideon Levy, Haaretz  , 5/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Etzel Haturki (Chez le Turc) est un restaurant de chawarma bien connu dans la ville d’Or Yehuda, au centre d’Israël, et il n’y a rien de turc là-dedans : il a l’air simple, bien qu'il ne soit pas si bon marché, avec un hôte à l’entrée et de longues files de clients venus de près ou de loin pour se régaler. Le service militaire de mon fils l’a amené au restaurant à l’époque, et depuis, il adore y manger.


Vendredi après-midi, nous y sommes retournés, mais une agitation s’est rapidement déclenchée. Cela a commencé par des jurons bruyants et s’est terminé par l’encerclement de notre table par un groupe effrayant. « Si seulement tu pouvais t’étouffer avec la nourriture et mourir », ont-ils commencé, « pourquoi vous lui donnez à manger ici ?”, ont-ils poursuivi, et “s’il n’y avait pas de caméras ici, on te casserait la gueule”, pour finir.

« Regardez qui mange ici », lance l’homme aux passants, qui se tiennent en cercle, regardant le diable qui est venu en ville. L’homme s’est approché de la table, sa fureur augmentant, et la violence a été très près d’exploser. Nous sommes partis au son des malédictions qui nous ont accompagnés jusqu’à la voiture, « niquez la mère de tous ceux qui mangent avec le nazi », ont-ils crié à mon fils.

Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, ce n’est pas nouveau. Mais une phrase a été lancée, plus d’une fois, que je n’avais jamais entendue auparavant : « Tu es un nazi parce que tu te soucies des enfants de Gaza ».

À Or Yehuda, le nazisme a reçu une nouvelle définition : un nazi est quelqu’un qui se soucie des enfants de Gaza. Alors que la famine, le siège, les pénuries, la destruction, le nettoyage ethnique et le génocide dans la bande de Gaza sont définis dans le monde entier comme ayant des caractéristiques nazies, les choses à Or Yehuda sont exactement le contraire.

Un nazi est quelqu’un qui se préoccupe de la victime. Quiconque se soucie des enfants de Gaza ne mangera pas à Or Yehuda et n’osera pas s’approcher d’Or Yehuda - une ville dont une rue porte le nom de Yoni Netanyahu*, dont un restaurant s’appelle Mifgash Entebbe et dont une rue portait autrefois le nom de l’amante du maire.

Tout au long de cette guerre, j’ai été moins confronté à la violence et aux menaces qu’à l’accoutumée. L’arène s’est déplacée vers « Netanyahou, oui ou non » et la bataille pour la libération des otages. La télévision, même dans les émissions soi-disant les plus éclairées, n’apporte jamais d’opinion alternative ou de voix qui s’opposent aux crimes de guerre, et ce faisant, elle facilite la tâche de ceux qui sont choqués par les actions d’Israël - une poignée d’opposants qui, cette fois, sont plus à l’abri de la fureur des masses, parce que leur voix est réduite au silence et exclue du débat. Mais ce silence est dangereux.

Il n’y a jamais eu ici de guerre sans opposition, au moins dans ses phases les plus avancées et les plus criminelles. Ces guerres ont toujours commencé avec un soutien sans faille, et même avec enthousiasme au sein de la communauté juive, jusqu’à ce que les fissures s’ouvrent et que les questions surgissent.

La première guerre du Liban en est le meilleur exemple, mais les opérations Plomb durci et Bordure protectrice à Gaza (en 2008 et 2014) ont également suscité une opposition à un moment ou à un autre, et leurs voix ont été entendues.

Mais pas cette fois-ci. Cette guerre, la plus longue que l’État d’Israël ait jamais connue, est aussi celle qui a fait l’objet du plus grand consensus - du moins dans le débat public qui l’entoure.

Les manifestants veulent un accord sur les otages, les opposants veulent un cessez-le-feu, voire la fin de la guerre, mais seulement pour le bien des otages et des soldats tués.

Les victimes de Gaza ne sont pas du tout évoquées, et quiconque tente de les mentionner est un nazi, du moins à Or Yehuda.

Le lavage de cerveau et l’aveuglement ont atteint des niveaux records que nous n’avions jamais connus auparavant. Le « dessoûlement » de nos nombreux et meilleurs - qui sont en réalité si peu nombreux, si tant est qu’il y en ait un qui ait dessoûlé - a créé une illusion selon laquelle le conflit est profond et la société est plus divisée que jamais.

Mais elle n’est pas du tout divisée, Israël est uni dans son soutien absolu à Tsahal, même si les crimes de guerre s’accumulent, et au droit illimité d’Israël, après le 7 octobre, de faire ce qu’il veut à Gaza.

En pratique, Israël n’a jamais été aussi uni qu’au début de l’année 2025, malgré tous les bruits de fond et les fausses lamentations sur la « polarisation du peuple ». Nous ne devons jamais, au grand jamais, perturber ce nouvel ordre merveilleux. Quiconque tente de le faire est un nazi.

Lorsque nous sommes finalement arrivés à la voiture, mon fils et moi, un jeune homme sympathique s’est approché de moi et m’a demandé une bénédiction. Il m’a dit que quelqu’un qui ne répond pas aux insultes et aux menaces est considéré comme quelqu’un d’exceptionnel. Il m’a demandé de lui donner une bénédiction pour qu’il trouve bientôt une bonne épouse, ce que j’ai fait. J’étais heureux de l’aider.

NdT

* Yonatan Netanyahou, frère aîné de Bibi, commandant des forces spéciales, tué à Entebbe en Ouganda lors d’un affrontement avec des combattants palestiniens et allemands ayant détourné un avion. Héros national sioniste.