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15/07/2025

ZVI BAR’EL
Les conflits sectaires permettent à Israël de “cogérer” la Syrie

Selon l’interprétation syrienne des événements, Israël prévoit d’exploiter les conflits internes dans le pays, en particulier dans le district druze, afin de s’imposer comme une « force de police » capable d’empêcher le gouvernement d’établir son contrôle sur l’ensemble du pays.

Zvi Barel, Haaretz, 15/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala  

Alors qu’Israël examine attentivement les possibilités d’une normalisation – ou tout au moins d’un accord de sécurité, voire d’une simple entente – avec le nouveau gouvernement syrien, le pays du président Ahmed al-Charaa est en feu, au sens propre comme au figuré. La Syrie reste un État sans gouvernement, puisque son gouvernement central ne contrôle que 60 à 70 % de son territoire.


Al-Charaa, vu par Kamal Sharaf, Yémen

Les Israéliens ont déjà oublié le massacre des Alaouites dans le district de Lattaquié, en Syrie, en mars, qui a fait 1 700 morts. Il en va de même pour les violents affrontements qui ont opposé en avril les membres de la communauté druze et les forces gouvernementales ou les forces alliées au gouvernement. L’attaque du 22 juin contre l’église Mar Elias, qui a fait au moins 25 morts, n’a pas non plus beaucoup impressionné Israël.

Mais dimanche, une autre flambée de violence dangereuse s’est produite, qui pourrait dégénérer en un nouvel affrontement entre les Druzes et le gouvernement. Et dans ce conflit, Israël est déjà profondément impliqué.

En apparence, tout a commencé par un incident banal. Un jeune marchand de légumes druze a été victime d’un vol commis par un gang de Bédouins alors qu’il conduisait son camion de légumes sur la route principale entre Soueïda et Damas. Les vols ne sont pas rares dans le district sud de Soueïda et font depuis longtemps partie intégrante de l’« économie » de la région.

Mais cette fois-ci, le vol a dégénéré en affrontements généralisés. En réponse à cela, et après que des Bédouins ont enlevé plusieurs membres de la communauté druze, des Druzes armés ont capturé certains membres de la tribu bédouine qui vit dans la ville de Soueïda.

Les otages ont ensuite été libérés, mais les affrontements, qui ont donné lieu à des tirs de mortier, à l’utilisation de drones et de mitrailleuses, ont fait 40 morts et une centaine blessés. Depuis lors, le nombre de morts est passé à 90 et les affrontements se poursuivent au moment où nous écrivons ces lignes.

Le gouvernement syrien a rapidement annoncé lundi qu’il intervenait pour rétablir le calme et a commencé à déployer des forces de police et des chars vers le lieu des affrontements. À la suite d’informations faisant état de frappes israéliennes dans cette ville à majorité druze, le ministre syrien de la Défense a annoncé un cessez-le-feu, mettant officiellement fin à toute lutte intestine dans la région.

La réponse du régime syrien est celle que prendrait n’importe quel pays qui souhaite mettre fin aux affrontements armés et empêcher leur propagation à d’autres régions du pays. Mais à Soueïda, ville druze, la situation est pour le moins un peu plus compliquée.

Militialand

En mai, les dirigeants druzes de Soueïda ont signé un accord avec le gouvernement visant à apaiser les violences qui avaient éclaté précédemment. En vertu de cet accord, les milices druzes – qui sont plusieurs – sont censées remettre leurs armes à l’armée syrienne et, à une date ultérieure, être intégrées à celle-ci. Un accord similaire a été conclu avec les forces kurdes opérant sous l’égide des Forces démocratiques syriennes, qui contrôlent le nord du pays.

L’accord avec les Druzes stipule également que les forces de sécurité syriennes seront chargées d’assurer la sécurité sur la route principale entre Damas et Soueïda, celle-là même où le marchand de légumes a été agressé, déclenchant les derniers affrontements.

En vertu de cet accord, les forces de sécurité syriennes sont censées assurer la sécurité de l’ensemble du district. Mais ici, elles se heurtent à l’opposition de certaines milices druzes, dont les loyautés sont partagées entre les trois chefs spirituels de la communauté.

Certaines milices ont déclaré être disposées à coopérer avec l’armée. Mais l’une d’entre elles, fidèle au chef spirituel Hikmat al-Hijri, a déclaré qu’elle ne déposerait pas les armes tant qu’une armée nationale syrienne n’aurait pas été mise en place. Une autre a déclaré qu’elle ne faisait pas confiance à la promesse du gouvernement syrien de protéger les Druzes, ajoutant que si la milice finit par être intégrée à l’armée, cela ne se fera que si les forces druzes constituent une unité distincte chargée de protéger leur district d’origine.

En conséquence, l’armée et la police syriennes n’ont jusqu’à présent pas été en mesure d’entrer dans le district. Et selon les Druzes, elles n’ont pas non plus protégé la route principale entre Soueïda et Damas.

L’ironie, c’est que les milices, les dirigeants druzes et le gouvernement s’accordent tous à dire que le problème est dû à l’absence du gouvernement tant dans le district que sur la route principale. Le régime fait valoir, avec beaucoup de raison, que son échec est dû à l’opposition des Druzes à l’entrée de ses forces dans la région. Les Druzes, en revanche, affirment qu’il s’agit d’un échec délibéré visant à compromettre leur sécurité.

« Les causes de cette escalade sont claires et récurrentes », a déclaré dans un communiqué la milice des Hommes de la dignité, la plus importante des milices druzes, dirigée par Laith al-Balous. « Elles commencent par l’absence délibérée des forces de l’État sur l’artère vitale qui relie Damas à Soueïda et se poursuivent par les attaques répétées contre des civils sur cette route, que le gouvernement ignore depuis des mois. »

Comme lors des affrontements d’avril, les dirigeants druzes ont cette fois encore demandé à la communauté internationale d’intervenir pour « protéger la minorité druze de l’anéantissement ». Cela a ébranlé le gouvernement d’Al-Charaa, car cela le présente comme incapable de protéger ses citoyens et comme laissant les milices et les gangs sévir et attaquer les civils, parfois les Alaouites, parfois les Druzes.

Le gouvernement n’a même pas été en mesure d’empêcher l’attaque contre l’église Mar Elias, qui a été attribué à l’État islamique, mais qui pourrait avoir été perpétré par d’anciens membres mécontents de la milice d’Al-Charaa, Hayat Tahrir al-Cham. Tout cela se passe alors qu’Al-Charaa visite les capitales du monde entier, essayant de montrer qu’il contrôle totalement la situation et promettant qu’il peut protéger tous les Syriens afin de mobiliser les énormes investissements dont la Syrie aura besoin pour sa reconstruction.

Mais le problème ne s’arrête pas là. Israël s’est imposé comme un acteur clé dans le sud de la Syrie et sur le plateau du Golan syrien, non seulement en tant que partie contrôlant de vastes territoires sur lesquels il a construit des bases militaires, mais aussi en tant que garant de la sécurité de la communauté druze.

Par conséquent, lorsque les dirigeants druzes font appel à la communauté internationale, la Syrie interprète cela comme un appel à l’intervention israélienne. Et en effet, Israël est intervenu. Lundi, lorsque l’armée syrienne a tenté d’envoyer des chars dans le quartier en proie à des troubles, elle a été attaquée par des avions israéliens qui ont bloqué leur avancée.

L’explication officielle d’Israël est que l’attaque visait à empêcher les chars d’entrer dans le district. « La présence de tels véhicules dans le sud de la Syrie pourrait constituer une menace pour Israël. Les Forces de défense israéliennes ne permettront pas l’existence d’une menace militaire dans le sud de la Syrie et s’efforceront de l’empêcher. »

Selon cette explication, l’attaque de l’armée israélienne visait à empêcher la Syrie de violer la « ligne de contrôle » établie par Israël, qui fait désormais l’objet de négociations entre Israël et la Syrie.

Mais cette explication n’a pas vraiment convaincu le gouvernement syrien, qui considère cette attaque comme une violation de la souveraineté syrienne et une ingérence israélienne dans les affaires intérieures du pays. De plus, alors que les médias israéliens s’empressent de rapporter les accords et la coordination avec le gouvernement syrien ainsi que les progrès de la Syrie sur la voie de la normalisation avec Israël, l’intervention militaire israélienne montre qu’aucun accord de sécurité n’a encore été conclu.

Selon l’interprétation des événements par la Syrie, Israël prévoit d’exploiter les conflits internes dans le pays, en particulier dans le district druze, afin de s’imposer comme une « force de police » capable d’empêcher le gouvernement d’établir son contrôle sur l’ensemble du pays. Dans la pratique, le contrôle géographique du territoire syrien par Israël a ainsi fait de ce dernier un partenaire dans la gestion du pays.

La connexion turque

Cette évolution dangereuse se produit alors même que les USA s’efforcent d’aider le gouvernement d’Al-Charaa à stabiliser son pouvoir dans tout le pays.

Copains comme cochons: Ryad, 25 mai 2025

Depuis que le président Donald Trump a serré la main d’Al-Charaa. lors de sa visite en Arabie saoudite, où il a levé les sanctions contre la Syrie, ouvrant ainsi grand la porte à la coopération internationale avec le nouveau gouvernement syrien, l’ambassadeur usaméricain en Turquie et envoyé spécial en Syrie et au Liban, Tom Barrack, a exercé de fortes pressions sur les Kurdes pour qu’ils mettent en œuvre l’accord qu’ils ont signé avec Al-Charaa et rejoignent l’armée nationale.

On ne sait toujours pas comment Washington va gérer la question druze, l’implication d’Israël dans ce dossier et le territoire contrôlé par Israël. Il est toutefois important de rappeler que la Turquie est également impliquée dans toutes ces questions. Ankara est devenu le protecteur d’Al-Charaa, avec la bénédiction de Washington et de Riyad.

Al-Charaa reçu par Ilham Aliyev, Monsieur BOAI (Bons offices auprès d'Israël)

La Turquie et Israël ont mis en place un mécanisme de coordination grâce à la médiation de l’Azerbaïdjan. Samedi, Bakou a également accueilli Al-Charaa, et « en marge » de cette visite, de hauts responsables syriens, dont le ministre des Affaires étrangères Asaad al-Shibani, ont rencontré des responsables israéliens. Néanmoins, le mécanisme de coordination vise uniquement à prévenir les affrontements « involontaires » entre les Forces de défense israéliennes (FDI) et les forces turques, et non à traiter les activités des FDI dans le sud de la Syrie.

La Turquie estime qu’Israël doit se retirer de tout le territoire syrien et revenir aux lignes établies dans l’accord de séparation des forces de 1974. Elle tente actuellement de convaincre l’administration usaméricaine d’adopter cette position et de persuader Al-Charaa de subordonner tout accord avec Israël à cette condition.

 

 

13/07/2025

HANIF ABDURRAQIB
Zohran Mamdani et Mahmoud Khalil sont dans le coup
L'islamophobie ? Mieux vaut en rire, ensemble

Hanif Abdurraqib, The New Yorker, 13/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Hanif Abdurraqib (né en 1983) est un poète, essayiste et critique culturel usaméricain de Columbus, Ohio.


De gauche à droite, Ramy Youssef, Zohran Mamdani et Mahmoud Khalil sur scène au Beacon Theatre, à New York, le 28 juin

Je dis parfois que je me considère comme un musulman d’équipe junior. Que cela soit pris comme une blague ou comme une invitation à me réprimander (verbalement ou non, avec amour ou non) dépend entièrement des autres musulmans présents dans la pièce. Mais bon, je le dis haut et fort : je prends le ramadan très au sérieux, plus sérieusement que tout autre chose. Au fond de moi, je suis resté un enfant soumis à une routine rigoureuse. Je ne bois pas, je ne fume pas et je ne consomme pas de drogues, même si je suppose que cela a moins à voir avec ma relation à l’islam qu’avec mon ancien engagement à être un athlète de haut niveau et, lorsque cela a échoué, avec le plaisir que j’ai pris à flirter avec une fille punk qui ne buvait pas et ne fumait pas. Et puis, lorsque cela a échoué, je me suis retrouvé trop anxieux à l’idée que mes excentricités déjà brillantes pourraient devenir encore plus étranges si je m’abandonnais à l’ivresse, quelle qu’elle soit. En d’autres termes, je n’ai pas confiance en mon propre cerveau, mais j’ai confiance en autre chose. Je me sens le plus musulman lorsque je suis stupéfait par un moment de clarté au sein de mes propres contradictions. Au-delà des déconnexions qui peuvent exister dans ma pratique religieuse, je me sens toujours profondément lié à l’ummah – le corps, la communauté – et aux responsabilités que cette connexion implique. Un hadith que j’aime beaucoup et qui sous-tend bon nombre de mes actions dit que « les croyants, dans leur gentillesse, leur compassion et leur sympathie mutuelles, sont comme un seul corps. Quand l’un des membres souffre, tout le corps réagit par l’éveil et la fièvre ».

Le hadith dit que, grâce à notre foi, le corps est un, et que par conséquent, ta souffrance est inextricablement liée à ma souffrance. Lorsqu’une personne âgée très chère à ma communauté, après des années de maladie, ne reconnaissait plus son propre corps et avait beaucoup de mal à reconnaître son esprit, elle et moi avons prié ensemble, assis sur deux chaises, car elle avait décidé que, si elle était à peine capable de bouger, ses mouvements devaient être dirigés vers Dieu. C’est dans ces moments-là, lorsque je ressens la distance entre la facilité de ma vie et la douleur dans la vie des autres, que je me sens à la fois le plus et le moins musulman. Dans la distance entre le fait de tenir mon téléphone portable dans une pièce sombre et de regarder les images qu’il contient : un bébé affamé à Gaza, un enfant tiré des décombres, les ruines d’un hôpital spécialisé dans le cancer. Dans la distance entre ces ruines et ma maison. Dans la distance entre l’impossibilité de m’endormir et le luxe d’avoir un lit dans lequel je ne parviens pas à trouver le sommeil.

J’ai discuté avec mes amis musulmans de la forme particulière d’islamophobie et de sentiment anti-arabe qui a récemment émergé – ou réémergé, selon le point de vue – aux USA. À New York, Zohran Mamdani, qui vient de remporter une victoire étonnante lors des primaires démocrates pour la course à la mairie, devra très certainement, pendant les mois précédant l’élection générale, répondre à plusieurs reprises aux mêmes questions sur son antisémitisme et sur ses projets pour assurer la sécurité des New-Yorkais juifs (qu’il a détaillés longuement). Mais il n’existe aucun cadre permettant d’engager une discussion parallèle sur les craintes ou la sécurité des New-Yorkais musulmans. Avant les primaires, un comité d’action politique pro-Cuomo a préparé un mailing qui semblait épaissir et allonger la barbe de Mamdani, et pourtant Andrew Cuomo n’a pas été interrogé à plusieurs reprises sur la manière dont il comptait assurer la sécurité des musulmans ou sur le dialogue qu’il entretenait avec les dirigeants musulmans. Je ne dis pas nécessairement qu’il faille faire pression sur les adversaires de Mamdani pour qu’ils répondent à ces questions, mais simplement qu’il n’existe même pas de terrain propice à un tel débat. C’est comme si une partie entière de la population restait invisible jusqu’à ce qu’elle soit crainte.

J’ai tendance à trouver l’islamophobie peu spectaculaire. Cela ne signifie pas pour autant que je ne la trouve pas insidieuse et grave. Je l’imagine simplement, comme d’autres préjugés, comme une sorte de bruit de fond omniprésent dans la psyché usaméricaine, parfois plus faible, puis devenant cacophonique au moindre réglage du volume. Ce bruit de fond est une raison non négligeable pour laquelle je peux, depuis mon téléphone dans ma chambre, voir une école détruite à Gaza et savoir que la plupart des personnes puissantes dans le monde ne seront pas émues. Pourtant, mes amis et moi, en particulier ceux qui étaient adolescents ou plus âgés au moment du 11 septembre, avons été déconcertés par l’islamophobie actuelle, qui semble particulièrement vintage et directe, sans être édulcorée par une rhétorique obscurissante ou visant à servir un objectif plus large. Au moment des primaires démocrates, l’actrice Debra Messing a affirmé sur Instagram que Mamdani « célébrait le 11 septembre ». La théoricienne du complot d’extrême droite Laura Loomer a publié sur X que Mamdani voulait instaurer à la fois la charia et le communisme à New York.

Parfois, cette panique anti-musulmane est drôle, ou plutôt, son absurdité finit par devenir comique, ou alors j’en ris avec des amis qui comprennent bien les dommages matériels causés par cette agitation médiatique. Nous rions parce que, si nous devons vivre cela, nous estimons avoir le droit de rire, unis dans ce rire. Le soir des primaires démocrates, une discussion de groupe entre musulmans s’est rapidement remplie d’exemples de la panique excessive qui régnait sur Internet, et nous avons ri de la rapidité avec laquelle cette panique a été suivie par des musulmans, également en ligne, qui se moquaient de cette panique. (« Préparez-vous à prier 5 fois par jour à New York », a posté un utilisateur de X.) Dans mon rire, je pouvais presque sentir tous les membres du groupe de discussion rire dans différents coins du monde. Si le corps est un dans la souffrance, il doit aussi être un dans le plaisir.

Un samedi soir récent, lors d’un spectacle à guichets fermés au Beacon Theatre, à New York, le comédien Ramy Youssef arpentait la scène tandis que de petits cercles lumineux dansaient sur une vague de rideaux rouges derrière lui. Youssef est en quelque sorte un pont entre plusieurs modes d’identité musulmane. Au cours de ses trois saisons, sa série télévisée, “Ramy, a été saluée pour avoir redéfini la représentation de la vie musulmane, en abordant les thèmes de la foi, de la famille, de la lignée et de l’échec. Cela lui a valu un public musulman enthousiaste, dont beaucoup étaient présents dans la salle du Beacon, comme en témoignait le bruit qui a éclaté, puis s’est prolongé, lorsque l’on a demandé, au début, combien de musulmans se trouvaient dans l’assistance. Mahmoud Khalil, diplômé de Columbia et militant propalestinien récemment libéré de détention par l’ICE, était au premier rang. À sa droite se trouvait sa femme, Noor Abdalla. À sa gauche, Zohran Mamdani.

C’était un vrai plaisir d’apercevoir Khalil en proie à un fou rire. Il riait comme si chaque rire était un récipient physique qui sortait précipitamment de son corps, ou un secret qu’il avait gardé si longtemps qu’il avait fini par s’échapper. Le corps de Khalil se secouait quand il riait : son rire était plus un événement cinétique qu’acoustique. Il se balançait, tremblait légèrement et souriait largement. À côté, Mamdani riait aussi, un peu plus fort ; son rire semblait moins être un secret longtemps gardé qu’une idée qu’il avait hâte de partager. La plupart des spectateurs ne savaient pas que les deux hommes étaient dans la salle et, de ce fait, ils ont manqué le petit miracle de les voir partager leur joie devant la scène qui se déroulait devant eux.

Lorsque Khalil a été arrêté par l’ICE, début mars, il est devenu le premier cas très médiatisé de détention par l’administration Trump d’étudiants titulaires d’un visa ou d’une carte verte ayant participé à des manifestations propalestiniennes. Tout au long de sa détention, qui a duré plus de cent jours, Khalil a rédigé des tribunes libres dans son carnet de prison, puis les a dictées par téléphone. Dans l’un de ces articles, écrit après la naissance de son fils, il décrit le chagrin insondable d’avoir été contraint de manquer la naissance de son premier enfant. Mais il met également en avant ses principes politiques fondamentaux, continuant à placer la Palestine au centre de ses préoccupations. Il ne considère pas sa détention comme une raison de renoncer à ses convictions, mais comme une occasion de les défendre fermement et publiquement.

Si vous ne faites pas attention, et si vous n’êtes pas à l’écoute de votre propre humanité et de celle des autres, vous pouvez être tenté de confondre les personnes avec des symboles. Il est facile d’associer un prisonnier politique à ses opinions politiques ou aux horreurs de sa détention, et de ne rien voir d’autre. Le gouvernement a cherché à faire de Mahmoud Khalil un exemple, afin de montrer aux autres ce qui arrive quand on défend ouvertement les droits du peuple palestinien. À bien des égards, c’est ainsi que l’État déforme la perspective même des personnes les mieux intentionnées : si ce que vous comprenez de Khalil, c’est qu’il a souffert, et que vous croyez que sa souffrance est injuste, et que votre cœur souffre pour lui, cette douleur peut l’emporter sur votre capacité à le comprendre autrement. Une telle myopie n’est pas malveillante, mais elle réduit une vie entière à une fraction de celle-ci. J’aime le hadith sur le corps collectif, car il ne parle pas seulement de la douleur, mais aussi du partage de toute la gamme des sentiments humains. Je ne suis pas poussé à agir uniquement parce que des gens ont souffert ou souffrent encore ; je suis poussé à agir parce que je suis profondément conscient de chaque parcelle d’humanité dont la souffrance prive les gens.

J’ai rencontré Khalil et Mamdani dans les coulisses. Au début, Khalil semblait à la fois ravi et submergé par l’émotion. Mais après la ruée initiale des photographes, le calme s’est installé autour de lui et dans la pièce. Dans cette atmosphère sereine, Khalil semblait observateur, ouvert et bien plus intéressé par les autres qu’ils ne pouvaient l’être par lui. Lorsque nous avons trouvé un coin isolé, Khalil a voulu parler de poésie, des merveilles de la paternité, de ce qui l’attendait dans les mois à venir, outre l’épuisement lié à son procès contre l’administration Trump.

Abdalla m’a dit que son mari apprenait à porter leur bébé, et ce qui m’est immédiatement venu à l’esprit, c’est que Khalil, qui a trente ans, est encore si jeune. Si on le laissait tranquille, il consacrerait tout son temps à découvrir le monde de la paternité et la vie après ses études supérieures. Il n’a pas demandé à devenir un symbole, même s’il a su le devenir avec grâce et attention. C’était merveilleusement surréaliste d’être en coulisses, dans un spectacle d’humour, à boire un café avec lui. J’étais tellement reconnaissant de sa présence que tout ce que j’ai pu dire, pendant ce premier moment de calme, c’était : « Je suis heureux que tu sois là. Je suis heureux qu’ils n’aient pas pu te prendre complètement à nous. »

Khalil et Mamdani ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, mais je les ai vus engager une conversation fluide et souvent drôle. C’était fascinant de voir deux figures emblématiques de la victoire musulmane se rencontrer : l’un chargé de réinventer une ville, l’autre de faire de sa liberté quelque chose qui le dépasse. Mamdani était vêtu d’un costume sombre et d’une cravate à motifs, comme il le fait souvent pendant la campagne électorale. Il a évoqué la recrudescence des menaces de mort qu’il avait reçues depuis sa victoire aux primaires et la façon dont il avait dû changer ses habitudes depuis qu’il était désormais sous protection rapprochée. J’ai pensé à la tournée promotionnelle de mon livre qui avait occupé une grande partie de l’année écoulée. À mesure que les foules grossissaient, les menaces contre ma vie se multipliaient, et je devais parfois faire appel à des agents de sécurité pour surveiller la file d’attente lors des séances de dédicaces ou pour m’escorter jusqu’à mon hôtel. J’envoyais des SMS à mon groupe de discussion musulman, disant en substance : « Je me sens plus musulman que jamais quand quelqu’un veut ma mort », et nous riions. Ce n’est peut-être pas drôle si vous n’êtes pas l’un des nôtres.

Khalil a déclaré qu’il avait lui aussi été inondé de menaces, et que celles-ci avaient augmenté de manière exponentielle depuis sa libération. Il a ajouté qu’il essayait surtout d’ignorer les menaces et d’être prudent lorsqu’il sortait. Après cela, un bref silence s’est installé entre nous trois, un moment de reconnaissance partagée des difficultés de rester en vie. Pour certaines personnes, Khalil et Mamdani offrent, de manière différente mais non sans rapport, des récits essentiels de résistance, une série de cordes auxquelles tant de personnes s’accrochent pour survivre à des moments où la survie semble impossible.

Dans le calme, je me suis surpris à réfléchir à nouveau à la distance qui sépare deux hommes musulmans qui vivent deux victoires distinctes, mais qui sont confrontés à des préoccupations similaires. J’ai pensé à la distance entre ceux qui veulent votre mort et ceux qui veulent votre départ, votre disparition par l’expulsion ou une forme plus banale de silence. Il n’y a peut-être pas autant de distance entre ces deux groupes que nous le souhaiterions, surtout si leurs membres sont bruyants, ont du pouvoir et n’ont pas peur de fantasmer publiquement sur la violence physique. La distance entre ces deux populations se réduit encore davantage lorsque quelqu’un semble partir, puis a le culot de revenir – être rejeté comme un perdant, puis remporter une primaire, ou être emprisonné pour avoir tenu des propos propalestiniens et, une fois libéré, prendre la parole en faveur de la Palestine dès que l’occasion se présente.

Une fois ce moment passé, Mamdani sourit, passa son bras autour des épaules de Khalil et dit : « J’aimerais pouvoir t’emmener partout avec moi. » Et nous avons ri tous les trois, même si cette plaisanterie avait un goût amer. Un rire teinté de tristesse reste un rire.

Il y a un autre hadith que j’aime beaucoup. Dans celui-ci, un prophète qui prononce un sermon dit : « Le paradis et l’enfer m’ont été montrés, et je n’ai jamais vu autant de bien et de mal qu’aujourd’hui. Si vous saviez ce que je sais, vous ririez peu et pleureriez souvent. »

Ces jours-ci, je ne parle et ne pense qu’à la dissonance cognitive nécessaire pour évoluer dans le monde. J’ai de plus en plus de mal à démêler mes multiples personnalités pour pouvoir avancer dans mon voyage. Toutes mes personnalités pleurent souvent. J’essaie de faire preuve de grâce. Je dis à mes amis que je ne comprends plus comment on peut passer les jours, les mois, sans reconnaître les horreurs qui nous entourent. J’imagine ce que cela doit être de pouvoir éteindre les parties du monde qui vous perturbent. Cela doit donner l’impression d’exister dans un univers animé qui obéit aux lois de la physique des dessins animés : vous tombez d’une hauteur inconcevable et, en atterrissant, un nuage de poussière s’élève du sol, mais vous vous secouez et continuez à avancer.

Je me convaincs que je ris encore suffisamment. Tous ceux que j’aime aimeraient voir la fin des guerres, aimeraient empêcher que des gens soient enlevés dans la rue et expulsés, mais certains jours, nous ne pouvons pas manifester, car il fait tellement chaud dehors que c’est dangereux. Il fait dangereusement chaud dehors, en partie à cause des conséquences climatiques des guerres ; elles ne s’arrêtent pas et ne se sont pas arrêtées depuis aussi longtemps que nous sommes en vie. La mosquée de mon quartier a reçu des menaces l’année dernière, alors les membres de la communauté ont mis leur argent en commun pour engager des agents de sécurité. L’un des anciens a plaisanté en disant que tant que la mosquée était vide, quelqu’un pouvait se sentir libre de la brûler, cela nous donnerait une bonne excuse pour enfin la rénover. Nous avons ri. Je me sens le plus musulman lorsque les autres pensent que la blague est à la charge de mon peuple, mais mon peuple survit, et donc la blague n’est en fait pas du tout à notre charge.

À la fin du spectacle de Youssef, il arpentait la scène dans le silence quasi total qui avait suivi les applaudissements enthousiastes. Puis il a commencé à parler de deux choses qui lui avaient redonné espoir cette semaine-là. J’ai remarqué un couple devant moi qui murmurait « Zohran ? ». Puis il est apparu sur scène, saluant la foule debout qui l’acclamait. Il a brièvement évoqué sa vision d’un New York différent, où les gens pourraient défendre les droits des Palestiniens sans craindre d’être persécutés. Youssef a ensuite présenté Khalil, qui a reçu une ovation encore plus forte et plus bruyante. Il a souri largement et a levé le poing, un geste que beaucoup dans le public ont imité.

Vers la fin de son bref discours, Khalil a regardé Mamdani comme s’ils étaient seuls dans la pièce et lui a dit : « Je suis enthousiaste à l’idée d’élever mon fils dans une ville dont tu seras le maire. » Ce fut un moment saisissant, l’un de ces moments où, si vous écoutiez attentivement, vous pouviez entendre un souffle collectif avant qu’une nouvelle vague d’applaudissements n’éclate. Les gens se dirigeaient vers les sorties, certains essuyant leurs larmes. J’ai aperçu une amie et nous nous sommes embrassés. Elle m’a dit : « Je ne m’étais pas rendue compte que je pleurais, mais maintenant je ne peux plus m’arrêter. »

Aussi beau que fût ce souvenir, ce qui m’est resté en tête, c’est la dernière blague de la soirée, lorsque Khalil a déclaré qu’il était honoré d’être aux côtés de Mamdani, « un homme si intègre que l’ICE ne l’a pas encore arrêté ». Il a marqué une pause, puis, avec un timing parfait, il a ajouté : « On voit bien qu’ils y pensent ». Mamdani a ri. Youssef a ri. J’ai ri dans mon siège. C’était une blague classique, faite par quelqu’un qui avait été arraché du hall de son immeuble par des agents de l’ICE, une blague affectueusement adressée à un candidat à la mairie qui a été menacé d’expulsion par le président et d’autres dirigeants politiques. La blague était drôle à cause de ce que certains d’entre nous dans la salle savaient et à cause de ce que la personne qui la racontait avait vécu. La blague était drôle parce que, même si certains d’entre nous dans la salle pleuraient souvent, notre rire surpassait ce que nous savons du monde, pendant quelques secondes à la fois.

 

06/07/2025

CAROLINE DUPUY
Comment le Maroc alimente la machine génocidaire israélienne

Caroline Dupuy à Tanger, Maroc
Middle East Eye, 1/7/2025
Traduit par SOLIDMAR

Malgré les protestations publiques, les expéditions de matériel militaire à destination d’Israël via les ports marocains se poursuivent, facilitant les attaques contre les Palestiniens. 

Une femme brandit les drapeaux palestinien, marocain et libanais alors que des manifestants marchent vers le port de Tanger Med pour protester contre l’arrivée prévue d’un navire censé transporter des pièces de chasseurs à réaction à destination d’Israël, à Tanger, Maroc, le 20 avril Photo Abdel Majid Bziouat/AFP

Il est impossible de passer à côté de l’omniprésence de Maersk dans les ports marocains, tant la société danoise domine les conteneurs maritimes. Cette forte présence ne serait pas si intrigante en soi, si ce géant mondial de la logistique n’était pas connu pour le transport de matériel militaire vers Israël en pleine guerre contre Gaza.

Le Maroc est devenu un maillon essentiel dans la route des armes facilitant les expéditions de matériel militaire vers Israël, notamment via Maersk. Cela inclut des composants de jets F-35, qui alimentent les attaques israéliennes contre les Palestiniens.

Un rapport récent de Declassified UK et du média d’enquête irlandais The Ditch a examiné le rôle du Maroc dans le transfert de pièces des avions de chasse F-35 via Maersk.

Le rapport évoque en particulier une expédition en avril: le matériel pour jets a quitté le port de Houston, aux USA. Deux semaines plus tard, le Maersk Detroit battant pavillon usaméricain arrivait à Tanger, Maroc, où la cargaison était transférée sur un autre navire, le Nexoe Maersk [battant pavillon de Hong Kong].


L’expédition a traversé la Méditerranée avant d’arriver au port israélien de Haïfa. La cargaison militaire a ensuite été acheminée vers la base aérienne de Nevatim, point clé de décollage de l’armée de l’air israélienne pour bombarder Gaza.

Lorsque ces révélations ont été faites en avril, l’indignation publique a éclaté au Maroc. Des milliers de manifestants se sont mobilisés dans les ports de Casablanca et Tanger Med, tandis qu’au moins huit dockers ont démissionné en protestation contre les expéditions controversées de Maersk.

Les rapports divergent quant au début de l’accostage de telles cargaisons dans le royaume, mais les ports marocains sont devenus une option attrayante sur la route de transfert après qu’en novembre, deux cargos Maersk ont été empêchés d’accoster en Espagne, soupçonnés de transporter des armes vers Israël.

Ils se sont donc arrêtés à Tanger Med, déclenchant de nouvelles protestations locales.

Alejandro Pozo, spécialiste des conflits armés et du désarmement au Centre Delas, a déclaré à MEE que les transferts d’armes via la route Espagne–Maroc sont considérés comme «un trafic régulier et nont pas cessé», daprès les bases de données que le centre de recherche catalan a pu consulter.

Face à la polémique, Maersk a publié en mars un communiqué affirmant qu’elle «observe une politique stricte de non-acheminement darmes ou de munitions vers les zones de conflit actif, dans le respect des réglementations internationales».

Un représentant a également affirmé à Declassified UK que le Maersk Detroit et le Nexoe Maersk «transportent des conteneurs contenant des pièces de F-35. Cependant, ces cargaisons sont destinées à dautres pays participants au programme F-35». Le programme des F-35 «dépend dun réseau complexe de partenaires et fournisseurs à travers plusieurs pays», a précisé le groupe danois en juin.

Se cacher derrière les mots

L’entreprise reconnaît cependant ses contrats avec le gouvernement usaméricain via sa filiale usaméricaine, Maersk Line Limited (MLL), engagée dans le Maritime Security Programme (MSP).

Ce programme, auquel Maersk participe depuis 1996, impose de mettre des navires à disposition des autorités usaméricaines moyennant des sommes importantes pour transporter du matériel destiné à la guerre. Ainsi, la société devient un acteur clé de la facilitation des transferts d’armes.

De par ce soutien à la politique usaméricaine, Maersk expédie des cargaisons vers plus de 180 pays «dans le cadre de programmes de coopération en matière de sécurité, incluant le transport de marchandises civiles et à usage militaire vers Israël», selon le communiqué de mars.

Maersk a assuré au site ouèbe Danwatch que les trajets de ses bateaux vers Israël «ne font pas partie du MSP», mais sont liés à un autre programme militaire usaméricain.

Pourtant, un rapport du Centre Delas a repéré que des navires de la route faisaient partie du MSP. L’annexe liste ces expéditions pour permettre d’identifier les navires susceptibles de transporter des armes vers Israël.

Selon le centre, les transports MSP qui passent fréquemment par le Maroc et l’Espagne du Sud signalent un trajet vers Israël. Pour Pozo, les protestations ont eu lieu sur certains transports parce que l’information était publique, pas parce qu’elles étaient les seules occasions.

Le Maroc reste muet sur sa participation à ces transferts d’armes. Ce silence est suspect pour nombre d’observateurs.

«Évidemment, un gouvernement peut savoir ce quil y a dans un conteneur sil le veut vraiment», dit Pozo à MEE.

Les acteurs impliqués «se cachent derrière le vocabulaire», ajoute-t-il, parlant par exemple «d’équipement militaire ou de composants». Ce vocabulaire est semblable à celui employé par Maersk dans ses communications.

Pozo souligne aussi qu’alors que le gouvernement espagnol a bloqué trois cargaisons sous la pression populaire, «lEspagne na pas appliqué dautre mesure administrative, y compris des sanctions contre les transferts darmes à Israël».

MEE a contacté Maersk, l’Agence nationale des ports du Maroc et le ministère marocain des Affaires étrangères pour connaître leur position morale, compte tenu des conséquences dévastatrices de ces armes à Gaza.

MEE voulait aussi savoir la quantité exacte d’armes transportées via le Maroc, pourquoi le royaume est devenu un maillon clé, et depuis quand Maersk passe par cette route.

Aucune réponse n’avait été donnée au moment de la publication.

Interdépendance maroco-israélienne

Le Mouvement de la jeunesse palestinienne a affirmé, en novembre 2024, que Maersk a «expédié des millions de livres (lb) d’équipements militaires vers larmée israélienne depuis les USA, à travers plus de 2000 expéditions» sur 12 mois à partir de septembre 2023.

La capacité militaire israélienne découle en majorité des importations, notamment des USA, selon Zain Hussain, chercheur au SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute).

Depuis son arrivée au pouvoir, l’administration Trump a approuvé près de 12milliards de $US de ventes militaires majeures à Israël.

«Israël dépend largement des importations darmes pour sa guerre à Gaza et ses opérations militaires ailleurs dans la région», explique Hussain à MEE.

«Disposer de routes dacheminement fiables et sûres pour le transfert de ces armes et composants est crucial pour Israël, et le soutien de certains États est essentiel pour le permettre», ajoute-t-il.

Pozo avance qu’une des raisons pour lesquelles le Maroc est devenu une plateforme stable sur la route des transferts, via le détroit de Gibraltar, est avant tout géographique.

«Jimagine que la proximité permet une logistique efficace et des économies en coût énergétique», indique-t-il.

Sinon, il faudrait passer par l’Afrique et la mer Rouge, une route plus longue, coûteuse et dangereuse, rappelle le Centre Delas.

Autre facteur: la dépendance du Maroc vis-à-vis dIsraël pour son équipement militaire, comme en témoigne le choix récent du royaume de faire dElbit Systems lun de ses principaux fournisseurs darmes.

Le Maroc a normalisé ses relations avec Israël en décembre 2020, rejoignant les Accords d’Abraham du président Trump, en échange d’une reconnaissance par les USA et Israël de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Depuis, la coopération entre les deux pays n’a fait que se renforcer, y compris militairement. Le Maroc est accusé d’utiliser des armes pour soutenir son conflit contre le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui soutenu par l’Algérie voisine.

«Israël et les USA savent que le Maroc collaborera; il y a aussi la dimension politique: les USA ont reconnu le Sahara occidental comme marocain, ce qui ajoute une autre dimension à cette coopération», analyse Pozo.

«Trahison»

Contrairement à l’Espagne, le Maroc n’a pas stoppé certaines livraisons malgré les manifestations publiques.

Une militante marocaine d’Amnesty International, qui souhaite garder l’anonymat, confie à MEE combien il lui est «douloureux» de «voir [son] pays connecté à la machine du génocide en Palestine».

Pour elle, la résistance dépasse la politique: «Il sagit de notre humanité et de notre responsabilité morale Chaque bombe larguée, chaque enfant enterré sous les décombres, devrait nous bouleverser au plus profond de nous-mêmes».

«La population veut que le Maroc rompe ses liens avec Israël et adopte une position ferme et sans concessions contre loccupation et lapartheid», poursuit-elle.

«À Amnesty, nous travaillons à exposer ces violations et exiger des comptes. Je dis cela par amour pour mon pays mais aussi avec le courage de le critiquer. Nous devons demander la transparence. Nous devons parler. Car le silence face au génocide nest pas de la neutralité, cest de la trahison.»

Elle souligne également qu’il existe une «menace constante de répression» contre le militantisme propalestinien au Maroc, bien que le royaume publie régulièrement des déclarations de soutien à la cause palestinienne.

Selon le Front marocain de soutien à la Palestine et contre la normalisation, qui rassemble une vingtaine d’associations, syndicats et partis politiques, 20 militants ont été arrêtés et emprisonnés depuis 2021, un phénomène qui s’accélère depuis le début de la guerre israélienne contre Gaza en octobre 2023.

Un expert du Carnegie, sous couvert d’anonymat, déclare à MEE que «malgré lampleur et la visibilité des protestations, elles nont pas encore abouti à un changement politique significatif».

Cependant, citant une récente déclaration du parti d’opposition Justice et Développement (PJD), qui réaffirme «sa critique de la normalisation» et la nécessité dun «réalignement» du royaume sur la position massivement propalestinienne des Marocains, lexpert envisage la possibilité dun changement.

«Le sentiment populaire peut avoir un effet contraignant ou cumulatif, surtout lorsquil rejoint des questions de légitimité intérieure, alimente le discours dopposition et la mobilisation», conclut-il.

 


 Le siège de Maersk à Tunis après une manifestation le 18 mars 2025