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27/08/2025

RUWAIDA AMER
Maryam était mon amie. Israël l’a tuée, ainsi que quatre autres journalistes de Gaza

Après le raid aérien sur l’hôpital Nasser, notre appel est plus urgent que jamais : les reporters palestiniens ont besoin d’une protection internationale immédiate, sinon la voix de Gaza sera réduite au silence.

Ruwaida Amer, +972, 27/8/2025
Traduit par Tlaxcala


Maryam Abu Daqqa, 8 octobre 2020. (Avec l’aimable autorisation de la famille Abu Daqqa)

Maryam Abu Daqqa était mon amie. Elle était photojournaliste et mère. Lundi, elle a été tuée par l’armée israélienne lors d’une « double frappe » sur l’hôpital Nasser, avec quatre autres journalistes. Elle avait 32 ans.

J’ai rencontré Maryam pour la première fois en 2015 lors d’un cours de photographie au centre italien de Gaza, où elle était l’une des stagiaires. J’ai été attirée par son énergie. Je me souviens avoir pensé qu’elle parlait très vite, comme si elle avait plus d’idées qu’elle n’avait de temps pour les exprimer.

Elle venait d’Abasan, à l’est de Khan Younès, une ville agricole célèbre pour ses fruits, ses légumes et sa cuisine délicieuse. Chaque fois que je faisais un reportage sur l’agriculture dans cette région, je savais que je pouvais me tourner vers elle. Elle était toujours prête à aider, et ses photos du village et de ses habitants ne manquaient jamais de m’inspirer.

Au début, je ne savais pas que Maryam était mère. Un jour, avant la guerre, alors que je travaillais à Abasan, j’ai entendu un garçon l’appeler : « Maman ! » J’ai été surprise. Elle a ri et m’a présenté son fils. « Voici Ghaith », m’a-t-elle dit fièrement. « C’est mon homme, et il me protégera quand il sera grand. » Elle m’a dit que tout son travail était pour lui.

Depuis le début de la guerre, j’avais vu Maryam à plusieurs reprises sur le terrain. Nous nous saluions toujours et nous nous assurions que tout allait bien, mais nous ne parlions pas beaucoup. Nous étions toujours fatiguées et stressées. Les seuls moments où nous pouvions vraiment discuter étaient à l’hôpital de Khan Younès, où elle venait souvent faire du reportage.

Je me souviens l’avoir rencontrée lors de l’offensive israélienne sur Rafah en mai 2024. Mon caméraman avait été contraint de fuir vers le nord, à Deir al-Balah, me laissant filmer seule avec mon téléphone. Maryam est apparue dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital européen, où j’interviewais un médecin usaméricain. Voyant que j’avais du mal avec ma caméra, elle m’a immédiatement aidée à régler les paramètres et m’a donné quelques conseils. Elle avait l’air épuisée et pouvait à peine marcher. C’était une facette d’elle que je n’avais pas l’habitude de voir.


Les Palestiniens font leurs adieux aux journalistes tués lors d’une frappe aérienne israélienne devant l’hôpital Nasser à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 25 août 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Avant qu’elle ne parte, je l’ai serrée dans mes bras et lui ai demandé d’être prudente. J’avais peur pour elle ; je savais qu’elle avait travaillé dans les zones dangereuses de l’est de Khan Younès quelques semaines auparavant. La dernière fois que je l’avais vue, c’était en avril, à l’hôpital Nasser, là même où, quelques mois plus tard, elle allait être tuée par l’armée israélienne.

Le jour où Maryam a été tuée avec 19 autres personnes lors de l’attaque contre l’hôpital, j’étais à proximité avec ma famille dans le camp de réfugiés de Khan Younès. Une explosion assourdissante a secoué le sol. Ma mère a suggéré qu’il s’agissait peut-être d’une maison qui avait été touchée, mais lorsque j’ai enfin trouvé un signal Internet et consulté les informations, la vérité m’est apparue clairement. Le chagrin et l’incrédulité étaient accablants.

J’ai pensé à son fils, Ghaith, le garçon qu’elle appelait autrefois son protecteur, dont elle prenait tant soin. J’ai pensé à son père, à qui elle avait donné un rein pour lui sauver la vie. J’ai pensé à mon amie, audacieuse, aventureuse, toujours attentionnée envers les autres.

Aucun mot ne peut décrire ce que nous ressentons

Depuis octobre 2023, Israël a tué au moins 230 journalistes dans la bande de Gaza, soit plus que le nombre total de journalistes tués dans le monde au cours des trois années précédentes, selon le Comité pour la protection des journalistes. Au cours du seul mois dernier, 11 journalistes gazaouis ont été tués lors de frappes israéliennes, dont Maryam.

Le 10 août, cinq journalistes ont été tués lorsque l’armée israélienne a pris pour cible une tente de journalistes juste à l’extérieur de l’hôpital al-Shifa, dans la ville de Gaza. Ce jour-là, alors que je parcourais mon téléphone à la recherche d’informations sur un éventuel cessez-le-feu, j’ai commencé à recevoir des messages de collègues à l’étranger qui prenaient de mes nouvelles et me demandaient si j’allais bien. Alarmée, je me suis tournée vers les groupes d’information, qui étaient inondés de premiers rapports sur l’attaque.


Un journaliste palestinien pleure Anas Al-Sharif et ses autres collègues après leur mort dans la même frappe israélienne, à Gaza, le 11 août 2025. (Yousef Zaanoun/Activestills)

Parmi les six noms mentionnés, l’un d’eux a retenu mon attention : Anas Al-Sharif. Je n’étais pas une amie proche d’Anas, je ne lui avais parlé que quelques fois au sujet de l’actualité dans le nord de Gaza, mais j’avais l’impression de bien le connaître grâce à ses reportages.

Bien qu’il ait été journaliste à l’antenne depuis moins de deux ans, Anas avait laissé une empreinte indélébile. Âgé de 28 ans, marié et père de deux enfants, Anas parcourait sans relâche le nord de Gaza, recueillant les témoignages des habitants et documentant le génocide en cours avec une honnêteté sans faille. Même après avoir perdu son père lors d’une frappe aérienne israélienne en décembre 2023, il a refusé d’abandonner sa mission de dire la vérité, tout en endurant les mêmes privations que ses voisins.

En effet, tous les journalistes de Gaza ont été confrontés ces deux dernières années à la faim, au déplacement et à la perte de leur maison et de membres de leur famille, tout en essayant de relayer la réalité brute de Gaza au monde entier. Moi aussi, j’ai passé de longues heures dans les rues sans abri. Ma mère malade, qui se remet encore difficilement d’une opération de la colonne vertébrale, marche à mes côtés et à ceux de ma sœur tandis que nous cherchons un endroit, n’importe quel endroit, où nous réfugier.

J’aime mon métier de journaliste, tout comme mon travail d’enseignante, mais je suis dévastée et terrifiée. Cela fait plus de 680 jours que je travaille sans interruption, avec des coupures d’Internet constantes, sans électricité, sans abri sûr et sans moyen de transport. J’ai continué à faire du reportage depuis le début de la guerre parce que je crois en cette mission, mais je le fais en sachant que chaque jour pourrait très bien être le dernier. Aucun mot ne peut décrire ce que nous ressentons en tant que journalistes face à la perte successive de nos collègues.

Pourquoi Israël cible-t-il les journalistes palestiniens à Gaza ? C’est simple. Nous sommes les seuls à pouvoir documenter et transmettre ce qui se passe réellement sur le terrain. Chaque image, chaque témoignage, chaque émission que nous produisons perce le mur du discours officiel d’Israël. Cela nous rend dangereux : en enregistrant les déplacements de population, la famine et les bombardements incessants, nous exposons les actions d’Israël au monde entier.


Le site d’une frappe aérienne israélienne à l’hôpital Nasser de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 25 août 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

C’est pourquoi nous sommes délibérément attaqué·es. Les caméras sont considérées comme des armes, et ceux·celles qui les tiennent comme des combattant·es. Notre simple présence menace la capacité d’Israël à poursuivre sa politique génocidaire, c’est pourquoi il fait tout ce qu’il peut pour nous éliminer.

Un besoin désespéré de protection

Au début du mois, après deux ans de pression de la part des organismes de presse internationaux, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré qu’Israël autoriserait les journalistes étrangers à entrer à Gaza afin de témoigner des « efforts humanitaires d’Israël » et des « manifestations civiles contre le Hamas ». En l’absence de détails ou de calendrier, il est difficile de ne pas y voir un nouveau mensonge. Mais même si la presse internationale était autorisée à accéder librement et sans entrave à la bande de Gaza, à quoi cela servirait-il si les journalistes palestiniens à Gaza restaient sans protection ?

Nous sommes fatigué·es de travailler sans relâche depuis deux ans, sans repos ni sécurité, dans un état d’anxiété permanent, craignant d’être tué·es à tout moment. Et si nous demandons à nos collègues internationaux d’entrer à Gaza pour faire connaître au monde entier la réalité brutale qui y règne, nous savons que leurs reportages ne différeront pas de ce que nous avons déjà documenté.

Lorsqu’un journaliste de CNN a accompagné un avion jordanien qui larguait de l’aide au-dessus de Gaza ce mois-ci et qu’il a vu l’enclave depuis le hublot de l’avion, il a décrit « une vue panoramique de ce qu’ont causé deux ans de bombardements israéliens... une dévastation totale sur de vastes zones de la bande de Gaza, un désert de ruines choquant ». C’est ce que nous disons depuis près de deux ans sur le terrain : la destruction de Gaza par Israël est massive, et elle ne fera que se poursuivre tant que la guerre ne prendra pas fin.

Quand j'avais 9 ans, ma maison dans le camp de réfugiés de Khan Younès a été détruite par un bulldozer israélien. Cette image ne m'a jamais quitté. Et quand j'ai vu des journalistes s'efforcer de raconter au monde entier ce qui était arrivé à ma maison, j'ai décidé que je voulais devenir journaliste moi aussi.

Je pense que les journalistes ont une immense valeur, mais à Gaza, ils·elles sont tué·es sous les yeux du monde entier et personne n'agit. Nous craignons de perdre d'autres collègues et nous avons désespérément besoin de la protection internationale, avant qu'Israël ne parvienne à faire taire la voix de Gaza.

 

26/08/2025

EMMA LUCIA LLANO
Les médias occidentaux ont fabriqué un consensus autour du meurtre de journalistes palestiniens par Israël

 Emma Lucia Llano, FAIR, 22/8/2025
Traduit par Tlaxcala

 Image : Lyna Al Tabal

L’assassinat ciblé par Israël de six membres des médias palestiniens dans la bande de Gaza le 10 août a provoqué une onde de choc dans la communauté journalistique. Bien que l’assassinat de journalistes ait été un outil commun du gouvernement israélien pour la suppression des informations provenant de Gaza, la perte d’Anas al-Sharif, journaliste à Al Jazeera, a été particulièrement douloureuse.

Beaucoup d’entre nous ont été émus par le reportage poignant d’al-Sharif, en le regardant enlever son gilet de presse, soulagé lorsqu’un cessez-le-feu a été annoncé (19/01/2025), jusqu’à voir un al-Sharif languissant rendre compte de la famine (21/7/2025) alors que les gens s’évanouissaient autour de lui. « Continue, Anas, ne t’arrête pas », dit une voix hors caméra. Tu es notre voix. »


Dans son dernier reportage pour Al Jazeera (10/8/2025), le journaliste Anas al-Sharif a rapporté : « Au cours des deux dernières heures, l’agression israélienne sur la ville de Gaza s’est intensifiée. »
 

Trois des victimes étaient des collègues d’Al-Sharif à Al Jazeera, l’un des rares médias à avoir pu maintenir ses journalistes à Gaza malgré le blocus israélien. Alors que des millions de personnes à travers le monde pleuraient non seulement al-Sharif, mais aussi ses collègues Mohammed Qreiqeh, Mohammed Noufal et Ibrahim Zaher, ainsi que les pigistes Moamen Aliwa et Mohammad al-Khaldi, nous étions également très préoccupés par le vide créé par leurs meurtres dans la couverture médiatique sur le terrain du génocide.

Les médias traditionnels ont toutefois utilisé les meurtres de ces journalistes courageux comme une occasion de continuer à répéter les mêmes arguments sionistes qui ont contribué à fabriquer le consentement pour leurs assassinats. FAIR a examiné la couverture initiale de ces assassinats par 15 médias différents : le New York Times, le Los Angeles Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, le Financial Times, ABC, CBS, NBC, CNN, Fox, BBC, Politico, Newsweek, Associated Press et Reuters.

Nous avons constaté qu’ils se concentraient principalement sur le discours israélien, tentaient de délégitimer les sources propalestiniennes et ne parvenaient pas à replacer les meurtres dans le contexte plus large du génocide.


 Donner la priorité au prétexte d’Israël

Tous les articles mentionnaient l’allégation d’Israël selon laquelle al-Sharif était un membre du Hamas se faisant passer pour un journaliste, une affirmation que le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), l’Association de la presse étrangère et l’Organisation des Nations Unies ont toutes été jugées sans fondement.

Fox News (11/8/2025) a été le plus loin dans son adhésion au discours « terroriste » d’Israël.

 Quatre des 15 articles (New York Times, 11/8/2025; NBC, 10/8/2025; Fox, 11/8/2025; Wall Street Journal, 11/8/2025) ont mentionné ces allégations dans leur titre ou leur sous-titre. « Israël tue des journalistes d’Al Jazeera lors d’une frappe aérienne, affirmant que l’un d’eux travaillait pour le Hamas », titrait NBC, avec en sous-titre la calomnie israélienne selon laquelle al-Sharif « se faisait passer pour un journaliste ». Fox a proposé « Israël affirme que le journaliste d’Al Jazeera tué dans un raid aérien était le chef d’une « cellule terroriste » du Hamas ».

Le titre original de Reuters(11/8/2025) était « Israël tue un journaliste d’Al Jazeera qu’il qualifie de chef du Hamas », avant d’être modifié en « Une frappe israélienne tue des journalistes d’Al Jazeera à Gaza ».

Al-Sharif avait été pris pour cible et calomnié par les Forces de défense israéliennes pendant des mois avant son assassinat, et avait rédigé une déclaration en prévision de son assassinat. « Si ces mots vous parviennent, sachez qu’Israël a réussi à me tuer et à faire taire ma voix », a-t-il écrit. Il a demandé au monde entier de continuer à se battre pour la justice en Palestine : « N’oubliez pas Gaza. »

Six des articles (ABC, 11//8/2025; BBC, 11/8 /2025; New York Times, 11/8/2025; NBC,10/8/2025; Fox, 11/8/2025; Wall Street Journal, 11/8/2025) ont complètement omis toute référence ou citation de la dernière déclaration d’al-Sharif. Parmi ces six articles, le New York Times, la BBC, NBC et Fox ont inclus des citations de représentants du gouvernement israélien, choisissant de manière déconcertante de donner la priorité aux voix des assassins d’al-Sharif plutôt qu’à la sienne.

Le New York Times (10/8/2025) a donné au gouvernement israélien toute latitude pour salir la réputation d’un des journalistes qu’il venait d’assassiner, affirmant qu’il était « le chef d’une cellule terroriste » et « responsable d’avoir encouragé les attaques à la roquette contre des civils israéliens ».

Les articles du Wall Street Journal et du New York Times ont consacré la plus grande partie de leur espace à promouvoir le prétexte avancé par Israël pour justifier ces assassinats. Anat Peled, du WS Journal, a consacré les trois premiers paragraphes de son article à détailler la prétendue affiliation d’al-Sharif au Hamas. Ephrat Livni, du Times, a également consacré trois paragraphes à ces fausses allégations, ne laissant qu’un seul paragraphe à la réfutation d’Al Jazeera et du CPJ.

Tous les articles sauf ceux du New York Times (25/10/2008) et Fox (25/11/2008) ont cité le nombre historiquement élevé de journalistes palestiniens tués depuis le 7 octobre 2023. Le bilan s’élève actuellement à192, selon le CPJ [entretemps, il est monté à 219, NdT]. Cependant, seuls quatre articles (ABC, 11/8/2025; CNN, 10/8/2025; Politico,11/8/2025 ; Wall Street Journal, 11/8/2025) ont désigné Israël comme le principal responsable de ces meurtres. Plus généralement, l’agence AP (11/8/2025) a écrit qu’« au moins 192 journalistes ont été tués depuis le début de la guerre d’Israël à Gaza », sans mentionner l’identité de ces journalistes ni celle de leurs assassins.

Six (ABC, BBC, Newsweek, Fox,CBS, Wall Street Journal, LA Times) des 15 articles ne mentionnaient pas le Premier ministre Benjamin Netanyahu, et aucun ne mentionnait le mandat d’arrêt  de la Cour pénale internationale contre lui pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, notamment pour meurtre et pour avoir intentionnellement dirigé des attaques contre une population civile.

Il est important de noter que seuls deux articles (Wall Street Journal,11/8/2025; Washington Post, 11/8/2025) ont même souligné le fait que les cinq autres journalistes tués n’avaient pas été accusés d’appartenir au Hamas. En omettant cette information, les autres médias ont accepté et relayé auprès de leur public la prémisse israélienne selon laquelle il est légitime de tuer un nombre indéfini de passants pour atteindre un membre présumé du Hamas.


Décrivant l’attaque du 7 octobre 2023 comme contexte du meurtre de journalistes, NBC (10/8/2025) précisait que « bon nombre des cibles de ces attaques étaient des civils, notamment des personnes assistant à un festival de musique ». En revanche, les Palestiniens tués par la suite par Israël étaient simplement décrits comme « des personnes [...] dans l’enclave contrôlée par le Hamas ».

 Qualificatifs inutiles

Une pratique courante des médias occidentaux consiste à utiliser des qualificatifs inutiles pour délégitimer les informations provenant de sources palestiniennes. La couverture de l’assassinat d’al-Sharif n’a pas fait exception à la règle.

La BBC (11/8/2025) a écrit : « Selon le ministère de la Santé du territoire, dirigé par le Hamas, plus de 61 000 personnes ont été tuées à Gaza depuis le début de l’opération militaire israélienne. » Les médias occidentaux ont pris l’initiative de renommer le ministère de la Santé de Gaza (GHM) afin de semer le doute sur l’ampleur des atrocités commises par Israël. Ils mentionnent rarement qu’une étude publiée dans The Lancet (8 février 2025) a constaté que le nombre de morts pourrait être de 40 % plus élevé que ce que rapporte le GHM. Le New York Times (10/8/2025) et Reuters (11/8/2025) a également utilisé l’expression « dirigé par le Hamas » pour décrire les personnalités du gouvernement de Gaza.

Ces médias ont également fait preuve d’un parti pris évident dans leur manière de caractériser les victimes. Le New York Times(10/8/2025), lorsqu’il a rendu compte du nombre de victimes à Gaza, a écrit que le GHM ne « fait pas de distinction entre civils et combattants ». Plus tard, le Times a rendu compte des décès israéliens, sans faire de distinction entre les civils et les combattants.

Cela implique que certains décès palestiniens pourraient être considérés comme moins importants, voire justifiés, en raison du statut potentiel de « combattant » des victimes. Les décès israéliens, quant à eux, sont simplement comptabilisés comme des êtres humains. Le Washington Post (11/8/2025) a fait preuve du même double standard dans ses reportages.

NBC (10/8/2025) a écrit : « La plupart des cibles des attaques [du 7 octobre] étaient des civils, notamment des personnes assistant à un festival de musique. » Lorsqu’elle a rendu compte des décès palestiniens, NBC n’a pas mentionné que plus de la moitié des personnes tuées par les  attaques israéliennes ont été des femmes, des enfants et des personnes âgées. Une enquête plus récente a révélé que les civils représentent 83 % des décès, selon les propres données de l’armée israélienne. Le rapport ne décrit pas non plus ce que faisaient les victimes palestiniennes au moment où elles ont été tuées, comme par exemple le fait que près de 1 400 qui ont été abattus alors qu’ils cherchaient de l’aide.

Outre les arguments habituels, huit des quinze articles jettent le doute sur Al Jazeera en mentionnant à plusieurs reprises qu’elle appartient au gouvernement qatari. (Le Qatar, tout comme Israël, fait partie des vingt pays officiellement désignés comme «allié majeur non membre de l’OTAN» par les USA.) Trois des articles (New York Times,10/8/2025; Wall Street Journal,11/8/2025; LA Times,11/8/2025) mentionnent les relations conflictuelles entre le gouvernement israélien et Al Jazeera, le New York Times et le WS Journal consacrant plusieurs paragraphes aux liens présumés de la chaîne avec le Hamas comme base présumée du conflit, plutôt qu’à la couverture critique des actions israéliennes par Al Jazeera.

Fausses équivalences

Le titre original de Reuters (11/8/2025) était rédigé du point de vue des assassins d’al-Sharif.

Seuls trois articles utilisent le mot « famine » (Financial Times, 10/8/2025; CNN,10/8/2025; Newsweek,10/8/2025), et seul le Financial Times mentionne ce mot en dehors des guillemets. Reuters (25/11/2008) et le Wall Street Journal (11/8/2025) ont qualifié la situation respectivement de « crise alimentaire » et de « crise humanitaire qui a poussé de nombreux Palestiniens vers la famine ».

Les médias continuent de répandre l’idée que ce soi-disant conflit a commencé il y a moins de deux ans, comme lorsque NBC (10/8/2025) a écrit : « Israël a lancé l’offensive à Gaza, visant le Hamas, après les attentats terroristes perpétrés par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. »

Bien que le nombre de victimes ait considérablement augmenté après l’opération du 7 octobre, la violence israélienne à l’encontre des Palestiniens remonte à bien avant cette date. Lors de la fondation de l’État, comme l’ont soigneusement expliqué de nombreux historiens. Au cours des décennies qui ont précédé l’opération du Hamas, le groupe israélien de défense des droits humains B’tselem compte plus de 10 000 Palestiniens tués par les forces israéliennes entre septembre 2000 et septembre 2023, dont la plupart étaient des non-combattants, parmi lesquels plus de 2 400 enfants de moins de 18 ans. (Au cours de la même période, environ 1 300 Israéliens, civils et militaires, ont été tués par des Palestiniens.)

Le Financial Times (10/8/2025) a décrit le génocide en cours comme ayant été « déclenché » par les attentats du 7 octobre, comme si l’opération « Al-Aqsa Flood » était un acte de violence aléatoire sans rapport avec le système d’apartheid qu’Israël impose aux Palestiniens. La BBC (1/8/2025) a décrit la violence israélienne comme une « réponse à l’attaque menée par le Hamas », effaçant complètement l’histoire de l’occupation et du nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël, qui précède de loin l’existence du Hamas. Le fait d’occulter ce type de contexte explique en partie pourquoi Israël assassine systématiquement des journalistes palestiniens, dont al-Sharif et ses collègues.

 

25/08/2025

De Gaza à Pise : Marah Abou Zhouri, 20 ans, 35 kilos, morte de famine
La justice italienne ne voit aucune raison d'ouvrir une enquête

Adieu émouvant à Marah, morte en Italie victime du génocide

Une arme infâme : La Palestinienne de 20 ans, arrivée de Gaza dans un état désespéré, a été inhumée dans la province de Pise


Cérémonie funéraire pourMarah Abou Zhouri, Palestinienne de 20 ans décédée à l’hôpital de Pise. Photo Alessandro La Rocca/LaPresse

Giula Torrini, il manifesto, 21/8/2025
Traduit par Tlaxcala

« Marah signifie joie, gaieté en arabe. C’est ce que ma fille transmettait. C’était ma petite dernière, la plus jeune de ses cinq sœurs et de son frère qui m’attendent maintenant à Gaza, où je veux retourner dès que je l’aurai enterrée ». La mère de la Palestinienne de 20 ans dont la mort par malnutrition fait parler toute l’Italie est petite, polie et enfermée dans une douleur très digne. Voilée, entièrement vêtue de noir, elle porte un petit foulard palestinien que nous lui avons offert ces derniers jours, lorsque nous l’avons rencontrée pour lui apporter la solidarité de l’association « Un Ponte Per ».

Elle parle très peu, protégée par ses proches venus du Portugal, de Belgique, du Maroc et par la communauté palestinienne qui s’est précipitée de toute la Toscane pour la soutenir lors des funérailles de sa fille, morte de faim et du génocide.

Des centaines de personnes ont assisté à la cérémonie dans le « parc de la Paix » Tiziano Terzani de Pontasserchio, près de la commune de San Giuliano Terme, dans la province de Pise. Une mer de drapeaux palestiniens et de keffiehs sous un ciel humide et étouffant. De nombreux délégués des administrations de Pise et des environs, avec leurs écharpes tricolores et leurs bannières, des dizaines de journalistes, des caméras et des téléphones pour filmer le simple cercueil en bois clair, posé sur un beau tapis brodé de rouge et d’or. Des fleurs blanches, quelques tournesols et le drapeau de la Palestine recouvraient le cercueil.

Arrivée en Italie par un vol humanitaire, déjà affaiblie, épuisée par des jours de marche et atteinte d’une leucémie suspectée puis démentie par les médecins italiens, la jeune femme est décédée après moins de deux jours d’hospitalisation à Pise. Aujourd’hui, son corps repose, enterré selon la tradition musulmane, face à La Mecque, à côté du petit cimetière de San Giuliano Terme, où le maire Matteo Cecchelli lui a offert une place. « Marah est arrivée en Italie trop tard, tuée par la faim qui, pendant des mois, l’a empêchée de se nourrir correctement, à cause du génocide en cours.

Les institutions ne peuvent rester spectatrices : le gouvernement italien doit reconnaître l’État palestinien et promouvoir des actions concrètes avec la communauté internationale pour mettre fin à ce massacre », a-t-il déclaré. Israël utilise la nourriture et l’eau comme des armes, dénonce la communauté internationale depuis des mois.

Izzeddin Elzir, imam de Florence, le rappelle également : « C’est pourquoi Marah est arrivée en Italie dans un état de dénutrition avancé. Le couloir humanitaire qui l’a mise en sécurité n’a pas suffi, car elle n’avait pas mangé depuis trop longtemps. Dans la bande de Gaza, la nourriture est très rare, rationnée et de mauvaise qualité. Quand j’entends parler de droit, je me demande : l’État d’Israël n’a-t-il pas été créé par le droit international ? Si le droit international n’est pas respecté, alors on pourrait dire qu’Israël n’existe pas non plus ». Les applaudissements les plus forts et les chants du public s’élèvent sur les accusations de complicité des États occidentaux, y compris l’Italie. « Nous sommes tous complices, dit Luisa Morgantini, la vie vient de Gaza, et nous devons défendre cette vie. Le peuple palestinien est fort, habitué depuis trop longtemps à souffrir. C’est à nous qu’il revient de mener ce combat dans notre vie quotidienne ».

Tandis que la foule scande « Palestine libre » et applaudit les interventions du président de la province de Pise et de la porte-parole de la nouvelle ambassadrice de Palestine, Mona Abuamara, assise aux côtés de sa mère visiblement émue, le président de la région, Eugenio Giani, fait son apparition. Il prend la parole pour défendre les médecins toscans, les hôpitaux de Florence, Pise et Massa, excellences italiennes dans le domaine des soins aux mineurs, mais il est couvert par les sifflets et les chants. « Honte, assez d’armes pour Israël, fermez les ports aux armes, bloquez la base militaire de Coltano » sont quelques-uns des messages scandés. Mais Giani poursuit son intervention en rappelant que la région Toscane a récemment approuvé une résolution déclarant l’État de Palestine indépendant et souverain.

C’est à l’imam de Pise, Mohammed Khalil, qu’il revient de conclure et de ramener le calme dans un contexte qui, de cérémonie commémorative, s’est soudainement transformé en arène politique, nous rappelant que la cause palestinienne passe aussi par des choix politiques et partisans. « Ce n’est pas humanitaire de jeter de la nourriture sur la tête des gens. Je me souviens de ma mère dans les années 70 qui tamisait la farine parce qu’elle était pleine de vers. Nous avons le devoir de nous souvenir de Marah comme symbole de ce qui se passe à Gaza : la question palestinienne n’est pas humanitaire, mais politique ».

Nous nous rendons au cimetière pour la cérémonie d’enterrement. Et tandis que la terre tombe peu à peu sur le cercueil de la jeune Marah, qui rêvait de manger enfin un hamburger avec un Coca-Cola, qui coûte 50 dollars la canette à Gaza, le visage de sa mère semble se détendre légèrement. « Demain, je retourne à Gaza. Si je dois mourir, je mourrai sur ma terre. Je laisse ici en Italie une partie de moi-même, ma Marah, ma joie. Je vous demande de prier pour elle, si vous le pouvez ».

 


Marah Abou Zhouri : le parquet a décidé de ne pas ouvrir d’enquête

Alessandra Annoni, Francesco B. Morelli, il manifesto, 21/8/2025

Traduit par Tlaxcala

Alessandra Annoni est professeure de droit international à Ferrare, Francesco B. Morelli est professeur de droit pénal procédural à Messine

« Nous ne voyons aucun délit dans cette affaire ». C’est ainsi que, selon la presse, la procureure de la République de Pise a justifié sa décision de ne pas ordonner l’autopsie du corps de Marah Abou Zhouri, la jeune Palestinienne évacuée de la bande de Gaza le 14 août et décédée à l’hôpital de Cisanello 36 heures après son admission.

La femme était arrivée à l’hôpital avec une suspicion de leucémie, déjà exclue par les premiers examens diagnostiques ; elle pesait 35 kilos et présentait, selon les médecins, un état général de déperdition organique. Marah venait d’un territoire réduit en cendres par 22 mois de bombardements intensifs, dont le système sanitaire a été complètement détruit et où, depuis des mois, l’entrée et la distribution de l’aide humanitaire sont entravées de toutes les manières possibles.

Le 29 juillet 2025, l’IPC Global Initiative, la principale autorité internationale en matière de sécurité alimentaire, a publié un avis urgent pour signaler le risque réel et imminent de famine dans la bande de Gaza. Depuis le début des hostilités, les autorités sanitaires de Gaza ont documenté la mort par famine de 235 personnes, dont 106 mineurs. Ce type de décès est en augmentation exponentielle : 170 ont été recensés entre le 1er juillet et le 13 août. Comme l’a souligné à plusieurs reprises le secrétaire général de l’ONU, cette situation n’est pas le résultat d’une catastrophe naturelle. Il ne s’agit pas non plus d’une conséquence inévitable du conflit armé en cours. La famine à Gaza est le résultat d’un comportement humain.

Pourtant, selon le parquet de Pise, la mort de Marah ne serait pas liée à une hypothèse de crime méritant une enquête. Il faut donc exclure que cette femme ait été victime d’un génocide, un crime pourtant prévu par notre législation (article 1 de la loi 962 de 1967). La Cour internationale de justice avait déjà jugé plausible le risque de génocide à Gaza en janvier 2024 et avait intimé à Israël de lever tous les obstacles à l’entrée de l’aide humanitaire ; de nombreux experts ont désormais conclu qu’Israël commet un génocide, mais pour le parquet de Pise, cette hypothèse de crime ne mérite pas d’être approfondie.

Le parquet lui-même a manifestement estimé pouvoir exclure également la commission d’infractions « communes » qui, selon les informations et les faits révélés, auraient pu être envisagées : l’homicide volontaire ou involontaire ; la torture, en supposant que la victime ait été contrainte de subir des souffrances physiques et psychiques alors qu’elle se trouvait certainement dans un état de défense réduite, à la merci des bombes, sans nourriture ni médicaments. Enfin, la mort comme conséquence d’un autre crime. Il s’agit de crimes sur lesquels les autorités italiennes auraient eu pleine compétence, même s’ils résultent d’actes commis à l’étranger : Marah est décédée en Italie et, conformément à l’article 6 du code pénal, cela suffit pour considérer que le crime a été commis sur le territoire italien.

La déclaration de la procureure Camelio rapportée par la presse doit être évaluée dans le contexte de la Constitution et du code de procédure pénale. Pour que l’enquête puisse commencer, il n’est pas nécessaire que le procureur identifie un délit avant d’avoir effectué tout acte d’enquête. Ce qui doit ressortir, c’est une information relative à un délit, c’est-à-dire « la représentation d’un fait, déterminé et non invraisemblable, pouvant être rattaché à une infraction pénale » (article 335 du code de procédure pénale). Comme nous l’avons vu, ces éléments ne manquent pas. Et les éléments qui fondent une hypothèse concrète d’infraction ne manquent pas non plus. Les médecins italiens ont nié l’existence de la leucémie qui aurait été diagnostiquée ailleurs. Nous savons de la bouche même des professionnels de santé que le décès est survenu à la suite d’un « grave dépérissement organique », intuitivement attribuable à la malnutrition.

Nous savons que dans la bande de Gaza, l’entrée et la distribution de nourriture dans des conditions de sécurité sont interdites. Il s’agit là d’éléments factuels qui révèlent que la mort de Marah est très probablement imputable à des comportements d’autres personnes et non à des pathologies indépendantes de celles-ci, ce qui ne peut que justifier la nécessité d’une enquête.

L’obligation de poursuivre ne prétend pas qu’un délit soit diagnostiqué avec certitude au moment où il est signalé. Ce principe constitutionnel exige plutôt que les enquêtes nécessaires soient menées afin de déterminer si les indices qui fondent l’hypothèse d’un délit peuvent aboutir à sa constatation à l’issue d’un procès. La procureure aurait dû procéder à l’audition des médecins qui ont soigné la victime, de ses parents, à l’acquisition du diagnostic établi ailleurs et de tous les éléments nécessaires pour faire la lumière sur le comportement et ses responsables ; mais avant tout, l’autopsie, qui aurait pu attester la ou les causes du décès. La présence même d’autres maladies non diagnostiquées n’exclut pas l’infraction, car la maladie aurait pu provoquer la mort, telle qu’elle s’est produite, uniquement en présence de conditions, créées par d’autres, de malnutrition et d’absence de soins.

GIDEON LEVY
La place de Trump est devant la CPI, pas à la cérémonie du prix Nobel

Gideon Levy, Haaretz24/8/2025
Traduit par Tlaxcala

Le président usaméricain rêve de recevoir le prix Nobel de la paix à Oslo, dit-on ; mais sa place est à la Cour pénale internationale de La Haye. Aucun autre non-Israélien n’est autant responsable du bain de sang à Gaza que Donald Trump. S’il le voulait, lui seul pourrait, d’un simple coup de fil, mettre fin à cette terrible guerre et au massacre des otages israéliens.


Trump fait une annonce depuis la Maison Blanche vendredi. Photo Andrew Caballero-Reynolds/AFP

Il ne l’a pas fait. Non seulement Trump n’a pas téléphoné, mais il continue de financer, d’armer et de soutenir la machine de guerre israélienne comme si de rien n’était. Il est son dernier fan. La semaine dernière, il a qualifié le commandant en chef d’Israël, le Premier ministre Benjamin Netanyahou, de « héros de guerre ». Il s’est rapidement attribué le même honneur douteux, ajoutant avec sa modestie caractéristique : « Je suppose que je le suis aussi ».

Le président usaméricain pense qu’une personne qui commet un génocide à Gaza est un héros. Il pense également qu’une personne qui lance des bombardiers depuis son bureau pour une opération ponctuelle et sans risque contre l’Iran est un héros. Telle est la mentalité de l’homme le plus puissant du monde.

Associer Trump au prix Nobel de la paix, c’est transformer le jour en nuit, le mensonge en vérité et l’auteur de la guerre la plus terrible de ce siècle en une combinaison du révérend Martin Luther King Jr. et du Dalaï Lama, tous deux lauréats de ce prix. Trump et Nelson Mandela dans le même bateau. Le grotesque n’a pas de limites, et c’est entièrement à nos dépens.

Si Netanyahou et Trump méritent une récompense, c’est une récompense qui, heureusement , n’existe pas encore : le prix du génocide.

Deux rapports choquants publiés vendredi ne laissent aucun doute sur la nature génocidaire de la guerre. L’Initiative pour la classification intégrée de la sécurité alimentaire (IPC), soutenue par l’ONU et considérée comme la principale autorité mondiale en matière de crises alimentaires, a confirmé que plus de 500 000 personnes à Gaza et dans ses environs sont confrontées à une famine catastrophique du plus haut niveau. Les Forces de défense israéliennes s’apprêtent à envahir cette ville affamée, et Trump donne son feu vert à cette invasion brutale, ainsi que son soutien international et des armes.

Dans le même temps, le site d’information israélien +972 Magazine, son site jumeau en hébreu Local Call (ou Sikha Mekomit) et le journal britannique The Guardian ont révélé l’existence d’une base de données des services de renseignement militaires israéliens indiquant que 83 % des Palestiniens tués par l’armée israélienne depuis le début de la guerre étaient des civils, un pourcentage extrêmement élevé, même comparé aux guerres les plus horribles telles que celles de Bosnie, d’Irak et de Syrie. Selon les propres données de l’armée israélienne, seul un Palestinien tué sur six était un combattant armé. Cinq sur six étaient des civils innocents, principalement des femmes et des enfants. Comme nous le soupçonnions, comme nous le savions, il s’agit d’un génocide. Les USA le soutiennent.

Trump a prêté main-forte à cette guerre, mais ose encore rêver d’un prix Nobel de la paix. L’opinion publique usaméricaine reste sur ses positions, tout comme le président. Seul un coup de fil de la Maison Blanche pourrait mettre fin au massacre, mais rien n’indique que le président le fera. Soutenu par un vaste appareil de renseignement, 16 agences dotées de budgets colossaux, Trump a déclaré avoir vu « à la télévision » qu’il y avait « une véritable famine » à Gaza.

Mais la télévision de Trump ne l’a apparemment pas suffisamment choqué pour qu’il mène la seule opération de sauvetage que l’USAmérique peut et doit entreprendre : ordonner à Israël de respecter un cessez-le-feu complet et immédiat. L’Israël de Netanyahou ne peut défier la terreur du monde. De plus, Trump fait tout ce qu’il peut pour empêcher les autres pays d’imposer des sanctions à Israël afin de mettre fin au génocide. L’Europe est en colère, mais paralysée par sa peur de Trump, tout comme les organisations internationales.

Le politicard juif usaméricain qui est également ministre du gouvernement israélien, Ron Dermer, a réussi à faire croire à la Maison Blanche et à ses 16 agences de renseignement que le sang est de la pluie, voire une pluie bénie pour l’USAmérique. Résultat : le père du plan Riviera de Gaza, le président usaméricain, est désormais un kahaniste déclaré. Il veut obtenir le prix Nobel de la paix pour ça.



24/08/2025

Alors qu’Israël se prépare à déplacer un million de Gazaouis, un nouveau danger apparaît
Petite plongée dans la pensée profonde des stratèges génocidaires

Des sources militaires avertissent que l’évacuation des civils de la ville de Gaza pourrait piéger Israël dans un rôle de gouvernance militaire indésirable, tandis que le Hamas pourrait utiliser la population comme bouclier humain dans son dernier bastion.

Itay Ilnai, Israel Hayom, 21/8/2025

Traduit par Tlaxcala


Itay Ilnai (1981) est un journaliste israélien spécialisé dans les questions militaires et de renseignement qui écrit pour le quotidien gratuit de droite Israel Hayom, propriété des héritiers du milliardaire Sheldon Adelson.

 

La première fois, ça n’a pas fonctionné parfaitement.

Le 13 octobre 2023, une semaine seulement après l’attaque surprise du Hamas, l’armée israélienne a dispersé des tracts dans le nord de la bande de Gaza. « Habitants de Gaza, dirigez-vous vers le sud pour votre sécurité et celle de vos familles. Éloignez-vous des terroristes du Hamas qui vous utilisent comme boucliers humains », pouvait-on y lire. Le Hamas a tenté d’empêcher la population d’évacuer les zones déclarées par l’armée israélienne, notamment certaines parties de la ville de Gaza, mais en vain. Des centaines de milliers d’habitants paniqués ont rapidement rassemblé leurs affaires et ont fui vers une zone qui est depuis devenue synonyme d’espace humanitaire : al-Mawassi.


Des images de convois palestiniens marchant avec leurs biens le long de la côte et sur l’axe Salah al-Din ont été publiées dans le monde entier et ont fait la une des médias palestiniens sous le titre « deuxième Nakba », mais l’armée israélienne était satisfaite. Il semblait que l’opération d’évacuation de la population, première étape vers le début d’une manœuvre terrestre à grande échelle, avait été couronnée de succès.

Mais le Commandement Sud a agi trop précipitamment. « Nous avons fermé leur voie de sortie trop tôt », explique une source qui était alors impliquée dans la gestion des combats. « Les forces ont manœuvré de manière à empêcher un quart de million de personnes de se déplacer vers le sud, et celles-ci sont restées piégées. » En conséquence, des dizaines de milliers de Gazaouis piégés dans le nord de la bande de Gaza au cours des premiers mois de la guerre se sont déplacés « d’un côté à l’autre », selon les termes de cette source, à chaque fois que l’armée israélienne avançait vers une nouvelle ville ou un nouveau quartier. « C’était notre erreur », admet-il.

Depuis lors, des leçons ont été tirées et l’armée israélienne, en particulier le Commandement sud, est devenue plus efficace dans tout ce qui touche à la pratique officiellement définie comme « déplacement de la population civile à des fins de protection ». Au cours des mois suivants, des zones étendues et densément peuplées comme Rafah et Khan Younès ont été presque entièrement vidées de leurs habitants de manière délibérée, ce qui a permis aux divisions de l’armée israélienne de manœuvrer plus facilement tout en réduisant les risques pour les forces combattantes et les non-combattants. À l’inverse, cette pratique a soulevé des questions d’ordre moral et juridique.

À présent, avant la prise de contrôle (ou la conquête, selon les points de vue) attendue de la ville de Gaza, le Commandement Sud doit relever un nouveau défi. Dans les prochains jours, nous devrions assister au début de l’une des plus importantes opérations de déplacement de population depuis le début de la guerre, qui constituera une étape préliminaire à l’entrée des troupes à Gaza. Près d’un million de personnes devront évacuer la ville et se diriger vers le sud, au-delà du corridor de Netzarim, qui constituera la ligne de front au-delà de laquelle les combats se dérouleront.

L’entité responsable de cette opération d’évacuation complexe est l’« Unité de relocalisation de la population » du Commandement Sud, dont l’existence même est révélée ici pour la première fois. « Cette unité est devenue l’organisme national de référence pour tout ce qui touche au déplacement de populations », explique un officier de réserve haut gradé.

Chuchotements à l’oreille

La pratique du déplacement de population a commencé lors de la première guerre du Liban (opération « Paix pour la Galilée » en 1982) et a été renforcée lors des deux opérations menées dans le sud du Liban dans les années 1990, « Reddition de comptes » et « Raisins de la colère ». Dans un article publié pendant l’opération «Raisins de la colère», un officier israélien avait déclaré qu’en seulement deux jours, environ 200 000 habitants avaient été évacués des villages chiites du sud du Liban, après que l’armée israélienne les eut contactés par le biais de stations de radio locales et de tracts largués depuis des avions. Par la suite, l’armée a adopté un discours plus agressif.

« Nous avons tiré des obus fumigènes dont le but était de marquer, de leur rappeler, de leur « chuchoter » à l’oreille », a expliqué l’officier. Dans un premier temps, les obus ont atterri à environ 100 mètres de la maison la plus éloignée de chaque village. Dans un deuxième temps, la distance a été réduite à seulement 20 mètres.

En 2003, les USAméricains ont également eu recours à la pratique du déplacement de population lors de l’invasion de l’Irak, notamment lorsqu’ils ont évacué environ 200 000 personnes de la ville de Falloujah. Selon les données de l’ONU, la plupart des habitants sont retournés chez eux après la fin des combats, mais des dizaines de milliers d’entre eux sont restés réfugiés, car ils n’avaient pas les moyens économiques de reconstruire leurs maisons détruites.

Mais avec tout le respect que nous devons à la Cisjordanie, au Liban et à l’Irak, Gaza est un tout autre opéra. « Il n’y a aucune comparaison possible », affirme une source militaire. « Au Liban et en Cisjordanie, les gens peuvent quitter la zone des combats et trouver une solution temporaire, par exemple chez des proches. À Gaza, des familles entières se déplacent avec des tentes. »

Le message, c’est l’explosion

L’entité responsable des opérations de déplacement à Gaza est, comme mentionné, l’« Unité de relocalisation de la population », qui opère au quartier général du Commandement sud et est dirigée par un officier de carrière (une unité similaire existe également au Commandement nord). Dans le passé, cet organisme opérait sous l’égide du « Complexe d’influence », mais après le développement du domaine ces dernières années, il est devenu un organisme indépendant. « Au fil du temps, la question du déplacement de population a fait l’objet d’une attention croissante et s’est institutionnalisée », explique une ancienne source de l’armée israélienne.

 
Udi Ben-Moha en 2010, alors qu’il était colonel commandant de la Brigade d’Hébron

Les origines remontent à 2013, lorsque le général de brigade Udi Ben-Moha a été nommé chef d’état-major du Commandement sud. Ben-Moha a commencé à affiner la doctrine du déplacement de population dans le cadre des plans opérationnels pour les futures manœuvres terrestres dans la bande de Gaza. « Il a pris cette pratique et l’a transformée en un art de la guerre », explique le général de brigade (Rés.) Erez Weiner, qui a servi pendant la guerre actuelle en tant que commandant de l’équipe de planification opérationnelle du Commandement sud.

Erez Weiner, un général de réserve qui a beaucoup de casseroles [lire ici]

Les méthodes développées dans cette unité ont d’abord été testées partiellement lors de l’opération « Bordure protectrice » en 2014, avant de devenir partie intégrante de la méthode de combat utilisée lors de l’opération « Gardien des murs » en 2021. Elles prévoyaient la division de la bande de Gaza en blocs, dont les limites étaient définies selon la logique des Gazaouis et non imposées de l’extérieur. « Ce n’est pas une division imaginée par un officier britannique », comme le dit Weiner. « Les contours des blocs correspondent aux quartiers, aux clans, aux ruelles. »

Ce sont des membres de l’unité 504 de la Direction du renseignement militaire, spécialisée dans l’interrogatoire des prisonniers et le recrutement d’agents, qui ont rédigé le contenu des tracts. Le personnel de cette unité était également chargé d’une autre opération de communication avec la population, qui comprenait l’envoi de milliers de SMS et d’appels téléphoniques personnalisés, dont le contenu était adapté à chaque destinataire.

En janvier 2024, l’armée israélienne a annoncé que pendant la guerre, plus de 7 millions de tracts avaient été distribués, plus de 13 millions de SMS envoyés et plus de 15 millions d’appels téléphoniques passés (la plupart avec des messages enregistrés). Les combattants de l’unité 504 ont même appelé les habitants à évacuer quelques instants avant l’entrée des forces de manœuvre, à l’aide de haut-parleurs placés sur des véhicules de l’armée israélienne qui circulaient dans les quartiers. Même dans ce cas, les messages étaient adaptés à chaque quartier, en fonction du clan qui y résidait.

Au cours de la phase suivante, les bombardements d’artillerie qui ont précédé l’entrée des troupes terrestres et qui visaient principalement à dissuader la population civile, ont transmis le message le plus clair possible : évacuez les lieux. « L’armée israélienne a utilisé à Gaza une puissance de feu sans précédent, en tout cas jamais utilisée contre une population civile », a déclaré un officier chargé de l’histoire. « C’est probablement le meilleur moyen de persuasion, plus efficace que n’importe quel tract. »

« Au final, les gens ne se précipitent pas pour abandonner leur foyer, donc le principal moyen de persuasion est la peur », explique un ancien haut gradé de l’armée israélienne spécialisé dans la guerre psychologique, une branche dont sont issues les méthodes opérationnelles de déplacement de population. « Lorsque les bombes tombent en masse, même les plus riches quittent leur maison. De plus, vous pouvez couper la radio, la télévision et enfin la lumière. Tous ces outils font partie de l’arsenal. »

Trouver un visage parmi un million de personnes

L’Unité de relocalisation de la population est chargée de recenser la population et de recueillir des renseignements à son sujet à l’avance, ainsi que de coordonner les opérations visant à la déplacer. À cette fin, elle met en relation un grand nombre d’éléments, notamment les services de renseignement, le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, l’artillerie, l’armée de l’air, les forces terrestres, etc. Le personnel du parquet militaire joue un rôle central, car il veille à ce que les mesures prises sur le terrain soient conformes au droit international (nous y reviendrons) [sic].

L’unité utilise également des outils pour surveiller les mouvements de population, dès leur début. « Dans la guerre actuelle, l’unité était déjà préparée au niveau de la microgestion de l’opération », explique Weiner. « Quel est le processus de notification, qui informe, quand et comment, et comment suivre et vérifier qu’il y a bien une réponse de l’autre côté et que la population se déplace ? Car en fin de compte, il faut pouvoir indiquer quel pourcentage de résidents a quitté les lieux, afin que certaines zones puissent être ouvertes au feu. »

Quel est ce pourcentage ? Zéro ? « Je ne pense pas qu’il soit judicieux d’entrer dans ce détail, car cela donnerait des armes à l’ennemi. Mais la méthode consiste à activer des systèmes de surveillance, de contrôle et de suivi des mouvements de population, à établir une image de la situation, afin que l’unité chargée de la relocalisation de la population soit en mesure, à tout moment, de dire quel pourcentage de la population se trouve dans chaque zone. »

Les postes de contrôle, situés le long des voies d’évacuation, constituent un autre élément des opérations de déplacement de population. L’armée israélienne installe des moyens technologiques de reconnaissance faciale à ces postes de contrôle afin de repérer, parmi les civils – qui peuvent être plusieurs centaines de milliers par jour –, les terroristes déguisés en innocents, voire en otages.

Une autre source proche du travail de cette unité explique que le déplacement de la population se fait au détriment de l’effet de surprise. « Imaginez que lorsque vous ordonnez à la population d’évacuer, vous révélez à l’ennemi où vous comptez manœuvrer », dit-il. « Néanmoins, l’armée israélienne comprend l’importance de la question. L’objectif ici n’est pas de remplir une obligation et de dire aux habitants « nous vous avons prévenus, maintenant c’est votre problème », puis d’attaquer. Il y a vraiment une volonté de permettre à la population de partir. »

Le ministre de la Défense Israel Katz avec les hauts responsables de l’armée israélienne approuvant le plan pour Gaza. Photo Ariel Hermoni / Ministère de la Défense

Malgré cela, plusieurs incidents ont eu lieu au cours desquels des civils qui n’avaient pas évacué leurs maisons ont été blessés pendant les combats. L’incident le plus connu s’est produit à Khan Younès en mai dernier. Neuf des dix enfants du Dr Alaa al-Najjar, médecin à l’hôpital Nasser, ont été tués lors d’une frappe de l’armée israélienne dans une zone qui était censée être évacuée. Son mari et son fils de 11 ans ont été grièvement blessés.

Ce tragique incident a fait la une des journaux du monde entier. L’armée israélienne a alors affirmé que la frappe avait été menée depuis un avion contre une maison où se trouvaient des suspects opérant à proximité d’une force terrestre, et a promis d’enquêter sur cet incident.

Néanmoins, l’armée israélienne considère le déplacement de population comme l’un des succès de la guerre actuelle. « ça a très bien fonctionné tout au long de la guerre, malgré les prévisions contraires de sources diverses, allant de membres de l’état-major général à des sources internationales, en passant par des militaires usaméricains et toutes sortes d’anciens responsables », affirme Weiner. « Au début de la campagne, nous avons évacué environ un million de personnes du nord de la bande de Gaza et de la ville de Gaza vers le sud, en peu de temps. Ensuite, nous avons évacué 300 000 personnes de Khan Younès en très peu de temps, puis nous sommes arrivés à la question de Rafah. »

Des sources impliquées dans les opérations qui ont précédé l’entrée à Rafah définissent la question de l’évacuation de la population comme la principale « mine » contre l’administration usaméricaine, alors dirigée par Biden, qui s’opposait fermement à l’entrée israélienne dans la ville. « Ils nous ont dit que les habitants de Rafah avaient déjà été déracinés de leurs maisons, donc ils ne seraient pas évacués une nouvelle fois », explique Weiner. « Mais au sein du commandement, nous avons élaboré un plan qui prévoyait deux semaines de préparation et deux semaines supplémentaires pour l’évacuation complète. Rétrospectivement, ça a pris dix jours au total. » Pendant cette période, environ un million de personnes ont été évacuées de Rafah.

Ce qui nous ramène à la ville de Gaza. Après le retrait israélien du corridor de Netzarim au début de l’année, à la suite du deuxième échange d’otages, des centaines de milliers de Gazaouis qui avaient évacué la ville au début de la guerre ont pu y retourner. Au cours de l’opération « Les chars de Gédéon », qui a débuté en mai 2025, d’importants déplacements de population supplémentaires ont été effectués, dont une partie a également été évacuée vers la ville de Gaza. Aujourd’hui, avec la zone d’al-Mawassi et les camps centraux, la ville est devenue le lieu où se concentre la majeure partie de la population civile de la bande de Gaza.

Selon les données de l’ONU, environ 82 % des habitants de la bande de Gaza vivaient avant la guerre dans des zones définies par l’armée israélienne comme « zones d’évacuation ». L’aide apportée aux millions de personnes déplacées fait partie intégrante du principe de déplacement de population. Comme l’explique le Dr Ron Schleifer, maître de conférences à l’université d’Ariel, directeur du Centre de recherche sur la défense et la communication d’Ariel et expert en guerre psychologique, « personne n’aime quitter son foyer, il faut donc convaincre les gens que l’alternative au maintien sur place est pire que le départ vers l’inconnu ».

 

De la fumée s’élève après une explosion à Gaza, vue depuis le côté israélien de la frontière entre Israël et Gaza, le 22 juillet 2025 Photo Reuters/Amir Cohen

Une partie intégrante du déplacement de population consiste à tenir la promesse faite aux personnes évacuées qu’elles recevront un abri, de la nourriture et des services de santé. « Vous leur expliquez clairement qu’il existe un passage sûr par lequel ils peuvent se déplacer et qu’à leur arrivée, ils auront de quoi se nourrir et s’abriter. Vous utilisez à la fois la carotte et le bâton », explique un ancien haut responsable du domaine de la guerre psychologique au sein de l’armée israélienne.

Si les tentes viennent à manquer

Jusqu’à présent, Israël a insisté pour que la carotte – c’est-à-dire l’aide humanitaire à la bande de Gaza – soit fournie et gérée par l’ONU et des organisations internationales, telles que la fondation usaméricaine GHF, en partie pour des raisons juridiques. Mais les espaces humanitaires délimités par l’armée israélienne n’ont pas toujours fait leurs preuves. Les difficultés liées au transfert et à la distribution de l’aide ont entraîné le chaos et des plaintes pour famine à Gaza, auxquelles Israël a récemment eu du mal à faire face. De plus, l’armée israélienne a continué ses attaques à al-Mawassi, notamment lorsqu’elle a éliminé des hauts responsables du Hamas qui utilisaient cet espace pour se cacher, dont Mohammed Deif. Il en résulte que l’on craint désormais que les habitants de la ville de Gaza préfèrent rester chez eux, même au péril de leur vie, et ne fassent pas confiance à l’alternative que leur propose l’armée israélienne.

L’armée israélienne reconnaît que l’opération d’évacuation de Gaza nécessitera la mise en place de refuges humanitaires et de points supplémentaires pour la distribution de nourriture. Elle reconnaît également que le système humanitaire international à Gaza est épuisé, ce qui rend difficile la gestion de la situation à venir.

L’entité qui a déjà commencé à agir concernant « la carotte » pour les évacués de la ville de Gaza est le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires. Ces derniers jours, elle s’efforce d’aider autant que possible les organisations internationales à préparer les infrastructures destinées à accueillir des centaines de milliers de nouveaux évacués. « On ne peut pas bouger avant de s’assurer que les infrastructures humanitaires – nourriture, eau, médicaments, assainissement – répondent aux exigences du droit international », explique une source bien informée sur le sujet.

Par exemple, dès la fin du mois de juillet, le coordinateur a approuvé, sur instruction du niveau politique, de faire avancer l’initiative émiratie visant à relier une conduite d’eau depuis l’usine de dessalement en Égypte jusqu’à al-Mawassi. Parallèlement, une ligne électrique a été raccordée depuis Israël à l’usine de dessalement située dans le sud de Gaza, ce qui permettra de multiplier par dix l’approvisionnement en eau potable dans le sud de la bande de Gaza. Cette semaine, Israël a même approuvé, pour la première fois depuis le cessez-le-feu de mars 2025, l’acheminement de tentes et de matériel d’hébergement dans la bande de Gaza. « On ne peut pas commencer à déplacer des populations et ensuite dire “oups, il n’y a pas assez de tentes” », explique cette source. « Israël prépare donc déjà les infrastructures nécessaires à l’évacuation. »

Récemment, l’ambassadeur usaméricain en Israël, Mike Huckabee, a également publié une déclaration indiquant l’intention d’étendre les activités de la fondation usaméricaine d’aide humanitaire GHF, qui gère actuellement quatre centres de distribution dans la bande de Gaza, et d’ajouter 12 centres supplémentaires. Derrière cette décision se cachent des discussions entre l’administration usaméricaine, l’ONU et Israël sur une éventuelle coopération entre l’ONU et la fondation usaméricaine afin d’intensifier l’effort humanitaire à Gaza.

La dernière forteresse

Les questions opérationnelles et humanitaires auxquelles sont actuellement confrontées les FDI s’accompagnent de questions juridiques et morales soulevées par le déplacement de populations. Le droit international reconnaît la nécessité d’évacuer les habitants d’une zone de guerre, mais stipule que cette évacuation peut être considérée comme légale à condition qu’elle soit temporaire.

Dès le début de la guerre, des accusations virulentes ont été formulées, selon lesquelles le déplacement de la population constituait une première étape visant à contraindre les habitants de Gaza à émigrer définitivement hors de leurs frontières. Au cours de l’opération « Les chars de Gédéon », trois combattants de réserve ont même déposé une requête auprès de la Haute Cour de justice, dans laquelle ils affirmaient que l’ordre d’opération violait le droit international car il imposait l’expulsion de la population.

L’armée israélienne a toujours affirmé que le déplacement de la population était temporaire et ne visait pas à encourager l’émigration, l’exil ou l’expulsion. Selon les données du coordinateur, depuis le début de la guerre, seuls environ 38 000 Palestiniens ont quitté Gaza pour un pays tiers, tous titulaires d’une double nationalité, ayant obtenu un permis de séjour dans un autre pays ou ayant reçu l’autorisation d’évacuer pour raisons médicales. Des sources officielles ont admis cette semaine que, jusqu’à présent, les tentatives visant à trouver un pays tiers susceptible d’accueillir les réfugiés palestiniens ont échoué.

Quoi qu’il en soit, à mesure que la guerre progresse, la marge de manœuvre juridique dont dispose l’armée israélienne en matière de déplacement de population devient de plus en plus étroite. Selon plusieurs sources que nous avons consultées, l’évacuation de la ville de Gaza et sa prise de contrôle par l’armée pourraient finalement faire basculer la situation.

Selon le Dr Schleifer, après l’évacuation de la ville de Gaza, « nous devons garantir une distribution alimentaire juste et équitable, dans la mesure du possible, sans profiteurs ni implication du Hamas ». Selon lui, l’expérience passée prouve que tout cela ne peut être réalisé par des acteurs internationaux. « Nous devrons installer des camps de tentes et prendre soin de la population civile, mettre en place un système éducatif, etc., et nous organiser dans tous les domaines nécessaires au maintien de la société. Pour ce faire, l’État d’Israël doit rétablir une branche militaire qui a été étranglée et abandonnée : le gouvernement militaire. »

Mais l’objectif du gouvernement israélien, du moins officiellement, est qu’il n’y ait pas de gouvernement militaire. « Nous aboutirons à un gouvernement militaire, que nous le voulions ou non. Nous nous racontons toutes sortes d’histoires, mais il est clair que nous devrons contrôler Gaza, ou superviser d’une manière ou d’une autre ce qui se passe dans la bande de Gaza. À mon avis, il n’y a pas d’autre solution. »

L’armée israélienne peut mater le Hamas à Gaza [resic]. Selon plusieurs anciennes sources de l’armée israélienne qui se sont penchées sur la question, déplacer un nombre aussi important de civils vers une zone aussi restreinte – environ 25 % de la superficie totale de la bande de Gaza – obligera l’armée israélienne à fournir elle-même aux personnes évacuées des solutions en matière de logement, d’alimentation et de santé, et la contraindra pratiquement à instaurer un gouvernement militaire à Gaza, ce que les hauts responsables de l’armée israélienne ont évité jusqu’à présent. « L’armée israélienne est en quelque sorte poussée à agir, et c’est pourquoi elle s’y oppose tant », explique l’un d’entre eux. « Les implications d’une telle décision sont énormes et pourraient entraîner des sanctions internationales, voire un mouvement de refus. Au-delà de cela, il existe un scénario dans lequel le Hamas prendrait en otage la population de la ville de Gaza [reresic] et, contrairement au passé, l’évacuation se ferait très lentement, ce qui affaiblirait la dynamique israélienne. Jusqu’à présent, le Hamas n’a pas réussi à empêcher le déplacement de la population, mais la ville de Gaza est le dernier bastion dont il dispose, et la plupart de ses forces y sont concentrées. Il n’abandonnera pas facilement. »

Selon Weiner, ces inquiétudes sont exagérées. « Pour convaincre les habitants de Gaza d’évacuer, deux choses doivent se produire », dit-il. « La première est de garantir que l’aide humanitaire n’entre pas dans la ville de Gaza, mais uniquement dans les zones d’évacuation. La seconde est de cesser de parler d’un accord partiel. Nous devons affirmer haut et fort que nous n’avons pas l’intention d’arrêter l’opération à Gaza, donc vous feriez mieux de partir, car les bombardements et les bulldozers arriveront bientôt. »

 

JR Mora, janvier 2024