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07/04/2025

JONAS HASSEN KHEMIRI
Chère Beatrice Ask
Lettre à une ministre de la justice suédoise à propos de la chasse aux sans-papiers

Jonas Hassen Khemiri, Dagens Nyheter, 13/3/2013

Jonas Hassen Khemiri, né en 1978 à Stockholm d’un père tunisien originaire de Jendouba (mort en janvier 2025) et d’une mère suédoise, s’est affirmé comme un grand auteur suédois dès la parution de son premier roman en 2003 (Ett öga rött, inédit en français). Trois de ses livres et cinq de ses pièces de théâtre ont été traduits en français (voir ici et ici). Le texte ci-dessous a été publié en 2013, lorsque la chasse aux sans-papiers battait son plein en Suède. Il n’a rien perdu de son actualité, comme le montre le deuxième texte traduit ci-après. Une remarque : j'ai choisi le vouvoiement, d'usage en français. Dans l'original, l'auteur tutoie la ministre, comme il est d'usage en suédois moderne, le vouvoiement ayant disparu depuis une cinquantaine d'années.-Fausto GiudiceTlaxcala

Cette lettre de Jonas Hassen Khemiri à Beatrice Ask a été l’article du quotidien Dagens Nyheter le plus partagé de tous les temps jusqu’à l’automne 2014 (180 000 partages sur Facebook). En raison de problèmes techniques, les statistiques de partage ont disparu de l’article.

Le 12 mars 2013, la ministre de la Justice suédoise Beatrice Ask [1]  a répondu aux questions du Parlement sur le projet Reva [lire ci-dessous], très critiqué, qui vise à procéder à davantage d’expulsions de sans-papiers de Suède. Aujourd’hui, l’auteur Jonas Hassen Khemiri écrit sur la signification du racisme pour quelqu’un qui en a fait l’expérience toute sa vie : « Je vous écris pour vous faire part d’un souhait simple, Beatrice Ask. Je veux que nous échangions nos peaux et nos expériences. Allez, faisons-le ».

Ekta, The New York Times

Beaucoup de choses nous séparent. Vous êtes née au milieu des années 50, moi à la fin des années 70. Vous êtes une femme, je suis un homme. Vous êtes une politicienne, je suis un écrivain. Mais il y a aussi des choses qui nous rapprochent. Nous avons tous deux étudié l’économie internationale (sans obtenir de diplôme). Nous avons à peu près la même coiffure (même si nous avons des couleurs de cheveux différentes). Et nous sommes tous deux des citoyens à part entière de ce pays, nés à l’intérieur de ses frontières, unis par la langue, le drapeau, l’histoire, l’infrastructure. Nous sommes tous deux égaux devant la loi.

C’est pourquoi j’ai été surpris lorsque P 1 Morgon [2]  vous a demandé jeudi dernier 7 mars si, en tant que ministre de la justice, vous vous préoccupiez des personnes (citoyens, contribuables, électeurs) qui affirment avoir été arrêtées par la police et s’être vu demander de montrer leur passeport uniquement en raison de leur apparence (brune, non blonde, aux cheveux noirs). Et vous avez répondu : « La raison pour laquelle quelqu’un m’a demandé mon passeport peut être très personnelle. Il y a des personnes précédemment condamnées qui ont l’impression d’être toujours mises en cause, même si ça ne se voit pas que vous avez commis un délit (...) Afin d’évaluer si la police travaille conformément aux lois et aux règlements, vous devez avoir la perspective holistique ».

Le choix des mots est intéressant : « précédemment condamnées ». Car c’est exactement ce que nous sommes. Nous sommes tous coupables jusqu’à preuve du contraire. Quand une expérience personnelle devient-elle une structure raciste ? Quand devient-elle discrimination, oppression, violence ? Et comment une perspective « holistique » peut-elle exclure une grande partie des expériences personnelles des citoyens ? Quelles sont les expériences qui comptent ?

Je vous écris pour vous demander quelque chose de simple, Beatrice Ask. Je veux que nous échangions nos peaux et nos expériences. Allez, faisons-le, tout simplement. Après tout, vous n’avez jamais été étrangère aux idées un peu bizarres (je me souviens encore de votre suggestion controversée d’envoyer une enveloppe violette [3]  à tous les acheteurs de sexe).


Pendant 24 heures, nous nous empruntons mutuellement nos corps. D’abord, j’entre dans votre corps pour me faire une idée de ce que c’est que de vivre en tant que femme dans un monde politique patriarcal. Ensuite, vous empruntez ma peau pour comprendre que lorsque vous sortez dans la rue, dans le métro, dans le centre commercial et que vous voyez les policiers plantés là, avec la Loi de leur côté, avec le droit de vous approcher et de vous demander de prouver votre innocence, cela vous rappelle des souvenirs. D’autres agressions, d’autres uniformes, d’autres regards. Et non, il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à l’Allemagne de la Seconde Guerre mondiale ou l’Afrique du Sud des années 1980. Il s’agit simplement de notre histoire locale suédoise, une série d’expériences aléatoires dont notre corps collectif se souvient soudain.

Avoir six ans et atterrir à Arlanda , dans notre patrie commune. Nous marchons vers la douane, avec un papa qui a les paumes moites, qui se racle la gorge, qui lisse ses cheveux et frotte ses chaussures contre les plis de ses genoux. Il vérifie à deux reprises que le passeport suédois est dans la bonne poche intérieure. Toutes les personnes de couleur rose sont laissées passer. Mais notre père est arrêté. Et nous pensons : c’est peut-être une coïncidence. Avoir dix ans et voir la même scène se répéter. Peut-être que c’était son accent. Avoir douze ans et voir la même scène. Peut-être que c’était son sac creux avec la fermeture éclair cassée. Avoir quatorze, seize, dix-huit ans.

Avoir sept ans, commencer l’école et être introduit dans la société par un papa qui était déjà terrifié à l’idée que son exclusion soit transmise à ses enfants. Il disait :

« Quand on a la tête que nous avons, il faut toujours être mille fois meilleur que les autres pour ne pas être rejeté. »

« Pourquoi ? »

« Parce que tout le monde est raciste. »

« Tu es raciste ? »

« Tout le monde sauf moi. »

Parce que c’est exactement comme ça que fonctionne le racisme. Il ne fait jamais partie de notre culpabilité, de notre histoire, de notre ADN. Il est toujours ailleurs, jamais ici, en moi, en nous.

Avoir huit ans et regarder des films d’action où des hommes basanés violent, éructent des jurons, battent leurs femmes, kidnappent leurs enfants, manipulent, mentent, braquent et abusent. Avoir seize, dix-neuf, vingt, trente-deux ans et voir les mêmes figurines de carton encore et encore.

Avoir neuf ans et décider de devenir le bûcheur de la classe, le meilleur lèche-cul du monde. Tout se passe comme prévu et ce n’est que lorsque nous avons un professeur remplaçant que quelqu’un suppose automatiquement que nous sommes le trublion de la classe.

Avoir dix ans et être poursuivi par des skinheads pour la première fois, mais pas la dernière. Ils repèrent notre corps commun sur le banc des alcoolos en bas de l’église d’Högalid, ils rugissent, nous courons, nous nous cachons dans l’embrasure d’une porte, le goût du sang dans la bouche, notre cœur commun battant la chamade tout le long du chemin du retour.

Avoir onze ans et lire des bandes dessinées où les Orientaux sont mystérieusement exotiques, aux magnifiques yeux bruns, sensuels (mais en même temps perfides).

Avoir douze ans et entrer dans la Mega Skivakademin  pour écouter des CD et, à chaque fois, les vigiles se mettent à tourner autour de nous comme des requins, à parler dans des talkies-walkies, à nous harceler à quelques mètres de distance. Et nous essayons de la jouer normale, nous nous efforçons d’utiliser au max un langage corporel non criminel. Marchez normalement, Beatrice.


Respirez comme d’habitude. Approchez-vous du présentoir de CD et attrapez le disque de Tupac d’une manière qui montre que vous n’avez pas l’intention de le voler. Mais les vigiles veillent et quelque part, au fond d’ici, au fond de notre corps collectif, il doit y avoir un plaisir honteux à goûter cette texture qui a piégé nos pères, à obtenir une explication sur la raison pour laquelle nos pères n’ont jamais réussi ici, pourquoi leurs rêves sont morts dans une mer de lettres de candidature rejetées.

Avoir treize ans et commence à traîner au centre de loisirs et à entendre les histoires. Le grand frère du pote, qui s’est frité avec la police de Norrmalm et a été jeté dans un panier à salade avant d’être balancé le nez en sang à Nacka. Le cousin du pote, qui a été traîné et battu par les vigiles dans la petite pièce de la station de métro de Slussen (avec des annuaires téléphoniques sur les cuisses pour éviter les bleus).

N, le copain de papa, qui a été trouvé par une patrouille de police et enfermé dans une cellule de dégrisement parce qu’il bafouillait, et ce n’est que le lendemain que la police s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas, et aux urgences on a découvert l’hémorragie cérébrale, et à l’enterrement sa petite amie a dit : « Si seulement ils m’avaient appelée, j’aurais pu leur dire qu’il ne buvait pas d’alcool ».

Avoir treize ans et demi et vivre dans une ville assiégée par un homme armé d’un fusil et d’un viseur laser, une personne qui abat onze hommes aux cheveux noirs en sept mois sans que la police n’intervienne. Et notre cerveau collectif commence à penser que ce sont toujours les musulmans qui en pâtissent le plus, toujours ceux qui portent des noms arabes qui ont le moins de pouvoir (et oublie complètement les moments où d’autres structures régnaient - comme lorsque le gamin de l’école que tout le monde appelait « le Juif » était enchaîné à une grille avec un cadenas dans l’ourlet du jean, et que tout le monde riait lorsqu’il essayait de se libérer, il riait aussi, il essayait de rire, est-ce que nous, on riait ?).



Avoir quatorze ans, sortir du McDo de Hornsgatan [artère principale du quartier de Södermalm où l'auteur a grandi, NdT] et se faire demander ses papiers par deux policiers. Avoir quinze ans et être assis devant un magasin Expert lorsqu’une patrouille de police s’arrête, deux policiers sortent, demandent les papiers, demandent ce qui se passe ce soir. Puis ils remontent dans la voiture.

Et pendant tout ce temps, une lutte intérieure. Une voix dit : ils n’ont pas le droit de nous condamner d’avance. Ils n’ont pas le droit de boucler la ville avec leurs uniformes. Ils n’ont pas le droit de nous mettre en danger dans nos propres quartiers.

Mais l’autre voix dit : « Et si c’était notre faute ? Nous avons probablement parlé trop fort. Nous portions des sweats à capuche et des baskets. Nous portions des jeans trop grands avec un nombre suspect de poches. Nous avons commis l’erreur d’avoir une couleur de cheveux propice à la criminalité. Nous aurions pu choisir moins de mélanine dans notre peau. Nous avions des noms de famille qui rappelaient à ce petit pays qu’il fait partie d’un monde plus vaste. Nous étions jeunes. Bien sûr, tout changerait en vieillissant.


Et notre corps collectif a grandi, Beatrice Ask. Nous avons cessé de traîner au centre de loisirs, nous avons remplacé le sweat à capuche par un manteau noir, la casquette par un foulard. Nous avons arrêté de jouer au basket-ball et commencé à étudier l’économie à l’École d’économie de Stockholm. Un jour, alors que nous étions devant la gare centrale de Stockholm, en train d’écrire une note dans un cahier d’étudiant (car même si nous étudiions l’économie, nous rêvions secrètement de devenir écrivains), quelqu’un est arrivé à notre droite, un homme large avec une oreillette : « Comment ça se passe ? » Il nous a demandé une pièce d’identité, puis nous a serré les bras dans une prise policière et nous a transportés jusqu’au panier à salade où nous devions apparemment attendre qu’il obtienne le feu vert disant que nous étions bien ceux que nous prétendions être.

Apparemment, nous correspondions à un signalement. Apparemment, nous ressemblions à quelqu’un d’autre. Pendant vingt minutes, nous sommes restés assis dans la voiture de police. Seuls. Mais pas vraiment seuls. Car des centaines de personnes passaient par là. Et ils nous regardaient d’un air qui murmurait : « Voilà. Un de plus. Encore un qui se comporte en pleine conformité avec nos préjugés ».

Et j’aurais aimé que vous soyez avec moi dans le panier à salade, Beatrice Ask. Mais vous ne l’étiez pas. J’étais assise là, seul. J’ai croisé le regard de tous les passants et j’ai essayé de leur faire comprendre que je n’étais pas coupable, que je m’étais simplement tenu à un endroit et que j’avais eu un certaine apparence. Mais il est difficile de plaider son innocence à l’arrière d’un car de police.

Et il est impossible de faire partie de la communauté lorsque le pouvoir présume constamment que l’on est un Autre.

Au bout de vingt minutes, on nous a laissé sortir du car de police, sans excuses ni explications. Au lieu de ça, on nous a dit : « Tu peux y aller maintenant ». Notre corps chargé d’adrénaline a quitté les lieux et notre cerveau s’est dit : « Je devrais écrire là-dessus ». Mais nos doigts savaient que cela n’arriverait pas. Parce que nos expériences, Beatrice Ask, ne sont rien comparées à ce qui arrive aux autres, notre corps a grandi intra muros, notre maman est suédoise, notre réalité est celle d’un cocon confortable comparée à ce qui arrive aux personnes vraiment sans pouvoir, sans ressources et sans papiers. Nous ne sommes pas menacés d’expulsion. Nous ne risquons pas d’être emprisonnés si nous revenons.

Sachant que d’autres vivent une situation bien pire, nous avons préféré le silence aux mots. Les années ont passé et, bien plus tard, Reva, le “programme d’application de la loi efficace et juridiquement sûr”, a été lancé. Des policiers ont commencé à fouiller les centres commerciaux et à se tenir devant les cliniques qui aidaient les sans-papiers, des familles avec des enfants nés en Suède ont été expulsées vers des pays que les enfants n’avaient jamais visités, des citoyens suédois ont été contraints de prouver leur appartenance avec leur passeport et une certaine ministre de la justice a expliqué qu’il ne s’agissait pas de profilage racial, mais d’“ expériences personnelles”. La routine du pouvoir. La pratique de la violence. Tout le monde ne faisait que son boulot. Les vigiles, les policiers, les douaniers, les politiciens, les gens.

Et là, vous m’interrompez et vous dites : « Mais c’est si difficile à comprendre ? Tout le monde doit obéir à la loi ». Et nous répondons : « Et si la loi est illégale ? »

Et vous dites : c’est une question de priorités et nous ne disposons pas de ressources infinies. Et nous répondons : « Comment se fait-il qu’il y ait toujours de l’argent quand il s’agit de persécuter les gueux, mais jamais d’argent quand il s’agit de les défendre ? »

Et vous dites : Mais comment combiner un large filet de sécurité sociale tout en accueillant tout le monde ? Et nous nous frottons les pieds sur le sol en nous raclant la gorge, parce qu’à vrai dire, nous n’avons pas de réponse parfaite à cette question. Mais nous savons qu’une personne ne peut jamais être illégale et qu’il faut faire quelque chose quand les uniformes répandent l’insécurité et que la loi se retourne contre sa propre population et vous voilà, Beatrice Ask, vous essayez de quitter notre corps, vous pensez, tout comme les lecteurs, que ça dure depuis trop longtemps, que ça n’est que de la répétition, que ça n’aboutit à rien, et vous avez raison, il n’y aura jamais de fin, il n’y a pas de solution, pas d’issue de secours, tout se répète, parce que les structures ne disparaîtront pas simplement parce que nous voterons la disparition de Reva, Reva est une extension logique de l’oppression constante de faible intensité, Reva vit dans notre incapacité à reformuler notre image nationale rigide et ce soir, dans la file d’attente d’un pub près de chez vous, les personnes non blanches s’écartent systématiquement pour ne pas être arrêtées par le portier et demain, dans la file d’attente pour un logement, ceux qui portent un nom étranger utilisent le nom de famille de leur partenaire pour ne pas être éliminés et tout à l’heure, dans une demande d’emploi, une Suédoise tout à fait ordinaire a écrit «NÉE ET ÉLEVÉE EN SUÈDE » en lettres capitales, juste parce qu’elle sait ce qui va se passer sinon. Tout le monde sait ce qui se va se passer sinon. Mais personne ne fait rien. Au lieu de cela, nous nous concentrons sur la localisation des personnes qui ont fui ici à la recherche de la sécurité que nous sommes si fiers d’offrir à (certains de) nos citoyens. Et j’écris « nous », parce que nous faisons partie de ce tout, de ce corps social, de ce « nous ».

Vous pouvez y aller maintenant.

En décembre 2008, la fermeture d’un centre islamique abritant une mosquée dans le ghetto de Rosengård à Malmö et l'intervention de la police pour déloger les jeunes occupant le local déclenchent les premières émeutes urbaines du siècle en Suède, rappelant celles de 2005 en France. Un policier ayant qualifié les jeunes émeutiers de “putains de singes” (apejävlar), des manifestants brandirent quelque temps plus tard cette banderole disant : “Merci pour la dernière fois [formule rituelle pour remercier quelqu’un d’une invitation], putains de porcs” [tout suédophone voyant la parole “grisajävlar” pense immédiatement à la rime enfantine née vers 1900, « Polis, polis, potatisgris” [Police, police, cochons a patates”] [NdT]

Nous n’avons pas besoin d’un Reva 2.0 

Valdemar Möller, Syre, 8/8/2023

Cela fait dix ans que le projet Reva n’a plus fait l’objet d’une attention particulière de la part des médias. Pourtant, ce projet - qui signifie Rättssäkert och effektivt verkställighetsarbete [“programme d’application de la loi efficace et juridiquement sûr”] et qui est le fruit d’une collaboration entre la police, l’Agence suédoise des migrations et le Service des prisons - a débuté dès 2009 et s’est poursuivi jusqu’en 2014. L’objectif de l’ensemble du projet était d’expulser davantage de personnes qui n’avaient pas l’autorisation de rester en Suède. Dans le même temps, la police a commencé à effectuer de plus en plus de contrôles d’identité en ville, et de nombreuses personnes ont estimé qu’elle utilisait le profilage racial pour sélectionner les personnes à contrôler.

À l’époque, en 2013, le climat social était différent. Bien que les Démocrates de Suède [SD] eussent fait leur entrée au Riksdag [parlement], l’opinion publique était fortement favorable à l’augmentation de l’accueil des réfugiés. L’année précédente, le Parti du centre avait produit un nouveau programme d’idées proposant que la Suède finisse par avoir une immigration libre, et l’année suivante, Fredrik Reinfeldt devait prononcer un discours très médiatisé dans lequel il appelait les Suédois à « ouvrir leurs cœurs ». La critique de REVA, si je me souviens bien, ne portait pas seulement sur le profilage racial par la police (ce qui était déjà assez grave), mais aussi sur la chasse aux sans-papiers. 

Aujourd’hui, comme nous le savons, nous avons un gouvernement qui s’appuie sur le soutien des SD et dont l’objectif global semble être de permettre au moins de personnes possible d’entrer en Suède. Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement propose aujourd’hui d’augmenter à nouveau le nombre de « contrôles aux frontières intérieures » et qu’il ait également donné à la police des pouvoirs accrus pour procéder à des fouilles corporelles. Il n’est pas non plus surprenant qu’Alice Teodorescu Måwe soit en faveur d’un « Reva 2.0 ».

Dans le même éditorial, elle affirme que le profilage racial n’a rien à voir avec le projet Reva lui-même. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il est vrai que Reva consistait essentiellement à ce que les différentes autorités revoient leur travail en matière d’administration, de documentation, etc. afin de devenir « plus efficaces ». La possibilité d’effectuer des contrôles à l’intérieur des frontières existait également depuis l’adhésion de la Suède à l’espace Schengen, mais n’avait pas été utilisée dans une large mesure. Toutefois, grâce au programme Reva, la police des frontières a réussi à libérer des ressources et à gagner du temps pour effectuer des contrôles d’identité. Ces contrôles ont également permis d’arrêter et d’expulser un plus grand nombre de sans-papiers.

Jusqu’à présent, le gouvernement ne souhaite intensifier que les contrôles aux « frontières intérieures », mais ce n’est probablement qu’une question de temps avant que la police ne soit à nouveau chargée d’effectuer davantage de contrôles d’identité en ville (dans le cadre de l’accord de Tidö , il y a également un nouveau recensement, qui pourrait également être un instrument permettant d’appréhender davantage de sans-papiers). Cette fois, le prétexte est la menace accrue pour la sécurité de la Suède. Il est vrai que les autodafés de corans ont fait voir rouge la Suède dans de nombreux pays musulmans, ce qui pourrait augmenter le risque de nouvelles attaques terroristes. Mais il ne faut pas oublier que très peu de personnes sont à la fois désireuses et capables de commettre ce type d’attentat. Cependant, il existe un risque important que de nombreuses personnes qui cherchent simplement à se mettre en sécurité en Suède en pâtissent. En partie sous la forme de fouilles corporelles humiliantes, mais aussi parce qu’un plus grand nombre de personnes pourraient être arrêtées et expulsées pour des motifs arbitraires.

Alice Teodorescu Måwe a toutefois raison lorsqu’elle affirme que les modifications apportées à la loi sur l’ordre public sont également un moyen de restreindre la liberté d’expression. Si les amendements sont faits avec l’ambition déclarée de rejeter des manifestations qui étaient auparavant considérées comme autorisées et sous la pression d’autres pays, cela ne peut être considéré que comme une restriction de la liberté d’expression.

Il est bon que Mme Teodorescu Måwe défende la liberté d’expression, on ne peut que souhaiter qu’elle se préoccupe autant de la protection des droits des migrants.

NdT
1. Beatrice Ask (Sveg, 1956), est membre du Parti du rassemblement modéré (Moderata samlingspartiet), parti traditionnel de la droite suédoise, membre du Parti populaire européen, communément appelé Les Modérés (Moderaterna). Elle a été ministre des Écoles dans le gouvernement de Carl Bildt de 1991 à 1994, puis ministre de la Justice dans le gouvernement Reinfeldt entre 2006 et 2014.
 2. P1 Morgon : Émission matinale du premier des 4 canaux de la radio suédoise
3. Original suédois : gredelin (lavande), du français gridelin (gris-de-lin)
 4.  Arlanda : Principal aéroport de Stockholm
5. Mega Skivakademin, puis Megastore : Principal magasin de musique du centre-ville de Stockholm, aujourd’hui disparu
6. Accord de Tidö : accord de constitution d’un bloc gouvernemental entre les modérés, les libéraux, les chrétiens-démocrates et les démocrates de Suède, conclu en octobre 2022.

24/11/2024

ARMANDO PALAU ALDANA
La Cour constitutionnelle de Colombie et la voie du racisme structurel
Dissertations crépusculaires

Armando Palau Aldana, CIRPA, Cali, 24/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La défense du Parc naturel de l’île Gorgona a été entreprise au début des années 1980 par des biologistes marins (dans le cadre du programme de biologie de l’université de Valle, qui en était à sa première décennie), des plongeurs comme Gonzalo Concha et des défenseurs des droits de l’homme comme Cecilia Castillo de Robledo, entre autres, et a abouti en décembre 1983 lorsque l’Institut national des ressources naturelles renouvelables (Inderena) de l’époque l’a déclaré parc national et a entamé le processus de fermeture de la prison dégradante, qui a été fermée en 1984.


La lutte contre l’autorisation de construire des ouvrages militaires (radar, quai et hangars) dans la station de garde-côtes autorisée (31 décembre 2015), a été un objectif indéfectible de la bicentenaire et prestigieuse Académie des sciences exactes, physiques et naturelles, visible dans la lettre de sa Commission permanente des zones protégées au directeur de l’autorité d’autorisation de l’époque (mai 2017), puis le Comité technique scientifique du parc naturel national de Gorgona se joindrait à sa lettre de protestation au président Santos ces jours-là.

Nous sommes arrivés à cette cause judiciaire il y a seulement deux ans (novembre 2022), lorsque nous avons demandé une audience publique à l’Autorité nationale des licences (Anla), ce qui a été délibérément et systématiquement refusé par le directeur subordonné (Rodrigo Negrete M), qui était le directeur juridique de María Susana Muhamad G. à l’époque où elle était secrétaire à l’environnement de la mairie de Bogota lorsque Petro en était maire, ce qui confirme le refus de la participation des citoyens par la porte-parole ministérielle de l’environnement du gouvernement qui proclame la paix avec la nature.

Le 9 avril, alors que l’on se souvenait de l’assassinat du leader libéral Jorge Eliécer Gaitán (1948) à l’origine du soulèvement dit Bogotazo, deux courageux magistrats de la Cour supérieure de Bogota ont décrété la protection constitutionnelle de la consultation préalable de la communauté noire Guapi Abajo et la suspension de la licence pour les travaux militaires susmentionnés, expliquant que le territoire ethnique provient d’une construction culturelle, indépendamment du fait que les communautés soient géographiquement situées dans ces zones, lésées sans analyse technique, anthropologique et culturelle des communautés.

Les juges de la Cour de Bogota ont précisé que dans ces cas de doute sur d’éventuels dommages environnementaux, tels que la migration de la faune marine ou le déversement de substances toxiques dans le milieu aquatique, la possibilité de suspendre l’application d’actes administratifs qui représentent un danger pour les ressources naturelles est légitime, en interprétant comme il se doit la Convention 169 de l’OIT de 1989 et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965).

Cependant, la septième chambre de révision de la Cour constitutionnelle, sur le rapport de la juge Andrea Meneses (promue à cet honorable corps judiciaire par l’ancien président Iván Duque), a révoqué la protection de la consultation préalable du Conseil des communautés noires, arguant qu’aucune preuve n’avait été fournie pour établir que le projet de construction du poste de garde-côtes était incompatible et affectait les activités de pêche menées par la communauté à l’extérieur du parc de Gorgona, où elles sont interdites.

L’arrêt T-470 a ensuite établi que la protection du droit à la consultation préalable ne pouvait être accordée que si « l’affectation directe » de la communauté concernée était attestée par « l’impact positif ou négatif » de la licence de construction des ouvrages militaires du poste de garde-côtes sur les conditions sociales, économiques, environnementales ou culturelles qui constituent la base de la cohésion sociale de la communauté ethnique, distincte du conseil sous Bajo Tapaje et la mer, qui a souscrit à l’accord d’utilisation avec l’administration des parcs nationaux.

La septième chambre de révision a estimé qu’il n’était pas possible de déduire raisonnablement l’existence d’une affectation directe de la communauté Guapi Abajo, sans tenir compte du fait qu’en plus de la pêche, les bateliers Guapi Abajo transportent des touristes et des plongeurs au parc de l’île Gorgona, et qu’ils sont également des voyagistes qui proposent des hôtels et de la gastronomie dans la municipalité de Caucan, dont les habitants ont une interconnexion dans les usages des territoires d’ afro-descendant avec les unités de chagras [éclaircies dégagées dans la forêt et destinées à la polyculture, NdT] de logement-fleuve par le biais de stratégies polyphoniques (ICANH).

Après la reconnaissance par la Cour, dans la sentence C-169 de 2001, de ces organisations ethniques comme bénéficiaires des droits de la Convention sur la consultation préalable, car elles constituent un groupe social qui partage une identité culturelle distincte de la société dominante, le T-470 fait un pas en arrière, ignorant les accords avec les parcs nationaux du Mouvement social des communautés afro-colombiennes et les conseils communautaires du Pacifique colombien (2002) et avec les organisations et autorités ethniques et territoriales des peuples noirs du Pacifique (2020), afin de décider de leurs propres priorités.

La décision T-470 de 2024 a ignoré les quatre éléments de preuve fournis par le Conseil Guapi Abajo et n’a pas évalué les éléments de preuve, ce qui a entraîné un vice de fait. Documents probants délivrés par l’Académie des sciences exactes, physiques et naturelles sur les études d’impact environnemental précaires de la marine ; Comité scientifique de Gorgona sur la faune marine ; Institut colombien d’anthropologie et d’histoire nationale (ICAHN) sur les peuples afro-descendants ; et Ingénieur électricien Luis Carlos Orejarena Morales sur la contamination par le radar prévu.

La septième chambre de la Cour a contribué à la consolidation du racisme structurel, car son arrêt T-470 contient une limitation du droit à la consultation préalable, ce qui dénote un traitement qui vise - consciemment ou inconsciemment - à annuler les droits des communautés noires, entraînant la violation de leurs garanties fondamentales en imposant une restriction qui annule et compromet la reconnaissance d’un traitement spécial pour la protection de leurs libertés dans les domaines politique, économique et culturel.

La décision T-470 a balayé la jurisprudence constitutionnelle relative au renversement de la charge de la preuve sur le titulaire du permis environnemental et non sur les communautés, une garantie de la preuve dans les scénarios de discrimination. Il a ignoré la doctrine de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Elle a transgressé la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle constitue un acte d’exclusion sociale en révoquant la consultation préalable établie dans la Convention 169 de 1989 avec statut de bloc constitutionnel.

La Convention 169 sur la consultation préalable ordonne aux gouvernements de veiller à ce que des études soient réalisées, en coopération avec les peuples concernés, afin d’évaluer l’impact social, spirituel, culturel et environnemental que les activités de développement prévues peuvent avoir sur ces peuples, sachant que, contrairement à la théorie des dommages certains et vérifiables, la précaution opère sur le risque de développement et impose le principe de précaution transversal au droit de l’environnement, sans exiger de certitude quant aux dommages possibles.

Après avoir été reconnu comme un pays pluriculturel et pluriethnique par l’Assemblée constituante de 1991, il est inacceptable qu’une mentalité politique et juridique rétrograde nous conduise, par le biais d’une phrase constitutionnelle, sur la voie ignominieuse du racisme en tant que discrimination structurelle de l’État, accentuant les différences sociales et économiques, provoquant la consternation des hommes et des femmes descendants de la culture bantoue, forgerons de notre histoire colombienne avec un héritage ancestral de protection de la Pachamama (la Terre mère).

Au cas où ces idées pourraient provoquer une action disciplinaire contre le soussigné, je le réaffirme et l’exprime dans l’exercice constitutionnel de ma liberté d’expression et de conscience, qui me fait fredonner le tango Cambalache [Bric-à-brac] (Santos Discépolo 1934) :

Aujourd’hui, ça revient au même
d’être loyal ou traître,
ignorant, savant ou voleur,
généreux ou fripouille !
Tout est pareil !
Rien ne l’emporte !
C’est la même chose, un âne
ou un grand professeur !
Il n’y a plus de recalés
ni de promotion,
Les gens immoraux
sont à notre niveau
.


25/11/2022

ANNAMARIA RIVERA
Les Italiens veulent-ils du racisme ?

Annamaria Rivera, Commune-Info, 24/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le nouveau gouvernement fascisant italien, le plus à droite de l'histoire de la République, a promis, entre autres, le retour aux décrets-sécurité, dans le but de lutter contre « l’immigration irrégulière ». Comme il était tout à fait prévisible, Giorgia Meloni a ensuite réaffirmé fermement la ligne dure du nouveau gouvernement : « En matière de sécurité et de lutte contre l'immigration illégale, les Italiens se sont exprimés aux urnes, en choisissant notre programme et notre vision ».

Détail d'une photo de Francesca Maceroni tirée de la page Facebook d'Amnesty International relative aux manifestations contre le renouvellement du Mémorandum Italie-Libye

À bien des égards, le gouvernement Meloni a trouvé la voie déjà tracée pour une stratégie qui soit conforme à son propre style, bien qu'elle ne soit pas du tout l'œuvre exclusive de la droite. Pour ne citer que quelques exemples, le nouveau régime frontalier qui s'est imposé en Europe a déjà produit non seulement une hécatombe véritable, perpétuelle, mais aussi la prolifération et même l’externalisation des centres de détention pour migrants, dans lesquels, dans de nombreux cas, sont enfermés même des demandeurs d'asile et des mineurs.

Les conditions de ces camps – souvent équipés de cages et de barbelés, et contrôlés par les forces de l'ordre et des militaires armés - ont été condamnées par la Cour de Strasbourg elle-même. Dans certains pays, comme l’Italie, ce sont des institutions totalement abusives, car elles violent la Constitution et l'État de droit. Cependant, elles sont aussi l'œuvre de la gauche « modérée » : la loi qui les a instituées, la loi n ° 40 du 6 mars 1998, est également appelée Turco-Napolitano par les noms de la ministre de la Solidarité sociale de l'époque, Livia Turco, et du ministre de l'Intérieur de l'époque, Giorgio Napolitano.

Un tel système pour le moins répressif s'est également renforcé grâce aux accords bilatéraux avec des pays de l'autre côté de la Méditerranée, auxquels une grande partie du « travail sale » est déléguée. Comme on le sait, l’Italie a perpétué les accords de coopération même avec un pays comme la Libye, qui, de surcroît - nous l'avons rappelé à plusieurs reprises – n'a pas de lois sur l'asile, pratique de très graves violations des droits humains, et n'a même pas signé la Convention de Genève de 1951.

La Libye, étape incontournable surtout pour les migrants et les réfugiés subsahariens, est un véritable enfer. Comme et pire qu'à l'époque de Kadhafi, les pratiques encore courantes sont les arrestations arbitraires, le travail forcé, l'exploitation esclavagiste, les déportations, les rackets, les tortures, voire les viols : des horreurs dont l'apothéose est constituée par l'enfer de la prison de Koufra. La seule différence, c'est qu’aujourd' hui, ce sont les milices armées qui « dirigent » les centres de détention et qui commettent les atrocités auxquelles j'ai fait allusion.

D’autre part, dans la plupart des pays européens, l’usage politique et idéologique du cliché de l’« invasion » se répand de plus en plus, de même que des rhétoriques telles que celles des migrants comme source d’insécurité et d’appauvrissement des « nationaux » ainsi que de la « clandestinité » comme synonyme de criminalité : largement utilisées même par des institutions, même par certains partis de gauche, même « modérée », ainsi que – cela va sans dire– par des formations populistes, de droite et d'extrême droite, qui connaissent aujourd'hui en Europe une ascension impressionnante, bien illustrée par la victoire de Meloni.

En particulier, le bobard de l’« invasion » et de la « marée montante » est une fausse évidence typique : comme on le sait, la part prépondérante des flux migratoires part des pays du Sud du monde pour se diriger vers d'autres pays du Sud.

Du côté des institutions, dans une partie des pays de l'Union européenne prévaut une approche de type “urgentiste” : conséquence, entre autres, du fait que, en réalité, migrations et exodes n'ont pas été intégrés - je dirais « élaborés » – pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire comme tendances structurelles de notre temps.

Cela explique aussi pourquoi le racisme tend à devenir « idéologie répandue, sens commun, forme de la politique », pour citer Alberto Burgio (Critique de la raison raciste, DeriveApprodi, 2010). Et il ne s'agit pas du retour à la surface de l'archaïque, mais d'une des phases de la réémergence récurrente du côté obscur de la modernité européenne.

08/11/2022

TAMAR KAPLANSKY
Le racisme fait partie de l'ADN de cet endroit (Israël)

Tamar Kaplansky, Haaretz, 7/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Tamar Kaplansly (Paris, 1973) est une journaliste, traductrice et musicienne franco-israélienne.

Les lamentations et les accusations ont commencé dès que les résultats des premiers sondages de sortie des urnes ont été communiqués. Merav Michaeli est à blâmer, tous ceux qui ont voté par idéologie plutôt que “stratégiquement” sont à blâmer, et bien sûr - ces ingrats, les Arabes, sont à blâmer. Grâce à eux, Benjamin Netanyahou, un homme qui a fait et continuera à faire tout son possible pour faire annuler son procès criminel, revient au pouvoir, avec le kahaniste Itamar Ben-Gvir et le raciste messianique Bezalel Smotrich à ses côtés.

Ben-Gvir guide le retour des kahanistes à la Knesset. Meir Kahane (1932-1990) fonda la Ligue de Défense Juive, un groupe terroriste, et le parti Kach, par la suite interdit en Israël pour racisme. Dessin d’Amos Bidermann, Haaretz

Ne vous y trompez pas : les 14 sièges de la Knesset revendiqués par les kahanistes messianiques sont une nouvelle épouvantable, même si elle était prévisible. La surprise feinte et la recherche de boucs émissaires du côté des perdants sont moins compréhensibles.

Nous ne devrions pas être surpris par la montée d'une droite ultra-extrémiste comme le "“Nouveau Sionisme”. Non seulement parce qu'un vide idéologique - que vous l'appeliez “Tout-sauf-Bibi” ou un “parti centriste” - n'est pas une alternative à une idéologie solide, qui est exactement ce que la droite ultra-extrémiste a à offrir ; non seulement parce que le camp qui s'appelle lui-même “centre-gauche” en Israël est dans l'ensemble un groupe bourgeois privilégié qui ignore les parties les plus faibles de la société ; et non seulement parce qu'un voyou violent comme Itamar Ben-Gvir, qui n'aurait jamais dû recevoir une arme, est devenu la coqueluche des studios médiatiques.

Ce qui s'est passé dans ces élections, et essentiellement dans les autres élections de ces dernières décennies où Israël s'est déplacé vers la droite, c'est que le racisme intégré au sionisme est revenu mordre le cul de ses adhérents. Vous ne pouvez tout simplement pas avoir le beurre et l'argent du beurre.

On ne peut pas se dire “de gauche” tout en accordant ou en refusant des droits sur la base de l'appartenance ethnique ; on ne peut pas déplorer les vues rétrogrades des droitiers sur les questions relatives aux LGBT et aux femmes tout en justifiant l'inégalité intrinsèque à l'égard des Palestiniens, tant dans les territoires occupés depuis 1967 qu'à l'intérieur des frontières |façon de parler, NdT] de l'État ; on ne peut pas parler de paix tout en soutenant continuellement la puissante et sainte armée, sans aucun doute, chaque fois qu'il y a une autre opération inutile ou un blanchiment officiel d'un incident de tir ; vous ne pouvez pas parler de paix et ignorer Al-Araqib, et Dahamsh, et les 36 villages non reconnus (ou, d'ailleurs, les quartiers mizrahis ouvriers de Ha'argazim et Hatikva à Tel Aviv qui font face à l'expulsion, et le deal méprisable par lequel lequel Ron Huldai [maire travailliste de Tel Aviv depuis 1998, NdT] et Yitzhak Tshuva [Président d'El-Ad Group, propriétaire du Plaza Hôtel à New York et du conglomérat Delek Group, NdT] ont rasé ce qui était jusqu'à récemment le quartier pauvre de Givat Amal).

Vous ne pouvez pas, car les droits humains avec astérisque, ça n'existe pas. Ou vous pouvez le croire, mais alors vous ne pouvez pas appeler ça “gauche”. Lorsque le camp qui s'appelait lui-même “gauche” a commencé à comprendre cela, beaucoup se sont mis à l'appeler “centre”, pour découvrir que le problème ne vient pas seulement de la marque. C’est juste que ça ne marche pas. Point barre.

Le racisme qui est si allègrement attribué à la droite fait partie de l'ADN de cet endroit. Celui qui a délibérément relevé le seuil électoral pour empêcher un cinquième des citoyens d'être représentés n'était pas Ben-Gvir : c'était le ministre des finances Avigdor Lieberman. Celui qui a qualifié les Palestiniens de “shrapnel dans les fesses” n'était pas Smotrich : c'était le Premier ministre suppléant Naftali Bennett. Celui qui s'est vanté de renvoyer Gaza à l'âge de pierre n'était pas le rappeur israélien d'extrême droite The Shadow, mais le ministre de la défense Benny Gantz ; celui qui a justifié la dernière guerre choisie en disant que les Israéliens étaient assiégés (bonjour l'ironie) n'était pas Orit Struck [députée de Sionisme Religeux, colon, mère de 11 enfants, NdT], mais la ministre [travailliste] des transports Merav Michaeli. Et celui qui, il y a près de dix ans, a inventé le terme ultra-raciste "“les Zoabi” n'était pas Yair Netanyahou ou son père, mais ce bon sioniste qui est “'un des nôtres” : Yair Lapid.

Vous rappelez-vous combien ils étaient furieux au Meretz contre la rebelle Ghaida Rinawie Zoabi, qui a osé voter contre la prolongation des règlements d'urgence qui permettent effectivement une politique d'apartheid - des systèmes juridiques distincts pour les différentes populations ethniques - en Judée et en Samarie, plutôt que d'avoir honte d'avoir voté en faveur ? C'est là que réside l'histoire.

Depuis la fondation de l'État, et certainement depuis 1967, le sionisme a été secoué par sa  contradiction interne. Le camp qui s'est effondré lors de cette élection a continué à claironner l'idée qu'il existe truc comme "“juif et démocratique”. Mais si un régime distribue des droits - des permis de construire à la citoyenneté (bonjour la loi du retour) sur la base d'un critère arbitraire de race, vous avez ici un racisme qui est intégré dans la loi et coulé dans les fondations. Appelez-le centre ou ce que vous voulez, mais le qualifier de démocratique est tout simplement un mensonge.

Beaucoup en Israël croient encore à ce mensonge. Ils parlent d'égalité, de paix et de démocratie, mais la vérité est que, dans les faits, ils pensent que les Juifs méritent plus. C'est pourquoi ils votent encore et encore pour des candidats qui excluent les représentants arabes en tant que partenaires à part entière - cela leur convient parfaitement. Et cela ne les dérange pas le moins du monde Et ils ne sont pas le moins du monde perturbés lorsque le tribunal bloque la possibilité d'une égalité civique totale, même si elle est évoquée. Une fois toutes les quelques années environ, quelque chose comme la loi sur l'État-nation est pondue, et alors ils font un peu claquer leur langue, mais autrement ils sont tout à fait à l'aise pour vivre dans un pays où la suprématie juive est la loi. Ce n'est que maintenant que les kahanistes sont soudainement devenus le troisième parti en importance à la Knesset qu'ils sont horrifiés et en état de choc.

Il n'y a aucune raison d'être choqué. Cela n'est pas arrivé tout d'un coup. Le peuple a parlé : quant à choisir entre une droite qui refuse de faire partie d'un gouvernement avec “les Zoabi” et une suprématie juive débridée, le peuple préfère l’original. Pas les masques.

S’en prendre aux Arabes insolents qui n'ont pas fait leur part pour sauver le pays qui les considère comme une menace démographique est tout simplement embarrassant. Si vous voulez présenter une alternative au kahanisme messianique, la première chose à faire est d'enlever le masque et de se regarder dans le miroir : c'est le sionisme, idiot. Tant que nous continuerons à justifier le racisme légal, quelle que soit l'excuse, nous soutenons la suprématie juive tout autant que Ben-Gvir. La tentative de nier cela est ce qui nous a conduit là où nous sommes aujourd'hui. Le temps est venu d'en assumer la responsabilité.

05/11/2022

ANNAMARIA RIVERA
Italie : le racisme d’en haut ne date pas d’hier
La “gauche” a bien préparé le terrain à la camerata* Melino, pardon, Meloni

 Annamaria Rivera, Comune-Info, 1/11/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dès sa prise de fonction, la nouvelle Première ministre italienne a ouvertement montré à quel point l'inspiration et les actions du gouvernement le plus à droite de l'histoire de la République italienne seront fascistoïdes.

C’est une tautologie de relever que l'une des cibles du nouveau gouvernement seront les personnes immigré·es et réfugié·es, même les plus “respectables” : il suffit de dire que lors des réponses à la Chambre des députés pour le vote de confiance à son gouvernement, Giorgia Meloni a tutoyé le seul député “de couleur” (comme elle dirait), à savoir Aboubakar Soumahoro, de la Gauche italienne et des Verts, en plus de s’être trompée sur son nom [« Souhomoro…Soumahoro, excuse-moi… »].

La gauche, en particulier la gauche “modérée”, porte une responsabilité considérable dans l'impensable victoire de l'extrême droite, pour de nombreuses raisons et non des moindres, celle d'avoir négligé, minimisé, banalisé l'importance décisive de la lutte contre le racisme et pour l'intégration et les droits des personnes immigrées et réfugiées. Et cela même de la part de certain·es chercheurs·se et intellectuel·les de gauche, qui critiquent souvent les politiques d'immigration et d'asile les plus infâmes, mais au nom de la raison utilitaire et selon une vision instrumentale : l'accueil des personnes immigrées et réfugiées servirait à contrecarrer le déclin démographique, et donc le déclin de l'Italie, et à sauver des secteurs fondamentaux de notre économie qui dépendent du travail, souvent servile, de la main-d'œuvre immigrée.


Ces arguments - qui, à première vue, semblent réalistes et convaincants face à ceux qui craignent l’“invasion” - risquent en réalité, même si c’est involontaire, de confirmer le statu quo de l'exploitation extrême et d'évoquer le stéréotype des femmes immigrées et réfugiées comme “incubatrices de la patrie” des autres. C'est également la raison pour laquelle l'émergence d'un mouvement indépendant et autoorganisé de militant·es immigr·ées et réfugié·es doit être encouragée par tous les moyens possibles.

Déjà dans mon essai de 2009 (Regole e roghi. Metamorfosi del razzismo, Dedalo, p. 216 p), j’avais, avec une certaine ironie, défini racisme démocratique ou respectable ce racisme sournois et hypocrite qui surgit des entrailles de la zone autrefois connue comme étant de gauche. Et ce également pour le distinguer du racisme institutionnel et du racisme “spontané”, déclaré et décomplexé.

Il est absolument évident que, surtout avec le gouvernement Conte I, dit “facho-étoilé”, la dialectique perverse entre le racisme institutionnel et le racisme “populaire”, sur laquelle j'écris depuis de nombreuses années, a atteint son apogée. Et ce, non seulement en raison d'une production législative elle-même ouvertement sécuritaire et discriminatoire, qui ne fait que titiller, légitimer et alimenter le sens commun d’intolérance et les sentiments diffus d'hostilité généralisés envers les autres. Mais aussi grâce à l'utilisation d'une stratégie de propagande bien pensée et bien payée, qui est désormais devenue, comme dans les régimes totalitaires, un instrument de gouvernement et, en même temps, de manipulation des masses : les deux dimensions deviennent de plus en plus interchangeables, voire coïncident, allant de pair avec la violation constante du principe démocratique de la séparation des pouvoirs.


 C'est aussi en raison de cette dialectique que les actes de racisme “spontané”, si l'on peut dire, se multiplient selon le mécanisme bien connu par lequel la frustration, le ressentiment et la rancœur (qui sont souvent un effet des conditions sociales vécues) sont dirigés vers le bouc émissaire du moment, généralement le plus méprisé, le plus vulnérable et le plus altérisé. Cela a favorisé le développement du racisme, même dans les régions traditionnellement “rouges”.

Néanmoins, la pente suivie, dangereuse pour la survie de la démocratie elle-même, est aussi le résultat - qui aujourd'hui sera sûrement poussé à l'extrême par le gouvernement Meloni - du travail des gouvernements passés, pas seulement du plus récent et pas seulement de centre-droit. Je rappelle que c'est sous le premier gouvernement Prodi qu'a eu lieu, le 28 mars 1997, le massacre d'une centaine de réfugiés albanais de Katër i Radës, pour la plupart des femmes et des enfants, tou·tes fuyant la guerre civile. Comme on le sait, le petit patrouilleur, débordant de réfugié·es, a été éperonné dans le canal d'Otrante par la corvette Sibilla de la Marine, qui, sur ordre d’en haut, devait les empêcher de débarquer. Le gouvernement, en effet, avec le rôle décisif de Giorgio Napolitano, avait décrété, en accord avec l'Albanie, un blocus naval consistant en une barrière de navires de guerre, sévèrement critiqué par le HCR comme illégal.


C'est sous le même gouvernement Prodi qu'a été approuvée la loi dite Turco-Napolitano, n° 40 du 6 mars 1998, qui, entre autres, a institué pour la première fois, avec les Centres de séjour temporaire et d'assistance, la détention administrative [dite “rétention”] en tant qu’instrument ordinaire, non validé par l'autorité judiciaire. Ce type de détention est réservé aux immigrées “irrégulières” soumises à des mesures d'expulsion ou de rapatriement forcé. Dès leur inauguration, les CPTA (généralement appelés CPT et aujourd'hui CIE) ont causé jusqu'à huit décès, ce qui en dit long sur l’assistance dont bénéficiaient les personnes “retenues”.

En effet, la tendance prévaut, dans la conscience collective comme chez de nombreux locuteurs médiatiques (même ceux qui se considèrent comme antiracistes), à évacuer les antécédents, le développement, le caractère cyclique et, en tout cas, la longue durée du néo-racisme à l'italienne.


Ce n'est certainement pas la première fois que le racisme verbal le plus grossièrement biologisant s'exprime dans notre pays. Pour ne pas remonter trop loin dans le temps, on peut citer l'année 2013, qui a vu un retour déconcertant de la “race”, évoquée par des topoï semblables à ceux que l'on pouvait trouver dans les publications populaires au service de la propagande fasciste : en premier lieu, le motif récurrent assimilant les “nègres” à des singes, avec le corollaire typique des bananes.

Au cours de cette année, les moqueries et les insultes se sont intensifiées, visant les footballeurs d'origine subsaharienne ou étrangère, ou “seulement” méridionaux, mais surtout la ministre de l'Intégration de l'époque, Cécile Kyenge, objet d'attaques racistes incessantes. L'une des plus graves, également en raison de la position institutionnelle occupée par l'orateur, a été celle prononcée par Roberto Calderoli qui, en tant que vice-président du Sénat, a osé comparer la ministre à un orang-outan.


Vingt ans après la loi Turco-Napolitano, c'est de même un gouvernement dit de centre-gauche qui a voté les deux lois d'avril 2017, toutes deux unies par une idéologie sécuritaire et répressive : la loi 46, dite Minniti-Orlando (« Dispositions urgentes pour l'accélération des procédures en matière de protection internationale, ainsi que pour la lutte contre l'immigration illégale ») et la loi 48, dite Minniti (« Dispositions urgentes sur la sécurité dans les villes »). Ce sont ces deux mesures législatives qui ont constitué le modèle de la loi n° 132, du 1er décembre 2018, qui, fermement souhaitée par Salvini, chevauche, et ce n'est pas un hasard, les questions de sécurité et d'immigration, exaspérant le caractère répressif-raciste-sécuritaire, au point d'être clairement inconstitutionnelle, de l'avis de pas mal de juristes.

Et c'est sous le même gouvernement Gentiloni que, principalement sur ordre du ministre de l'Intérieur, des accords ont été conclus avec des bandes criminelles libyennes et que “Désert rouge” a été inauguré, une opération militaire au Niger visant à bloquer l'afflux de réfugiés du sud vers les côtes libyennes. Au cours de cette même législature, le processus de délégitimation des ONG s'est intensifié, également de la part du gouvernement : le Code de conduite adopté par Minniti, avec ses contre-mesures et ses sanctions, les a en effet empêchées d'effectuer des opérations de recherche et de sauvetage, transférées formellement aux tristement célèbres garde-côtes libyens.

Quant aux agressions racistes, allant jusqu'au meurtre et au massacre, contre des personnes immigré·es, réfugié·es et/ou altérisé·es, elles ponctuent inexorablement au moins les quarante dernières années de l'histoire italienne. C'est dans la nuit du 21 au 22 mai 1979 à Rome qu'Ahmed Ali Giama, un citoyen somalien de 35 ans - ancien étudiant en droit à l'université de Kiev, puis réfugié politique ayant fui la féroce dictature de Mohammed Siad Barre - a été brûlé vif par quatre jeunes Italiens alors qu'il dormait sous le portique de Via della Pace, près de Piazza Navona. Malgré les témoignages détaillés de sept personnes, qui sont sorties d'un restaurant voisin, les quatre accusés furent acquittés par la Cour de cassation.


Pour citer un autre cas glaçant, le 9 juillet 1985, à Udine, Giacomo Valent, seize ans, a été tué de soixante-trois coups de couteau par deux de ses amis de lycée, âgés de quatorze et seize ans, qui étaient ouvertement néonazis. Fils d'un fonctionnaire d'ambassade et d'une princesse somalienne, Giacomo était constamment traité de “sale nègre” en raison de ses cheveux frisés et de sa couleur de peau ambrée, mais aussi de ses opinions de gauche. Cette affaire et d'autres montrent que la discrimination et le racisme (pouvant aller jusqu'au meurtre) n'épargnent même pas les personnes parfaitement intégrées.

Le meurtre de Jerry Masslo, un réfugié politique sud-africain contraint de travailler dans des conditions proches de l'esclavage pour récolter des tomates dans la campagne de Villa Literno afin de survivre, est plus connu. Ce meurtre, perpétré le 20 septembre 1989 par une bande de jeunes braqueurs, racistes de surcroît, a été suivi de la première grève des migrants contre le caporalato [système des caporali, recruteurs mafieux de main d’œuvre faisant office de contremaîtres et garde-chiourme, NdT] et d'une manifestation nationale qui a rassemblé au moins deux cent mille personnes, inaugurant le mouvement antiraciste italien.

Aujourd'hui encore, on continue à parler paresseusement de “guerre entre les pauvres”, alors que la dialectique perverse entre racisme institutionnel et racisme “populaire”, souvent impulsé par des formations néo-fascistes et/ou la Ligue du Nord, semble avoir atteint son paroxysme. 

Sans parler de la tendance à ramener un phénomène complexe comme le racisme à la "haine" ou à la "peur" et de la réitération de slogans impolitiques et moralisateurs comme l'obsessionnel "Restons humains" : aussi anthropocentrique qu'impolitique, comme je l'ai écrit à plusieurs reprises.

Il faut espérer que la gauche comprendra le caractère absolument central de la lutte contre le racisme et pour les droits des personnes migrantes et réfugiées, en pratiquant un antiracisme solidaire et radical, et en s'opposant ainsi de manière décisive au gouvernement le plus à droite de l'histoire de la République.

NdT

*Camerata : terme correspondant à l’allemand Kamerad, équivalent fasciste et nazi du terme français Camarade (ital. Compagno, all. Genosse), utilisé, lui, uniquement dans les milieux de gauche, à l’exception du PPF, le parti fasciste fondé par l’ancien communiste Jacques Doriot en 1936.

Images : affiches de la campagne contre les clichés racistes de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) lancée en 2003 en Suisse, qui se voulait « délibérément choquante et déstabilisante » et « entendait faire réagir le public ». Elle suscita des controverses, ce qui était le but recherché.

 

05/10/2022

MINNIE BRUCE PRATT
Les prisonniers d'Alabama mènent une grève massive

Minnie Bruce Pratt, Workers World, 4/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

2 octobre - Au cri de « Nous ne contribuerons plus à notre propre oppression », des milliers de travailleurs incarcérés dans le système carcéral de l'Alabama ont entamé une grève massive le 26 septembre pour protester contre les conditions brutales, les condamnations racistes et l'exploitation de leur travail.


Rassemblement de soutien à la grève des prisons de l'Alabama, Montgomery, 26 septembre 2022


Environ 25 000 personnes se trouvent dans les 14 principales prisons de l'État. Elles effectuent toutes les tâches nécessaires au maintien de la vie dans les établissements - cuisine, nettoyage, fabrication des uniformes, réparations et travaux d'équipement.

L'organisation de la grève a commencé en juin par le biais du Free Alabama Movement (FAM), à l’intérfieur des murs et avec le soutien du groupe de défense Both Sides of the Wall [Les deux côtés du mur]. Ces groupes ont estimé qu'environ 80 % des personnes présentes dans les prisons de l'Alabama sont en grève. (New York Times, 28 septembre)

Le premier jour de la grève, Both Sides of the Wall a organisé un rassemblement d'anciens détenus, de membres de leur famille et de sympathisants devant le département des services correctionnels de la capitale de l'État, Montgomery. Les orateurs ont demandé l'amélioration des soins médicaux et des conditions de détention, ainsi que la réforme des lois sur les peines et la libération conditionnelle.

Dans un communiqué de presse publié le 28 septembre, le département correctionnel de l'Alabama a pris la décision inhabituelle de confirmer qu'il y avait un “arrêt de travail” dans la plupart des prisons. La déclaration de l'ADOC rompt avec le déni habituel de l'action politique des détenus et renforce la probabilité que la participation soit généralisée.

Petit-déjeuner du premier jour de la grève  au centre correctionnel de Bibb. C'est [leur] tactique de rupture. Restez forts et persévérez. C'est la version moderne de "Pharaon... Laisse partir mon peuple". (Photo : @FREEALAMOVE)

Pour tenter de briser la grève, les autorités pénitentiaires ont réduit la nourriture à des repas froids, deux fois par jour, et ont fait venir de l'extérieur des prisonniers en permission de sortie pour travail, les forçant à préparer la nourriture. L'État a également mis en place des escouades anti-émeutes, selon les messages du FAM :

« Jour 5 : Alors que la grève historique des prisons de l'Alabama touche à la fin dans sa première semaine, il semble assez clair que l'ADOC veut la violence. Au cours des 72 dernières heures, l'ADOC a commencé à appeler des équipes anti-émeute dans les prisons en uniforme CERT [équipe d'intervention d'urgence correctionnelle], même si les grèves du travail ont représenté les périodes les plus pacifiques d'incarcération dans les prisons agitées de l'Alabama. »

Revendications des travailleurs incarcérés

En 2020, le ministère de la Justice a intenté un procès à l'État d’Alabama, alléguant que les conditions dans les prisons pour hommes violent la Constitution en raison de l'incapacité à protéger les hommes contre la violence entre prisonniers, les abus sexuels et l'usage excessif de la force par le personnel, et de l'incapacité à maintenir des conditions sûres. Le rapport a révélé que les principales prisons de l'Alabama étaient utilisées à 182 % de leur capacité.