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11/08/2025

PHOEBE GREENWOOD
Mes années passées à couvrir Gaza m’ont brisée. Pourquoi le monde a-t-il mis autant de temps à s’indigner ?

Entre 2010 et 2013, j’étais sur le terrain pour couvrir les attaques israéliennes contre la Palestine. Peu de gens voulaient voir ça.

Phoebe Greenwood, The Guardian, 10/8/2025
Traduit par Tlaxcala

Phoebe Greenwood est une écrivaine et journaliste vivant à Londres. Entre 2010 et 2013, elle a été correspondante indépendante à Jérusalem, couvrant le Moyen-Orient pour le Guardian, le Daily Telegraph et le Sunday Times. De 2013 à 2021, elle a été rédactrice et correspondante au Guardian, spécialisée dans les affaires étrangères.

 

Illustration : Aldo Jarillo/The Guardian

Lorsque je me suis installée à Jérusalem en 2010, les correspondants étrangers m’ont donné un conseil déconcertant : « La première année, tu détestes le gouvernement israélien, la deuxième, les dirigeants palestiniens, et la troisième, tu te détestes toi-même. » Il vaut mieux partir avant quatre ans, m’a-t-on dit, pour préserver ma santé mentale. J’ai acquiescé en pensant à quel point ils étaient cyniques. Je ferais mieux qu’eux, me suis-je dit. Je n’ai pas fait mieux.

Je suis restée un peu moins de quatre ans en Israël et en Palestine. Pendant cette période, j’ai réalisé des reportages sur les déplacements forcés et la bureaucratie punitive (l’occupation israélienne s’étend grâce au refus de permis, à la démolition de maisons et à la révocation de cartes d’identité). J’ai écrit sur les assassinats d’enfants, les crimes de guerre et le terrorisme (perpétrés par les deux camps). J’ai essayé d’expliquer du mieux que je pouvais l’annexion de la Cisjordanie et le châtiment collectif infligé à deux millions de personnes à Gaza sans utiliser de termes interdits tels que apartheid ou crime de guerre. J’ai veillé à présenter un éventail équilibré de voix et d’opinions. Mais malgré tout, chaque reportage sur une atrocité commise en Palestine était accueilli par des accusations de partialité très personnelles. Les rédacteurs en chef étaient souvent nerveux, les lecteurs désengagés.

Pourquoi ceux d’entre nous dont le travail consistait à rendre compte des atrocités commises en Palestine ont-ils été si spectaculairement incapables de les empêcher ?

Après deux ans, une triste réalité s’est imposée : les gens ne voulaient pas en entendre parler. Au bout de trois ans, j’ai commencé à renoncer à essayer de les faire écouter et le dégoût de moi-même s’est installé. Le cynisme des journalistes est un moyen utile d’exprimer la peur, le désespoir et l’impuissance que les normes de l’industrie de l’information ne leur permettent pas d’exprimer, mais il a un effet secondaire dangereux : il atténue l’indignation. Sans indignation, des crimes tels que l’apartheid, le nettoyage ethnique et le génocide peuvent se poursuivre sans interruption – et c’est ce qui s’est passé.

Plus de dix ans plus tard, alors que l’anéantissement de Gaza défile sur mes réseaux sociaux, je termine depuis deux ans mon premier roman, Vulture. C’est l’histoire d’une journaliste, Sara Byrne, qui tente de se faire un nom au milieu d’une guerre à Gaza. C’est un personnage destructeur, imprégné de cynisme et de dégoût de soi, qui a émergé, dans toute sa surprenante désagréabilité, alors que j’essayais de résoudre ma propre expérience en tant que journaliste couvrant la Palestine. Il y avait des doutes et des questions lancinants que je ne pouvais pas chasser, comme : pourquoi ceux d’entre nous dont le travail consistait à rendre compte des atrocités commises en Palestine ont-ils été si spectaculairement incapables de les arrêter ?

L’action de Vulture est fictive, mais se déroule dans le cadre temporel réel de la guerre de 2012 à Gaza, que j’ai couverte. Je me trouvais à Gaza lorsque le chef du Hamas, Ahmed al-Jabari, a été assassiné. Je suis arrivée sur les lieux de sa « liquidation » moins d’une heure plus tard, le châssis calciné de sa voiture encore fumant. J’ai remarqué les éclaboussures de sang qui atteignaient le deuxième étage des bâtiments environnants en rédigeant ma première une. Israël avait lancé son opération Pilier de défense.

Les guerres n’ont jamais été une surprise à Gaza. Depuis 2006, date à laquelle les dernières élections générales en Palestine ont ouvert la voie à la prise du pouvoir par le Hamas et à l’imposition du blocus par Israël et l’Égypte, les tirs de roquettes du Hamas et les bombardements de l’armée israélienne se sont succédé régulièrement. Tous les deux ou trois ans, les généraux israéliens déclaraient une opération militaire pour bombarder les infrastructures du Hamas. En privé, les militaires à la retraite appelaient cela « tondre le gazon ».

Lors de la guerre de 2009, qui a fait 1 400 morts parmi les Palestiniens, détruit 11 000 maisons et vu des obus au phosphore blanc tomber sur des marchés et des hôpitaux, Israël n’avait pas autorisé les journalistes étrangers à entrer à Gaza. En 2012, ils l’ont fait. La plupart d’entre nous logions à l’hôtel Al Deira, où nous mangions et dormions les uns à côté des autres, rédigeant et envoyant les mêmes articles. Des employés en uniforme nous apportaient du café et des frites alors que les frappes aériennes menaçaient leurs maisons et leurs familles.


L’hôtel Deira, détruit à Gaza le 22 septembre 2024. Photo : Omar Al-Qattaa/AFP/Getty Images

Chaque jour, nous avons visité des maisons bombardées et j’ai pris des notes :

odeur de gaz de cuisine, cuisine détruite

petits enfants jouant dans les décombres trouvant un scarabée

une femme en pleurs tirant sur un matelas enfoui, hurlant

Nous avons vu un flot continu de morts et de blessés arriver à l’hôpital al-Shifa, amputés, décapités, des enfants couverts de poussière, muets et tremblants après avoir vu leurs parents se faire tuer. Les médecins nous ont parlé de pénurie d’électricité et de médicaments. Je les ai notées :

pas de matériel jetable

fin des anesthésiques, impossibilité d’opérer

beaucoup de femmes et d’enfants amputés, assez propres, les bombes font le travail à notre place

Nous avons assisté aux funérailles de familles entières et parlé à des personnes en deuil qui nous ont demandé : « Vous voyez quelqu’un avec une arme ici ? »

Après 10 jours d’opération israélienne – 167 Palestiniens tués, 1 500 cibles touchées à Gaza, 700 familles déplacées – une trêve a été déclarée. La camaraderie particulière qui se crée avec vos collègues palestiniens sous les frappes aériennes est brusquement rompue lorsqu’ils vous déposent à la frontière israélienne ; vous êtes ravi de retrouver la normalité, mais eux ne le peuvent pas. Vous les reverrez lorsque la prochaine flambée de violence vous ramènera sur place.

Mais lorsque la guerre a éclaté à nouveau en 2014, j’étais déjà chez moi à Londres, rédactrice au service étranger du Guardian : 50 jours de combats, 2 104 Palestiniens tués, 10 000 blessés. Selon nos informations, le public s’est désintéressé de l’actualité. Les combats ont pris fin et j’ai quitté le service étranger pour retourner au reportage. Les gens me regardaient avec méfiance lorsque je parlais à nouveau de la Palestine. Étais-je une fanatique bizarre ? Ou pire, une activiste ? Je n’étais ni l’une ni l’autre, mais en dehors des cercles militants, la « complexité politique » du conflit israélo-palestinien ne laissait guère de place à autre chose qu’à ses escalades les plus violentes ou à ses pires catastrophes humanitaires. Il s’avère que le cynisme est plus agréable que l’indignation.

J’ai donc cessé de parler de ce que je savais se passer là-bas – les humiliations quotidiennes de l’occupation en Cisjordanie, la menace du terrorisme des colons soutenu par une force d’occupation, le traumatisme extraordinaire de la vie quotidienne à Gaza – jusqu’à ce que je m’assoie pour commencer à travailler sur un roman en 2015 et que la Palestine jaillisse. J’ai été immédiatement ramenée à l’hôtel Al Deira, réinventé sous le nom de The Beach. Je me suis retrouvée à raconter cette immense tragédie indigeste à travers des histoires humaines petites, désordonnées, drôles, déchirantes et pleines de colère. C’était un soulagement de pouvoir décrire librement la Gaza que je connaissais.

“Si vous vous souciez de ce qui se passe à Gaza, vous devriez amplifier la voix des Palestiniens”

Hossam Shabat

Le 7 octobre 2023, j’avais quitté le Guardian. J’ai regardé les informations sur l’attaque terroriste du Hamas, dévastée et écœurée, puis saisie d’une peur glaciale à l’idée de ce qui allait suivre à Gaza. Comme tous ceux qui avaient couvert cet endroit pendant un certain temps, j’avais vu se répéter pendant des décennies ce qui allait arriver. Ces questions lancinantes sont devenues urgentes : avais-je fait tout ce que je pouvais pour avertir que ça allait arriver ? Non. Cela faisait-il de moi une complice ? Peut-être.

Israël n’a pas autorisé la presse étrangère à entrer à Gaza pendant cette guerre. Notre compréhension de ce qui s’y passe nous vient des journalistes palestiniens qui la vivent et qui sont tués en nombre extraordinaire (176, soit un taux de mortalité de 10 %) [entretemps, leur nombre est monté à 237, NdT], leurs salles de rédaction détruites avec leurs familles et leurs maisons. Ceux qui restent meurent de faim. Leurs reportages ne sont pas équilibrés, ils sont personnels et indignés.


Des personnes en deuil assistent aux funérailles de membres de la presse tués lors d’une frappe israélienne, à l’hôpital Al-Awda du camp de réfugiés de Nuseirat, à Gaza, le 26 décembre 2024. Photo : Eyad Baba/AFP/Getty Images

Un an avant d’être tué par les forces israéliennes le 24 mars, le journaliste local Hossam Shabat avait déclaré à ses 175 000  followers  sur X: « Le plus gros problème n’est pas que les journalistes occidentaux ne peuvent pas entrer, mais que les médias occidentaux ne respectent pas et ne valorisent pas les journalistes palestiniens... Personne ne connaît Gaza comme nous, et personne ne comprend la complexité de la situation comme nous. Si vous vous souciez de ce qui se passe à Gaza, vous devriez amplifier la voix des Palestiniens».  Son message m’a profondément touchée. Il a clarifié le malaise que je ressentais en tant qu’interlocutrice inutile entre les lecteurs occidentaux et la tragédie de Gaza, soulevant davantage de questions sur mon travail là-bas.

Les journalistes occidentaux qui couvraient la Palestine n’ont pas mis fin aux atrocités parce que nous pensions que ce n’était pas notre travail, nous étions là pour témoigner. Il est essentiel de rester impartial si l’on veut être crédible. Mais n’étions-nous pas également censés demander des comptes aux pouvoirs en place ? Si nous avions condamné avec la conviction et l’indignation qu’elles méritaient les puissances soutenues par les USA et l’Europe dont nous savions qu’elles perpétraient ces atrocités, 60 000 personnes auraient-elles encore été tuées en 21 mois ?

Alors que Vulture arrive dans les librairies usaméricaines, des experts de l’ONU ont confirmé qu’une famine est en cours dans la bande de Gaza. Des personnes affamées sont abattues sur les sites de distribution de nourriture. Les hôpitaux ont été bombardés, des médecins et leurs familles ont été tués. L’électricité a été coupée. Nos collègues palestiniens sont assassinés en nombre effarant et les journalistes occidentaux affirment qu’il ne leur appartient pas de qualifier ces actes de génocide. Pourtant, les écrivains de fiction le font. Par souci d’équilibre, la BBC a décidé de ne pas diffuser son documentaire sur les médecins à Gaza. Jusqu’à cette semaine, où même Donald Trump a été contraint de reconnaître « une véritable famine », un ami travaillant dans le journalisme télévisé m’a confié qu’un nouveau verbe était apparu : « gazaïser » un reportage, c’est-à-dire en réduire l’importance éditoriale.

Enfin, il semble que les mots interdits soient prononcés – génocide, famine, État [de Palestine]– et que nos dirigeants pourraient agir. Mais notre indignation arrive beaucoup trop tard. Pourquoi avons-nous attendu ? Notre silence méfiant a favorisé la tragédie à Gaza. Notre cynisme a permis l’horreur qui marquera toute une génération.


  • Vulture, de Phoebe Greenwood, paraîtra le 12 août 2025 chez Europa Editions.
 

Phoebe Greenwood

Vulture

2025, pp. 288, e-Book
ISBN: 9798889660965
Region: Britain
Paper edition
$ 14.99

LORENZO TONDO
Anas al-Sharif, éminent correspondant d’Al Jazeera, parmi les cinq journalistes tués dans une frappe aérienne israélienne sur Gaza

Israël reconnaît avoir délibérément attaqué le journaliste, connu pour ses reportages sur le front, lors d’une frappe sur une tente à l’extérieur de l’hôpital al-Shifa

Lorenzo Tondo à Jérusalem, The Guardian, 11/8/2025
Avec Reuters et l’Agence France-Presse
Traduit par Tlaxcala


L’armée israélienne affirme qu’Anas al-Sharif, qui avait fait part de ses craintes d’être tué, était le chef d’une cellule du Hamas. Photo : Al Jazeera

Un éminent journaliste d’Al Jazeera qui avait déjà été menacé par Israël a été tué avec quatre de ses collègues lors d’une frappe aérienne israélienne.

Anas al-Sharif, l’un des visages les plus connus d’Al Jazeera à Gaza, a été tué dimanche soir alors qu’il se trouvait dans une tente réservée aux journalistes à l’extérieur de l’hôpital al-Shifa, dans la ville de Gaza.

Au total, sept personnes ont été tuées dans l’attaque, dont al-Sharif, le correspondant d'Al Jazeera Mohammed Qreiqeh et les cameramen Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa, selon la chaîne de télévision basée au Qatar.

Les Forces de défense israéliennes ont reconnu avoir mené cette frappe, affirmant que le journaliste « était à la tête d’une cellule terroriste de l’organisation terroriste Hamas et était responsable de la poursuite des attaques à la roquette contre des civils israéliens et les forces de défense israéliennes ».

Elle a affirmé disposer de renseignements et de documents trouvés à Gaza comme preuves, mais les défenseurs des droits humains ont déclaré qu’il avait été pris pour cible en raison de ses reportages sur la guerre à Gaza et que les affirmations d’Israël manquaient de preuves.


La tente devant l’hôpital al-Shifa où Anas al-Sharif et six autres personnes ont été tués par une frappe israélienne. Israël a reconnu avoir mené cette frappe, affirmant qu’il s’agissait d’un militant du Hamas, une affirmation que l’ONU a qualifiée de non fondée. Photo : Ebrahim Hajjaj/Reuters

Qualifiant al-Sharif de « l’un des journalistes les plus courageux de Gaza », Al Jazeera a déclaré que cette attaque était « une tentative désespérée de faire taire les voix en prévision de l’occupation de Gaza ».

Le mois dernier, le porte-parole de l’armée israélienne, Avichai Adraee, a partagé une vidéo d’al-Sharif sur X et l’a accusé d’être membre de la branche militaire du Hamas. À l’époque, la rapporteure spéciale des Nations unies sur la liberté d’expression, Irene Khan, avait qualifié cette accusation d’« infondée » et d’« attaque flagrante contre les journalistes ».

En juillet, al-Sharif avait déclaré au Comité pour la protection des journalistes (CPJ) qu’il vivait avec « le sentiment qu’il pouvait être bombardé et martyrisé à tout moment ».

Après l’attaque, le CPJ s’est dit « consterné » d’apprendre la mort des journalistes.

« La pratique israélienne consistant à qualifier les journalistes de militants sans fournir de preuves crédibles soulève de sérieuses questions quant à ses intentions et son respect de la liberté de la presse », a déclaré Sara Qudah, directrice régionale du CPJ.

« Les journalistes sont des civils et ne doivent jamais être pris pour cible. Les responsables de ces meurtres doivent être traduits en justice. »

Le Syndicat des journalistes palestiniens a condamné ce qu’il a qualifié de « crime sanglant » d’assassinat.

En janvier dernier, après un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, al-Sharif avait attiré l’attention générale lorsqu’il avait retiré son gilet pare-balles pendant une émission en direct, alors qu’il était entouré de dizaines d’habitants de Gaza qui célébraient la trêve temporaire.

Quelques minutes avant sa mort, al-Sharif avait publié sur X : « Dernières nouvelles : des bombardements israéliens intenses et concentrés utilisant des « ceintures de feu » frappent les zones est et sud de la ville de Gaza ».

Dans un dernier message, qui selon Al Jazeera aurait été rédigé le 6 avril et publié sur le compte X d’al-Sharif après sa mort, le journaliste a déclaré qu’il avait « vécu la douleur dans tous ses détails, goûté à la souffrance et à la perte à maintes reprises, mais qu’il n’avait jamais hésité à transmettre la vérité telle qu’elle était, sans déformation ni falsification ».

« Allah sera témoin contre ceux qui sont restés silencieux, ceux qui ont accepté notre massacre, ceux qui ont étouffé notre souffle et dont le cœur est resté insensible devant les restes éparpillés de nos enfants et de nos femmes, sans rien faire pour mettre fin au massacre que notre peuple subit depuis plus d’un an et demi », a-t-il poursuivi.

Âgé de 28 ans, il laisse derrière lui une femme et deux jeunes enfants. Son père a été tué par une frappe israélienne sur la maison familiale dans le camp de réfugiés de Jabalia, à Gaza, en décembre 2023. À l’époque, al-Sharif avait déclaré qu’il continuerait à informer et refusait de quitter le nord de Gaza.

Un autre journaliste d’Al Jazeera à Gaza, Hani Mahmoud, a déclaré : « C’est peut-être la chose la plus difficile que j’ai eu à rapporter au cours des 22 derniers mois. Je ne suis pas loin de l’hôpital al-Shifa, à seulement un pâté de maisons, et j’ai pu entendre l’énorme explosion qui s’est produite il y a environ une demi-heure, près de l’hôpital al-Shifa.

« Je l’ai vu quand ça a illuminé le ciel et, en quelques instants, la nouvelle s’est répandue qu’il s’agissait du camp de journalistes situé à l’entrée principale de l’hôpital al-Shifa ».

Al-Sharif et ses collègues couvraient le conflit depuis le début à Gaza.

« Il est important de souligner que cette attaque survient une semaine seulement après qu’un responsable militaire israélien a directement accusé Anas et mené une campagne d’incitation à la haine contre Al Jazeera et ses correspondants sur le terrain en raison de leur travail, de leur couverture sans relâche de la famine, de la malnutrition et de la famine », a ajouté Mahmoud.

Israël a tué plusieurs journalistes d’Al Jazeera et des membres de leur famille, dont Hossam Shabat, tué en mars, et Ismail al-Ghoul et son caméraman Rami al-Rifi, tués en août.

La femme, le fils, la fille et le petit-fils du correspondant en chef Wael al Dahdouh ont été tués en octobre 2023 et lui-même a été blessé lors d’une attaque quelques semaines plus tard qui a coûté la vie au caméraman d’Al Jazeera Samer Abu Daqqa.

Israël, qui interdit l’accès des journalistes étrangers à Gaza et qui a pris pour cible des reporters locaux, a tué 237 journalistes depuis le début de la guerre, le 7 octobre 2023, selon le bureau des médias du gouvernement de Gaza. Le Comité pour la protection des journalistes a déclaré qu’au moins 186 journalistes ont été tués dans le conflit à Gaza. Israël nie avoir délibérément pris pour cible des journalistes.



10/08/2025

“Les vrais antisémites, ce sont ceux qui arment Israël” : réactions en Israël à l’embargo allemand sur les livraisons d’armes

Ci-dessous deux articles tirés du quotidien israélien Haaretz sur la décision du chancelier allemand Merz de suspendre les livraisons à Israël d'armes qui pourraient être utilisées à Gaza. Traduit par Tlaxcala

Terrain fissuré, par RABE

Comment l’embargo sur les armes contre Gaza imposé par Berlin peut empêcher les entreprises israéliennes en Allemagne de vendre des armes à Israël

Oded Yaron, Haaretz, 9/8/2025

Depuis des décennies, l’Allemagne est le deuxième exportateur d’armes vers Israël, derrière les USA. Si Israël se trouve à nouveau confronté à une situation d’urgence nécessitant des armes, il pourrait se retrouver les mains vides. Mais la formulation choisie par le chancelier pour interdire les armes destinées à Gaza pourrait laisser une marge de manœuvre à Berlin.


Le chancelier allemand Merz avec le Premier ministre Netanyahou l’année dernière. Photo  Kobi Gideon/BauBau

La décision prise vendredi par l’Allemagne de restreindre ses exportations d’armes vers Israël pourrait avoir un impact significatif sur plusieurs des systèmes d’armement les plus importants de l’armée israélienne, obligeant Israël et ses fournisseurs à trouver des solutions de contournement pour la production en Allemagne.

Cette mesure pourrait également empêcher les fabricants d’armes israéliens opérant en Allemagne, y compris les entreprises publiques israéliennes, de vendre des armes à Israël.


Un sous-marin appartenant à la marine israélienne

Au cours des dernières décennies, l’Allemagne a été le deuxième fournisseur d’armes à Israël après les USA, en grande partie grâce à d’importants contrats conclus avec ThyssenKrupp pour la livraison de sous-marins et de navires lance-missiles destinés à protéger les plates-formes gazières offshore d’Israël.

Selon une réponse officielle du ministère fédéral allemand de l’Économie et de l’Énergie à une question du Bundestag, entre le début de la guerre et le 13 mai 2025, Berlin a approuvé des exportations d’armes vers Israël pour un montant total de 481 millions d’euros.

Le gouvernement allemand a refusé de fournir des détails précis sur les types d’armes et d’équipements fournis, se contentant d’énumérer des catégories générales telles que les armes légères, les bombes, les missiles, les munitions et un large éventail de systèmes.

La déclaration du chancelier Friedrich Merz selon laquelle l’Allemagne n’approuvera pas les exportations d’équipements militaires pouvant être utilisés dans les combats dans la bande de Gaza laisse une certaine marge de manœuvre à Berlin. Par exemple, cette décision n’aura probablement pas d’incidence sur les exportations liées aux sous-marins ou aux navires, bien que dans diverses questions parlementaires, des députés allemands aient fait état d’informations selon lesquelles des navires de surface auraient participé à la campagne de Gaza.

Cependant, Israël dépend également de l’Allemagne dans d’autres domaines où il serait difficile de prétendre que les systèmes n’ont aucun lien avec les combats à Gaza. Par exemple, la société allemande MTU, filiale de la britannique Rolls-Royce, fabrique les moteurs du char Merkava, du véhicule blindé de transport de troupes Namer et du nouveau véhicule blindé de combat Eitan.

Il s’agit de composants essentiels au bon fonctionnement des forces blindées et d’infanterie de l’armée israélienne. MTU exploite également des usines au Royaume-Uni et aux USA, mais ces installations ne servent qu’à l’assemblage final et aux essais des moteurs, ce qui signifie que l’Allemagne reste un maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement.


Un char de l’armée israélienne à la frontière de Gaza, en 2024. Photo  Jack Guez/AFP

La nature mondiale de la chaîne d’approvisionnement pourrait déjà offrir à Israël une solution pour contourner les sanctions allemandes. En effet, Israël achète les moteurs des Namer et Eitan à une société usaméricaine, Rolls-Royce Solutions America Inc., une filiale du groupe Rolls-Royce enregistrée aux USA, ce qui signifie que la transaction passe par les USA.

Cette décision n’aura aucune incidence sur les contrats d’exportation existants entre Israël et l’Allemagne. Le mois dernier, Elbit a annoncé un contrat portant sur la fourniture de systèmes de défense antimissile à guidage infrarouge destinés à être installés sur les avions de transport A400M de l’armée de l’air allemande. Toutefois, si le gouvernement israélien maintient son cap actuel à Gaza, même l’Allemagne pourrait se tourner vers d’autres fournisseurs pour ses futurs achats. De plus, toute décision de l’Allemagne pourrait avoir un effet domino sur d’autres États européens.

Une menace pour les exportations des entreprises israéliennes vers Israël

La coopération internationale entre les entreprises de défense israéliennes à l’étranger et l’Allemagne s’est avérée vitale au cours des premiers mois de la guerre. L’Allemagne est un allié clé d’Israël dans le développement, la production et la commercialisation d’armes sophistiquées, dont certaines sont destinées à Israël lui-même.

Israel Aerospace Industries, Rafael et Elbit possèdent toutes des filiales en Allemagne et travaillent avec des entreprises locales dans divers domaines. Cela signifie que si Israël devait à nouveau faire face à une situation d’urgence et avoir besoin d’une livraison urgente en provenance d’Allemagne, comme cela s’est déjà produit par le passé, il pourrait se retrouver les mains vides.

L’une des livraisons d’armes allemandes les plus importantes à Israël depuis le début de la guerre à Gaza a été la livraison de 3 000 lance-roquettes antichars en 2023. Il s’agissait probablement de lanceurs « Matador » (le RGW-90 ou le RGW-60, plus léger), connus dans l’armée israélienne sous le nom de « Mapatz » et conçus pour détruire les véhicules blindés, les bunkers et les militants réfugiés à l’intérieur de bâtiments.

Ces lanceurs sont produits par la société allemande Dynamit Nobel Defence (DND), rachetée il y a 20 ans par Rafael, l’entreprise publique israélienne spécialisée dans la défense. Le Matador a été largement utilisé par l’armée israélienne lors des combats menés pendant des années à Gaza et au Liban.


Système de missile Spike de Rafael. Photo  Rafael Advanced Defense Systems

Rafael a également développé la famille de systèmes de missiles guidés « Spike ». Pour les commercialiser en Europe, la société a créé Eurospike, une coentreprise avec deux grandes entreprises allemandes : Rheinmetall (40 % des parts) et Diehl Defence (également 40 %). Les 20 % restants sont détenus par Ercas B.V., une société holding de Rafael enregistrée aux Pays-Bas et opérant depuis le Royaume-Uni.

Selon les documents du registre du commerce allemand, Eurospike est chargée de la commercialisation et de la distribution des systèmes Spike, en particulier pour les clients européens, et fournit également des services tels que la gestion de projets et l’ingénierie de base des systèmes. Les missiles Spike sont en partie fabriqués en Israël et en partie sur les chaînes de production des entreprises partenaires allemandes.

-Monsieur Netanyahou, même si c'est difficile pour moi en tant qu'Allemand...
...mais nous devrions parler ouvertement de vos agissements à Gaza

L’embargo allemand sur les armes à destination d’Israël n’est pas une trahison, mais un jugement moral

 

Gideon Levy, Haaretz , 9/8/2025

Armer Israël aujourd’hui pour lui permettre de mener à bien son plan de prise de contrôle de Gaza et de commettre un nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité sur ce territoire est l’une des mesures les plus antisémites et anti-israéliennes qui soient. À cet égard, la décision du gouvernement allemand de suspendre ses livraisons d’armes à Israël est une démonstration courageuse de ses valeurs morales et de son amitié sincère envers Israël.

L’Allemagne a annoncé qu’elle suspendait l’exportation vers Israël d’équipements militaires susceptibles d’être utilisés dans la bande de Gaza. L’Allemagne post-Holocauste se devait de prendre cette décision : si elle avait continué à livrer des armes à un pays qui commet un génocide, cela aurait prouvé qu’elle n’avait rien appris de son passé.

Tout comme il est clair depuis des années que l’Allemagne ne peut pas s’élever contre Israël et que le pays qui a perpétré l’Holocauste a l’obligation d’assurer la sécurité de l’État qui a surgi de ses cendres, il est tout aussi clair que l’Allemagne doit lutter contre tout génocide et certainement pas contribuer à sa perpétration, même si l’auteur est son cher Israël.


Des manifestants protestent contre la situation à Gaza et réclament des sanctions contre Israël et l’arrêt des livraisons d’armes devant le Bundestag, à Berlin, en Allemagne, en juin. Photo  Fabrizio Bensch/ REUTERS

En imposant un embargo partiel sur les armes à Israël, l’Allemagne a prouvé qu’elle était à l’avant-garde de l’Europe et qu’elle n’oubliait pas l’Holocauste et ses leçons. Une Allemagne qui aurait continué à fournir des armes à Israël serait devenue, comme tous les fournisseurs d’armes actuels d’Israël, son partenaire dans un génocide. Et c’est quelque chose que l’Allemagne, plus que tout autre pays au monde, ne peut pas faire.

Tous ceux qui aident Israël à commettre un génocide déclarent en fait qu’ils haïssent cet État tout autant que ceux qui sont indignés par ses actions. Armer Israël aujourd’hui ne démontre ni amitié envers cet État ni préoccupation pour son sort. Fournir des armes à l’agresseur dans une guerre illégitime qui aurait dû prendre fin depuis longtemps et dont les objectifs sont désormais futiles et criminels, c’est se rendre complice d’un crime.

L’Allemagne a renversé l’ancien paradigme : aucune aide ne peut être accordée à l’Israël d’aujourd’hui, et certainement pas des armes. Chaque avion, chaque obus, chaque navire lance-missiles et chaque canon ne feront que tuer davantage d’innocents. Dès l’instant où l’attaque contre Gaza a cessé d’être un acte de légitime défense, elle est devenue insupportable.

Au vu du soutien incroyable apporté par les USA et de l’impuissance stupéfiante de l’opposition en Israël, personne ne peut arrêter la guerre. L’Europe peut contribuer à y mettre fin, même si ce n’est pas immédiatement.

Mais au-delà du désir d’arrêter la guerre, fournir des armes à Israël est un acte d’hostilité à son égard. Si seulement les USAméricains pouvaient comprendre ça ! L’Allemagne a le pouvoir de donner le cap : se soucier du sort d’Israël n’implique pas de l’armer pour lui permettre de mettre en œuvre ses plans insensés à Gaza.


Soldats israéliens en action à Rafah, dans le sud de Gaza. Photo  Unité du porte-parole de l’armée israélienne

Au lieu de continuer à considérer tous les manifestants contre Israël et contre la guerre comme des antisémites, une manipulation cynique et efficace de la propagande juive et israélienne, nous devrions en fait considérer ceux qui arment Israël comme les antisémites.

Bien sûr, il existe également des manifestations d’antisémitisme au sein des cercles opposés à Israël, mais elles ne sont pas majoritaires. La plupart des manifestants sont des personnes de conscience qui ont été exposées à ce que les Israéliens n’ont pas vu, et ils ne peuvent rester silencieux. Que peut-on attendre des citoyens du monde qui voient des images de famine et de mort ? Vont-ils applaudir leurs auteurs, ou vont-ils se révolter contre eux, voire les haïr ?

L’appréciation et la sympathie pour Israël ne reviendront pas dans un avenir proche. Le monde n’oubliera pas Gaza de sitôt. Le fait qu’Israël nie ses actes et n’accepte pas la moindre responsabilité ne fera que l’éloigner du reste du monde.

Les Israéliens en Europe peuvent continuer à jouer la carte de la victime auprès de chaque restaurateur qui les met à la porte, mais c’est ainsi que se comportent les personnes conscientes et soucieuses du bien commun. Ce ne sont pas des antisémites. Ils valent certainement mieux que ceux qui poussent Israël à continuer de tuer des centaines de bébés depuis les airs, la terre et la mer, et à l’équiper d’armes adaptées au massacre de ces bébés.


Merz augmente la pression : Arrêt de certaines exportations darmes

09/08/2025

L’Égypte double ses importations de gaz naturel israélien dans le cadre d’un accord de 35 milliards de dollars avec une augmentation de 14 % du prix

Emma Scolding et Sara Seif Eddin, Mada Masr, 7/8/2025

Traduit par Tlaxcala

Un accord gazier de 35 milliards de dollars annoncé jeudi va doubler la dépendance énergétique de l’Égypte vis-à-vis des gisements israéliens, dans le prolongement d’un accord historique conclu entre les deux pays en 2018.

Selon les termes de l’accord, l’Égypte paiera environ 35 millions de dollars de plus par milliard de mètres cubes que dans le cadre de l’accord précédent, soit une augmentation de 14,8 %, selon les calculs de Mada Masr.

Au cours de l’accord, qui court jusqu’en 2040, l’Égypte importera 130 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz naturel provenant du gisement israélien de Leviathan.

L’accord, qui doit encore faire l’objet d’une extension importante des infrastructures de gazoduc et d’extraction, a été annoncé dans le cadre d’une divulgation d’informations aux actionnaires par la société israélienne NewMed Energy, partenaire dans le développement du gisement gazier israélien de Leviathan.

Cet accord marque la fin de plusieurs mois de négociations visant à augmenter le volume de gaz naturel israélien acheminé vers l’Égypte afin d’aider le gouvernement à répondre à la demande énergétique croissante du pays. Les négociations se sont poursuivies parallèlement à la guerre génocidaire menée par Israël dans la bande de Gaza, alors même que ce conflit met à rude épreuve les relations bilatérales.



L’accord de 2018 prévoyait que la société égyptienne Dolphinus Holdings s’engageait à payer 15 milliards de dollars pour environ 64 milliards de mètres cubes de gaz naturel israélien sur une période de 10 ans à Delek et Noble Energy, les partenaires qui gèrent les gisements offshore israéliens Tamar et Leviathan.

L’acheteur nommé par NewMed dans l’avis aux actionnaires publié jeudi est Blue Ocean Energy, une société dont Mada Masr a révélé qu’elle était une filiale de Dolphinus Holdings dans une enquête menée en 2018. Dolphinus et Blue Ocean s’étaient alors associés pour importer et revendre le gaz israélien avec East Gas, une société détenue majoritairement par les services généraux de renseignement égyptiens.

Les deux parties sont en négociation depuis des mois pour augmenter les volumes de gaz acheminés vers l’Égypte depuis Israël, ont déclaré un ancien responsable du ministère du Pétrole et une source gouvernementale à Mada Masr plus tôt cette année. Les sources prévoyaient que l’Égypte finirait par accepter la demande d’Israël d’un prix plus élevé par million d’unités thermiques de gaz naturel dans le cadre des négociations, car le gaz acheminé par Israël reste l’alternative la moins chère pour augmenter les approvisionnements dont le pays a tant besoin.

Toutefois, l’avis publié jeudi précise qu’il n’y a « aucune garantie » que l’accord sera respecté, compte tenu des conditions en suspens.

Ces conditions comprennent l’extension prévue du gazoduc Ashdod-Ashkelon et du champ Leviathan lui-même.

L’accord sur l’extension du gazoduc a été signé en 2021, mais sa date d’achèvement a été reportée à plusieurs reprises depuis lors. Par ailleurs, l’extension du gisement Leviathan est en attente d’une décision finale d’investissement et d’un accord de transport avec Israel Natural Gas Lines, l’organisme public qui gère le gazoduc.

Selon l’avis, ces conditions doivent être remplies d’ici le 30 septembre 2025 pour que l’accord puisse être conclu. Les parties à l’accord peuvent demander une prolongation de six mois de ce délai si nécessaire.

Cet accord intervient alors que l’Égypte est confrontée à une facture énergétique en forte hausse pour combler l’écart entre l’offre intérieure et la consommation. Environ un tiers de la demande totale doit être couvert par des importations supplémentaires.

Alors que le pays a actuellement besoin de 4 à 6 milliards de pieds cubes de gaz par jour, la production locale a continué de baisser pour s’établir à environ 4 milliards de pieds cubes, selon les données publiées en début d’année par la Joint Organizations Data Initiative coordonnée par le Forum international de l’énergie.

Les gisements israéliens se sont déjà engagés, dans le cadre d’accords antérieurs, à exporter environ 4,5 milliards de mètres cubes de gaz par an vers l’Égypte. Israël a interrompu à plusieurs reprises ses livraisons depuis le début de la guerre à Gaza en octobre 2023.

La dernière interruption est survenue en juin, pendant la guerre de 12 jours entre Israël et l’Iran, lorsque la production du gisement Leviathan a été suspendue par crainte que l’Iran ne vise l’installation. Cette interruption a privé les installations industrielles égyptiennes d’approvisionnement en gaz.

Tout au long de la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza, l’Égypte a été critiquée pour ne pas avoir fait davantage pour mettre fin aux souffrances et aux massacres des Palestiniens. Les tensions ont atteint de nouveaux sommets ces derniers mois, alors que la famine orchestrée par Israël à Gaza s’aggrave, les manifestants et les critiques appelant l’Égypte à ouvrir son côté de la frontière de Rafah afin de permettre l’acheminement de l’aide à Gaza.

Le président Abdel Fattah al-Sissi a publiquement rejeté ces critiques ces dernières semaines. En début de semaine, le président a critiqué la communauté internationale pour son inaction et a qualifié d’« absurdes » et d’« étranges » les allégations selon lesquelles l’Égypte participerait au siège et à la famine du peuple palestinien dans la bande de Gaza.

Confrontée à une pénurie d’énergie au cours des deux derniers étés, l’Égypte a adopté des mesures de triage qui comprennent des coupures d’électricité programmées, suscitant la colère de la population en raison de la durée des coupures, qui peuvent atteindre jusqu’à six heures d’affilée dans certains cas, sous une chaleur torride.

Le ministère du Pétrole a complété son mix énergétique composé de mazout et de gaz naturel en augmentant ses importations de gaz naturel liquéfié, dont le coût devrait s’élever à 19 milliards de dollars cette année, contre 12 milliards en 2024, selon un rapport du ministère examiné par Mada Masr. Ce virage coûteux a été pris pour devancer le mécontentement croissant de la population, ont déclaré des responsables gouvernementaux à Mada Masr.



AMOS PRYWES
Comment pouvons-nous continuer à savoir que les Gazaouis meurent de faim et que nous, Israélien·nes, restons silencieux·ses ?

La question de la responsabilité ne concerne pas qui nous sommes, mais ce que nous faisons et notre capacité à corriger nos actes. Les Israéliens peuvent s’inspirer de la psychanalyse et essayer de faire le premier pas pour cultiver la compassion.

Amos Prywes, Haaretz, 7/8/2025
Traduit par Tlaxcala


Amos Prywes est un psychologue clinicien israélien, auteur de De Freud au porno (Pardes, 2025, en hébreu)

 


La question ci-dessus ne m’a pas été envoyée, elle a été posée lors d’une récente manifestation en Israël contre la guerre à Gaza. J’ai décidé d’y répondre ici, car j’ai senti qu’elle planait sur bon nombre des questions qui m’ont été envoyées. Cette question est difficile à ignorer, même s’il est presque impossible d’y répondre.

Nous devons être honnêtes et dire que la réponse simple pourrait être « parce que ». La réalité est qu’à côté des nouvelles déprimantes et des images choquantes, nous continuons à nous consacrer sans réserve au drame de nos vies personnelles. Nous embrassons nos enfants, nous nous agaçons du chauvinisme de la version israélienne de « Big Brother » et nous nous disputons pour de l’argent. Alors, si nous mettons de côté notre moralisme, peut-être avons-nous continué comme si de rien n’était ?


Images de Mohammed Y. M. Al-Yaqoubi/Anadolu/AFP photoshoppées par Nadav Gazit

La vérité, c’est que même si nous pensons que c’est le cas, la guerre façonne certains aspects de l’image que nous avons de nous-mêmes et de notre perception de la réalité, de manière subtile. Alors, que signifie vivre face à de telles accusations ?

Bien sûr, chacun réagit différemment. Certains nient qu’il y ait quoi que ce soit à se reprocher, d’autres sont d’accord avec ces accusations, et d’autres encore adoptent une position intermédiaire, du genre « C’est terrible ce que fait à Gaza ce gouvernement pour lequel je n’ai pas voté ».

Quelle que soit notre position par rapport au sentiment de culpabilité, notre réponse repose presque toujours sur un engagement émotionnel circulaire qui ne mène nulle part. En général, la culpabilité nous amène à nous poser la question narcissique « Suis-je mauvais ? » et à engager un dialogue avec une figure parentale imaginaire qui nous réprimande.

En ce sens, il existe un lien fondamental entre la culpabilité et l’auto-victimisation. Les personnes coupables sont toujours confrontées à des forces plus grandes qu’elles et se rabaissent en leur présence.

Dans l’une de ses conférences sur la psychanalyse, Freud a comparé la conscience coupable à une personne qui se fait réprimander après avoir cassé un chaudron qui lui avait été confié pour qu’elle le garde. La personne se défend dans une sorte de boucle logique destinée à semer la confusion, du genre : « Je n’ai jamais emprunté de chaudron, il était cassé quand je l’ai reçu et il  était intact quand je l’ai rendu. » Ce raisonnement fallacieux est désormais connu sous le nom de « logique de la bouilloire ».

La société israélienne s’empêtre également dans ce raisonnement lorsqu’elle affirme qu’« il n’y a pas de famine à Gaza, que le Hamas est responsable de la famine, que tous les habitants sont des terroristes et que nous n’avons d’autre choix que d’être cruels ».

Un regard sur la société israélienne d’aujourd’hui révèle que nous sommes presque tous, à notre manière, enfermés dans une mentalité de victime, que nous nous considérions comme victimes du gouvernement, du système judiciaire, de l’antisémitisme mondial ou du fanatisme religieux. C’est un cercle vicieux paralysant dont il est très difficile de sortir. En ce sens, le silence face à ce qui se passe à Gaza n’est pas seulement un échec moral, mais aussi un schéma mental, une façon de ne pas ressentir et de ne pas savoir.

Alors, que faire ? Face à la culpabilité, la psychanalyse propose la responsabilité. Elle propose de regarder la personne qui se trouve en face de nous et de reconnaître le pouvoir que nous avons d’agir envers elle, même s’il est limité.

Comme la culpabilité traite de questions d’identité (« Suis-je bon ou mauvais ? »), elle laisse très peu de place à l’action créative. Elle esquisse un monde de catégories rigides, divisant les humains en méchants absolus et en victimes éternelles.

En même temps, elle encourage une attention obsessionnelle aux détails et aux définitions des péchés : s’agit-il de faim ou de famine ? De crise humanitaire, de catastrophe ou de génocide ? La personne coupable s’enfonce dans ce débat pédant et la colère s’y enferme.

Contrairement à la culpabilité, la question de la responsabilité ne concerne pas qui nous sommes, mais ce que nous faisons, ce qui se trouve devant nous et notre capacité à y remédier. Elle facilite ensuite des actions complexes telles que cultiver la compassion, reconnaître et admettre ses erreurs et recalculer son itinéraire. C’est une petite différence, mais c’est peut-être un point de départ.