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23/01/2025

GIDEON LEVY
Les embouteillages en Cisjordanie sont la victoire de Smotrich
Scènes de la vie quotidienne en Cisjordanie occupée au temps des pogroms et du cessez-le-feu à Gaza

Ramallah est distante de Tel Aviv de 62 km. Lundi dernier, le voyage a duré six heures

Gideon Levy  Haaretz , 23/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Cette semaine, j’ai été un sous-homme. Seulement pour une (longue) soirée, mais quand même, une expérience sous-humaine.

Véhicules au point de contrôle israélien d’Atara près de Ramallah en Cisjordanie, mercredi. Photo: Zain Jaafar/AFP


Lundi, je me suis rendu à Ramallah avec Alex Levac pour rencontrer Khalida Jarrar, membre du Conseil législatif palestinien, qui a été libérée cette nuit-là dans le cadre de l’accord sur les otages. Ce matin-là, nous nous étions rendus à Hébron pour couvrir un autre sujet et, à l’entrée de la ville, nous avons rencontré d’énormes embouteillages. Nous avons pensé qu’il s’agissait d’une coïncidence.

Des voyageurs attendent dans leurs véhicules au poste de contrôle israélien d’Atara, près de Ramallah, en Cisjordanie, mercredi.Photo  Zain Jaafar/AFP

Dans l’après-midi, nous nous sommes rendus à Ramallah. Après avoir rencontré Mme Jarrar lors de la cérémonie d’accueil organisée en son honneur, nous sommes retournés à Tel-Aviv.

De la vieille ville de Ramallah au poste de contrôle de Qalandiya, la circulation s’est déroulée à son rythme habituel, cinq kilomètres à l’heure les bons jours. Au bout d’une heure, nous avons atteint Qalandiya et tourné à l’est vers le point de contrôle de Hizme, à trois ou quatre kilomètres de là.

Un croissant de lune rouge s’élevait dans le ciel et nous pensions être à Tel Aviv dans une heure ou une heure et demie. Après un court trajet, la circulation s’est soudainement arrêtée. Un petit retard, pensions-nous, ce n’est pas trop grave. Il était environ 18 heures. L’embouteillage a rapidement pris de l’ampleur. C’était l’heure à laquelle les gens rentrent du travail.

Pendant les six heures qui ont suivi, nous avons été condamnés à attendre dans une file interminable de voitures palestiniennes - il n’y a pas de colons sur cette route - et à attendre. Nous sommes rentrés à la maison à 1h30 du matin.

Les premières heures se sont écoulées tant bien que mal. La barrière de séparation placée au milieu de la route à la suite d’un accident de la circulation survenu ici en 2012 - au cours duquel six enfants palestiniens et un enseignant ont été tués, et des dizaines d’autres blessés dans un bus - nous a conduits dans un cul-de-sac, sans possibilité de revenir en arrière, ni de faire demi-tour.

Il y avait une ambulance, des parents se précipitant vers leurs enfants, sans aucune exception pour les passagers d’une jeep décorée de fleurs, transportant un marié à son mariage.


Les services de secours palestiniens en 2012, après un accident mortel à l’extérieur de la ville de Ramallah, en Cisjordanie. Photo Reuters

À l’horizon, nous pouvions voir les feux jaunes clignotants d’une jeep de l’armée. Plus loin sur la route, des soldats se trouvaient au poste de contrôle, non loin de la colonie de Geva Binyamin.

D’habitude, ce poste de contrôle n’est pas gardé. Il ne s’agit pas d’un point d’entrée en Israël, mais les soldats ne laissent passer aucune voiture. Au bout de deux heures, peut-être trois, qui compte, ils ont commencé à autoriser les voitures à avancer.


Voici la procédure : un conducteur entrant dans la zone du point de contrôle devait éteindre son moteur et ses feux. Un soldat bien protégé et chaudement vêtu s’approchait de la voiture pour vérifier les papiers d’identité.


Il prenait le document de côté et vérifiait les détails sur un ordinateur. Parfois, les passagers ont été priés de sortir de la voiture. À une occasion, les soldats ont utilisé du gaz lacrymogène. Lorsqu’une camionnette commerciale a soudainement franchi le poste de contrôle à toute vitesse, phares éteints, les soldats n’ont rien fait ; peut-être ne l’ont-ils pas remarquée, ce qui nous a évité les coups de feu et la fermeture du poste de contrôle.


Nous avons calculé une moyenne de cinq minutes par voiture, avec une pause entre les voitures, peut-être pour donner aux soldats une chance de retourner jouer avec leurs téléphones portables. Il y a quelques années, nous avions vu une ambulance palestinienne attendre une demi-heure pendant que des soldats jouaient au backgammon. Les temps ont changé, maintenant ils jouent sur leurs téléphones portables. Des dizaines de voitures nous précédaient, des centaines nous suivaient.


Pendant ce temps, des rapports sur les pogroms dans les villages de Jinsafut et d’Al Funduq ont commencé à arriver, et des dizaines de nouveaux points de contrôle ont été érigés à travers la Cisjordanie.

 
Une prisonnière palestinienne libérée dans le cadre de léchange de prisonniers, à Ramallah, en Cisjordanie, lundi. Photo Ammar Awad/Reuters

C’était un autre coût de l’accord sur les otages : des pogroms sous les auspices de l’armée, avec des dizaines de nouveaux points de contrôle instantanés, tout cela dans le but d’apaiser Bezalel Smotrich et ses gangs et d’empêcher les Palestiniens de profiter de la libération de leurs propres otages.

Nous sommes restés six heures sur place, plus longtemps qu’un vol pour Londres. Si la rage qui régnait cette nuit-là à ce poste de contrôle ne conduit pas l’un des conducteurs au terrorisme, alors les Palestiniens font partie des nations les plus modérées, les plus tolérantes et les plus non violentes.


Lorsque notre tour est enfin arrivé, alors que les soldats nous aboyaient des ordres en arabe, une femme soldat est soudainement sortie du poste de soldats, a replié la barrière et a demandé à ses camarades de partir. Elles se disent probablement que leur service militaire est « plein de sens ». Il est un peu plus de minuit. Le croissant de lune rouge était devenue blanc.




22/01/2025

GIORGIO GRIZIOTTI
Guerres et machines Capital-État
Note de lecture de “Guerre ou révolution” de Maurizio Lazzarato

Giorgio Griziotti, Effimera, 25/10/2022
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Les deux ouvrages précédents de Maurizio Lazzarato, Le capital déteste tout le monde et L’intolérable du présent, l’urgence de la révolution, constituaient un diptyque d’une grande profondeur : dans le cadre d’une vaste analyse, il parvenait à tracer un tableau cohérent de la contre-révolution néolibérale et des impasses de la pensée post-soixante-huitarde, une époque qui s’étend de la fin des années 1970 à nos jours.

Guerre ou révolution, qui paraît quelques mois après L’intolérable du présent, se situe dans une relation plus directe avec un « présent » qui semble valider pleinement les hypothèses théoriques de l’auteur et n’est plus seulement ou simplement « intolérable ». La concaténation et l’interpénétration de la pandémie, de la catastrophe climatique et de la guerre semblent soudain accélérer la séquence de transformation de la réalité en une science-fiction dystopique angoissante.

La guerre actuelle, qui est déjà mondiale par l’intermédiaire d’un pays martyr, est presque une démonstration de ce que l’auteur avait précédemment théorisé avec une grande clarté : « le capitalisme n’élimine pas la guerre mais l’intensifie comme aucun autre système économique et politique ne l’a jamais fait, et la répand sur toute la société ».

Lazzarato affirme que certaines erreurs d’analyse ont partiellement validé, comme cela s’est produit selon lui avec le célèbre livre Empire de Hardt et Negri, l’hypothèse américaine naïve selon laquelle « une fois l’URSS disparue, il n’y aurait plus qu’une seule puissance ».

Et en effet, plus tard, « se réveillant de leur sommeil rêveur qui avait duré des années, les USA ont déclaré la Chine comme l’ennemi principal avec tous les États (Russie, Iran, etc.) qui ne se soumettaient pas à cet empire en faillite ». Et c’est en ce sens qu’il faut lire la guerre actuelle « en déplaçant le discours obsessionnellement répété de l’agresseur et de l’agressé » tandis que « croire que la Russie est la cause d’une troisième guerre mondiale possible est comme croire que l’attentat de Sarajevo l’a été de la première » .

Cette vision d’un capitalisme qui ne peut se passer de la guerre est corroborée par des réflexions, parfois déjà présentes dans ses écrits précédents et ici approfondies : la Première Guerre mondiale opère un tournant fondamental où « s’amorce le rapport d’identité et de réversibilité entre production et destruction [...] qui se poursuit encore aujourd’hui », de même qu’il est de plus en plus certain que « l’industrie de la guerre constitue un investissement indispensable à l’accumulation », indispensable à la survie du capitalisme.

Et c’est aussi à partir de la Première Guerre mondiale que l’intégration de l’Etat et du capital s’accélère. En effet, une thèse centrale du discours de Lazzarato est que l’État et le capital ne sont pas des entités séparées mais qu’« ensemble, ils constituent un seul dispositif bicéphale qui produit, gouverne, fait la guerre, bien qu’avec des tensions internes, puisque le pouvoir souverain et le profit ne coïncident pas ». L’État et le capital s’intègrent progressivement, mais ne s’identifient jamais.

Une belle époque éphémère

Lazzarato reprend également ici sa critique de Foucault et de la pensée post-soixante-huitarde qui, selon lui, a remplacé la lutte des classes et la révolution par les concepts de biopolitique et de gouvernementalité, laissant la voie libre à la contre-révolution néolibérale.

Sa thèse semble en effet corroborée par le cours de l’histoire récente. La seule observation qui pourrait peut-être atténuer ce jugement quelque peu tranchant est que la pensée post-68 a pris des positions moins radicales parce que, ayant subi la défaite historique des mouvements mondiaux des années 1960-70, elle voyait s’éloigner les perspectives d’une révolution sur le modèle de celles du XXe siècle.

Selon l’auteur, lorsque la contre-révolution a triomphé à partir de Reagan et Thatcher, « le pouvoir des vainqueurs s’est stabilisé sous la forme de l’État administratif, de la gouvernementalité, du travail et de la consommation. On pourrait appeler cette phase ... la belle époque, dans laquelle, comme dans la précédente qui a conduit à la Grande Guerre, l’expansion de la production ... semble se dérouler « paisiblement », comme si toutes les contradictions de l’accumulation capitaliste avaient été surmontées et résolues ». 

Un capitalisme « pacifié » dans lequel l’incitation pressante à la consommation sans limite renverse les sentiments de culpabilité de la « morale » protestante wébérienne et donne naissance à La fabrique de l’homme endetté ... Ici aussi, selon Lazzarato, la pensée post-soixante-huitarde semble tomber dans le piège.

« Un « pouvoir tolérant » (le néolibéralisme version Pasolini, mais aussi Foucault qui le définit littéralement de cette façon) qui « incite, induit et sollicite » au lieu de simplement « surveiller et punir », est une illusion typique de la belle époque parce qu’il est temporaire et sélectif (au Nord plutôt que dans le Sud, avec les blancs plutôt qu’avec les non-blancs, avec les riches plutôt qu’avec les pauvres, avec les hommes plutôt qu’avec les femmes), parce qu’il est rapidement destiné à se renverser en son contraire. Mais après ces courtes périodes d’euphorie « pendant lesquelles le capitalisme semble triompher de ses contradictions, il ne lui reste plus que la guerre et le fascisme pour sortir de l’impasse ».

Dimorphos, un astéroïde aux dimensions du Colisée

Critique de la philosophie écologiste

Un autre passage important est la critique adressée à la philosophie écologiste, et en particulier à l’un de ses représentants les plus connus, le philosophe français Bruno Latour, récemment décédé.

A un « Latour perdu, dépassé par les événements [qui se plaint en disant] : “Je ne sais pas comment tenir ensemble les deux tragédies”, l’Ukraine et la tragédie du réchauffement climatique », Lazzarato répond par les mots de Keynes : la violence que les capitalistes et l’Etat peuvent déchaîner contient déjà la catastrophe écologique parce que pour ne pas perdre les profits, la propriété, le pouvoir, ils sont « capables d’éteindre le soleil et les étoiles ».

Lazzarato affirme que le regretté Latour, pour comprendre quelque chose à la guerre, aurait d’abord dû admettre l’existence du capitalisme - ce qui est indéniable - mais dans son livre, la catastrophe écologique n’occupe peut-être pas la place qu’elle devrait occuper.

Il faut, à tout le moins, reconnaître l’intuition de Latour selon laquelle nous sommes tous désorientés « parce que le changement est trop grand... ce qui est largement dû au fait que nous continuons à être dans le monde d’avant »[1].

En effet, il me semble problématique de continuer à placer la dégradation de l’état de santé de Gaïa, à laquelle nous appartenons comme toutes les autres espèces, sur le même plan que d’autres catastrophes, qu’elles soient guerrières, économiques, sociales, etc.

S’il est clair que le rôle du capitalisme a été décisif pour arriver à cette situation extrême, il me semble tout aussi clair qu’il n’a pas été le seul facteur. L’implication, présente ici comme dans tant d’écrits sur le Capitalocène, qu’une défaite globale souhaitable et théorique du capitalisme serait la condition indispensable pour relever le défi de la survie écologique ne nous aide peut-être pas à comprendre de quelle révolution nous avons besoin. Même si Lénine, souvent cité par l’auteur, avait magistralement réussi à « transformer la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire », ce n’est pas sa révolution qui nous sauvera. Ainsi, si la guerre est déjà là, la révolution espérée reste une mystérieuse inconnue.

Malgré cette inconnue non résolue, le livre de Lazzarato a le mérite de nous amener à réfléchir et, nous l’espérons, à aller au-delà du passage aujourd’hui significatif et global de la « grande résignation », qui est une forme de rejet à la fois de l’exploitation et de la guerre. Son principal mérite est de contenir l’une des analyses géopolitiques les plus complètes, les plus cohérentes et les plus plausibles du chaos vers lequel nous nous dirigeons à grande vitesse. À moins qu’une forte poussée de la base ne vienne dévier sa trajectoire. Mais, pour rester dans la métaphore aérospatiale, il s’agit malheureusement de quelque chose de bien plus complexe que l’astéroïde Dimorphos [2], qui comme son nom l’indique n’avait que deux formes, et le dispositif pour l’impacter n’est pas sur la rampe de lancement.

Notes

[1] Extrait d’une série d’entretiens télévisés de B. Latour disponibles sur Arte TV. 2022 ; https://www.arte.tv/fr/videos/RC-022018/entretien-avec-bruno-latour  

[2] Astéroïde détourné de sa trajectoire par la sonde Dart de la NASA qui s’est écrasée dessus le 27/9/2022.



21/01/2025

Le Big MAGA Show


FG, 21/1/2025

Emad Hajjaj


Lundi soir, un spectacle hallucinant a éclipsé à l’échelle planétaire tous les netflix, amazon tv et autres youtubes : celui de la deuxième intronisation de Donald le MAGAlomane. Une cérémonie interminable suivie en direct par 700 invités triés sur le volet et sur écrans géants par 20 000 fans depuis la salle « Capital One » de Washington. Le show a coûté la bagatelle de deux cents millions de dollars. Sa vision m’a tellement secoué qu’il m’a fallu une bonne douzaine d’heures pour me ressaisir et écrire ce commentaire.

On savait déjà que ceux qui nous gouvernent sont des malades. Mais Donald éclipse tous les autres. Donald, sa femme (affublée d’un chapeau digne d’un comic de Marvel, cachant ses yeux) et ses fils, dont les commentateurs ne savaient plus combien ils étaient et comment ils s’appelaient, les petites chanteuses de la marine militaire – aussi ethniquement diversifiées qu’une pub de Benetton – roucoulant à l’infini « Glory, glory, alleluia », les juges de la Cour Suprême évoquant un défilé de zombies, le président sortant, Oncle Joe, hésitant sur les moments où se joindre aux applaudissements de l’assistance select, les hommes d’Église priant et faisant prier l’assistance, apparemment à 100% chrétienne, etc. etc.

Le clou fut évidemment le discours de l’Empereur. Un morceau d’anthologie à étudier pour tout étudiant se destinant à une carrière de psychiatre. Résumons : Nous sommes les plus grands, les plus beaux, les plus forts, les plus civilisées, les plus riches, les plus armés, les plus plus plus. Ou plutôt : nous l’étions, nous ne le sommes plus, nous allons le redevenir. Pendant mes quatre ans de règne, l’A(ïe)mérique va entrer dans rien moins que le « Golden Age », l’Âge d’or. 

L’Empereur a annoncé en vrac : j’ai décidé qu’il n’y a que deux sexes, le mâle et le femelle ; je vais renommer le Golfe du Mexique « Golfe de l’Amérique » ; je vais reconquérir Panama et son canal : je déclare l’état d’urgence à la frontière mexicaine ; je vais virer tous ces bougnoules qui viennent bouffer nos chiens et nos chats ; je vais renommer le mont Denali -le plus haut sommet des USA, en Alaska – mont McKinley, pour honorer ce grand président qui fut un businessman à succès (bref, comme moi) ; et, last but not least, je vais planter notre drapeau sur la planète Mars (là, Elon Musk a frissonné de joie).

Non, je ne l’ai pas rêvé, ce n’était pas une production d’intelligence artificielle, mais de connerie naturelle. Donald II, plus fort que Néron, Caligula, Henri VIII et Ceausescu réunis. Donald II, dernier empereur de Yankeelandia, dont l’histoire ne retiendra strictement rien qu’une hénaurme rigolade amère.


20/01/2025

Patrice Émery Lumumba (1925-1961) : Honneur et Respect

Discours du 30 Juin 1960, jour de l'indépendance du Congo


Patrice Emery Lumumba (né le 2 juillet 1925) aura été une étoile filante dans le ciel  de l’Afrique à peine indépendante. Élu Premier ministre en 1960, destitué quatre mois plus tard, il est assassiné le 17 janvier 1961, suite à un complot mêlant la puissance coloniale belge, la CIA et les services secrets français. Ce que toutes ces puissances ne lui pardonnaient pas, c’était de vouloir rompre avec le colonialisme qui, au Congo, fut particulièrement féroce. Patrice Lumumba a scellé son destin le jour même de l’Indépendance, par son discours, non prévu. En disant la vérité du colonialisme, il se condamnait à mort.

Le 30 juin 1960, jour de l'indépendance du Congo, le Palais de la Nation à Léopoldville (l'actuelle Kinshasa) reçoit les membres de la famille royale belge dont le roi Baudoin 1er, des représentants du gouvernement belge, des administrateurs coloniaux, le parlement congolais, la presse internationale pour célébrer cette nouvelle ère pour le Congo.  L'évènement est radiodiffusé dans tout le pays et couvert par la presse internationale. La foule s'amasse devant le Palais de la Nation pour assister à un évènement historique. Le protocole voulait que le roi Baudoin puis le président Kasavubu fassent un discours pour l'indépendance du Congo mais le Premier ministre Lumumba élu par le parlement ne l'entendit pas de cette oreille.
Le discours du roi des Belges, Baudoin 1er, fut un discours de légitimation de la colonisation, une véritable apologie de l'œuvre du roi Léopold II.  

"L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique".

Il sonnait aux oreilles des nationalistes congolais comme une insulte à la mémoire des millions de morts générés par la politique monstrueuse du roi Lépold II, grand-oncle du roi Baudoin. "Pour caractériser le colonialisme léopoldien, les sources les plus diverses utilisaient les notions et les concepts les plus évocateurs pour l'époque, curse ("malédiction"), slave state ("Etat esclavagiste"), rubber slavery ("esclavage du caoutchouc"), crime, pillage...Aujourd'hui on n'hésite plus à parler de génocide et d'holocauste" (Elikia M'Bokolo, Le livre noir du colonialisme. XVIè-XXIè siècle : de l'extermination à la repentance, p.434). On peut d'ailleurs pour évaluer l'ampleur de la monstruosité coloniale au Congo sous Léopold II consulter de nombreuses références*.

Un documentaire britannique intitulé 
« Le Roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire »   réalisé par Mark Dummett et produit par la BBC a suscité les foudres de la maison royale et du ministre des affaires étrangères Louis Michel lors de sa diffusion sur la RTBF le 8 avril 2004. Le passage incriminé était un commentaire faisant le parallèle entre la colonisation de Léopold II et le génocide hitlérien. Même si bon nombre de ces enquêtes sont postérieures à 1960, ni la Belgique, ni les Congolais ne pouvaient ignorer le cataclysme pour le Congo que fut le règne de Léopold II. Les travaux de l'avocat afro-américain George Washington Williams, du missionnaire afro-américain William Shepperd, du journaliste britannique Edmund Dene Morel, du consul britannique Roger Casement, du premier mouvement des droits de l'homme (Anti-Slavery International) furent à l'origine d'une commission d'enquête belge instituée par décret le 23 juillet 1904 et dont les témoignages ne furent pas publiés. Cette commission fut relayée par une de nombreux articles dans la presse et par une abondante littérature dont les fleurons les plus célèbres sont Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad (1905) et The crime of the Congo (1909) de Sir Arthur Conan Doyle.

Le discours de Baudoin Ier en faisant l'apologie de son grand-oncle et de l’œuvre coloniale apparaît pour les colonisés comme un discours de légitimation des nombreuses humiliations et discrimination qui ont jalonné la colonisation : arrestations arbitraires, exécutions sommaires, répressions sanglantes, spoliations et expropriations... En juin 1960, aucun Noir ne dépassait le grade de sergent-chef dans la Force Publique (force coloniale belge), et le dérisoire statut "d'évolué", censé couronner les efforts d'assimilation des indigènes, concerne à peine un millier de Congolais sur treize millions.

Baudoin Ier :

"Ne compromettez pas l'avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet  la Belgique, tant que vous n'êtes pas certains de pouvoir faire mieux...N'ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils, pour former avec vous les techniciens et les fonctionnaires dont vous aurez besoin."

Au discours pro-colonial du roi Baudoin répondra le discours officiel insignifiant du président du parlement, Joseph Kasavubu qui remercie le roi et en appelle à Dieu : "...Dans une attitude de profonde humilité j'ai demandé à Dieu qu'il protège notre peuple et qu'il éclaire tous ses dirigeants...".

Puis il y eut l'allocution non annoncée du Premier Ministre Patrice Emery Lumumba à la grande surprise du gouvernement belge et de la maison royale. Son discours, pour les Congolais, fut libérateur  de tant d'humiliations, de brimades et de crimes contre l'humanité subis et jamais dénoncés publiquement. Il fut interrompu à huit reprises par les applaudissements de la foule  et son discours fut couronné par une véritable ovation tandis que le roi Baudoin devint livide selon nombre d'observateurs. Lumumba intervint immédiatement après l'allocution du président congolais. C'est Joseph Kasongo, le président de la chambre des représentants qui donna la parole au Premier ministre à la grande stupéfaction du gouvernement Eyskens et du roi. Aucun des spectateurs de cette journée n'avait eu le projet de texte de Lumumba, ni la presse, ni les Belges, ni les Congolais. Jean Van Lierde, ami belge de Lumumba, raconte comment il a vu Lumumba corriger son texte durant l'allocution du roi Baudoin et du président Kasavubu. C'est le contenu du discours qui va sceller le sort de Lumumba et montrer au monde entier de quelles valeurs, de quelle idéologie politique il était trempé. Pour la première fois, un "nègre" devenu le plus haut responsable du gouvernement congolais, révèle au monde entier le sort que les colonisés ont subi sous le joug colonial au Congo. Comble du déshonneur, il ne s'adresse ni au roi, ni au gouvernement belge mais aux Conglais, reléguant les anciens colons au rôle de spectateurs.

Ce portrait de Lumuba, commandé au peintre Bernard Safran pour orner la couverure du TIME MAGAZINE du 22 août 1960, ne parut jamais, car il fut remplacé au dernier moment par un portrait de Dag Hamarskjِöld, le Secrétaire général de l'ONU, qui venait de mourir dans un accident d'avion, resté inexpliqué à ce jour, au...Congo

Discours du 30 Juin 1960

Congolais et Congolaises,

Combattants de l'Indépendance aujourd'hui victorieux, Je vous salue au nom du gouvernement congolais.

 A vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffablement gravée dans vos coeurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l'histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.

MAURIZIO LAZZARATO
Guerre ou révolution
Pourquoi la paix n’est pas une alternative

 

La guerre de Palestine n’a pas commencé le 7 octobre 2023. La guerre d’Ukraine n’a pas commencé le 24 février 2022, ni même le 20 février 2014. Nous sommes tous embarqués, de près ou de loin mais toujours en temps réel, direct, dans une guerre civile mondiale. Toutes les certitudes, toutes les identités, tous les clichés sont ébranlés, tous les abris sont bombardés. Comment agir ? Mais avant cela, comment penser ? La French-Italian Theory, autrement dit les théories développées par Foucault, Deleuze, Guattari, Negri, Hardt, Agamben, Rancière et leurs disciples, s’avère à chaque instant incapable d’armer une résistance intellectuelle, psychologique, morale, en un mot politique, qui soit efficace, face aux catastrophes qui nous tombent dessus. Reprenons donc les choses à zéro et relisons quelques classiques. C’est à cet exercice ardu mais stimulant que Maurizo Lazzarato nous invite, dans une trilogie dont voici le premier volet en français, qui sera suivi des deux autres dans les mois qui viennent.

 « Guerres et révolutions, malgré́ le déni dont elles font l’objet de la part de la pensée critique, continuent à déterminer le début et la fin des grandes séquences politiques. La guerre fait partie intégrante de la machine Capital – État au même titre que la production, le travail, le racisme et le sexisme. Depuis la première guerre mondiale, tous ces éléments sont intégrés de façon indissoluble et fonctionnent ensemble comme un tout. Et comme il y a un siècle, ils ne peuvent que produire des situations comme celles que nous vivons en ce moment. 

 « Le marxisme de la première moitié du XXe siècle, celui qui a organisé et pratiqué la « guerre de partisans » a encore des choses à transmettre, même si une grande partie de ses concepts et mots d’ordre ont vieilli et sont aujourd’hui impraticables. Sa pensée stratégique pour s’opposer à la guerre et au capitalisme (ce que toutes les théories que nous avons élaborées pour le remplacer sont incapables de proposer) a été complètement ignorée alors qu’elle peut constituer une orientation de la pensée et de l’action si on a la capacité de la requalifier par rapport à l’époque. 

« Le poststructuralisme, la déconstruction, la biopolitique, le spinozisme, la pensée écologique, les théories féministes, la micropolitique et la microphysique du pouvoir, etc. , c’est-à-dire tout l’effort qui, à partir des années 60, a été produit pour essayer de construire une alternative à la lutte de classe marxiste (sans la trouver !), risque, s’il ne s’articule pas à une pensée stratégique de la guerre et de la révolution, de rester impuissant, car guerres et révolutions sont toujours et encore, malheureusement , les débouchés « naturels » de l’action du capitalisme et de ses États. »

Table des matières
Introduction
1♦ La guerre en Ukraine, l’Occident et nous
2 ♦ Guerre, capitalisme, écologie : pourquoi Bruno Latour ne peut rien y comprendre
3 ♦ Comment le capitalisme a été pacifié
4 ♦ Michel Foucault : à propos d’une volte-face sur la guerre civile
5 ♦ Mondialisation : machine de guerre, Empire ou impérialisme ?
♦ Postface Les impasses de la French Theory, la pensée critique occidentale
♦ Les artisan·es de ce livre

Maurizio Lazzarato
Guerre ou révolution
Pourquoi la paix n’est pas une alternative
Traduit de l’italien par Rosa Llorens
Édité par Fausto Giudice
Éditions The Glocal Workshop/L’Atelier Glocal
Collection “erga omnes” n° 11
Janvier 2025
210 pages, format A5

Classification Dewey: 300 – 320 – 321 – 324 – 327 -330- 331 – 333- 336- 337- 341 – 355- 801-844-854-901-940-950-960-970

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Tout soutien bienvenu

19/01/2025

GIDEON LEVY
“Il n’y a pas d’innocents à Gaza” : Réflexion sur la première guerre fasciste d’Israël

Gideon Levy, Haaretz  , 19/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

La guerre qui est censée se terminer dimanche entrera dans l’histoire comme la première guerre kahaniste*. Elle est fondamentalement différente de toutes les guerres précédentes d’Israël.

Amos Biderman, Haaretz, février 2022

La seule guerre qui lui ressemble est celle de 1948, qui a provoqué la Nakba, mais les motivations de cette guerre étaient différentes. Il s’agissait d’une guerre visant à établir un État juif ; il s’agit ici d’une guerre visant à établir un État fasciste. [cherchez la différence, NdT]

L’État kahaniste s'est érigé en Israël. La mollesse criminelle de Benjamin Netanyahou l’a rendu possible. Ce ne sont pas seulement les partis néo-nazis qui en sont responsables : c’est surtout le Likoud, le parti du Premier ministre, qui a porté le kahanisme au pouvoir.

Le changement profond qui s’est produit en Israël est parfaitement illustré par la guerre de Gaza. Presque tout dans cette guerre visait à apaiser l’extrême droite fasciste, raciste et favorable au transfert de population, et l’esprit du kahanisme a pris le contrôle de ses objectifs et de sa conduite. Ce n’était pas seulement l’ampleur de la cruauté de l’armée, c’était surtout la façon dont la cruauté était transformée en valeur dans la société israélienne dans son ensemble, en une opportunité, un atout, un miracle. La cruauté comme une chose dont on peut être fier, à laquelle on peut aspirer, dont on peut se vanter et dont on peut faire étalage.

Lors de ses précédentes guerres, Israël a également commis des actes odieux. Parfois, il a tenté de les nier, de les dissimuler et de mentir, parfois même il les a admis et en a eu honte. Pas cette fois-ci.

Cette fois-ci, le porte-parole des FDI présente fièrement l’ampleur des destructions et des tueries, les brandissant comme des exploits pour plaire à la droite kahaniste, qui est devenue le courant dominant.

Israël est devenu un État qui aspire à tuer et à détruire des Arabes uniquement pour tuer et détruire des Arabes. Ce n’était pas le cas auparavant, et il n’en était certainement pas fier. Il s’agit d’un changement profond, dont nous aurons du mal à nous défaire. Il laisse présager un avenir des plus sombres.

Lorsque Meir Kahane est apparu, il a amené avec lui un parti néo-nazi créé en Israël qui considérait les Arabes comme des chiens, dans le meilleur des cas. Israël a reculé devant lui. L’éthique du Mapai, qui consiste à « tirer et pleurer », prévalait encore ici, à côté de l’impartialité du Likoud. Menahem Begin, ainsi que le premier gouvernement Netanyahou, l’ont préservée. L’effondrement a commencé avec le deuxième gouvernement Netanyahou et a atteint son apogée dans le gouvernement actuel. De tous ses crimes, celui-ci est le plus grand et le plus impardonnable. Dans un premier temps, le fascisme a été légitimé et blanchi.

Des voix qui n’avaient jamais été considérées comme légitimes ont infiltré la politique et les médias. Bientôt, elles n’étaient plus seulement légitimes, elles étaient la voix des masses israéliennes, mais aussi celle du gouvernement et de l’armée. À la radio et à la télévision, les gens disaient « Il n’y a pas d’innocents à Gaza » et parlaient du droit et du devoir (heureux) de tuer tout le monde, avec la même aisance qu’ils discutaient du temps qu’il fait.

Desjournalistes chevronnés ont révélé les opinions qu’ils avaient cachées lorsqu’ils ont réalisé qu’elles étaient non seulement permises, mais aussi bénéfiques pour eux. D’Amit Segal et Zvi Yehezkeli à Almog Boker, des fascistes sont nés. Un tel discours n’existait tout simplement pas en Israël auparavant et n’a sa place dans aucune démocratie. Pendant ce temps, les voix anti-guerre ont été réduites au silence ; même la compassion et l’humanité ont été interdites. La prise de contrôle de la conversation publique était achevée.

Pendant les longs mois de la guerre, le kahanisme est devenu la voix dominante d’Israël et de son armée. Il n’y a plus de différence entre les commandants issus du sol pourri des colonies et leurs homologues du « bel » Israël : tous faisaient tout dans l’esprit de Kahane, sans exception et sans dissidents. Le but était de plaire à Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir. Il suffit de leur donner la quantité infinie de sang qu’ils réclament.

Un accord sur les otages a été reporté pendant des mois, Gaza a été complètement détruite, des zones entières ont été nettoyées et des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, tout cela pour satisfaire l’esprit de Kahane et de ses représentants terrestres au sein du cabinet.

Il est ironique que la première guerre de Kahane se termine maintenant avec le retrait de la coalition gouvernementale d’Otzma Yehudit, dont le chef a déjà promis de revenir lorsque le génocide reprendra. Mais le bouleversement est terminé, il n’y a plus besoin de Ben-Gvir et de ses semblables. Netanyahou et le Likoud sont suffisamment kahanistes pour continuer à poursuivre la vision de Kahane ; il n’y a même plus besoin de gribouiller « Kahane avait raison » sur les murs.

NdT

*Meir Kahane (1932-1990) : rabbin fasciste de Brooklyn, fondateur de la Ligue de défense juive puis du parti Kach, interdit en 1994 en Israël pour « terrorisme et racisme ». Ben-Gvir et Smotrich sont ses disciples.


18/01/2025

FRANCISCO CARRIÓN
“Le régime marocain n’est pas viable. Un soulèvement populaire est inévitable”
Entretien avec le journaliste marocain Aboubakr Jamaï


Francisco Carrión, El Independiente, 7 / 01 / 25
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala
                  
Il dit être « radioactif » dans les milieux du pouvoir espagnol et français, mais son analyse et sa connaissance des tenants et aboutissants du Maroc sont des trésors. Aboubakr Jamaï, journaliste et homme d’affaires marocain en exil, connaît bien le passé du régime alaouite, ses projets d’ouverture aujourd’hui enterrés et son engagement renouvelé en faveur de la répression et des privilèges d’une élite qui partage un avenir sur lequel planent de sombres nuages.

« Je n’ai rien à cacher. Je dis la même chose à la presse et derrière des portes closes », déclare-t-il au pied levé dans un long entretien accordé à El Independiente. En 1997, Aboubakr Jamaï (Rabat, 1968) fonde à 29 ans Le Journal Hebdomadaire et, un an plus tard, son pendant arabophone, Assahifa al-Ousbouiya. Son journalisme inconfortable, compris comme un appel à la démocratisation du royaume, est devenu la cible de la colère du gouvernement, en particulier après l’accession au trône de Mohammed VI en 1999. Il a résisté à la diffamation, à l’interdiction, à la censure et à l’asphyxie économique pendant plus d’une décennie. En février 2010, Jamaï a annoncé sa fin. « Le journalisme sérieux est devenu impossible au Maroc aujourd’hui », plaide-t-il devant la foule.

Lauréat du prix international de la liberté de la presse décerné par le Comité pour la protection des journalistes,  Jamaï réside aujourd’hui à Madrid, où il est doyen de la Donna Dillon Manning School of Global Affairs de l’American College of the Mediterranean.

Question : Comment le Maroc est-il perçu de l’étranger ?
Réponse : L’État et le régime marocains nous disent que tout va bien, mais apparemment tout ne va pas bien. La raison pour laquelle je commence à m’inquiéter de la santé du monarque est qu’elle a des implications en termes de gouvernance du pays, parce que le roi est si important d’un point de vue constitutionnel que son bien-être est essentiel pour comprendre ce qui se passe dans le pays. S’il ne fonctionne pas pleinement, qui est responsable, qui prend les décisions ? Je pense que le roi a toujours été en charge. Il n’a peut-être pas prêté attention à certaines questions, mais c’est lui qui prend les décisions en dernier ressort. Je n’ai jamais cru que certaines décisions importantes avaient été prises sans son approbation, même lorsqu’il était à l’étranger. Je ne pense pas que de grandes décisions aient été prises sans qu’il en soit informé. La grande question est de savoir s’il est vraiment bien informé de ces décisions. Nous savons qu’il y a une sorte de division du travail autour de lui ; que le volet politique de sécurité, par exemple, était entre les mains d’Ali El Himma.
Q.- Où se place le chef de l’appareil policier, Abdellatif Hammouchi, dans cette division du travail ?
R.- C’est un des débats au Maroc, mais il est très peu probable qu’il ait pris la place d’El Himma. Il y a une constante dans le gouvernement du roi : les gens qui sont proches de lui sont des gens qui ont littéralement étudié avec lui à l’université. Ceux qui occupent encore les postes les plus importants sont des gens qui étaient avec lui dans ce que j’appelle sa zone de confort psychologique. Il est intéressant de les comparer à ceux qui entouraient Hassan II. La principale différence est que la plupart de ceux qui étaient avec Hassan II avaient une réputation bien établie en dehors du palais et avaient leur propre itinéraire politique. Ils étaient des personnalités à part entière. Aujourd’hui, ce sont ses amis. Au-delà du fait qu’ils sont autour de lui, ils sont inconnus. Je veux dire que si l’on retire de leur CV le fait qu’ils fréquentent le palais, qui sont-ils ? Ils n’ont aucune expérience professionnelle ou autre en dehors du palais.
Q.- Quel est le résultat de son gouvernement ?
R.- Je mentionne toujours les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale et c’est l’un des rares qui commence avant Mohamed VI. Vous pouvez voir l’évolution au cours des dernières années de Hassan II et immédiatement après en termes de corruption ou de libertés politiques. On peut voir qu’elle progresse positivement jusqu’en 2000 et qu’elle se dégrade depuis. Depuis le début de la monarchie de Mohammed VI, les droits humains et la liberté d’expression se sont dégradés par rapport aux dernières années de Hassan II.
Q.- Mais dans les premières années du règne de Mohammed VI, on projetait l’image d’un monarque compréhensif. On le surnommait « le roi des pauvres »...
R.- C’est une des raisons pour lesquelles, en tant que journaliste, j’ai eu des problèmes parce que dès le début nous avons commencé à tirer la sonnette d’alarme, parce que pour nous les signes avant-coureurs étaient déjà là. L’attitude de la monarchie à l’égard des entreprises est un indicateur important, car Hassan II, au cours de ses dernières années, a désengagé la monarchie du secteur privé. Un tournant important dans l’histoire politique récente du Maroc est ce qui s’est passé entre 2001 et 2003. Si l’on compare ce qui s’est passé dans la région dans les années 1990, on constate une régression en termes de droits humains et de démocratie. Il y a eu un proto-Printemps arabe. Les premières élections démocratiques dans le monde arabe ont eu lieu en Algérie en 1999. Elles ont débouché sur une guerre civile, mais il s’agissait d’élections démocratiques. Les élections les plus libérales de l’histoire de la Jordanie ont eu lieu en 1989, par exemple, et le Maroc a également rejoint la vague. La différence entre le Maroc et les autres pays est que le Maroc n’a pas reculé dans les années 1990. Hassan II a continué sur sa lancée. Je ne pense pas qu’il y ait eu un autre pays qui ait maintenu l’élan d’ouverture aussi dynamique que le Maroc, et le Maroc a été une bonne exception dans les années 1990. Il n’a jamais été une démocratie. Et cela a duré jusqu’au début des années 2020. Mon journal a été interdit à deux reprises en 2000. Hassan II ne l’a jamais interdit et j’ai été rédacteur en chef de novembre 1997 jusqu’à sa mort en juillet 1999 et nous n’avons jamais été interdits.
Q.- J’ai cru comprendre que pour vous, ce qui se passe au Maroc était prévisible ?
R.- Oui, bien sûr. Pour moi, les choses ont commencé à mal tourner très tôt. Tout d’abord, l’interdiction des journaux. Si vous regardez en arrière, vous vous rendez compte que les premières personnes qui ont été arrêtées sur la base des nouvelles lois antiterroristes étaient des journalistes, vous savez, après 2008. L’une des principales raisons pour lesquelles ce faux récit d’ouverture a persisté est liée au parti socialiste en France. Hassan II a nommé Abderrahmane Youssoufi premier ministre parce qu’il avait besoin du soutien des socialistes à l’étranger sur la question du Sahara. Cette nomination l’a aidé à s’entendre avec le Parti socialiste français.
Q.- Quel est l’héritage de Mohamed VI ?
R.- C’est une occasion manquée.
Q.- Je ressens une certaine méfiance à l’égard de l’Europe et de ses relations avec le Maroc...
R.- Lorsque nous avons été interdits de travailler en tant que journalistes et de publier, le seul pays où nous avons trouvé une société civile qui nous a soutenus ont été les USA. Je n’ai pas beaucoup d’espoir du côté de l’Europe en ce qui concerne les droits humains au Maroc. Leurs propos ne résonnent plus en moi. D’abord, la proximité entre les socialistes français et marocains a sacrifié les militants des droits humains et les démocrates. Ils ont acheté le discours des socialistes marocains. La deuxième raison est ce que j’appellerais la maladie française : le problème de l’islamisme. Il s’agit de la notion selon laquelle l’alternative aux socialistes et même au régime marocain est l’islamisme, ce qui, soit dit en passant, est conceptuellement stupide parce que la nature du régime actuel est islamiste. La raison pour laquelle le roi est roi est qu’il dit être un descendant du prophète et qu’il gouverne selon la loi de Dieu.
Lorsque vous parlez en ces termes, ceux d’entre nous qui, au Maroc, croient en la démocratie et aux libertés, s’entendent dire que nous sommes les idiots utiles de l’islamisme, que nous préparons le terrain pour l’islamisme. Et ceci est basé sur une vision très orientaliste selon laquelle nos sociétés sont des sociétés islamiques, ce qui n’est pas vrai. Nos sociétés sont très complexes. La preuve en est que les quelques ouvertures que nous avons eues dans la région en termes d’élections n’ont pas été balayées par les islamistes. Pas même en Tunisie. Et même si l’opposition était fracturée et brisée, elle n’a pas été en mesure d’obtenir de fortes majorités où que ce soit. La troisième raison concerne l’Espagne. Si vous me demandez pourquoi Pedro Sánchez fait ce qu’il fait vis-à-vis du Maroc, c’est parce que le Maroc est devenu beaucoup plus offensif dans sa diplomatie et utilise des arguments qu’il n’utilisait pas officiellement auparavant : « si vous ne jouez pas le jeu avec nous, nous vous ouvrons les portes de l’immigration ». C’est en mai 2022 que les Marocains ont envoyé des milliers de personnes à Ceuta, ce qui n’était pas arrivé auparavant.
Il y a aussi une nouvelle stratégie de diplomatie et de sécurité. Hammouchi est décoré en Espagne et en France. Il voyage aux USA et est proche du FBI et de la CIA. Il ne donne pas d’interviews, mais il publie des photos. Des gens écrivent des articles publicitaires sur eux. Ce n’était pas le cas auparavant.
Q.- Il semble que la diplomatie et l’appareil sécuritaire du Maroc gagnent la partie...
R.- Je ne sais pas, qu’avons-nous gagné exactement ? Si vous me demandez en termes d’efficacité, le jury n’a pas encore tranché. Le Roi a fait un discours et a dit que la lentille à travers laquelle nous allons juger nos partenaires dans le monde est leur attitude envers le Sahara Occidental. Quelle est votre mesure ? Quand on me dit que j’ai réussi, qu’avez-vous réussi à faire exactement ? Ce que le Maroc cherche, c’est la reconnaissance par l’ONU du fait que le Sahara occidental est marocain, donc pour moi c’est la mesure. Ce n’est pas le cas si Sanchez envoie une lettre et se contredit ensuite lorsqu’il s’exprime à l’ONU. Il en va de même pour les USA et la France, qui sont de plus gros poissons, car ils disposent d’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
Q.- Le plan marocain d’autonomie pour le Sahara a été présenté en 2007 et n’a pas été développé depuis.
R.- A l’époque, j’ai interviewé Mohamed Abdelaziz [le défunt leader du Polisario] pour lui demander ce qu’il pensait du plan d’autonomie et il n’a pas dit non. Il a dit que pour le moment, nous avions le processus de l’ONU : « voyons ce qui se passe et ensuite parlons ». Je l’ai interviewé à l’hôtel Mayflower à Washington. À la fin de l’entretien, l’un de ses conseillers est venu me voir et m’a dit : « Si le plan d’autonomie nous aide à sauver la face, pourquoi pas ? » Je l’ai écrit et personne n’a dit que c’était faux. Pour moi, le problème du plan d’autonomie n’est pas que le Sahara le rejette, c’est la hiérarchie des choses à faire pour avoir un plan d’autonomie acceptable. Le plan d’autonomie du Maroc n’est pas assez bon parce que nous n’avons pas les institutions pour le mettre en œuvre. Dans les déclarations de l’ambassadeur allemand à Rabat qui ont provoqué la crise avec l’Allemagne, il a dit quelque chose d’essentiel : si les Marocains pensent que les réformes de régionalisation qu’ils sont en train de faire sont suffisantes, ils se trompent. C’est mon attitude depuis le début.
Q.- Et que pensez-vous actuellement du plan d’autonomie pour le Sahara ?
R.- Le Maroc n’est pas capable. Nous n’avons pas les institutions pour mettre en œuvre un plan d’autonomie. Nous n’avons pas de système judiciaire indépendant. Nous ne sommes pas constitutionnellement développés pour avoir un plan d’autonomie internationalement acceptable. C’est notre problème et j’ai souvent dit en plaisantant que si le Polisario voulait ennuyer les Marocains, il devrait dire : « Oui, discutons de votre plan d’autonomie de trois pages ». Le Maroc n’a pas de plan sérieux parce que nous n’avons pas les bonnes institutions. Nous sommes institutionnellement sous-développés pour ce genre de choses parce que nous ne sommes pas une démocratie et nous demandons au monde de reconnaître que ces gens sont des Marocains. Donnez-nous ces gens qui sont les nôtres. Hassan II a utilisé une formule intéressante : « Je veux que l’ONU me donne mon titre de propriété ». Si tel est l’objectif, je ne pense pas que nous ayons fait beaucoup de progrès car, en fait, nous sommes toujours dans les résolutions de l’ONU. Il y a un paragraphe sur la solution politique et le respect du droit à l’autodétermination des peuples. Tant que cette phrase existera, nous ne gagnerons pas.
Nous en sommes toujours au même point. L’une de mes questions est de savoir pourquoi le Polisario est aujourd’hui totalement opposé au plan d’autonomie. Il ne parle que du droit à l’autodétermination. Que s’est-il passé en 2000 pour que le Polisario change d’avis ? Le Maroc était perçu comme un pays en voie de démocratisation et le Polisario a pris peur, car il craignait que son peuple ne l’accepte. La stratégie du Maroc devrait être telle que le peuple du Sahara pèse essentiellement deux choses : la démocratie et la liberté ou l’indépendance. Parce que si vous avez l’indépendance, il n’est pas sûr que vous soyez une démocratie... mais si vous l’avez déjà, si vous êtes sous le gouvernement d’un État qui se démocratise vraiment et que vous pouvez voir que vos ressources sont investies dans votre partie du pays ; si vous voyez que vous êtes traités de manière égale, que vous avez la liberté d’expression, que vous avez toutes ces choses, alors vous pourriez vous demander pourquoi l’indépendance. Parce que l’Algérie n’est pas la plus grande démocratie du monde et je sais que mes dirigeants ont un lien très fort avec les Algériens. Qu’est-ce que cela signifierait pour mon gouvernement ? Je ne soutiens pas l’argument marocain selon lequel il s’agirait d’une dictature. Je n’en sais rien. Je ne préjuge pas.
Q.- Mais cette possible stratégie de séduction est complètement enterrée aujourd’hui ?
R.- Aujourd’hui, il ne semble pas y avoir d’autre voie que le système prédateur du business royal, la collaboration avec les puissances du monde en torturant les gens qu’ils pensent être des terroristes ; l’arrêt de l’immigration s’ils le veulent en échange de la propriété marocaine du Sahara. Les droits humains ne nous intéressent plus. Nous avons maintenant une diplomatie de la sécurité.
Q.- Y a-t-il encore de la place pour une démocratisation au Maroc ?
R.- Oui, bien sûr. Je n’ai pas de réponse à cette question, mais je vais vous dire ce que je ne sais pas avec certitude. Ce que je sais avec certitude, c’est que ce régime n’est pas disposé à se démocratiser et qu’à un moment donné, il y a eu un espoir que ce régime soit disposé à s’ouvrir. L’indice de Freedom House est très utile. Hassan II a laissé un régime sans journalistes en prison, à quelques exceptions près, mais sans prisonniers politiques majeurs. Aujourd’hui, nous avons des prisonniers politiques et la torture au Maroc.
Q.- Le Maroc actuel est-il viable à long terme ?
R.- Je ne pense pas que ce type de gouvernement soit viable, mais il y a une bonne nouvelle dans l’histoire récente du Maroc, qui pour moi est formidable : lorsque nous avons eu le printemps populaire et le soulèvement du Rif, cela a montré que nous avons un peuple pacifique. Nous avons des gens organisés et articulés qui ne travaillent pas dans le cadre de syndicats, qui ne travaillent pas dans le cadre de partis politiques. Il existe donc une société en dehors de la société politique publique officielle qui est en fait beaucoup plus mûre que je ne le pensais moi-même. Je n’ai pas grandi à Casablanca, mais je la connais très bien. Il y avait des dizaines de milliers de personnes qui manifestaient dans un quartier très populaire. Pas une seule vitre n’a été brisée. Et je connais ces quartiers, il n’y a pas un jour sans qu’il y ait des pleurs, sans qu’il y ait des bagarres. Dans le Rif, c’était exactement la même chose. La violence est toujours venue de l’État.
Q.- Y aura-t-il un nouveau soulèvement à l’avenir ?
R.- Je pense que c’est inévitable. Lorsque vous analysez ce qui s’est passé dans toute la région et que vous voulez identifier le secteur démographique qui a été le principal moteur du Printemps arabe et du soulèvement du Rif, il s’agit de la jeunesse urbaine qui est au chômage, plus éduquée que le reste de la population et plus active. Par rapport à 2010, la situation est pire au Maroc parce que le régime n’a pas réussi à résoudre le problème principal, qui est de donner des emplois aux jeunes, qui sont ceux qui se rebellent. Nous sommes dans un monde différent avec l’internet. Ils y ont accès. J’emmène des étudiants usaméricains au Maroc et chaque fois que j’y vais, je suis stupéfait par le nombre de jeunes que nous rencontrons et qui ont appris l’anglais en regardant YouTube. Les gens ont donc d’autres moyens d’augmenter leur QI et pour moi, le QI de la société a augmenté non pas à cause du système éducatif, mais parce qu’ils sont exposés au reste du monde. La contestation va continuer à se développer. Nous ne prêtons pas trop attention à ce qui se passe démographiquement au Maroc. Aujourd’hui, la pyramide des âges marocaine commence à ressembler à une femme enceinte. La majorité de sa population est la partie productive entre 20 et 40 ans. La croissance moyenne pendant les 25 ans de Mohammed VI est de 3,6%. Le taux de croissance dont le Maroc a besoin, selon les économistes, pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail se situe entre 6 et 7 %.
Je ne vois pas comment, s’il n’y a pas de relations appropriées, notamment avec l’Europe, organiser l’immigration de la manière la plus civilisée possible avec les pays qui ont besoin de l’immigration. L’Espagne a besoin de l’immigration. C’est un problème pour l’Espagne, mais surtout pour le Maroc. Le régime devrait avoir peur. Dans le Rif, ils ont réussi à mettre fin au soulèvement par la répression - ils ont rassemblé les leaders du mouvement et les ont condamnés à des peines de prison insensées et ils sont toujours en prison - et par l’ouverture du couloir de migration. Ils ont ouvert la porte : ils ont dit aux gens d’aller en Espagne. [Feront-ils avorter la prochaine révolte avec la même recette ?] Je ne sais pas, parce qu’ils sont entre le marteau et l’enclume.
Q.- Avec tous ces éléments, comprenez-vous la position de Sánchez au Maroc ?
R.- C’est très malheureux la façon dont cela s’est passé parce que je ne pense pas que ce soit un bon reflet des institutions espagnoles. Ce n’est pas non plus une bonne chose pour le Maroc. Je comprends la difficulté d’un chef de gouvernement espagnol et sa mission de stopper l’immigration illégale et de lutter contre le terrorisme en connaissant l’origine de ceux qui ont commis des attentats dans le passé. Et si les Marocains sont vraiment attachés au fait que le Sahara occidental devrait être marocain et qu’ils vont essentiellement évaluer toutes les autres politiques à mon égard à travers la lentille de cette question, qui est le Sahara occidental, alors j’aimerais les contenter. C’est logique. Mais la question est de savoir comment vous le faites, si c’est la bonne façon, s’il n’y a pas d’autre façon de le faire ? L’Espagne devrait prendre le Sahara occidental au sérieux et c’est difficile parce que le régime marocain est sourd et muet en ce moment. Nous sommes confrontés à une situation de fierté mal placée. Je n’aime pas ce chauvinisme venant du Maroc. Si je suis un partenaire du Maroc, je trouve qu’il est très difficile de parler au Maroc. Même à huis clos, je pense que les seules personnes que les Marocains écoutent sont les USAméricains. Les Marocains se moquent des Espagnols et des Français. Soyons clairs. Ils sont très arrogants en ce moment.
Il est très important de défendre les intérêts marocains, mais pas de cette manière. Ce n’est pas la bonne façon de le faire. Il y a d’autres façons d’être ferme, même sur la marocanité du Sahara, mais pas en menaçant d’être négligent dans la lutte contre le terrorisme et quand je dis lutte contre le terrorisme, je veux être clair ici. Je suis quelqu’un qui pense que la menace terroriste a été exagérée. Notre gouvernement ne doit pas être le gendarme des sociétés européennes. Il y a une très mauvaise perception de l’Islam, à la limite du racisme, dans ces sociétés. Par conséquent, lorsque je parle de terrorisme, je parle en fait de criminalité. Je ne parle pas d’arrêter quelqu’un qui porte une barbe. Mais pour moi, il est important que mon pays soit réellement impliqué dans la lutte contre cette criminalité. Il s’agit de ne pas laisser mes enfants risquer leur vie en essayant d’aller à Ceuta. J’ai mauvaise réputation lorsque j’utilise cela contre vous. Je sais que je vous contrarie. Je sais que c’est un outil contre vous, mais ce n’est pas bon. Ce n’est pas le pays dont je serais fier. Je me mets à la place de Pedro Sánchez. Si les Espagnols, les Français et les USAméricains sont vraiment sérieux sur la question du Sahara, ils devraient s’asseoir et dire que le plan d’autonomie a des conditions.

Q.- La perception interne qui est restée est que l’Espagne a été humiliée par le Maroc ?
R.- Oui, le paradoxe est que je pense que l’Espagne devrait soutenir l’autonomie, mais le Maroc a besoin de vrais partenaires. Le Maroc n’a pas besoin de partenaires faibles qui montrent la faiblesse dont Pedro Sánchez a fait preuve. Nous avons besoin de partenaires forts. Nous avons besoin d’amis forts qui nous soutiennent et qui soutiennent le fait que le Sahara est marocain [sic]. Nous parlions de la durabilité du Maroc. Quelle est la durabilité de ce type de relations diplomatiques lorsqu’il n’y a pas de gagnant-gagnant ? Les Marocains pensent avoir dompté la diplomatie espagnole et la diplomatie française, ce qui n’est pas le cas. Car Sánchez a envoyé la lettre et est ensuite allé à l’ONU pour dire autre chose. J’attends toujours que la France présente une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle a le droit de veto, alors j’attends qu’elle dise : « Vous devez agir parce que ce n’est qu’une étape vers la solution finale ». Et la seule façon de résoudre ce problème est de reconnaître la souveraineté du Maroc sur ce territoire. Dans le cas de l’Espagne, le Maroc veut que l’Espagne reconnaisse le Sahara marocain et je ne pense pas que l’Espagne le fera pour une raison très simple. Il y a un élément dans l’analyse que je ne pense pas que les diplomates marocains comprennent vraiment concernant le comportement de leurs alliés. Les plus grands bénéficiaires de l’ordre mondial sont les pays occidentaux. Il n’est pas dans leur intérêt de déstabiliser complètement le système. Mais la plupart du reste du monde occidental est complètement hypocrite quand il s’agit de la question palestinienne, mais cela ne signifie pas qu’ils n’ont aucun intérêt à faire fonctionner le système des Nations Unies et l’ordre international, parce qu’il fonctionne pour eux, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas trop l’affaiblir et la question du Sahara fait partie de cette histoire. Ils ne vont pas faire n’importe quoi.
Q.- Depuis plus d’un an, le Maroc défend ses relations avec Israël...
R.- Il y a des débats dans les milieux d’affaires marocains pour savoir qui bénéficie de la connexion israélienne et je sais qu’il y a du mécontentement parce que ce sont des gens proches du régime qui en profitent. Tout le monde n’en profite pas. Le Maroc et les USA en tirent un grand bénéfice. La société marocaine est très pro-palestinienne. L’un des dangers que je perçois dans la connexion israélienne est l’attitude à l’égard de l’Algérie. Il existe un concept dans les relations internationales appelé le dilemme de sécurité. Et le dilemme de sécurité dit que lorsque vous vous sentez menacé par moi, que faites-vous ? Vous achetez plus d’armes... Si vous achetez plus d’armes, vous le faites de manière défensive parce que vous avez peur. Mais comment vais-je le percevoir ? Je le percevrai comme si vous vouliez m’attaquer. Je suis donc également sur la défensive, je vais construire mon armée. Encore une fois, c’est un cercle vicieux qui pourrait conduire à la guerre. Budgets militaires : les budgets militaires marocains ont doublé il y a quelques années, la même année que le budget militaire algérien, et nous ne sommes pas dans une économie qui dispose de ce type de ressources pour construire une armée forte. Bien sûr, nous devons nous défendre, mais nous devons être dans un environnement où nous n’avons pas à payer des milliards et des milliards de dollars chaque année pour maintenir une armée énorme, car c’est quelque chose qui pèse sur l’économie.
Q.- Le scénario d’une guerre entre le Maroc et l’Algérie est-il probable ?
R.- Nous sommes dans un monde fou. Si vous m’aviez parlé il y a quelques mois, je vous aurais répondu par un non catégorique. Aujourd’hui, franchement, je ne suis sûr de rien. Ni les Européens ni les USAméricains ne veulent d’une guerre dans les pays frontaliers de l’Europe.




GIDEON LEVY
Pour le centre-gauche éclairé d'Israël, le chef de l'armée est le dernier né des nouveaux messies

Gideon Levy, Haaretz  , 16/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il y a une nouvelle victime innocente dans nos vies : Herzl alias Herzi Halevi, le martyr de la colonie de Kfar Oranim* « Le peuple est avec toi », a écrit avec enthousiasme l’éditorialiste Nehemia Shtrasler en début de semaine. « Nous devons à Halevi les réalisations et les succès qui ont suivi le 7 octobre. » Réussites ? Succès ? « Des généraux du monde entier viennent en Israël pour apprendre « comment se rétablir si rapidement », s'étonne Nehemia Shtrasler.


« Les soldats et les commandants sont avec toi, et le peuple est avec toi », a déclaré le principal avocat de l’armée, Navot Tel Aviv-Zur, en prêtant serment d'allégeance sur la plateforme de médias sociaux X. « La grande majorité a une confiance totale en toi et en ton intégrité ». Pas seulement un agneau sacrificiel, mais aussi un héros. Honnêteté, décence, réussite, succès - oui, oui, bien sûr.

La haine pour le Premier ministre Benjamin Netanyahou peut tout accomplir, y compris créer un chaos total. C'est ainsi que les choses se passent lorsque le seul véritable sujet de discorde en Israël est Netanyahou. Selon cette division maladive, quiconque s'oppose à Netanyahou est un ennemi de la droite et un favori de la gauche - peu importe ce qu'il a fait en plus d'être une épine dans le pied de Netanyahou.

L'armée a toujours été une vache sacrée pour la gauche, bien plus que pour la droite. Ses beaux jeunes hommes venaient de la gauche, et la gauche les récompensait par son admiration. Cette vache a été abattue en octobre 1973, au début de la guerre du Kippour. Elle est redevenue sacrée depuis, mais à un degré moindre.

Les généraux ne sont plus des rock stars, comme après 1967, mais on les retrouve toujours dans les rôles de prochains messies, principalement de la gauche et du centre. En soi, ça jette une lourde ombre sur la gauche dans un pays dont l'armée est essentiellement une force d'occupation brutale.

Le 7 octobre a exposé l'armée israélienne dans toute sa nudité, un château de cartes qui s'est effondré - mais dès le lendemain, le centre-gauche s'est remis à se souvenir de ses premiers jours de gloire. Aujourd'hui, l'inversion insensée des rôles est achevée : La droite bibiste est contre le chef d'état-major et ses militaires, tandis que le centre-gauche les soutient.

Les responsables non seulement du plus grand fiasco de l'histoire du pays, mais aussi de ses crimes de guerre les plus graves, sont les chouchous de la gauche. Et comment ! Halevi est un héros pour lequel nous devons nous battre afin qu'il reste à son poste, de peur que nous perdions le défenseur du pays, celui qui préserve son image.
L'armée continue d'être le héros des manifestations de la rue Kaplan à Tel Aviv. Il n'y a jamais eu de manifestation de masse en Israël qui s'oppose à l'armée, quelle que soit la gravité de ses crimes. Des Frères et Sœurs d'armes aux bons vieux boys, la moitié du mouvement de protestation est composée de militaires.

Mais la critique de l'armée dans ce bloc ne vise que les officiers qui ne sont pas « des nôtres ». À Gaza, des commandants de tous les blocs tuent des gens, et les responsables de cette horrible destruction sont avant tout nos « bons gars » : le chef d'état-major, suivi du chef de l'armée de l'air.

Pour la droite, les militaires sont les principaux responsables du fiasco du 7 octobre - et depuis, ils ne tuent pas assez, ne détruisent pas assez et ne maltraitent pas assez pour satisfaire la soif de sang de cette droite, qui ne sera jamais étanchée. Pour cette droite, le chef d'état-major est trop faible. Ses accusations ont défini Halevi comme le héros de l'autre bloc. La bande de Gaza est devenue un enfer, et la gauche israélienne salue la cause de cet enfer.

L'armée maltraite des milliers d'otages palestiniens dans les centres de torture qu'elle a construits, et Halevi est un homme « honnête », « décent ». Comment est-ce possible ? Comment est-il possible d'être impressionné par quelqu'un qui dirige l'organisation qui commet toutes ces horreurs ? Seulement parce que son supérieur est encore pire ? Même le propagandiste de l'armée, Daniel Hagari, qui est responsable du paquet de mensonges et de tromperies que l'armée diffuse pour blanchir ses péchés, est un héros de ce bloc. Après tout, Netanyahou est contre lui.

Halevi a toujours l'air affligé. Son visage suscite l'empathie. Il est possible qu'il soit un homme honnête, modeste et décent dans sa vie privée. Il a assumé la responsabilité de l'échec du 7 octobre, a poursuivi son travail sans sourciller et s'est lancé dans la pire campagne de nettoyage ethnique et de tuerie de l'histoire du pays, le tout en tant que héros du bloc éclairé. Ne le laissons pas démissionner sur notre dos. Dieu nous en préserve.

NdT
*Herzl Halevi, né en décembre 1967, a été ainsi prénommé en hommage à son oncle, tué dans la bataille de Jérusalem durant la Guerre des Six jours. Son père était militant du Likoud et son grand-père membre de l’Irgoun et du Bataillon des défenseurs de la langue (hébreue) dans les années 1920, qui attaquait les Juifs parlant le yiddish ou le russe dans la rue. Il vit dans la colonie juive de Kfar Oranim, en Cisjordanie occupée. Bref, le nec plus ultra du sionihilisme.

17/01/2025

FRANCISCO CARRIÓN
Le nouvel ami et protecteur de Mohamed VI : Youssef Kaddour, le champion espagnol qui a juré “fidélité jusqu’à la mort” au roi du Maroc


Sportif accompli, il était devenu une idole à Melilla. Il fut un éphémère conseiller du gouvernement local. Il a tout abandonné pour répondre à l’appel du monarque alaouite.

Francisco Carrión, El Independiente, 12 / 01 / 2025
 Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala

 

Mohamed VI et Youssef Kaddour | GV

Certains ont été incrédules lorsqu’ils ont entendu parler de « sa nouvelle mission ». Au cours de la dernière décennie, il a remporté une demi-douzaine de championnats du monde et d’Europe d’arts martiaux sous les couleurs espagnoles. Il était devenu une idole à Melilla, un modèle pour les jeunes de la ville autonome. Youssef Kaddour reçoit hommages et récompenses dans son « coin de terre » et devient même un éphémère conseiller du gouvernement local. Jusqu’à ce que Mohamed VI croise son chemin.

Youssef Abdesselam Kaddur (Melilla, 1985) a fêté ses 40 ans le 2 janvier. Il est devenu l’un des plus fidèles confidents de Mohamed VI. Un écuyer et garde du corps qui a rejoint l’entourage formé par le clan des boxeurs Azaitar, les trois frères Abu Bakr, Ottman et Omar qui accompagnent le monarque dans tous ses déplacements depuis son divorce avec Lalla Salma en 2018 et qui jouissent d’une vie de haut niveau, dans les résidences et les dépenses luxueuses du monarque.

Shopping avec le monarque à Abu Dhabi

Sa présence imposante, sculptée par des heures en salle de sport, n’est pas passée inaperçue. L’été dernier, il a passé ses vacances avec Mohammed VI à Medik, une ville côtière près de Tétouan. Début janvier, Kaddour a accompagné le roi lors de sa visite à Abou Dhabi, la capitale des Émirats arabes unis. Sur les images qui ont été diffusées, le natif de Melilla se promène avec le monarque alaouite dans un centre commercial de la ville. Tous deux descendent un escalator au milieu de la foule présente dans le centre. Mohammed VI, le bras en écharpe, porte une chemise orange vif et un bas de survêtement ; Kaddour, lui, porte une chemise blanche.

Ce n’est pas la première fois qu’il est filmé en train d’accompagner le monarque malade. À Melilla, cette amitié ne surprend pas. « Je me souviens avoir reçu une photo de cette relation étroite avec le pouvoir marocaine, mais je ne me souviens pas d’autres détails », admet Eduardo de Castro, l’ancien président de Melilla. Kaddour a été conseiller à la jeunesse dans son premier gouvernement, fruit de l’accord entre Ciudadanos, PSOE et Coalición por Melilla qui a évincé Juan José Imbroda. Il a été nommé le 4 juillet 2019 et est resté en poste jusqu’en novembre de la même année.

« Il ne s’est ni bien ni mal comporté. Il n’a pas joué un rôle important. Il n’avait pas le temps de faire quoi que ce soit », se souvient De Castro. Kaddour a rejoint l’exécutif dans le quota de Coalición por Melilla, la formation fondée en 1995 par Mustafa Aberchán en tant que scission du PSOE Melilla et qui fait l’objet d’une enquête depuis 2023 pour un complot présumé de fraude électorale, de corruption et de vol de votes par correspondance. « Dès que j’ai su qu’il était lié au Maroc, je lui ai retiré la médaille de la ville et tout autre avantage. C’est de la déloyauté », dit De Castro, aujourd’hui retiré de la vie politique. « Dès que j’ai eu connaissance de tout cela, j’ai dit qu’il devait être démis de ses fonctions. C’est ce que j’ai fait lors du premier changement de gouvernement », ajoute-t-il.

Kaddour avec le président de la ville autonome de Melilla, Juan José Imbroda (Parti Populaire, droite) en 2018, lors de la remise de la Médaille d'or

Une enfance marquée par les brimades à l’école

Jusqu’à la fin de la dernière décennie, Kaddour était une figure importante de Melilla. Ses réseaux sociaux attestent de cette idylle avec sa ville natale. En 2017, après que des groupes locaux ont dénoncé le manque de soutien du gouvernement local à sa carrière sportive, il reçoit une série d’hommages signés par le Centre UNESCO de Melilla et l’Association de la presse sportive de la ville autonome. Un an plus tard, le gouvernement de la ville lui a décerné la Médaille d’or de Melilla, la plus haute décoration. Cette distinction a été acceptée à l’unanimité par les groupes politiques représentés à l’Assemblée.

À l’époque, Kaddour se vantait de ses origines mélilliennes. Dans l’une des vidéos publiées sur son compte Youtube, il reconnaît avoir été victime de brimades à l’école. « Mon enfance n’a pas été facile. J’ai été victime de brimades. Je me souviens encore de choses comme être battu à l’école, qu’on me prenne des choses, qu’on m’appelle par des noms, qu’on me donne des surnoms, j’ai vraiment vécu des moments difficiles », explique-t-il. Ces souvenirs amers sont confirmés par sa mère. « Il n’a pas passé de très bons moments à l’école lorsqu’il était enfant. Il était toujours très en colère. Nous savions qu’il vivait mal et c’est pourquoi nous avons eu l’idée géniale de lui faire faire du karaté pour qu’il sache se défendre », raconte sa mère. « J’ai commencé à nager et à faire du karaté pour gagner en confiance et savoir me défendre. Une fois que j’ai essayé le sport, c’était comme une drogue pour moi. Il s’agissait avant tout de m’améliorer : essayer d’être le meilleur en tout, que ce soit en classe ou dans n’importe quel sport ».

Intime avec les frères Azaitar
Kaddour collectionne les photos sur les réseaux sociaux avec les frères Azaitar, devenus la « nouvelle famille » de Mohamed VI après son divorce.

Une ambition et une compétitivité qu’il a conservées intactes à l’âge adulte, sur les tatamis où il s’entraînait et affrontait ses rivaux. Alejandro Liendo, l’un de ses entraîneurs pendant ses années au sommet de la discipline, le confirme : « Nous avons préparé ensemble le championnat d’Espagne de grappling et le championnat du monde de BJJ [jiu-jitsu brésilien] . Il a été champion dans les deux et son implication en tant qu’athlète a été exceptionnelle ». « Très discipliné, avec une très grande capacité d’effort et de sacrifice, comme cela est exigé d’un athlète d’élite de ce niveau. Il ne se plaignait jamais, il était toujours prêt à donner 100 % de sa journée et il avait une personnalité irrésistible », se souvient-il dans une conversation avec ce journal.

Kaddour a régné sur le grappling (sans kimono), le grappling gi (avec kimono) et le jiu-jitsu brésilien. Entre 2016 et 2018, il a bénéficié de l’ADO, le programme de soutien au développement et à la promotion des athlètes espagnols de haut niveau au niveau olympique. Sa dernière médaille remonte au printemps 2019 à Bucarest. Dans la capitale roumaine, il a remporté le bronze au championnat d’Europe de grappling. Les succès de sa carrière sportive, qui a débuté en 2011 avec une médaille d’or aux championnats d’Europe de Lisbonne, se sont achevés à Bucarest.

Kaddour à l’académie des frères Azaitar en 2020

Le Maroc, sa nouvelle patrie

Le jeune homme, qui a étudié les sciences de l’environnement à l’université de Grenade et a passé de longues périodes de formation aux îles Canaries, a inauguré quelques mois plus tard son éphémère carrière politique, dont il n’existe pratiquement pas de photos ou de vidéos. En 2020, ses pas l’ont conduit au Maroc, sous la houlette d’Aboubakr Azaitar, un ancien détenu en Allemagne devenu boxeur, qu’il considère comme « un frère ». Aboubakr est l’un des membres de « cette nouvelle famille » - comme certains l’appellent avec un malaise évident au palais - qui suit Mohammed VI dans ses absences prolongées du trône.

En août 2020, Kaddour annonçait dans ses réseaux « une nouvelle étape ». « « Avec beaucoup d’enthousiasme et de nouveaux objectifs. Alhamdulillah pour les personnes qui chaque jour font ressortir la meilleure version de moi, comme cette grande équipe. De grandes nouvelles sont à venir. Insha’allah. Focus sur la mission », écrit-il. Il l’accompagne d’un cliché sur lequel il pose torse nu avec d’autres « camarades de mission » sur un fond dominé au centre par le portrait de Mohammed VI en costume. De part et d’autre de l’image figurent les portraits des boxeurs qui composent l’entourage du monarque.

Depuis lors, il a éliminé toute mention de son origine melillienne et les mentions « Maroc » et le drapeau du pays sont reproduits dans tous les messages qu’il publie. Au cours des quatre dernières années, sa présence sur les médias sociaux s’est limitée à rappeler ses exploits et à diffuser des messages de motivation : « S’entraîner en s’amusant, persévérer en se reposant et vivre ce dont on rêve. Ma plus grande motivation et ma plus grande force, c’est la foi. La foi pour Allah » ; la reproduction de citations du prophète Mohamed ; le récit de ses voyages et de ses sorties avec les frères Azaitar ; ou encore la vassalité à Mohammed VI. « Que Dieu protège sa majesté le roi Mohammed VI et lui accorde la victoire, ô Allah tout-puissant, que Dieu le protège, prolonge sa vie et guide ses yeux vers l’héritier du prince secret, le puissant Moulay Hassan, et bénisse la vie de tous les membres de l’estimée famille », a-t-il posté lors de l’un des anniversaires de son accession au trône.

Youssef avec son défunt frère dans une image d’archive

La mort de son frère qui a scellé son destin avec Mohammed VI

Contacté par ce journal, Kaddour n’a pas souhaité s’exprimer. « Il n’y a pas lieu d’attendre, je n’ai pas l’habitude de parler de mes affaires, mais je vous remercie de votre intérêt », a-t-il répondu à une demande d’interview. Une tragédie familiale, la mort de son frère Souli Abdesselam en 2021, a scellé ce lien avec le monarque alaouite qu’il ne cache plus. Le roi alaouite est intervenu personnellement dans le rapatriement du corps.

« Aucun mot ne saurait exprimer notre gratitude pour l’amour et le soutien qui nous ont été témoignés après le décès de mon frère Souli. En particulier à Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui, dès le moment du décès, a tout mis en œuvre pour le rapatriement de mon frère, sans tarder plus d’une journée, amenant les proches à l’enterrement, s’occupant de tous les détails et de l’état de la famille, montrant ainsi qu’il est une grande personne. Ma famille et moi-même lui serons éternellement reconnaissants, il aura notre amour et notre loyauté jusqu’à notre mort. Nous lui sommes profondément reconnaissants ».

Un serment qu’il réalise aujourd’hui en tant que garde du corps et complice de Mohammed VI, protagoniste de relations avec les frères Azaitar que le makhzen - le cercle dirigeant du roi - et sa famille biologique considèrent avec beaucoup de suspicion. « Toutes ces relations cachent quelque chose », affirme un membre de l’opposition marocaine, conscient du cercle alternatif d’amis et de fidèles que le roi s’est constitué, loin de tout protocole ou des cercles traditionnels de Rabat.

« À Melilla, nous l’avons perdu de vue. C’était une personne de prestige jusqu’au moment où cette relation avec le Maroc a circulé. Depuis, je n’ai plus de nouvelles de lui. Il continuera à être espagnol, bien que pour le Maroc, la double nationalité n’existe pas. Pour eux, c’est un Marocain qui a choisi de gagner sa vie avec Mohamed VI », conclut De Castro. Dans l’un de ses derniers messages sur Instagram, à l’occasion de l’anniversaire de la Marche verte d’occupation du Sahara alors espagnol, Kaddour résume l’idéal de sa nouvelle vie : « Dieu, la patrie et le roi ».


Le Kaddour new look

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