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04/11/2025

Des villages d’Espagne et du Portugal s’allient contre la fièvre européenne des minéraux stratégiques

Luis Velasco et Yolanda Clemente, Alconchel, El País, 20/09/2025
Traduit par Tlaxcala

Les habitants partagent des stratégies pour éviter l’ouverture de mines qui détruiraient leur environnement et leur mode de vie : « Nous sommes un territoire sacrifié pour des intérêts économiques. »


Graffiti contre les mines sur une pancarte d’investissements européens pour le développement rural, à Alconchel (Badajoz). Photo : Luis Velasco

La péninsule Ibérique est devenue une pièce clé de la stratégie européenne concernant les minéraux essentiels nécessaires à la fabrication de produits allant des batteries aux munitions. Sur les 60 projets approuvés par Bruxelles, 11 sont répartis entre des communes d’Espagne et du Portugal, où la crainte de nouvelles mines extractivistes a donné naissance à une alliance populaire pour défendre leurs modes de vie.
À Assumar, un village portugais de 600 habitants situé à 20 kilomètres de la frontière avec le sud de l’Estrémadure, le silence n’est rompu que par quatre ouvriers perchés sur un échafaudage, réparant une façade. L’un d’eux descend lentement lorsqu’on l’interroge sur les minéraux essentiels dans la région de l’Alentejo. « Il y avait une mine il y a quelques années. Ils disent qu’ils explorent à nouveau, mais je ne sais rien », tape-t-il dans le traducteur Google.

Les rumeurs de ces prospections traversent le Guadiana jusqu’aux plateaux de la région d’Olivenza (Badajoz), où les habitants sont plus familiers avec le plan européen visant à extraire des substances telles que le lithium, le tungstène ou les terres rares.
Rubén Báez (51 ans), coordinateur de la plateforme antimines, accuse la société Atalaya Mining — héritière des droits de la mine de Riotinto à Huelva — d’effectuer des forages illégaux sur ce sol protégé par le réseau Natura 2000. Il affirme au téléphone qu’« il est normal » que de l’autre côté de la frontière, personne ne soit informé des explorations : « Aucune administration n’explique rien. C’est la même entreprise qui tente de créer une ceinture minière allant d’Aguablanca à Jerez de los Caballeros. »

L’ordre d’expropriation adressé en 2021 à un habitant d’Alconchel (1 600 habitants) pour rechercher de l’or et du cuivre sur sa propriété a révélé la vérité : silence institutionnel, forages clandestins et présumée flexibilité légale dans les rapports d’évaluation environnementale.
Il y a peu d’ombre pour se protéger des 39°C estivaux dans cette commune de maisons blanches et de toits rouges. La terrasse du bar La Piscina devient alors le meilleur refuge climatique.
Eli Correa, conseillère municipale de 33 ans du Parti Populaire, et José María, un éleveur de 44 ans, se souviennent de ce moment :
« Si ce n’avait pas été pour la tentative d’expropriation, nous n’aurions jamais su ce que préparait Atalaya », dit Correa.


Prospections en cours, mais pas encore stratégiques

Le bruit des enfants dans la piscine d’Alconchel sert de toile de fond aux inquiétudes exprimées par la conseillère :
« Je ne veux pas vivre avec une mine à 100 mètres de ma maison. Ni que l’eau dont nous dépendons tous ici soit contaminée. Je veux que mon village se développe, mais pas à n’importe quel prix. »

Le manque d’informations, comme à Assumar, a poussé José María à parcourir toute la dehesa [pâturage forestier communal] qui fait vivre les villages de cette région frontalière du Portugal, durement touchée par la dépopulation et le chômage.
« Nous avons apporté à la mairie (PSOE) les coordonnées exactes et les photos des forages. Ils n’avaient d’autorisation que sur une seule propriété et en ont profité pour pénétrer sur les autres », accuse-t-il, assurant qu’Atalaya Mining a été condamnée à une amende de 4 000 euros par la Confédération hydrographique du Guadiana (CHD) pour des forages présumés illégaux.

L’entreprise affirme au journal ne pas chercher à déclarer le projet comme stratégique et que toutes les campagnes d’exploration menées depuis 2021 disposent « de toutes les autorisations nécessaires », une activité « contrôlée par de nombreuses inspections officielles ». Elle ajoute que ces forages sont « peu invasifs et respectueux de l’environnement ».
Selon Báez, la société continue pourtant à explorer avec une licence désormais expirée : « Dès qu’ils pourront le déclarer stratégique, ils le feront », conclut-il.

Le gouvernement régional, dirigé par María Guardiola (Parti Populaire) en coalition avec Vox, a refusé de répondre sur la protection environnementale du sol et les autorisations de forage.
Sur son site ouèbe, la Junta présente l’exploitation minière comme une opportunité de « promotion de la croissance économique » de l’Estrémadure, où il existe « plus de 1 000 indices » pour lancer des projets viables.
Dans la Sierra de Gata (Cáceres), sept nouvelles excavations pour extraire de l’étain et du lithium — deux matières premières stratégiques — sont déjà à l’étude, ainsi que dans les villages de Villanueva del Fresno et Barcarrota (Badajoz).

Des sources du ministère pour la Transition écologique expliquent que toutes les initiatives minières doivent passer par une évaluation environnementale à laquelle il est possible de présenter des observations, précisant qu’à l’exception du projet stratégique d’Aguablanca, « les autres projets d’Estrémadure relèvent de la compétence régionale ».
Elles ajoutent qu’une « information publique » doit être réalisée pour permettre à quiconque d’« exposer les impacts possibles ».
La plateforme Comarca Olivenza Sin Minas, qui regroupe plus de 100 personnes, affirme n’avoir eu accès à aucune information.

Martín, avocat de 52 ans, montre sur sa propriété familiale à Táliga (660 habitants, Badajoz) des photos prises sur le terrain voisin : on y voit des foreuses, un bassin d’eau et des roches alentour.
« Ils sont entrés sans autorisation municipale, en cachette, comme d’habitude », dit-il. « Ils agissent avec la même impunité que dans Mississippi Burning, et tu es obligé d’affronter les ouvriers. S’ils sont en règle, pourquoi se cachent-ils ? » interroge-t-il.
Selon Báez, la mairie de Táliga a ouvert une procédure de sanction après l’inspection du SEPRONA [Service de protection de la nature de la Garde Civile] : « La Direction générale de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines dit que les prospections sont légales selon leur réglementation, mais elle ne tient pas compte des règles d’urbanisme, car, selon eux, ce n’est pas de leur compétence. »

La crainte que l’objectif européen de ne plus dépendre de pays comme la Chine serve de prétexte à l’ouverture de nouvelles mines se répand dans toute la péninsule. Des centaines de villages, des montagnes de Galice et du nord du Portugal jusqu’à l’Andalousie, en passant par les vallées de Castille-et-León, sont concernés.
Cette inquiétude a conduit à la création, en 2023, de l’Observatoire ibérique de la mine (MINOB), où la plateforme d’Olivenza et d’autres villages espagnols et portugais cherchent un appui juridique pour freiner la fièvre extractiviste.


La péninsule Ibérique, zone d’exploitation de minéraux rares
(Source : Plateforme EGDI / El País. Données cartographiques © OSM)

Joam Evans, coordinateur du MINOB, décroche le téléphone depuis la Galice, où l’exploitation minière métallique menace le travail de plus d’un millier de familles de pêcheurs, selon lui.
Il affirme que la Commission européenne et le ministère ont invoqué des raisons de sécurité et de défense pour refuser l’accès aux rapports d’impact environnemental des projets stratégiques demandés au printemps.
Evans note un changement dans le discours officiel : « La transition verte est dépassée. Ils parlent maintenant de nécessité de réarmement. Les deux mines de tungstène, matériau utilisé pour fabriquer des munitions et des blindages, ont un passé désastreux en matière de violations des droits du travail et de corruption. »

Adriana Espinosa, experte en extraction minière du MINOB et du collectif Amigas de la Tierra, critique également le plan européen :
« Nous ne dépendrons pas moins de la Chine, et les importations depuis le Sud global ne diminueront pas avec ces 60 projets stratégiques », affirme-t-elle.
Elle dénonce aussi des délais de recours « beaucoup trop courts » pour décortiquer les rapports techniques d’impact environnemental :
« Nous demandons de la transparence à l’Europe, au gouvernement espagnol et aux autonomies », souligne-t-elle.


Où sont utilisés les minéraux stratégiques ?
Les pourcentages indiquent la proportion du minéral dans le poids total du dispositif.
(Source : Visual Capitalist, SFA Oxford, ONU Environnement / El País)

Carla Gomes (43 ans) parle depuis Covas do Barroso, un hameau de 350 habitants dans la commune de Boticas, au nord du Portugal.
Les habitants luttent depuis 2018 pour arrêter « la plus grande mine de lithium à ciel ouvert d’Europe », désormais déclarée stratégique par Bruxelles, et qui a, selon Gomes, rendu inutilisables des terres agricoles.
Ils ont rencontré la même opacité institutionnelle que les habitants d’Olivenza : « Le gouvernement portugais ne nous a jamais informés des permis d’exploration. Ce projet n’a aucune garantie environnementale ni sociale », dénonce-t-elle.

La plateforme citoyenne à laquelle participe Gomes est également intégrée au MINOB, qui tiendra en octobre son assemblée annuelle à Covas do Barroso.
« Nous partageons des stratégies, mais surtout le même sentiment d’être un territoire sacrifié pour des intérêts économiques et politiques », dit-elle, à propos de la coordination avec les villages espagnols.


Manifestations contre la mine de lithium à Covas do Barroso (Portugal) et contre le décret gouvernemental de servitude administrative d’un an autorisant l’entreprise Savannah à exproprier des terrains privés


Le ministère pour la Transition écologique assure que l’activité minière « peut être un outil très important contre la dépopulation ».
Le plan espagnol, approuvé en 2022, prévoit l’ouverture de nouvelles mines face à la « demande exponentielle » à venir pour les matières premières stratégiques.

La nuit rafraîchit l’air à Olivenza (12 000 habitants, Badajoz).
Emilio, Susan et Quini, trois enseignants membres de la plateforme antimines, discutent autour d’une bière et de quelques fruits secs.
Une idée flotte dans l’air : l’Estrémadure est la réserve des autres.
« L’Europe veut ce que nous avons ici », dénonce Susan.
Quini enchaîne : « Ils vont hypothéquer l’avenir de nombreuses générations. »
Emilio conclut avant de payer l’addition :
« Ils nous voient comme une vache à lait. Des gens vivent ici. Il faut se battre pour la vie de notre région. Si tu ne luttes pas pour ça, pour quoi tu vas le faire ? »

03/11/2025

Les drones à IA utilisés à Gaza surveillent désormais les villes usaméricaines

 

Nate Bear, ¡Do Not Panic!, 31/10/2025

Traduit par Tlaxcala

Les drones quadricoptères alimentés par l’intelligence artificielle, utilisés par l’armée israélienne (FDI) pour commettre un génocide à Gaza, survolent désormais les villes usaméricaines, surveillant les manifestants et téléversant automatiquement des millions d’images dans une base de données de preuves.


Ces drones sont fabriqués par une entreprise appelée Skydio, qui, en quelques années, est passée d’une relative obscurité à une valorisation de plusieurs milliards de dollars, devenant le plus grand fabricant de drones aux USA.

L’ampleur de l’utilisation des drones Skydio à travers le pays, et la vitesse à laquelle celle-ci s’est développée en seulement quelques années, sont stupéfiantes. L’entreprise a signé des contrats avec plus de 800 agences de police et de sécurité à travers les USA, contre 320 en mars dernier, et ses drones sont désormais déployés des centaines de fois par jour pour surveiller la population dans les villes et les bourgs du pays.

Liens étroits avec Israël

Skydio entretient des liens profonds avec Israël. Dans les premières semaines du génocide, l’entreprise californienne a envoyé plus d’une centaine de drones à l’armée israélienne, avec la promesse d’en fournir davantage. On ignore combien d’autres ont été livrés depuis cette première admission. Skydio possède un bureau en Israël et collabore avec DefenceSync, un sous-traitant militaire local qui sert d’intermédiaire entre les fabricants de drones et l’armée israélienne.

Skydio a également levé des centaines de millions de dollars auprès de capital-risqueurs usaméricano-israéliens et de fonds d’investissement disposant de lourds portefeuilles en Israël, dont la société Andreessen Horowitz (a16z), fondée par Marc Andreessen.

Et maintenant, ces drones — testés dans un contexte de génocide et perfectionnés sur des Palestiniens — essaiment sur les villes usaméricaines.

Déploiement national massif

D’après mes recherches, presque toutes les grandes villes usaméricaines ont signé un contrat avec Skydio au cours des 18 derniers mois, notamment Boston, Chicago, Philadelphie, San Diego, Cleveland et Jacksonville. Les services de police municipaux ont récemment utilisé ces drones pour recueillir des informations lors des manifestations No Kings, et l’université Yale s’en est servie pour espionner le campement étudiant anti-génocide installé sur son campus l’an dernier.

À Miami, les drones Skydio sont employés pour surveiller les vacanciers printemps ; à Atlanta, la société s’est associée à la Atlanta Police Foundation pour installer une station permanente de drones dans le nouveau Centre de formation de la sécurité publique d’Atlanta. D’après un rapport municipal, Detroit a récemment dépensé près de 300 000 dollars pour l’achat de quatorze drones Skydio. Le mois dernier, l’agence ICE (Immigration and Customs Enforcement) a acheté un drone Skydio X10D, capable de suivre et de poursuivre automatiquement une cible. Depuis juillet, les services des douanes et de la protection des frontières (CBP) ont acquis trente-trois exemplaires du même modèle.

Une technologie d’IA autonome

Le système d’intelligence artificielle qui alimente les drones Skydio fonctionne grâce aux puces Nvidia et leur permet d’opérer sans intervention humaine. Ces drones sont dotés de caméras thermiques et peuvent fonctionner dans des environnements dépourvus de GPS, dits GPS-denied environments. Ils sont capables de reconstituer en 3D les bâtiments et infrastructures, et de voler à plus de 50 km/h.

La police de New York (NYPD) a été l’un des premiers corps à adopter les drones Skydio, et demeure l’un de leurs utilisateurs les plus enthousiastes. Un porte-parole a récemment déclaré à un site spécialisé que la NYPD avait effectué plus de 20 000 vols de drones en moins d’un an, soit environ 55 vols par jour à travers la ville. Un rapport municipal indiquait que la NYPD exploitait alors 41 drones Skydio. Une modification récente du règlement de la Federal Aviation Authority (FAA) laisse penser que ce nombre a encore augmenté — tout comme l’usage massif de ces drones à travers le pays.

Assouplissement réglementaire

Avant mars 2025, les règles de la FAA interdisaient aux forces de sécurité usaméricaines d’utiliser des drones au-delà de la ligne de vue de leur opérateur, et proscrivaient leur utilisation au-dessus des zones densément peuplées. Mais une dérogation délivrée ce mois-là a ouvert les vannes : les forces de l’ordre peuvent désormais faire voler des drones hors de leur champ visuel et au-dessus des foules.

Skydio a qualifié cette dérogation d’« historique ». Elle l’est.
Ce changement réglementaire a déclenché une véritable fièvre d’achat de drones Skydio par la police et les agences de sécurité usaméricaines, beaucoup ayant lancé un programme appelé Drone As First Responder (Drone comme premier intervenant).

N’ayant plus besoin de garder le drone en vue, et libres de survoler les rues, les forces de police envoient de plus en plus souvent des drones avant les agents humains pour répondre aux appels et mener des enquêtes. La ville de Cincinnati, par exemple, prévoit que d’ici la fin de l’année, 90 % des interventions seront d’abord effectuées par un drone Skydio.

Infrastructure de surveillance totale

Ce niveau de couverture est rendu possible par les stations d’amarrage Skydio, des plateformes matérielles installées un peu partout dans les villes, permettant aux drones d’être rechargés, lancés et posés à distance, parfois à plusieurs kilomètres du poste de police.

Toutes les données collectées lors de ces vols sont sauvegardées sur carte SD, puis automatiquement téléversées dans un logiciel spécialement conçu pour les forces de l’ordre. Ce logiciel, baptisé Axon Evidence, est produit par Axon, fabricant controversé des pistolets à impulsion (Tasers) et d’armes dites « non létales », déjà utilisées par la police aux USA et en Europe.

Selon un communiqué d’Axon, ce logiciel permet « le téléversement automatique de photos et de vidéos issues des drones vers un système numérique de gestion des preuves ».

Liens entre Axon et Israël

L’équipement d’Axon est également au cœur de l’appareil d’apartheid israélien, l’entreprise fournissant des caméras corporelles et des tasers aux forces de police et aux gardiens de prison israéliens qui torturent régulièrement des Palestiniens. Axon, qui a participé à un tour de financement de 220 millions de dollars de Skydio (série E), fait partie des nombreuses entités soutenant Skydio dans le cadre d’un agenda sioniste.


Le réseau des investisseurs

Le premier investisseur de Skydio, en 2015, fut Andreessen Horowitz (a16z), qui apporta 3 millions de dollars de capital d’amorçage à l’équipe fondatrice de trois personnes. Depuis, la firme a investi des dizaines de millions supplémentaires à travers de multiples levées de fonds. Les fondateurs Marc Andreessen et Ben Horowitz sont des sionistes notoires. En 2024, leur société fut le principal investisseur en capital-risque en Israël. L’été dernier, Andreessen et Horowitz se sont rendus en Israël pour rencontrer des entreprises technologiques fondées par d’anciens membres des FDI et de l’unité 8200.

Parmi les autres investisseurs de Skydio figurent Next 47, qui possède un bureau en Israël dirigé par Moshe Zilberstein, ancien du centre informatique de renseignement Mamram, et Hercules Capital, dont la directrice générale, Ella-Tamar Adnahan, est une Israélo-USAméricaine présentée par les médias comme « la banquière de référence d’Israël dans le secteur technologique aux USA ».

Le laboratoire de Gaza exporté

La saturation des forces de police usaméricaines par une technologie de surveillance étroitement liée à Israël, utilisée pour commettre des crimes de guerre, constitue une évolution terrifiante — quoique prévisible. Les drones Skydio seront centraux dans l’avancée du proto-fascisme aux USA et dans la répression d’Antifa et d’autres prétendus « terroristes domestiques » par l’administration Trump.

Dans ce contexte, le plus surprenant est peut-être que cette expansion rapide des technologies de surveillance d’origine israélienne soit passée presque inaperçue.

Politique et symbolique

Skydio devrait également figurer à l’ordre du jour de Zohran Mamdani. Récemment critiqué pour avoir déclaré que « lorsque la botte de la NYPD est sur votre nuque, c’est un lacet israélien qui la maintient », le cas de Skydio illustre précisément ses propos. S’il reste fidèle à ses convictions, il pourrait user de son autorité en tant que maire pour annuler le contrat Skydio de la NYPD.

Usage militaire et risque de fusion

Skydio est aussi un fournisseur important du Département de la Défense, ayant récemment signé un contrat pour fournir des drones de reconnaissance à l’armée usaméricaine. En tant que fournisseur majeur pour les forces de sécurité militaires et civiles, la question se pose : quelles données sont — ou seront — partagées entre l’armée et les services de sécurité intérieurs via le système Skydio-Axon ?

Gaza, laboratoire du monde occidental

Skydio illustre une fois encore comment Gaza sert de laboratoire pour les fabricants d’armes : un lieu d’expérimentation pour les technologies de surveillance et d’apartheid, avant leur perfectionnement et leur déploiement dans les pays occidentaux.

L’année prochaine, Skydio lancera une nouvelle génération de drones d’intérieur. On ne peut qu’imaginer dans quelle mesure ces nouveaux modèles seront inspirés des « enseignements » tirés du génocide.

L’histoire de Skydio montre une vérité brutale : ce qui se passe à Gaza ne reste pas à Gaza.
La logique de l’impérialisme capitaliste veut que ces technologies finissent toujours par revenir à la maison.

Toutes les illustrations proviennent de Skydio

Ne faites surtout pas de la procureure militaire israélienne démissionnaire une martyre

 ACTUALISATION
Yifat Tomer-Yerushalmi a été arrêtée dans le cadre d’une enquête concernant la diffusion d’une vidéo montrant des violences en 2024 contre des détenus palestiniens par des soldats israéliens dans une prison de haute sécurité, a fait savoir lundi le ministre de la sécurité intérieure. Après avoir annoncé sa démission vendredi, Mme Tomer-Yerushalmi avait brièvement disparu dimanche, déclenchant des spéculations dans la presse quant à une possible tentative de suicide. Dans un message sur Telegram, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a annoncé lundi qu’il « a été convenu qu’à la lumière des événements de la nuit dernière le service pénitentiaire agirait avec une vigilance accrue pour assurer la sécurité de la détenue dans le centre de détention où elle a été placée en garde à vue ».

Cela valait-il la peine, générale Tomer-Yerushalmi, de servir avec tant de servilité une armée criminelle, pour finir de manière aussi pathétique ?

Gideon Levy, Haaretz, 2/11/2025

Traduit par Tlaxcala

Quand la nuit devient le jour, une procureure générale militaire peut devenir une martyre, quelqu’un qui a combattu pour le respect de la loi et des droits humains jusqu’à être brûlée sur le bûcher, victime innocente de la méchante droite. Quand la nuit devient le jour, ce n’est que lorsque la procureure générale ne manque pas à son devoir et ose, pour la première (et dernière) fois de sa carrière, faire preuve de courage, qu’elle est destituée.


La générale de division Yifat Tomer-Yerushalmi au quartier général de Tsahal à Tel-Aviv, le mois dernier. Photo Itai Ron

Le monstre insatiable ne peut jamais être rassasié. Vous pouvez défendre le génocide, Générale Yifat Tomer-Yerushalmi, vous pouvez dissimuler tous les crimes, enterrer toutes les enquêtes et blanchir les exactions commises par les soldats israéliens, satisfaisant ainsi vos supérieurs. Mais à la première erreur, le monstre vous tiendra pour responsable.
Cela valait-il la peine, Générale Tomer-Yerushalmi, de servir avec une telle servilité une armée criminelle, pour finir de façon aussi pathétique ? N’aurait-il pas été plus juste d’accomplir votre devoir, de parler avec audace et intégrité, au moins d’être déposée avec un peu de dignité ? Comme le dit la vieille parabole juive : vous avez mangé le poisson pourri et avez tout de même été expulsée de la ville. Cela en valait-il la peine ?

Pendant des années, vous avez rendu des jugements dans des tribunaux militaires qui n’ont rien à voir avec ce qu’on vous a enseigné à l’université. Vous étiez procureure et juge, jetant des milliers de personnes en prison sans véritable procès. Vous avez empêché toute enquête sur des milliers de crimes commis par des soldats contre des Palestiniens, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Chaque cas d’enfant abattu sans raison, chaque soldat violent, a reçu une caution légale de votre part et de celle du système que vous dirigez. Dans ce système, il n’y a jamais de soldats coupables de crimes, pas même après les horreurs de Gaza.
Vous avez prêté la main au spectacle le plus méprisable : celui qu’on appelle le système de justice militaire, où il suffit d’être palestinien pour être condamné ; un tribunal d’apartheid où les accusés n’ont ni droits ni acquittements, une mise en scène bon marché d’une justice factice. C’est ainsi que vous avez gravi les échelons, jusqu’à devenir procureure générale militaire, tout cela pour blanchir les crimes de l’armée à laquelle vous apparteniez.

Aucune institution judiciaire sérieuse au monde ne blanchirait les crimes de l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie. Et vous, Générale Tomer-Yerushalmi, vous l’avez fait avec joie. Vous étiez l’avocate du génocide, et le jour viendra où cela vous sera reproché. Maintenant, le système vous rend la pareille : vous avez été limogée pour les plus mauvaises raisons possibles.

Il est difficile de savoir ce qui a poussé Tomer-Yerushalmi à s’écarter soudainement de son rôle assigné et à être choquée par une vidéo où des gardiens de prison militaires sadiques – non pas des « soldats de combat », comme on les appelle habituellement – maltraitent brutalement un détenu palestinien sans défense. Selon l’acte d’accusation, ces cinq gardiens, véritables déchets humains, ont poignardé leur victime dans le rectum, le déchirant, tout en lui brisant les côtes et en perforant un poumon.

Il était important de montrer aux Israéliens ce que font nos soldats, surtout dans l’atmosphère du « tout est permis à Tsahal » qui domine depuis le 7 octobre. Soudain, la générale a offert un moment de vérité au débat. Elle a compris que les chances de condamner les accusés, dans l’ambiance publique actuelle, étaient infimes. C’est pourquoi elle a publié la vidéo, le seul acte pour lequel elle mérite une médaille.


Sde Teiman



C’est un événement courant dans les prisons militaires, mais cette fois, elle a été choquée. N’avez-vous pas entendu parler des 80 détenus morts en prison, certains sous les coups de soldats israéliens ? Qu’avez-vous fait face à ces morts ? Qu’avez-vous fait à propos du soldat qui a tiré et tué un garçon de 9 ans dans le village cisjordanien d’al-Rihiya il y a deux semaines ? Le porte-parole de l’armée a déclaré que « l’affaire a été transmise au bureau de la procureure générale militaire pour examen ». L’enquête se terminera dans quelques années, et que se passera-t-il pour ce soldat ? Le fait qu’il se promène encore libre est la réponse.

Quand la nuit devient le jour, les cinq hommes accusés de mauvais traitements au centre de détention de Sde Teiman deviennent les victimes. Leur grâce est déjà en route, et celle qui a enfoncé le couteau dans leur rectum, c’est la procureure générale militaire. Le ministre de la Défense, Israel Katz, salive déjà de désir de vengeance.
Comme il aime renvoyer des officiers supérieurs, comme le pouvoir l’enivre – et tous, y compris le commentateur modéré Nadav Eyal, jugent la fuite de la vidéo « scandaleuse ». Voici le crime et voici sa coupable. Mais surtout, ne la transformez pas en martyre.

Quand la nuit devient le jour, les cinq hommes accusés de mauvais traitements au centre de détention de Sde Teiman deviennent les victimes. Leur grâce est déjà en route.


02/11/2025

L’essor du Thielverse et l’État de surveillance : anatomie du technofascisme en marche aux USA


Transcrit et traduit par Tlaxcala

Résumé synthétique de l’entretien

L’entretien entre Chris Hedges et Whitney Webb explore la mutation silencieuse du pouvoir à l’ère numérique : la fusion entre l’État sécuritaire et les géants de la Silicon Valley.

Whitney Webb retrace la filiation directe entre le programme de surveillance Total Information Awareness de John Poindexter, conçu après le 11 septembre, et Palantir, la société fondée en 2003 par Peter Thiel avec le soutien de la CIA. Ce transfert du renseignement public vers le secteur privé a fait de la surveillance un marché. Le citoyen n’est plus un sujet de droit, mais un flux de données.

Sous prétexte de sécurité et de santé publique, Palantir et ses dérivés ont généralisé la logique du pré-crime : prédire les comportements, identifier les risques avant qu’ils ne se produisent, administrer la société comme un algorithme.

L’État profond ne disparaît pas : il se reconfigure autour des technologies prédictives, alimentées par les géants du numérique.

Autour de Thiel gravite la PayPal Mafia – Musk, Altman, Vance, Luckey, Sacks – qui transforme le capitalisme technologique en idéologie politique : un État privatisé dirigé comme une entreprise. La “gouvernance par IA” et la militarisation des technologies (Palantir, Anduril, SpaceX) consacrent la fusion du militaire, du financier et du numérique.

À cette architecture s’ajoute la contribution israélienne : l’unité 8200 et ses start-ups de cybersurveillance (Black Cube, NSO, Carbyne) prolongent le modèle usaméricain à l’échelle globale, où les données et les algorithmes circulent entre Tel-Aviv, Washington et la Silicon Valley.

Ce système n’impose pas la tyrannie par la force, mais par la séduction du confort : sécurité, efficacité, personnalisation. La liberté devient un paramètre à cocher, la propagande une fonction native des plateformes.

Pour Hedges et Webb, la résistance ne peut être purement technologique : elle est morale et politique. Refuser la servitude numérique, soutenir les réseaux libres et les médias indépendants, c’est préserver la part d’humain dans un monde où le pouvoir cherche à tout quantifier — y compris la conscience.

 Chris Hedges

Beaucoup de personnes, y compris certains libéraux, ont cru à tort que l’administration Trump allait démanteler « l’État profond ». En réalité, comme la journaliste d’investigation Whitney Webb l’a documenté, Trump est étroitement lié aux figures les plus autoritaires de la Silicon Valley, notamment Peter Thiel, qui imagine un monde où nos habitudes, nos penchants, nos opinions et nos déplacements seraient méticuleusement enregistrés et suivis. Ces alliés de Trump n’ont nullement l’intention de nous libérer de la tyrannie des agences de renseignement, de la police militarisée, du plus vaste système carcéral du monde, des entreprises prédatrices ou de la surveillance de masse.

Ils ne rétabliront pas l’État de droit pour demander des comptes aux puissants et aux riches. Ils ne réduiront pas non plus les dépenses incontrôlées du Pentagone, qui atteignent près de mille milliards de dollars. Ils purgent rapidement la fonction publique, les forces de l’ordre et l’armée, non pour éradiquer l’État profond, mais pour s’assurer que ceux qui dirigent la machine étatique soient entièrement loyaux aux caprices et aux diktats de la Maison-Blanche de Trump. Ce qui est visé, ce ne sont pas les réseaux clandestins, mais les lois, règlements et protocoles – tout ce qui limite le contrôle dictatorial absolu. Les compromis, la séparation des pouvoirs et la reddition de comptes sont voués à disparaître.

Ceux qui croient que le gouvernement doit servir le bien commun plutôt que les diktats d’une poignée de milliardaires seront éliminés. L’État profond sera reconstitué pour servir le culte du chef. Les lois et les droits inscrits dans la Constitution deviendront sans objet. C’est un coup d’État lent, imposé par étapes, appliqué brutalement par les forces de l’immigration et des douanes (ICE) dans les rues de nos villes, soutenues par Palantir de Thiel et les outils de surveillance numérique alimentés par l’intelligence artificielle.

Pour en parler, je reçois Whitney Webb, journaliste d’investigation et autrice de One Nation Under Blackmail [Une nation soumise au chantage], que l’on peut suivre sur son site ouèbe Unlimited Hangout.

Whitney, commençons par le début : John Poindexter et l’affaire Iran-Contra, que j’ai couverte quand j’étais au Nicaragua, car c’est vraiment l’origine de ce dans quoi on se trouve aujourd’hui.

Whitney Webb

Oui, c’est un excellent point de départ, merci Chris. John Poindexter, comme vous le savez, fut conseiller à la sécurité nationale sous Reagan et le plus haut responsable de son administration inculpé dans le scandale Iran-Contra.

Mais il est aussi considéré comme le « parrain de la surveillance moderne ». Juste après le 11 septembre, il a dirigé un programme de la DARPA appelé Total Information Awareness – ou Connaissance Totale de l’Information. Après Reagan, Poindexter avait travaillé pour plusieurs entreprises technologiques, ancêtres de ce que deviendront Palantir et TIA, comme Saffron Technology ou Cintech Technologies – des sous-traitants du département de la Défense qui cherchaient à employer l’analyse prédictive pour anticiper les actes terroristes, bien avant 2001.

Lorsque TIA fut révélée, l’ACLU [Union américaine pour les libertés civiles] et d’autres organisations dénoncèrent une menace directe contre le droit à la vie privée. La presse se moqua du programme en disant qu’il « combattrait le terrorisme en terrorisant les citoyens ». En mai 2003, face au tollé, on le rebaptisa Terrorism Information Awareness, sans en changer la nature.

Ce même mois, Peter Thiel fonda Palantir. Thiel et Alex Karp contactèrent Poindexter par l’intermédiaire de Richard Perle afin de privatiser le programme : ils comprirent que dans le secteur privé, le scandale s’éteindrait. Ce fut le cas.

Le financement de Palantir provenait de Thiel lui-même et du fonds de la CIA, In-Q-Tel. L’un des responsables, Alan Wade, avait travaillé avec Poindexter sur TIA. Pendant ses six premières années, Palantir n’eut qu’un seul client : la CIA. Ses ingénieurs se rendaient à Langley toutes les deux semaines. Alex Karp a reconnu que la CIA avait toujours été le client visé.

Chris Hedges

Expliquez ce que faisait ce programme et quel en était le but.

Whitney Webb

L’objectif de Poindexter était immense : recueillir toutes les données possibles – bancaires, de santé, de communications – pour prédire les actions avant qu’elles ne se produisent.

L’un des volets les plus absurdes fut le marché à terme du terrorisme : un système de paris où des investisseurs misaient sur la probabilité d’attentats ou de coups d’État au Moyen-Orient.

Un autre volet concernait la santé, la biosurveillance, ancêtre des systèmes que Palantir a ensuite mis en place pour le ministère de la Santé (HHS) pendant le COVID, en analysant par exemple les eaux usées pour prévoir les épidémies. Aujourd’hui, Palantir gère les données sanitaires du HHS, des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies), et du NHS (Service national de santé) britannique

Chris Hedges

Et Palantir aujourd’hui ?

Whitney Webb

L’entreprise s’est imposée comme moteur d’intelligence artificielle pour Wall Street et sous-traitant de toutes les agences américaines : DHS, ICE, NSA, FBI. Sa technologie est utilisée pour la « police prédictive » – c’est-à-dire la surveillance des quartiers pauvres et racisés sous prétexte de prévention. Les systèmes comme PredPol se sont révélés d’une inexactitude extrême, pires qu’un pile-ou-face.

Quand Palantir se retire, une autre société liée à Thiel, Carbyne 911 – financée aussi par Jeffrey Epstein et dirigée par Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien – prend la relève en gérant les systèmes d’urgence 911.

Ainsi, les ambitions de Poindexter se sont réalisées, accélérées sous prétexte de pandémie et de sécurité.

Chris Hedges

En somme, tout cela aboutit à créer des profils pour chaque citoyen ?

Whitney Webb

Exactement. Et cela a été reconnu publiquement. L’administration Trump utilisait Palantir pour bâtir des bases de données sur chaque USAméricain. Ce n’est que la version officielle d’un ancien système clandestin appelé Main Core, mis au point à l’époque d’Iran-Contra et qui continue d’exister.

L’idée était d’établir un registre secret des personnes considérées comme « potentiellement subversives ». Ce que Palantir fait aujourd’hui de manière légale, avec la puissance de calcul et les moyens du secteur privé.

Sous Trump, après la fusillade d’El Paso, le procureur général William Barr lança le programme DEEP – Disruption and Early Engagement Program. Ce dispositif posait les bases juridiques du « pré-crime », c’est-à-dire l’intervention avant que le crime ne soit commis. Trump proposa aussi d’utiliser les réseaux sociaux pour détecter les signes avant-coureurs de violence à l’aide d’algorithmes.

Ces projets ont ensuite été repris, sous des noms différents, par l’administration suivante. Aujourd’hui, Palantir n’est plus seulement un acteur de la sécurité ; elle gère aussi des données pour le fisc, le Trésor et les infrastructures de santé publique.

Les racines de ce système remontent aux années 1980, lorsque les protocoles de continuité du gouvernement prévoyaient déjà de ficher les citoyens dissidents afin de pouvoir les localiser et les arrêter en cas de crise politique. À l’époque, une « crise » pouvait signifier de simples manifestations pacifiques contre la guerre.

Si cela existait déjà dans les années Reagan, imaginez ce qu’il en est aujourd’hui après vingt-cinq ans de perfectionnement technologique et la montée en puissance de la surveillance numérique !

Chris Hedges
Parlons maintenant de ce que vous appelez la PayPal Mafia : Palmer Luckey, J.D. Vance, Elon Musk, Sam Altman…

Whitney Webb
Ce groupe forme une véritable cabale. PayPal est né de la fusion de Confinity, fondée par Thiel, et de X.com, fondée par Musk. Avant son lancement, Thiel consulta déjà toutes les grandes agences USaméricaines à trois lettres [CIA, DIA, NSA, FBI etc.]. PayPal a « monétisé » Internet et a lié, dès ses débuts, la fintech [technologie financière] au pouvoir d’État.

Après sa vente à eBay, Thiel créa Palantir en réutilisant l’algorithme antifraude de PayPal comme base. Aujourd’hui, ses anciens associés dominent la politique et la technologie. David Sacks, autre vétéran de PayPal, dirige la politique de l’IA à la Maison-Blanche ; J.D. Vance doit sa carrière politique à Thiel ; Musk et Altman sont des alliés étroits.

Tous partagent une idéologie influencée par Curtis Yarvin : privatiser entièrement l’État et remplacer le président par un PDG-dictateur. Ce pseudo-libertarianisme est en réalité une apologie du pouvoir autoritaire privatisé.

Palantir et Anduril – l’entreprise de Palmer Luckey financée par Thiel – développent des armes autonomes et le mur intelligent à la frontière mexicaine : drones, capteurs, automatisation militaire. Ce n’est pas moins violent, simplement plus propre et plus déshumanisé.

Chris Hedges
Expliquez ce « mur intelligent » et son lien avec SpaceX, les cryptomonnaies, etc.

Whitney Webb
Le Smart Wall n’est pas un mur physique mais un réseau invisible de drones et de capteurs capables de détecter toute traversée non autorisée. Le « mur » s’étend au-delà de la frontière ; des millions d’USAméricains vivent désormais dans ce qu’on appelle une « zone hors Constitution ».

SpaceX est devenu un acteur militaire central ; Starlink alimente les communications de l’armée ukrainienne et a été proposé pour infiltrer l’Iran.
Parallèlement, un projet nommé Department of Government Efficiency – ou DOGE – vise à remplacer les fonctionnaires par des algorithmes d’IA détenus par la Silicon Valley.
Presque tous les géants du numérique, d’Oracle à Amazon, ont été liés aux services de renseignement dès leur origine.

Oracle, par exemple, vient directement d’un contrat de la CIA.
Aujourd’hui, Larry Ellison et Elon Musk contrôlent une part considérable des infrastructures médiatiques et techniques : Musk transforme Twitter (désormais X) en application-monde intégrant paiements, cryptomonnaie et communication.

L’administration Trump a encouragé l’usage des stablecoins, des monnaies numériques adossées au Trésor, afin de financer indirectement la dette publique et les budgets militaires.

Chris Hedges
Et Oracle ?

Whitney Webb
Oracle reste la colonne vertébrale des bases de données gouvernementales. Safra Catz, sa PDG, a joué un rôle clé auprès de Trump, notamment dans le limogeage du conseiller à la sécurité nationale, le lieutenant-général H.R. McMaster. Larry Ellison est devenu l’un des oligarques les plus puissants ; il rachète CBS, Paramount, CNN, et influence directement la politique usaméricaine.

Chris Hedges
Parlez-nous du lien entre Israël, la Silicon Valley et les services de renseignement.

Whitney Webb
Depuis les années 1990, Israël a bâti un écosystème entier de start-up issues de l’unité 8200 — c’est l’équivalent israélien de la NSA. C’est l’un des départements les plus sophistiqués du renseignement militaire au monde.
En 2012, le gouvernement israélien a officialisé une politique consistant à sous-traiter au secteur privé certaines opérations de renseignement autrefois menées directement par le Mossad ou le Shin Bet.

Cela signifiait qu’au lieu de recourir uniquement à des espions d’État, Israël encourageait la création d’entreprises dirigées par d’anciens officiers du renseignement, qui pouvaient ensuite travailler à la fois pour l’État et pour des clients étrangers.
Des sociétés comme Black Cube (rendue célèbre par son travail pour Harvey Weinstein) ou Carbyne 911 (soutenue par Peter Thiel et Jeffrey Epstein) sont directement issues de ce modèle.

Un financier usaméricain, Paul Singer — très proche du Likoud — a créé l’organisation Start-Up Nation Central, chargée de relier ces entreprises israéliennes aux grandes firmes usaméricaines.
Le but déclaré était de contourner le mouvement BDS et de renforcer les liens économiques entre Israël et la Silicon Valley.

Les géants usaméricains du numérique — Google, Microsoft, Intel, Amazon — recrutent massivement d’anciens membres de l’unité 8200. Certains de leurs départements de cybersécurité sont presque entièrement composés d’anciens officiers israéliens.
Résultat : la frontière entre les systèmes de surveillance israéliens et usaméricains s’est pratiquement effacée.

Les données, les algorithmes, les infrastructures cloud sont partagés. Et cette coopération dépasse la sécurité : elle touche la santé, la finance, la recherche scientifique.

L’effet politique est évident : la Silicon Valley et le complexe militaro-sécuritaire israélien fonctionnent désormais comme deux faces d’un même réseau.
Ils se protègent mutuellement, s’échangent leurs innovations et se financent entre eux.

Chris Hedges
Vers quel monde allons-nous, selon vous ?

Whitney Webb
Nous allons vers un monde où la frontière entre le public et le privé s’efface complètement. Ce qui se met en place, c’est la fusion du pouvoir patronal et du pouvoir étatique — le fascisme technologique dans sa forme la plus pure.

Les multinationales dépasseront les gouvernements en influence, mais elles se serviront de la structure gouvernementale pour imposer leurs intérêts.
Les citoyens, eux, deviendront des sources de données et des sujets d’expérimentation sociale.

Le dernier mémorandum présidentiel sur le « terrorisme domestique » en est un exemple : il élargit tellement la définition de l’extrémisme qu’il pourrait inclure toute personne critique du capitalisme, du système militaire ou de la politique étrangère usaméricaine.

Et maintenant, grâce à la légalisation de la propagande intérieure depuis l’administration Obama, le gouvernement peut utiliser les médias et les réseaux sociaux pour diffuser des messages ciblés aux citoyens.
Ce qui n’était autrefois que la propagande de guerre est devenu un outil de gestion de l’opinion quotidienne.

Les oligarques des médias — Ellison, Musk, Thiel — amplifient ce système.
Ils fournissent à la fois les plateformes technologiques, les flux d’information, et les filtres algorithmiques.
C’est un cycle fermé : ceux qui contrôlent les réseaux contrôlent la perception du réel.

Et cette perception peut être ajustée à volonté : un clic, un algorithme, un bannissement. La désinformation devient alors non pas un problème, mais une arme politique. Le plus effrayant, c’est que tout cela est présenté comme un progrès.
L’idée qu’on sacrifie la liberté individuelle pour la sécurité collective a été normalisée depuis le 11 septembre. Et aujourd’hui, la menace invoquée n’est plus le terrorisme étranger, mais le terrorisme intérieur.

Le concept est si vague qu’il englobe quiconque s’oppose au gouvernement, de gauche comme de droite. C’est une doctrine de contrôle social total.

Mais tout n’est pas perdu. Il est encore possible de bâtir des alternatives :
– créer des systèmes parallèles de communication et d’économie,
– quitter les plateformes de la Silicon Valley,
– soutenir les logiciels libres et les médias indépendants.

Il faut comprendre que la bataille n’est pas seulement politique ou technologique : elle est spirituelle.
Accepter la servitude numérique, c’est abdiquer notre humanité. Refuser la passivité, c’est déjà résister.

Chris Hedges
Merci, Whitney. Et merci à Diego, Victor, Sophia, Thomas et Max pour la production.




31/10/2025

Nous, Israéliens, sommes tous Itamar Ben-Gvir
Il n’est plus possible d’être sionistes sans être fasciste

Gideon Levy, Haaretz, 29/10/2025

Traduit par Tlaxcala

En fin de compte, nous sommes tous Itamar Ben-Gvir. Une même ligne relie Naftali Bennett, Yair Lapid et Avigdor Lieberman — l’espoir de l’opposition — à Ben-Gvir, le grand épouvantail : nationalisme, fascisme et militarisme ne différant que par des nuances infimes. Entre le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël et ceux qui aspirent au pouvoir, il n’existe que cinquante nuances de droite.

Ainsi, tout ce discours sur une « fracture nationale » et sur « les élections les plus importantes de l’histoire du pays » — le dernier cliché en date qui fait des vagues — n’est qu’un mensonge. Israël n’a pas de Zohran Mamdani et n’en aura pas de sitôt. Des Ben-Gvir, en revanche, nous en avons à la pelle.


Des soldats israéliens montent la garde près d’une porte close pendant la récolte des olives dans le village de Kobar, près de Ramallah, en Cisjordanie occupée, samedi. Photo Mohamad Toroman/Reuters

La saison électorale est ouverte, et nul n’est plus prompt que Lapid à identifier l’air du temps — à savoir le fascisme — et à surfer sur la vague. C’est le produit le plus hot du marché depuis le 7 octobre, et Lapid s’en régale déjà.

Cette semaine, le « chef de l’opposition » a promis de soutenir une loi interdisant de voter à ceux qui ne s’enrôlent pas dans l’armée. Ni à Sparte, ni dans la super-Sparte on n’aurait osé imaginer une telle mesure militariste. Là-bas, on aurait eu honte. Les Arabes, les ultraorthodoxes, les invalides, les malades, les criminels et les handicapés seraient jetés dans le Nil. Ils ne font pas partie de notre démocratie, alors pourquoi ne pas expulser tous ceux qui ne servent pas ? Leur retirer la citoyenneté ? Ou peut-être les mettre dans des camps ?

Selon Lapid, c’est le service militaire qui donne accès aux droits fondamentaux. Si vous ne tuez pas d’enfants à Gaza, chers Israéliens, Lapid vous retirera votre carte d’électeur. Le peuple, épuisé et meurtri par des années de Benjamin Netanyahou, est désormais censé voir en un tel personnage une source d’espoir.

L’espoir suprême de l’opposition est encore plus décourageant. « Dans le Néguev, un État palestinien est en train de naître », a averti Bennett cette semaine les habitants de la ville d’Omer. « Si nous n’agissons pas, nous nous réveillerons face à un 7 octobre dans le Néguev. » Les citoyens bédouins d’Israël, le groupe le plus défavorisé et dépossédé de la société, seraient donc le Hamas. Le danger qu’ils représentent serait un autre 7 octobre.

Puisque Ben-Gvir parle ainsi, à quoi bon Bennett ? Pour son anglais impeccable ? Ses manières policées ? Son service militaire dans une unité de commando ? Une épouse qui ne se promène pas avec un pistolet à la ceinture ? Parce qu’il vit à Ra’anana (et non à Tel Rumeida) ?

Pour Bennett, pas moins que pour Ben-Gvir, cette terre est réservée aux Juifs. Les Bédouins, dont certains ont été expulsés vers le Néguev depuis d’autres régions d’Israël, n’en seraient pas les enfants. Ils sont une menace à contenir. Pourtant, le fait est que le Néguev leur appartient autant qu’à Bennett ou aux bons citoyens d’Omer.

Le Néguev, c’est ce qu’il leur reste après qu’on les a dépossédés de leurs terres, détruit le tissu de leurs vies et enfermés dans des enclos misérables. Certains ne sont pas aimables, il est vrai : ils conduisent dangereusement, ont plus d’une femme et sont violents. Il faut corriger ça — mais sans porter atteinte à leurs droits civiques, qu’il est impossible de leur nier.

Bennett, comme Lapid, est un homme sombre. Tous deux croient que les droits sont accordés par la bonté de l’État, comme un cadeau ou une récompense pour une « bonne conduite ». C’est là le fascisme dans sa forme la plus pure — et Lieberman, le plus ancien fasciste des trois, les rejoindra avec enthousiasme. Lui aussi est favorable à priver de droit de vote ceux qui n’ont pas participé à la guerre ni commis ses crimes. Lui aussi voit dans les Bédouins des invités indésirables dans ce pays.

La ressemblance fasciste entre la coalition et l’opposition n’est pas fortuite. Elle s’appelle le sionisme. En 2025, on ne peut plus défendre cette idéologie nationale sans être fasciste ou militariste. C’en est désormais l’essence. Peut-être l’était-ce déjà depuis le début, et l’honnêteté exige de le reconnaître.

Netanyahou et Bennett, Ben-Gvir et Lapid sont des sionistes comme presque tous les Israéliens. Pour eux, la terre appartient aux Juifs, ils croient à la suprématie juive et au mensonge d’un État à la fois juif et démocratique. Le fascisme est la conséquence inévitable de cela. Il n’est plus possible d’être sioniste sans être fasciste.