Affichage des articles dont le libellé est Trumperies. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Trumperies. Afficher tous les articles

20/10/2025

Israël entre guerre d’extermination et guerre électorale

Ameer Makhoul, Progress Center for Policies, 18/10/2025

إسرائيل بين حرب الإبادة وحرب الانتخابات

Traduit par Tlaxcala

Guerre sur tous les fronts, par Patrick Chappatte

Introduction

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Israël Katz ont de nouveau menacé de reprendre la guerre contre la bande de Gaza, avertissant qu’ils recourraient à la force si le Hamas ne remettait pas les corps des captifs et détenus israéliens.
Dans le même temps, le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, a intensifié ses contacts avec l’administration Trump, présentant des rapports de renseignement affirmant que le Hamas serait en mesure de restituer un grand nombre de corps, une manœuvre perçue comme une préparation à un feu vert usaméricain pour une nouvelle escalade militaire.

Parallèlement, le Forum des familles des captifs et détenus a publié un appel public à Netanyahou, exigeant la reprise de la guerre tant que tous les corps ne sont pas restitués,  transformant ainsi une demande humanitaire en instrument politique dans la lutte interne pour le pouvoir en Israël.

La guerre au service de la politique intérieure
Les nouvelles menaces israéliennes semblent motivées davantage par des besoins politiques et électoraux que par des objectifs militaires immédiats. Netanyahou et Katz ont même rebaptisé la guerre contre Gaza, passant de « Épées d’or » à « Guerre de la renaissance » ou « Guerre de la résurrection », cherchant à remodeler le récit israélien et à l’inscrire dans une « Guerre des sept fronts », incluant le Liban, la Syrie, le Yémen, l’Irak, l’Iran, la Cisjordanie et Gaza.

Par ce changement de marque, Netanyahou tente de détourner les appels à la reddition de comptes concernant les événements du 7 octobre 2023 ,  notamment la création d’une commission d’enquête officielle, qu’il continue de refuser sous prétexte que « les enquêtes ne peuvent pas se tenir en temps de guerre ». Cette stratégie est étroitement liée aux élections prévues pour l’été 2026.

Les lacunes du plan Trump et ses répercussions régionales
Les menaces israéliennes coïncident avec les débats autour des détails du « plan Trump » pour mettre fin à la guerre, qualifié par le ministère égyptien des Affaires étrangères de « truffé de failles ». Les points non résolus comprennent :

  • L’échange de corps et de prisonniers.
  • Le désarmement de Gaza et du Hamas.
  • Le retrait progressif d’Israël.
  • La gouvernance et la reconstruction d’après--guerre.

Les estimations palestiniennes évaluent le coût de la reconstruction de Gaza entre 60 et 70 milliards de dollars. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis auraient exprimé une volonté conditionnelle de contribuer chacun à hauteur de 20 milliards, à condition qu’il y ait stabilité, désarmement et retrait du Hamas du pouvoir,  signe que l’aide financière est étroitement liée au cadre politique et sécuritaire en formation.


La règle de Netanyahou…
Dans une lutte pour la survie, les mesures extrêmes sont justifiées !
— … Surtout si c’est la survie de ma carrière politique !
David Horsey

La dimension électorale interne
Un sondage du quotidien Maariv montre une amélioration de la position de la coalition au pouvoir après la libération du dernier groupe de captifs et détenus vivants. Le soutien au Likoud a augmenté, tandis que le parti Sonisme religieux de Bezalel Smotrich a franchi le seuil parlementaire. À l’inverse, le parti de Benny Gantz est passé en dessous de ce seuil.
Le sondage prévoit 58 sièges pour l’opposition, 52 pour la coalition et 10 pour les partis arabes, susceptibles de progresser aux prochaines élections.

Pour Netanyahou, cette configuration est idéale : elle lui permet de former une minorité de blocage empêchant l’opposition de constituer un gouvernement sans s’appuyer sur un parti arabe,  scénario inacceptable pour le consensus sioniste. Il pourrait ainsi rester Premier ministre intérimaire à long terme, avec un contrôle parlementaire minimal, d’où son intérêt pour des élections anticipées si les tendances se confirment.

Entre l’option de guerre et le besoin de stabilité
Malgré la rhétorique belliqueuse, les contraintes internes et internationales limitent la probabilité d’une reprise de la guerre. L’épuisement militaire, moral et économique en Israël, combiné à l’absence de feu vert usaméricain, fait d’un nouveau conflit un risque politique plutôt qu’une opportunité stratégique.

Le plan Trump — bénéficiant d’un large soutien régional et international — constitue la pierre angulaire de la stratégie de Washington pour rétablir l’équilibre au Moyen-Orient, notamment en vue de finaliser les accords de normalisation avec l’Arabie saoudite et l’Indonésie. Un échec affaiblirait la crédibilité des USA dans la gestion des règlements régionaux.

Le dilemme des corps et le rôle des acteurs régionaux
La question des corps des captifs constitue un test réel pour la solidité de l’accord. Des sources israéliennes reconnaissent d’importants obstacles logistiques liés à la destruction des infrastructures et des tunnels de Gaza, où beaucoup de corps seraient encore ensevelis.

Le gouvernement Netanyahou a catégoriquement refusé d’autoriser l’aide d’équipements turcs pour les opérations de récupération, une décision politique visant à limiter l’influence d’Ankara et à instrumentaliser sa position sur la Syrie. Cependant, un courant croissant en Israël plaide pour une administration de Gaza dirigée par l’Autorité palestinienne afin d’éviter un vide administratif qui profiterait au Hamas ou à d’autres acteurs extérieurs.

Conclusion
La menace israélienne de reprendre la guerre est avant tout une manœuvre électorale et médiatique visant à mobiliser le soutien intérieur et à exploiter la question des captifs à des fins politiques.

Aucun signe concret n’indique une réelle intention de relancer la guerre, compte tenu du manque de soutien usaméricain, de l’épuisement social et militaire, et de l’opposition interne de l’armée.
Le changement de nom de la guerre en « Guerre de la résurrection » reflète une tentative d’échapper à la reddition de comptes pour les échecs du 7 octobre.
Les décisions israéliennes majeures — guerre ou paix — demeurent profondément liées au calcul électoral de Netanyahou et à son effort pour préserver son pouvoir.
Le facteur décisif des mois à venir sera l’engagement de Washington envers le plan Trump, qui demeure aujourd’hui le seul cadre viable pour l’arène israélo-palestinienne.

14/10/2025

Après Charm el-Cheikh : la coalition de Netanyahou survivra-t-elle ?

English  عربية

 Ameer Makhoul , Progress Center for Policies , 14/10/2025

Traduit par Tlaxcala

 

Introduction

Dans un ton marqué par ce qu’on pourrait qualifier d’« humour trumpien », parfois proche du chaos, le président usaméricain Donald Trump a adressé plusieurs messages à la Knesset israélienne — des messages révélant un double discours destiné à la fois à l’élite politique israélienne et au grand public.

Cet article examine le contenu de ces messages adressés à la scène politique israélienne et leurs possibles implications pour l’avenir de la coalition au pouvoir dirigée par Benjamin Netanyahou.


I. Les messages de Trump à la classe politique israélienne

De manière directe et spontanée — bien que non totalement improvisée —, Trump a appelé le président israélien Isaac Herzog à utiliser son autorité constitutionnelle pour accorder à Netanyahou une grâce présidentielle, mettant fin à ses procès et les effaçant définitivement.

Il s’est également adressé à Netanyahou lui-même sur un ton « paternel », l’exhortant à faire preuve de « bienveillance » envers le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, qui s’était exprimé au nom de l’opposition.

Par ces deux remarques, Trump a placé à la fois Netanyahou et Lapid en position de débiteurs politiques à son égard, se présentant comme leur sauveur et renforçant leur dépendance politique vis-à-vis de son leadership.

La nouvelle approche usaméricaine, sous la bannière de « America First », semble peu disposée à poursuivre le modèle traditionnel où le lobby pro-israélien joue le rôle d’intermédiaire décisif dans l’élaboration de la politique usaméricaine.

Elle redéfinit la relation de sorte que les USA deviennent le principal gardien des intérêts d’Israël, selon une vision strictement usaméricaine, et non l’inverse.


II. Lire l’arrière-plan de la position usaméricaine

Ces deux déclarations traduisent une volonté de favoriser un compromis interne israélien inspiré par l’esprit d’« unité nationale ».

Trump a utilisé son discours à la Knesset pour transmettre des messages liés à la stabilisation de la phase politique post-guerre.

Son administration considère que la coalition actuelle pourrait faire obstacle à cette nouvelle étape, tout en estimant que Netanyahou est la seule figure capable de conduire Israël de la rhétorique de la « guerre perpétuelle » à celle de la paix régionale et de la prospérité partagée entre Israéliens et Palestiniens.

III. Israël entre isolement et soumission à la domination usaméricaine

Trump a souligné que les victoires militaires d’Israël n’avaient été possibles que grâce au soutien usaméricain, promettant que son administration œuvrerait à mettre fin à l’isolement international d’Israël.

Dans le même temps, il a insisté sur le fait que ces réussites devaient lui être personnellement attribuées, concentrant son message sur Netanyahou plutôt que sur le gouvernement dans son ensemble.

Mais Trump a vite découvert que mettre fin à l’isolement régional et international d’Israël s’avérait bien plus complexe qu’il ne l’avait anticipé.

Cela s’est reflété dans la controverse entourant l’absence de Netanyahou au sommet de Charm el-Cheikh (13 octobre 2025), sur lequel les décisions de la Cour pénale internationale (CPI) planaient lourdement — créant un risque juridique pour plusieurs dirigeants européens s’ils défiaient les mandats d’arrêt visant Netanyahou.

Ce dernier a invoqué la « sainteté de la fête de Souccot » comme prétexte pour ne pas y assister, évitant ainsi une humiliation qui aurait révélé l’ampleur de son isolement politique et diplomatique, tant régional qu’international — bien si le principe juridique juif du pikuach nefesh (« sauver des vies ») aurait permis sa participation.

IV. La stratégie régionale de Trump

Trump se montre peu intéressé par les détails juridiques ou constitutionnels internes à Israël, préférant se concentrer sur l’objectif usaméricain plus large : consolider l’hégémonie yankee et s’assurer que les solutions conçues à Washington dominent les dynamiques régionales.

Sous sa direction, Washington paraît se rapprocher d’un axe émergent Turquie–Qatar–Syrie–Indonésie, tout en maintenant une coordination avec le bloc arabe traditionnel — Égypte, Arabie saoudite et Jordanie — qui soutient toujours la création d’un État palestinien.

L’administration usaméricaine actuelle considère cet objectif comme une composante des arrangements régionaux à long terme, même s’il ne figure pas parmi les priorités immédiates de Trump.

Cela signifie que le plan de fin de la guerre de Gaza, adopté à Charm el-Cheikh et officiellement approuvé par Netanyahou, représente désormais un consensus partagé — bien que l’horizon politique d’une paix durable demeure incertain.

V. La dimension religieuse et politique du discours de Trump

Dans son discours à la Knesset comme lors du sommet de Charm el-Cheikh, Trump a évoqué « trois mille ans de conflit », évitant délibérément toute référence à l’histoire moderne, au droit international ou à 1948.

Il a préféré encadrer son message autour du lien religieux entre les trois religions abrahamiques.

Cette rhétorique réactive la vision « abrahamique » de Trump, qu’il présente comme un cadre pour résoudre les différends historiques — sans aborder la nature politique contemporaine du conflit israélo-palestinien.

Ainsi, même si la cessation de la guerre de Gaza semble avoir été convenue par tous les participants du sommet et officiellement approuvée par Netanyahou, la voie politique vers une paix permanente reste incertaine :

— Sera-t-elle fondée sur les Accords d’Abraham, rejetés par la plupart des pays arabes ?

— Ou sur la création d’un État palestinien, que le leadership israélien actuel rejette et n’a nullement préparée ?

Dans les deux cas, un résultat décisif semble repoussé à l’après-Trump, à mesure que le processus avance lentement vers une solution politique et, éventuellement, la reconnaissance d’un État.

VI. Les options de Netanyahou

Netanyahou est désormais confronté à trois scénarios principaux :

  1. Organiser des élections anticipées, pour rechercher un nouveau mandat, s’appuyant sur sa popularité croissante, le soutien total de Trump et la rhétorique de la « victoire ».
  2. Gouverner jusqu’à la fin de son mandat actuel (novembre 2026), faute d’un défi sérieux au sein de la coalition ou de l’opposition.
  3. Former un gouvernement d’union nationale, option que Trump encourage ouvertement pour faciliter la mise en œuvre de son plan régional.

Si ce troisième scénario se concrétise, la durée du gouvernement pourrait être prolongée sous prétexte d’une « situation d’urgence » liée à l’application du plan usaméricain — permettant d’ignorer certaines exceptions juridiques et constitutionnelles, ce dont Trump se soucie peu.

Conclusion

Trump a renforcé la position de Netanyahou en Israël, consolidant son image de « leader incontesté » capable de faire face aux grands défis, et ouvrant la voie à l’idée d’un gouvernement d’unité nationale conforme aux préférences usaméricaines.

La fin de la guerre est désormais une décision usaméricaine, laissant peu de marge à une réinterprétation israélienne.

Les opérations militaires limitées d’Israël à Gaza semblent surtout destinées à tester la réaction de Washington, tandis que l’entrée de forces arabo-palestiniennes dans la bande pourrait restreindre la liberté d’action israélienne et compliquer ses options militaires.

L’issue pratique est la mise en œuvre progressive des phases avancées du plan usaméricain.

La mainmise de Netanyahou sur le pouvoir s’est resserrée après la visite de Trump — mais aussi sa dépendance à l’égard de la stratégie usaméricaine.

Cela s’aligne sur l’objectif de Washington : restructurer la politique interne et les équilibres partisans d’Israël.

L’isolement international d’Israël reste profond, et le sommet de Charm el-Cheikh y a ajouté une dimension juridique avec les mandats d’arrêt de la CPI contre Netanyahou — poussant peut-être Trump à user de pression ou de manipulation politique pour en neutraliser les effets.


Ce monument de style pharaonique postmoderne est pratiquement tout ce qui reste d’une précédente rencontre à Charm el-Cheikh, pompeusement baptisée « Conférence des faiseurs de paix », en mars 1996, réunissant les dirigeants de 29 pays autour de Clinton, Moubarak et Shimon Pérès

 

13/10/2025

From one to another Nobel
Open Letter from Adolfo Pérez Esquivel to María Corina Machado

Adolfo Pérez Esquivel, Página12, 13/10 /2025
Translated by Tlaxcala

 


I send you the greeting of Peace and Good, so greatly needed by humanity and by peoples living amid poverty, conflict, war, and hunger.
This open letter is meant to express and share a few reflections.

I was surprised by your designation as Nobel Peace Prize laureate, awarded by the Nobel Committee. It brought back memories of the struggles against dictatorships across our continent and in my own country — the military dictatorships we endured from 1976 to 1983. We resisted prisons, torture, and exile, with thousands of disappeared persons, abducted children, and the death flights, of which I am a survivor.

In 1980, the Nobel Committee awarded me the Nobel Peace Prize. Forty-five years have passed, and we continue working in service of the poorest, alongside the peoples of Latin America. In their name, I accepted that high distinction — not for the prize itself, but for the commitment shared with the peoples who struggle and hope to build a new dawn.
Peace is built day by day, and we must be consistent between what we say and what we do.

At 94, I remain a student of life, and your social and political stances concern me. Therefore, I send you these reflections.

The Venezuelan government is a democracy with its lights and shadows. Hugo Chávez charted the path of freedom and sovereignty for his people and fought for continental unity — a reawakening of the Great Homeland. The United States attacked him constantly: it cannot allow any country in the Americas to escape its orbit and colonial dependence. It still views Latin America as its “backyard.”
The U.S. blockade against Cuba, lasting over 60 years, is an attack on freedom and the rights of peoples. The Cuban people’s resistance stands as a lesson in dignity and strength.

I am astonished by how tightly you cling to the United States: you must know that it has no allies or friends — only interests.
The dictatorships imposed in Latin America were orchestrated to serve its aims of domination, destroying the social, cultural, and political life of peoples striving for freedom and self-determination.
We, the peoples, resist and fight for our right to be free and sovereign, and not colonies of the United States.

The government of Nicolás Maduro lives under the constant threat of the United States and its blockade — one need only recall the U.S. naval forces stationed in the Caribbean and the danger of invasion.
You have not uttered a word, nor condemned this interference by a great power against Venezuela. Yet the Venezuelan people are ready to face the threat.

Corina, I ask you: why did you call on the United States to invade Venezuela?
Upon learning of your Nobel Peace Prize, you dedicated it to Trump — the aggressor of your own country, the man who lies and accuses Venezuela of being a narco-state, a falsehood akin to George Bush’s claim that Saddam Hussein possessed “weapons of mass destruction.”
That was the pretext to invade Iraq, plunder it, and cause thousands of deaths among women and children.
I was in Baghdad at the end of the war, in a children’s hospital, and saw with my own eyes the destruction and death caused by those who proclaim themselves defenders of freedom.
The worst form of violence is the lie.

Do not forget, Corina, that Panama was invaded by the United States, causing death and destruction to capture a former ally, General Noriega.
The invasion left 1,200 dead in Los Chorrillos.
Today, the U.S. once again seeks to reclaim control of the Panama Canal.
It is a long list of U.S. interventions and suffering inflicted upon Latin America and the world.
The veins of Latin America remain open, as Eduardo Galeano once wrote.

I am troubled that you dedicated your Nobel not to your people, but to the aggressor of Venezuela.
I believe, Corina, you must reflect and understand where you stand — whether you are merely another piece in the U.S. colonial system, submissive to its interests of domination, which can never serve the good of your people.
As an opponent of the Maduro government, your stances and choices create much uncertainty, especially when you call for a foreign invasion of your homeland.

Remember that building peace requires great strength and courage for the good of your people — a people I know and deeply love.
Where once there were shantytowns clinging to the hills, surviving in poverty and destitution, there are now decent homes, healthcare, education, and culture.
The dignity of a people cannot be bought or sold.

Corina, as the poet* says:

“Traveler, there is no path; the path is made by walking.”

You now have the chance to work for your people and build peace, not provoke greater violence.
One evil cannot be cured by a greater evil: we would have two evils and never a solution.

Open your mind and your heart to dialogue, to meeting your people.
Empty the jug of violence and build peace and unity among your people, so that the light of freedom and equality may finally enter.

*Another Machado, named Antonio (no relation to Mrs. María Corina) [Transl. n.]

De Nobel à Nobel
Lettre ouverte d’Adolfo Pérez Esquivel à María Corina Machado

Adolfo Pérez Esquivel, Página12, 13/10 /2025
Traduit par Tlaxcala



Je t’adresse le salut de Paix et de Bien, dont l’humanité et les peuples plongés dans la pauvreté, les conflits, les guerres et la faim ont tant besoin. Cette lettre ouverte vise à t’exprimer et à partager quelques réflexions.

J’ai été surpris par ta désignation comme Prix Nobel de la paix, attribué par le Comité Nobel. Cela m’a rappelé les luttes contre les dictatures sur notre continent et dans mon propre pays — les dictatures militaires que nous avons subies de 1976 à 1983. Nous avons résisté aux prisons, à la torture et à l’exil, avec des milliers de disparus, des enfants enlevés, et les vols de la mort, dont je suis moi-même un survivant.

En 1980, le Comité Nobel m’a décerné le Prix Nobel de la paix. Quarante-cinq ans ont passé, et nous continuons à œuvrer au service des plus pauvres, aux côtés des peuples latino-américains. Au nom de tous ceux-là, j’ai accepté cette haute distinction — non pour le prix en soi, mais pour l’engagement partagé avec les peuples qui luttent et espèrent construire un nouvel horizon.
La paix se construit jour après jour, et nous devons être cohérents entre nos paroles et nos actes.

À mes 94 ans, je demeure un apprenti de la vie, et ta posture, tes décisions sociales et politiques m’inquiètent. Je t’envoie donc ces réflexions.

Le gouvernement vénézuélien est une démocratie, avec ses lumières et ses ombres. Hugo Chávez a tracé la voie de la liberté et de la souveraineté du peuple, et il a lutté pour l’unité du continent — un réveil de la grande patrie latino-américaine. Les USA l’ont constamment attaqué: ils ne peuvent tolérer qu’un pays du continent échappe à leur orbite et à leur dépendance coloniale. Ils continuent de considérer l’Amérique latine comme leur « arrière-cour ».
Le blocus imposé à Cuba depuis plus de 60 ans est une attaque contre la liberté et les droits des peuples. La résistance du peuple cubain demeure un exemple de dignité et de force.

Je m’étonne de voir à quel point tu t’accroches aux USA: tu devrais savoir qu’ils n’ont ni alliés ni amis, seulement des intérêts.
Les dictatures imposées en Amérique latine ont été orchestrées au service de leurs intérêts de domination, détruisant la vie et le tissu social, culturel et politique des peuples qui luttent pour leur liberté et leur autodétermination.
Nous les peuples, nous résistons et nous luttons pour le droit d’être libres et souverains, et non des colonies des USA.

Le gouvernement de Nicolás Maduro vit sous la menace constante des USA et du blocus — il suffit de rappeler la présence des forces navales usaméricaines dans la Caraïbe et le danger d’une invasion.
Tu n’as pas dit un mot, ni condamné cette ingérence d’une grande puissance contre le Venezuela. Pourtant, le peuple vénézuélien est prêt à affronter la menace.

Corina, je te demande : pourquoi as-tu appelé les USA à envahir le Venezuela ?
Lorsqu’on a annoncé que tu avais reçu le Prix Nobel de la paix, tu l’as dédié à Trump — l’agresseur de ton propre pays, celui qui ment et accuse le Venezuela d’être un État narcotrafiquant, un mensonge semblable à celui de George Bush, qui accusa Saddam Hussein de détenir des « armes de destruction massive ».
Ce fut le prétexte pour envahir l’Irak, le piller et provoquer des milliers de morts, de femmes et d’enfants.
J’étais à Bagdad à la fin de la guerre, dans un hôpital pour enfants, et j’ai vu la destruction et les morts causées par ceux qui se proclament défenseurs de la liberté.
La pire des violences est le mensonge.

N’oublie pas, Corina, que le Panama fut envahi par les USA, provoquant morts et destructions pour capturer un ancien allié, le général Noriega.
L’invasion fit 1 200 morts à Los Chorrillos.
Aujourd’hui, les USA cherchent à nouveau à s’emparer du canal de Panama.
C’est une longue liste d’interventions et de souffrances infligées à l’Amérique latine et au monde par les USA .
Les veines de l’Amérique latine restent ouvertes, comme l’écrivait Eduardo Galeano.

Je suis troublé que tu aies dédié le Nobel non pas à ton peuple, mais à l’agresseur du Venezuela.
Je crois, Corina, que tu dois réfléchir et comprendre où tu te tiens : es-tu une pièce de plus dans le système colonial des USA, soumise à leurs intérêts de domination — ce qui ne peut jamais être au bénéfice de ton peuple ?
En tant qu’opposante au gouvernement de Maduro, tes positions et tes choix suscitent beaucoup d’incertitudes, surtout lorsque tu en viens à appeler une puissance étrangère à envahir ton pays.

Il faut se souvenir que construire la paix demande force et courage, au service de ton peuple — un peuple que je connais et que j’aime profondément.
Là où il y avait jadis des bidonvilles dans les collines, vivant dans la pauvreté et la misère, il y a aujourd’hui des logements décents, des soins, de l’éducation et de la culture.
La dignité d’un peuple ne s’achète ni ne se vend.

Corina, comme le dit le poète* :

« Voyageur, il n’existe pas de chemin ; le chemin se fait en marchant. »

Tu as aujourd’hui la possibilité de travailler pour ton peuple et de construire la paix, non de provoquer davantage de violence.
Un mal ne se résout jamais par un mal plus grand : on n’aura alors que deux maux, et jamais la solution du conflit.

Ouvre ton esprit et ton cœur au dialogue, à la rencontre de ton peuple.
Vide le baril de la violence et construis la paix et l’unité de ton peuple, pour que la lumière de la liberté et de l’égalité puisse enfin entrer.

*Un autre Machado, prénommé Antonio (aucun lien avec Mme María Corina) [NdT]

05/10/2025

GIDEON LEVY
Oui, il faut pleurer sur le sang versé : des générations passeront avant que Gaza oublie le génocide


Gideon Levy, Haaretz, 5/10/2025
Traduit par Tlaxcala

Il faut une dose extraordinaire d’optimisme pour ne pas être accablé – ou rabat-joie – face à l’accord sur Gaza. Mais c’est possible : la proposition présente certains points positifs.


Des Palestiniens inspectent les dégâts dans un quartier résidentiel après une opération israélienne dans la zone, samedi.
Photo Ebrahim Hajjaj / REUTERS


Ce n’est pas un accord de paix entre Israël et Gaza, ce qui aurait bien sûr été préférable, mais plutôt un accord que les USA ont imposé à Israël. Il est depuis longtemps évident que seul un accord imposé peut amener Israël à changer. Le voici donc. C’est un signe d’espoir pour la poursuite d’une politique usaméricaine contraignante — sans laquelle rien ne bouge.

Des dizaines de milliers de vies ont été sauvées ce week-end. La peur, la faim, les maladies, les souffrances et les privations de plus de deux millions de personnes pourraient peu à peu prendre fin. Dimanche, elles auront au moins leur première nuit de sommeil sans la menace des bombardements au-dessus de leurs têtes. Des centaines de personnes retrouveront aussi leur liberté : les 20 otages israéliens encore en vie, les 250 prisonniers palestiniens purgeant des peines à perpétuité en Israël, et les 1 800 habitants de Gaza, pour la plupart innocents, détenus en Israël.

Oui, dans un même souffle : les détenus palestiniens ont eux aussi des familles qui ont enduré des mois, voire des années, d’angoisse et d’incertitude quant au sort de leurs proches. La plupart méritent enfin d’être libérés. Aucun des 1 800 détenus de Gaza qui seront libérés n’a été jugé. Eux aussi ont été enlevés. Il vaut mieux éviter de comparer les conditions de détention : elles ont été terribles des deux côtés. Leur libération est donc une source de joie – pour tous : tous les otages et toutes les familles.

Cet accord rétablit l’ordre dans les relations usaméricano-israéliennes : Israël est l’État client, et les USA la superpuissance. Ces définitions s’étaient complètement brouillées ces dernières années, au point que, surtout sous les administrations Obama et Biden, il semblait parfois qu’Israël était le patron et l’USAmérique son protectorat. Enfin, un président usaméricain ose utiliser le levier immense dont il dispose pour dicter les actions d’Israël. Les décisions imposées par Donald Trump sont bénéfiques pour Israël — même si peu l’admettent.

Mettre fin à la guerre est bien sûr une bonne chose pour Gaza, mais c’est aussi une bonne chose pour Israël. Ce n’est pas le moment d’énumérer tous les dommages terribles que cette guerre a causés à Israël, certains irréversibles. Le monde n’oubliera pas de sitôt le génocide ; il faudra des générations avant que Gaza oublie.
Arrêter la guerre maintenant est le moindre mal pour Israël, qui a perdu son chemin. Ces derniers mois, le pays était au bord de l’effondrement moral et stratégique. L’oncle Donald le ramène à ses proportions d’origine et, peut-être, lui ouvre une voie différente.

Israël aurait pu éviter cette guerre, qui ne lui a causé que du tort. Mais il aurait aussi pu gérer sa fin autrement. Des négociations directes avec le Hamas et des gestes de bonne volonté auraient pu changer la donne. Un retrait total de la bande de Gaza et la libération de tous les prisonniers auraient signalé un nouveau départ. Mais Israël, comme toujours, a choisi d’agir différemment — de ne faire que ce qu’on lui impose.

Gaza, et même le Hamas, sortent de cette guerre debout. Battus, saignants, épuisés, ruinés, mais debout. Gaza est devenue une Hiroshima, mais son esprit vit encore. La cause palestinienne avait complètement disparu de l’agenda international — encore un moment de paix avec l’Arabie saoudite, et les Palestiniens seraient devenus les Indiens d’Amérique de la région — puis la guerre est venue, les ramenant au centre de l’attention mondiale. Le monde les aime, le monde les plaint.

Il n’y a pas de consolation pour les habitants de Gaza, qui ont payé un prix indescriptible — et le monde pourrait encore les oublier —, mais pour l’instant, ils sont au sommet de l’attention mondiale.

Ce moment doit être saisi pour changer l’état d’esprit en Israël : il est temps que les Israéliens ouvrent les yeux et voient ce qu’ils ont fait.

Peut-être qu’il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé, mais le sang versé est autre chose. Il est temps d’ouvrir la bande de Gaza aux médias et de dire aux Israéliens : “Voyez, voilà ce que nous avons fait”.
Il est temps d’apprendre que s’appuyer uniquement sur la force militaire mène à la dévastation.
Il est temps de comprendre qu’en Cisjordanie, nous créons un autre Gaza.
Et il est temps de regarder droit devant et de dire : nous avons péché, nous avons agi avec perversité, nous avons transgressé.

JORGE MAJFUD
Les Accords de paix de l’homme blanc accro

Jorge Majfud pour La Pluma et Tlaxcala, 5/10/2025
Traduit par Tlaxcala

 

Le 29 septembre 2025, le New York Times a rendu compte de la réunion à la Maison-Blanche entre le président Trump et le premier ministre israélien Netanyahou.
Son titre annonçait : 
« Trump et Netanyahou disent au Hamas d’accepter leur plan de paix — ou sinon… »
Le sous-titre précisait ces points de suspension : « Le président Trump a déclaré qu’Israël aurait feu vert pour “finir le boulot” si le Hamas refusait d’accepter l’accord de cessez-le-feu. »


Cessez-le-feu…
Ce n’est pas que l’histoire rime : elle se répète.
Depuis le XVe siècle, tous les accords signés par les empires européens ont été imposés par la force des armes et systématiquement violés dès qu’ils cessaient de leur être utiles ou lorsqu’ils avaient réussi à avancer leurs lignes de feu.
Destruction et spoliation, assaisonnées d’une bonne cause : la civilisation, la liberté, la démocratie et le droit de l’envahisseur à se défendre.

Ce fut, pendant des siècles, la même histoire, celle de la diplomatie entre peuples autochtones et colons blancs — en rien différente du cas le plus récent de « l’Accord de paix » proposé et imposé sous menace par Washington et Tel-Aviv à la Palestine.
C’est la même histoire : la violation de tous les traités de paix conclus avec les nations autochtones, de part et d’autre des Appalaches, avant et après 1776.
Puis, ce que les historiens appellent « l’Achat de la Louisiane » (1803) ne fut pas un achat mais une spoliation brutale des nations autochtones, propriétaires ancestrales de ce territoire aussi vaste que tout le jeune pays anglo-américain.
Aucun autochtone ne fut invité à la table des négociations à Paris, bien loin des spoliés.
Et lorsque l’un de ces accords compta un “représentant” des peuples agressés — comme dans le cas du traité cherokee de 1835 — il s’agissait d’un faux représentant, un Guaidó inventé par les colons blancs.

Il en alla de même du transfert des dernières colonies espagnoles (Cuba, Porto Rico, Philippines, Guam) aux USA.
Alors que des centaines de Sioux teignaient de rouge les neiges du Dakota pour réclamer le paiement prévu par le traité les ayant forcés à vendre leurs terres, à Paris on signait un nouvel accord de paix concernant les peuples tropicaux.
Aucun représentant des spoliés ne fut invité à négocier l’accord censé rendre possible leur libération.

Pour Theodore Roosevelt, « la plus juste de toutes les guerres est la guerre contre les sauvages (…) les seuls bons Indiens sont les Indiens morts. »
Plus au sud, il écrivit et publia : « les Noirs sont une race stupide. »
Selon Roosevelt, la démocratie avait été inventée au bénéfice de la race blanche, seule capable de civilisation et de beauté.

À cette époque, l’ethnie anglo-saxonne avait besoin d’une justification à sa brutalité et à sa manie de voler puis de blanchir ses crimes par des accords de paix imposés par la force.
Comme, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le paradigme scientifique avait remplacé la religion, cette justification devint la supériorité raciale.

L’Europe tenait la majeure partie du monde sous sa coupe grâce à son fanatisme et à son addiction à la poudre.
Les théories sur la supériorité de l’homme blanc allaient de pair avec sa victimisation : les Noirs, Bruns, Rouges et Jaunes abusaient de sa générosité tout en menaçant la minorité de la race supérieure d’un remplacement par la majorité des races inférieures.
Cela ne vous rappelle rien ?

Comme ces théories biologisantes n’étaient pas suffisamment étayées, on fit appel à l’histoire.
À la fin du XIXe siècle, l’Europe pullulait de théories linguistiques puis anthropologiques sur l’origine pure de la race noble (aryenne, iranienne), la race blanche issue des Védas hindous.
Ces histoires tirées par les cheveux — et les symboles hindous comme la croix gammée nazie ou ce que l’on appelle aujourd’hui l’étoile de David (utilisée par diverses cultures depuis des siècles mais originaire de l’Inde) — se popularisèrent comme symboles raciaux imprimés.



Ce n’est pas un hasard si, à ce moment précis, les théories suprémacistes et le sionisme furent fondés et articulés dans leurs concepts historiques, dans l’Europe blanche, raciste et impérialiste du Nord.
Même le fondateur du sionisme, Theodor Herzl, considérait que les Juifs appartenaient à la « race aryenne supérieure ».

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ces suprémacismes coexistèrent avec quelques frictions, mais pas au point de les empêcher de conclure des accords : comme l’Accord Haavara entre nazis et sionistes, qui transféra pendant des années des dizaines de milliers de Juifs blancs (de « bon matériel génétique ») vers la Palestine.
Les premiers antisionistes ne furent pas les Palestiniens qui les accueillirent, mais les Juifs européens qui résistèrent à cet accord de nettoyage ethnique.
Au moment même où l’on colonisait et spoliait les Palestiniens de leurs terres, on colonisait et spoliait le judaïsme de sa tradition.

Lorsque les Soviétiques écrasèrent les nazis de Hitler, être suprémaciste devint une honte. Soudain, Winston Churchill et les millionnaires américains cessèrent de se vanter d’être nazis. Auparavant, la déclaration Balfour-Rothschild de 1917 avait été un accord entre Blancs pour diviser et occuper un territoire de « races inférieures ». Comme le déclara le raciste et génocidaire Churchill, alors ministre de la Guerre : « Je suis tout à fait favorable à l’usage de gaz toxiques contre les tribus non civilisées. » [et il le fit en Irak, NdT]

Mais la brutale irrationalité de la Seconde Guerre mondiale mit également fin à l’ère moderne fondée sur la raison et le progrès. Les sciences et la pensée critique cédèrent la place à l’irrationalité du consumérisme et des religions.

Ainsi, les sionistes d’aujourd’hui n’insistent plus devant l’ONU ou la Maison-Blanche sur leur supériorité aryenne, mais sur leurs droits spéciaux en tant que Sémites élus de Dieu.
Netanyahou et ses escortes évangéliques invoquent mille fois la sacralité biblique d’Israël, comme si lui et le roi David ne faisaient qu’un et comme si ce peuple sémite à la peau foncée d’il y a trois mille ans était le même que les Khazars du Caucase ayant adopté le judaïsme dans l’Europe médiévale.

L’accord de Washington entre Trump et Netanyahou, destiné à être accepté par les Palestiniens, est illégitime dès le début. Peu importe combien de fois on répète le mot paix — tout comme il importe peu de répéter le mot amour pendant qu’on viole une femme. Ce sera toujours un viol, comme le sont l’occupation et l’apartheid d’Israël sur la Palestine.

Le mardi 30 septembre, le ministre de la Guerre des USA, Pete Hegseth, réunit ses généraux et cita George Washington : « Celui qui désire la paix doit se préparer à la guerre », non pas parce que Washington « voulait la guerre, mais parce qu’il aimait la paix ».

Le président Trump conclut : ce serait un affront pour les USA s’il ne recevait pas le prix Nobel de la paix.

En 1933, dans son discours devant le Reichstag, le candidat au prix Nobel de la paix Adolf Hitler déclara que l’Allemagne ne désirait que la paix. Trois ans plus tard, après avoir occupé militairement la Rhénanie, il insista sur le fait que l’Allemagne était une nation pacifiste cherchant simplement sa sécurité.

Même si le nouvel accord entre Washington et Tel-Aviv était accepté par le Hamas (l’une des créatures de Netanyahou), tôt ou tard il serait violé par Tel-Aviv. Car, pour la race supérieure, pour les peuples élus, il n’existe pas d’accords avec les êtres inférieurs, mais des stratégies de pillage et d’anéantissement : des stratégies de diabolisation de l’esclave, du colonisé, et de victimisation du pauvre homme blanc, cet accro à la poudre — désormais à la poudre blanche.


JORGE MAJFUD
The Peace Agreements of the Addicted White Man

Jorge Majfud for La Pluma y Tlaxcala, Oct. 5, 2025

Translated by Tlaxcala

On September 29, 2025, The New York Times reported on the meeting at the White House between President Trump and Israeli Prime Minister Netanyahu. under this headline with a clarifying subtitle:

Cease-fire…It is not that history rhymes—it repeats itself.
Since the fifteenth century, all the treaties signed by the European empires have been made at gunpoint and systematically ignored once they stopped serving their purposes or when they managed to push forward their lines of fire.
Destruction and dispossession were always seasoned with some noble cause: civilization, freedom, democracy, and the invader’s right to defend himself.


For centuries, it was the same story repeated in the diplomacy between Indigenous peoples and white settlers—no different from the most recent case of the “Peace Agreement” proposed and imposed under threat by Washington and Tel Aviv on Palestine.
It is the same history of the violation of every peace treaty signed with the Native Nations on either side of the Appalachians, before and after 1776.
Later, what historians call the “Louisiana Purchase” (1803) was not a purchase at all, but a brutal dispossession of the Indigenous nations who were the ancestral owners of that territory, as large as the entire rising Anglo country in America.
No Native person was invited to the negotiating table in Paris, far from those being dispossessed.
And when one of these agreements included some “representative” of the attacked peoples—as in the 1835 Cherokee Treaty—the representative was false, a Guaidó invented by the white settlers.

The same occurred with the transfer of Spain’s last colonies (Cuba, Puerto Rico, the Philippines, Guam) to the United States.
While hundreds of Sioux dyed the snows of Dakota red demanding payment according to the treaty that had forced them to sell their lands, in Paris a new peace agreement was being signed over tropical peoples.
No representative of the dispossessed was invited to negotiate the accord that supposedly made their “liberation” possible.

For Theodore Roosevelt, “the most righteous of all wars is the war against savages… the only good Indians are dead Indians.”
Further south, he wrote and published that “Negroes are a stupid race.”
According to Roosevelt, democracy had been invented for the benefit of the white race, the only one capable of civilization and beauty.

During those years, the Anglo-Saxon ethnicity needed a justification for its brutality and its habit of stealing and then washing its crimes away with peace agreements imposed by force.
Since in the second half of the nineteenth century the epistemological paradigm of science had replaced religion, that justification became racial superiority.

Europe kept most of the world subjugated through its fanaticism and its addiction to gunpowder.
Theories about the superiority of the white man went hand in hand with his victimization: Blacks, Browns, Reds and Yellows took advantage of his generosity while threatening the minority of the superior race with replacement by the majority of inferior ones.
Sound familiar?

Because those biologicist theories were not sufficiently grounded, history was invoked instead.
At the end of the nineteenth century, Europe was teeming with linguistic and later anthropological theories about the pure origin of the noble race (Aryan, Iran), the white race derived from the Hindu Vedas.
These far-fetched stories—and Hindu symbols such as the Nazi swastika and what is now known as the Star of David (used by different cultures centuries earlier but originally from India)—became popular as racial symbols in print.



It is no coincidence that it was precisely at that moment that supremacist theories and Zionism were founded and articulated within their historical concepts in the white, racist, imperialist Europe of the North.
Even the founder of Zionism, Theodor Herzl, understood that Jews belonged to the superior “Aryan race.”

Until the Second World War, these supremacisms coexisted with certain frictions but not enough to prevent them from forming agreements, such as the Haavara Agreement between Nazis and Zionists, which for years transferred tens of thousands of white Jews (of “good genetic material”) to Palestine.
The first anti-Zionists were not the Palestinians who received them, but the European Jews who resisted that ethnic-cleansing agreement.
At the same time that the Palestinians were colonized and stripped of their lands, Judaism itself was colonized and stripped of its tradition.

When the Soviets crushed Hitler’s Nazis, being a supremacist became a disgrace.
Suddenly, Winston Churchill and the USAmerican millionaires stopped boasting of being Nazis.
Earlier, the 1917 Balfour-Rothschild Declaration had been an agreement among whites to divide and occupy a territory of “inferior races.”
As the racist and genocidal Churchill—then Minister of War—said:

“I am strongly in favor of using poisonous gas against uncivilized tribes.” [and he used it in Iraq, Transl. n.]

But the brutal irrationality of the Second World War also ended the Modern Era, founded on the paradigms of reason and progress.
Science and critical thought gave way to the irrationality of consumerism and religion.

Thus, today’s Zionists no longer insist before the UN or the White House on their Aryan racial superiority, but rather on their special rights as God’s chosen Semites.
Netanyahu and his evangelical escorts quote the biblical sacredness of Israel a thousand times, as if he and King David were the same person and as if that dark-skinned Semitic people of three thousand years ago were the same Khazars of the Caucasus who adopted Judaism in medieval Europe.

The Washington agreement between Trump and Netanyahu, to be accepted by the Palestinians, is illegitimate from the start.
It does not matter how many times the word peace is repeated—just as it does not matter how many times the word love is repeated while a woman is being raped.
It will always be a violation, just as Israel’s occupation and apartheid over Palestine are.

On Tuesday, September 30, U.S. Secretary of War Pete Hegseth gathered his generals and quoted George Washington:

“He who desires peace must prepare for war,”
not because Washington “wanted war, but because it loved peace.”
President Trump concluded: it would be an insult to the United States if he were not awarded the Nobel Peace Prize.

In 1933, in his speech before the Reichstag, the Nobel Peace Prize candidate Adolf Hitler declared that Germany sought only peace.
Three years later, after remilitarizing Rhineland, he insisted that Germany was a pacifist nation seeking its security.

Even if the new agreement between Washington and Tel Aviv is accepted by Hamas (one of Netanyahu’s own creations), sooner or later it will be violated by Tel Aviv.
For the superior race—for the chosen peoples—there are no agreements with inferior beings, only strategies of plunder and annihilation: strategies of demonizing the slave and the colonized, and of victimizing the poor white man, that addict to gunpowder—now to white powder.



06/09/2025

THE NEW YORK TIMES
Comment une mission top secrète de l’équipe de forces spéciales SEAL Team Six en Corée du Nord a échoué en 2019

Interrogé vendredi après-midi dans le Bureau ovale, Donald Trump a nié avoir connaissance des faits relatés ci-dessous : «Je ne sais rien à ce sujet. C’est la première fois que j’en entends parler». No comment [NdT]

L’opération de 2019, approuvée par le président Trump, visait à obtenir un avantage stratégique. Elle a provoqué la mort de civils nord-coréens désarmés.


Le président Trump et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un entretenaient une relation erratique. Ils se sont rencontrés sur l’île de Sentosa à Singapour en 2018.
Photo Doug Mills / The New York Times

Dave Philipps et Matthew Cole, The New York Times, 5/9/2025
Julian E. Barnes, Adam Entous et Eric Schmitt ont contribué au reportage.

Traduit par Tlaxcala

Dave Philipps est correspondant national pour The New York Times, spécialisé sur la guerre, l’armée et les anciens combattants, couvrant le Pentagone.
Matthew Cole est un journaliste indépendant, auteur de Code Over Country: The Tragedy and Corruption of SEAL Team 6. Il a travaillé pour The Intercept et a été producteur d’enquêtes pour NBC News et ABC News.

Un groupe de Navy SEAL émergea de l’océan noir d’encre par une nuit d’hiver début 2019 et se faufila jusqu’à une côte rocheuse de Corée du Nord. Ils étaient en mission top secrète, si complexe et cruciale que tout devait se dérouler parfaitement.

L’objectif était de poser un dispositif électronique qui permettrait aux USA d’intercepter les communications du dirigeant nord-coréen reclus, Kim Jong-un, en plein cœur de pourparlers nucléaires de haut niveau avec le président Trump.

La mission avait le potentiel d’offrir aux USA un flux de renseignements précieux. Mais elle impliquait de placer des commandos usaméricains sur le sol nord-coréen — une manœuvre qui, si elle était découverte, pouvait non seulement faire échouer les négociations, mais aussi provoquer une prise d’otages ou une escalade du conflit avec un ennemi doté de l’arme nucléaire.

Le risque était tel qu’il exigeait l’approbation directe du président.

Pour cette opération, l’armée choisit l’escadron rouge de la SEAL Team Six — la même unité qui avait tué Oussama ben Laden. Les SEAL s’entraînèrent pendant des mois, conscients que chaque geste devait être parfait. Mais lorsqu’ils atteignirent, vêtus de combinaisons noires et de lunettes de vision nocturne, ce qu’ils pensaient être une côte déserte, la mission capota rapidement.

Un bateau nord-coréen surgit de l’obscurité. Des faisceaux lumineux balayèrent la surface de l’eau. Craignant d’avoir été repérés, les SEAL ouvrirent le feu. En quelques secondes, tous les occupants du bateau nord-coréen étaient morts.

Les SEAL se replièrent en mer sans avoir posé le dispositif d’écoute.

L’opération de 2019 jamais reconnue

L’opération de 2019 n’a jamais été publiquement reconnue, ni même évoquée, ni par les USA ni par la Corée du Nord. Les détails restent classifiés et sont ici rapportés pour la première fois. L’administration Trump n’a pas informé les principaux membres du Congrès chargés de superviser les opérations de renseignement, ni avant ni après la mission. Ce défaut d’information pourrait avoir constitué une violation de la loi.

La Maison-Blanche a refusé tout commentaire.

Ce récit s’appuie sur des entretiens avec deux douzaines de personnes, dont des responsables civils du gouvernement, des membres de la première administration Trump, ainsi que des militaires en activité ou anciens ayant connaissance de la mission. Tous se sont exprimés sous condition d’anonymat en raison du caractère classifié de l’opération.

Plusieurs d’entre eux ont dit vouloir discuter des détails de la mission parce qu’ils s’inquiétaient du fait que les échecs des opérations spéciales soient souvent dissimulés par le secret gouvernemental. Si le public et les décideurs ne prennent conscience que des succès médiatisés, comme le raid qui a tué Ben Laden au Pakistan, ils risquent de sous-estimer les risques extrêmes que prennent les forces usaméricaines.

L’opération militaire sur le sol nord-coréen, à proximité de bases usaméricaines en Corée du Sud et dans le Pacifique, risquait également de déclencher un conflit plus large avec un adversaire hostile, doté de l’arme nucléaire et fortement militarisé.

Le New York Times procède avec prudence lorsqu’il rend compte d’opérations militaires classifiées. Le journal a occulté certaines informations sensibles concernant la mission en Corée du Nord qui pourraient compromettre de futures opérations spéciales et missions de renseignement.

On ignore dans quelle mesure la Corée du Nord a pu découvrir des éléments sur la mission. Mais cette opération des SEAL constitue un épisode d’un effort de plusieurs décennies des administrations usaméricaines pour engager la Corée du Nord et limiter son programme nucléaire. Presque rien de ce qu’ont tenté les USA — ni les promesses de rapprochement, ni la pression des sanctions — n’a fonctionné.

En 2019, Trump entreprenait une démarche personnelle envers Kim, à la recherche d’une avancée que ses prédécesseurs n’avaient pas réussi. Mais ces pourparlers s’effondrèrent, et le programme nucléaire nord-coréen accéléra. Le gouvernement usaméricain estime désormais que la Corée du Nord possède environ 50 armes nucléaires et des missiles capables d’atteindre la côte ouest des USA. Kim a promis de continuer à développer son programme nucléaire de manière « exponentielle » afin de dissuader ce qu’il appelle les provocations usaméricaines.

Points aveugles

La mission des SEAL visait à corriger un angle mort stratégique. Depuis des années, les agences de renseignement usaméricaines avaient trouvé presque impossible de recruter des sources humaines ou d’intercepter des communications dans l’État autoritaire et refermé de la Corée du Nord.

Comprendre la pensée de Kim devint une priorité majeure dès l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche. Le dirigeant nord-coréen paraissait de plus en plus imprévisible et dangereux, et sa relation avec Trump oscillait de façon erratique entre lettres d’amitié et menaces publiques de guerre nucléaire.

En 2018, les relations semblaient s’orienter vers la paix. La Corée du Nord suspendit ses essais nucléaires et balistiques, et les deux pays entamèrent des négociations. Mais les USA n’avaient toujours que très peu d’informations sur les intentions de Kim.

Au milieu de cette incertitude, les agences de renseignement usaméricaines révélèrent à la Maison-Blanche qu’elles disposaient d’une solution au problème : un dispositif électronique nouvellement développé, capable d’intercepter les communications de Kim.

Le hic, c’est que quelqu’un devait s’infiltrer pour l’installer.


Trump et Kim se sont rencontrés à l’hôtel Métropole à Hanoï, au Vietnam, en février 2019.
Photo Doug Mills / The New York Times

La mission fut confiée à la SEAL Team 6 en 2018, selon des responsables militaires.

Même pour la Team 6, la mission allait être extraordinairement difficile. Habitués à des raids rapides en Afghanistan ou en Irak, les SEAL allaient devoir survivre pendant des heures dans une mer glaciale, échapper aux forces de sécurité sur terre, installer un dispositif technique avec précision, puis s’exfiltrer sans être détectés.

L’exfiltration était vitale. Au cours du premier mandat de Trump, les plus hauts responsables du Pentagone pensaient que même une petite action militaire contre la Corée du Nord pouvait provoquer des représailles catastrophiques de la part d’un adversaire disposant d’environ 8 000 pièces d’artillerie et de lance-roquettes pointés sur les quelque 28 000 soldats usaméricains stationnés en Corée du Sud, sans compter des missiles à capacité nucléaire pouvant atteindre les USA.

Mais les SEAL croyaient pouvoir réussir, car ils avaient déjà mené une opération similaire.

En 2005, des SEAL avaient utilisé un mini-sous-marin pour débarquer en Corée du Nord et repartir sans être repérés, selon des personnes informées de cette mission. L’opération de 2005, menée sous la présidence de George W. Bush, n’avait encore jamais été rendue publique.

Les SEAL proposaient de réitérer l’exploit. À l’automne 2018, alors que des négociations de haut niveau avec la Corée du Nord étaient en cours, le Commandement des opérations spéciales conjointes, qui supervise la Team 6, reçut l’autorisation de Trump de commencer les préparatifs, selon des responsables militaires. On ignore si l’intention de Trump était d’obtenir un avantage immédiat dans les négociations ou si l’objectif était plus large.

Le Commandement des opérations spéciales conjointes a refusé de commenter.

Le plan prévoyait que la marine infiltre un sous-marin nucléaire, long comme près de deux terrains de football (200 m.), dans les eaux proches de la Corée du Nord, puis déploie une petite équipe de SEAL dans deux mini-sous-marins, chacun de la taille approximative d’un orque, qui rejoindraient silencieusement le rivage.

Ces mini-sous-marins étaient des « sous-marins humides », ce qui signifiait que les SEAL y circulaient immergés dans une eau à 4 °C pendant environ deux heures, utilisant du matériel de plongée et des combinaisons chauffantes pour survivre.


Un sous-marin nucléaire usaméricain à missiles guidés participa à des exercices près d’Okinawa, au Japon, en 2021. Un sous-marin similaire transporta une équipe de Navy SEAL vers les eaux nord-coréennes en 2019.
Photo US Marine Corps / Département de la Défense

Près de la plage, les mini-sous-marins devaient libérer un groupe d’environ huit SEAL qui nageraient jusqu’à la cible, installeraient le dispositif, puis replongeraient discrètement dans la mer.

Mais l’équipe faisait face à une limitation majeure : elle s’engageait presque à l’aveugle.

Normalement, les forces d’opérations spéciales disposent de drones au-dessus de la zone de mission, transmettant une vidéo haute définition en direct, que les SEAL au sol et les responsables dans des centres de commandement éloignés utilisent pour diriger l’action en temps réel. Ils peuvent souvent écouter les communications ennemies.

En Corée du Nord, tout drone serait immédiatement repéré. La mission devait donc se reposer uniquement sur des satellites en orbite et des avions espions à haute altitude opérant dans l’espace aérien international, qui ne pouvaient fournir que des images fixes de faible résolution, selon des responsables.

Ces images arrivaient avec plusieurs minutes de retard, dans le meilleur des cas. Et elles ne pouvaient pas être transmises aux mini-sous-marins, car une seule communication cryptée risquait de révéler l’opération. Tout devait donc se dérouler presque sous un blackout total des communications.

Si quelque chose attendait les SEAL sur la côte, ils ne le sauraient que trop tard.

L’opération capote

La SEAL Team 6 s’entraîna pendant des mois dans les eaux usaméricaines et poursuivit ses préparatifs jusqu’aux premières semaines de 2019. En février, Trump annonça qu’il rencontrerait Kim pour un sommet nucléaire au Vietnam à la fin du mois.

Pour cette mission, la SEAL Team 6 s’associa avec l’équipe sous-marine d’élite de la Navy, le SEAL Delivery Vehicle Team 1, spécialisée depuis des années dans les opérations d’espionnage avec mini-sous-marins. Les SEAL embarquèrent sur le sous-marin nucléaire et mirent le cap vers la Corée du Nord. Quand le submersible atteignit l’océan ouvert et s’apprêta à entrer en blackout de communications, Trump donna son feu vert final.

On ignore quels facteurs Trump prit en compte en approuvant la mission des SEAL. Deux de ses plus hauts responsables de la sécurité nationale de l’époque — son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, et le secrétaire à la défense par intérim, Patrick M. Shanahan — ont refusé de commenter cet article.

Le sous-marin approcha de la côte nord-coréenne et lança deux mini-sous-marins, qui rejoignirent un point à une centaine de mètres du rivage, dans des eaux claires et peu profondes.

Les planificateurs de la mission avaient tenté de compenser l’absence de vidéo en direct en passant des mois à observer les allées et venues dans la zone. Ils étudièrent les habitudes de pêche et choisirent un moment où le trafic maritime serait réduit. Le renseignement suggérait que si les SEAL arrivaient silencieusement au bon endroit, au cœur de la nuit en hiver, ils ne devraient rencontrer personne.

La côte nord-coréenne, photographiée en 2018, est fréquentée par de petits bateaux de pêche.
Photo. Ed Jones/Agence France-Presse/ Getty Images

La nuit était calme, la mer tranquille. Alors que les mini-sous-marins glissaient vers la cible, leurs capteurs confirmaient les informations de renseignement : la côte semblait déserte.

Les mini-sous-marins atteignirent le point où ils devaient se poser sur le fond marin. C’est là que l’équipe commit peut-être la première de trois petites erreurs, qui paraissaient anodines sur le moment mais qui pouvaient avoir condamné la mission.

Dans l’obscurité, le premier mini-sous-marin se posa au fond comme prévu, mais le second dépassa la zone et dut faire demi-tour, selon des responsables.

Le plan exigeait que les mini-sous-marins soient orientés dans la même direction. Mais après le demi-tour, ils pointaient en sens opposés. Le temps pressait, l’équipe décida donc de libérer le groupe de nageurs et de corriger ce problème plus tard.

Les trappes s’ouvrirent, et les SEAL — tous équipés d’armes intraçables, chargées de munitions tout aussi intraçables — nagèrent silencieusement jusqu’au rivage avec le dispositif d’écoute.

Tous les quelques mètres, les SEAL sortaient légèrement la tête de l’eau noire pour scruter les environs. Tout paraissait calme.

Ce fut peut-être une deuxième erreur. Flottant dans l’obscurité se trouvait un petit bateau. À bord, un équipage de Nord-Coréens, difficiles à détecter parce que les capteurs des lunettes de vision nocturne des SEAL repéraient surtout la chaleur, et que les combinaisons de plongée portées par les Nord-Coréens avaient été refroidies par l’eau glaciale.

Les SEAL atteignirent la côte, persuadés d’être seuls, et commencèrent à retirer leur équipement de plongée. La cible n’était qu’à quelques centaines de mètres.

De retour aux mini-sous-marins, les pilotes réorientèrent celui qui faisait face au mauvais côté. Avec les trappes de cockpit ouvertes pour la visibilité et la communication, un pilote lança le moteur électrique et fit pivoter l’engin.

C’était probablement une troisième erreur. Certains SEAL ont plus tard supposé que le sillage du moteur avait pu attirer l’attention du bateau nord-coréen. Et si l’équipage entendit un bruit d’eau, il put apercevoir la lumière provenant des cockpits ouverts des mini-sous-marins dans l’obscurité.

Le bateau commença à se diriger vers les mini-sous-marins. Les Nord-Coréens balayaient l’eau avec leurs lampes torches et parlaient comme s’ils avaient remarqué quelque chose.

Certains pilotes de mini-sous-marins expliquèrent plus tard lors de débriefings qu’à leurs yeux, observant depuis l’eau claire, le bateau paraissait encore à distance sûre, et ils doutaient qu’ils aient été repérés. Mais pour les SEAL sur la côte, dans la mer sombre et uniforme, le bateau semblait quasiment sur eux.

Un mini-sous-marin de la Navy, appelé SEAL Delivery Vehicle, lors d’un exercice en 2007. Des engins similaires furent utilisés lors de la mission de 2019.
Photo US Navy / Département de la Défense

Avec les communications coupées, impossible pour l’équipe à terre de consulter les pilotes sous-marins. Les faisceaux du bateau balayaient l’eau. Les SEAL ignoraient s’il s’agissait d’une patrouille de sécurité les traquant ou de simples pêcheurs, inconscients de la mission à haut risque en cours.

Un homme du bateau nord-coréen plongea dans la mer.

Si l’équipe côtière rencontrait des problèmes, le sous-marin nucléaire disposait d’un groupe de renforts SEAL avec des embarcations gonflables rapides. Plus au large, des aéronefs furtifs étaient positionnés sur des navires usaméricains, avec encore davantage de troupes des opérations spéciales prêtes à intervenir.

Les SEAL faisaient face à une décision critique, mais sans aucun moyen de discuter de la marche à suivre. Le commandant de mission se trouvait à des kilomètres, à bord du grand sous-marin. Sans drones ni communications, nombre des avantages technologiques sur lesquels comptent normalement les SEAL avaient disparu, laissant quelques hommes en néoprène, incertains de ce qu’il fallait faire.

Alors que l’équipe côtière observait le Nord-Coréen dans l’eau, le sous-officier le plus expérimenté sur place choisit une ligne de conduite. Sans un mot, il épaula son fusil et tira. Les autres SEAL firent instinctivement de même.

Compromission et fuite

Si les SEAL doutaient encore que leur mission ait été compromise avant d’ouvrir le feu, ils n’avaient plus aucune incertitude après. Le plan prévoyait que les SEAL abandonnent immédiatement s’ils rencontraient qui que ce soit. Les forces de sécurité nord-coréennes pouvaient déjà être en route. Il n’y avait plus de temps pour poser le dispositif.

L’équipe à terre nagea jusqu’au bateau pour s’assurer que tous les Nord-Coréens étaient morts. Ils ne trouvèrent ni armes ni uniformes. Tout indiquait que l’équipage — composé, selon les personnes informées, de deux ou trois personnes — était constitué de civils pratiquant la pêche sous-marine. Tous étaient morts, y compris l’homme tombé à l’eau.

Des responsables familiers de la mission affirmèrent que les SEAL tirèrent les corps dans l’eau afin de les dissimuler aux autorités nord-coréennes. L’un ajouta que les commandos percèrent les poumons des victimes avec des couteaux pour s’assurer que leurs corps couleraient.

Les SEAL regagnèrent les mini-sous-marins et envoyèrent un signal de détresse. Craignant que les commandos ne soient sur le point d’être capturés, le grand sous-marin nucléaire manœuvra en eaux peu profondes, tout près de la côte — une prise de risque majeure — pour les récupérer. Il prit ensuite la fuite vers le large.

Tout le personnel militaire usaméricain s’en sortit indemne.

Immédiatement après, des satellites espions usaméricains détectèrent une forte activité militaire nord-coréenne dans la zone, selon des responsables usaméricains. La Corée du Nord ne fit aucune déclaration publique sur ces morts, et les responsables usaméricains affirmèrent qu’il n’était pas clair si les Nord-Coréens avaient jamais compris ce qui s’était passé et qui en était responsable.

Le sommet nucléaire au Vietnam eut lieu comme prévu à la fin février 2019, mais les pourparlers s’achevèrent rapidement sans accord.

En mai, la Corée du Nord avait repris ses essais de missiles.

Trump et Kim se rencontrèrent une dernière fois en juin dans la zone démilitarisée entre les deux Corées. Ce fut un moment de télévision spectaculaire, avec Trump franchissant même brièvement la frontière vers le Nord. Mais la rencontre ne produisit guère plus qu’une poignée de main.

Dans les mois qui suivirent, la Corée du Nord tira plus de missiles qu’au cours de toute autre année précédente, y compris certains capables d’atteindre les USA. Depuis, selon les estimations usaméricaines, la Corée du Nord a accumulé 50 ogives nucléaires et de la matière pour en produire environ 40 de plus.

Un bilan inégal

La mission avortée des SEAL entraîna une série de révisions militaires durant le premier mandat de Trump. Elles conclurent que le meurtre de civils avait été justifié selon les règles d’engagement, et que l’échec de la mission résultait d’un enchaînement malheureux de circonstances imprévisibles et inévitables. Les conclusions restèrent classifiées.

L’administration Trump ne révéla jamais l’opération ni ses conclusions aux dirigeants des commissions clés du Congrès chargées de superviser les activités militaires et de renseignement, selon des responsables gouvernementaux. Ce faisant, l’administration aurait pu violer la loi fédérale, a affirmé Matthew Waxman, professeur de droit à l’Université Columbia et ancien responsable de la sécurité nationale sous le président George W. Bush.

Waxman a expliqué que la loi contient des zones grises qui laissent aux présidents une certaine marge de manœuvre quant aux informations transmises au Congrès. Mais pour les missions les plus conséquentes, l’obligation d’informer tend à être plus forte.

« Le but est de s’assurer que le Congrès n’est pas tenu dans l’ignorance quand des choses majeures se déroulent », dit Waxman. « C’est exactement le type d’opérations qui devrait normalement être signalé aux commissions, et sur lesquelles  ces commissions s’attendent à être informées. »

Beaucoup des personnes impliquées dans la mission ont ensuite été promues.

Mais l’épisode inquiéta certains responsables militaires expérimentés, au courant de l’opération, car les SEAL ont un bilan inégal qui, depuis des décennies, est largement occulté par le secret.

Les unités d’opérations spéciales d’élite se voient régulièrement confier les tâches les plus difficiles et dangereuses. Au fil des années, les SEAL ont enregistré de grands succès, notamment l’élimination de chefs terroristes, des sauvetages spectaculaires d’otages et l’opération contre Ben Laden, qui ont forgé une image quasi surhumaine auprès du public.

Mais pour certains militaires ayant travaillé avec eux, les SEAL ont la réputation de concevoir des missions excessivement audacieuses et complexes qui tournent mal. La première mission de la Team 6, lors de l’invasion de la Grenade en 1983, en est un exemple parlant.

Le plan consistait à sauter en parachute dans la mer, foncer vers la côte en bateaux rapides et placer des balises pour guider les forces d’assaut vers l’aéroport de l’île. Mais l’avion des SEAL décolla en retard ; ils sautèrent de nuit dans des conditions orageuses, chargés d’équipements lourds. Quatre SEAL se noyèrent, et les embarcations des autres chavirèrent.

L’aéroport fut ensuite pris par des Rangers de l’armée usaméricaine, parachutés directement sur la piste.


Des troupes usaméricaines surveillant l’aéroport de Point Salines après l’invasion de la Grenade en 1983. La mission inaugurale de la SEAL Team 6, visant l’aéroport principal de l’île, tourna très mal.
Photo Associated Press

Depuis, les SEAL ont monté d’autres missions complexes et audacieuses qui se sont effondrées, au Panama, en Afghanistan, au Yémen et en Somalie. Lors d’une mission de sauvetage en Afghanistan en 2010, des SEAL de la Team 6 tuèrent accidentellement, à la grenade, l’otage qu’ils tentaient de libérer, puis induisirent leurs supérieurs en erreur sur les circonstances de sa mort.

En partie à cause de ce bilan, le président Barack Obama limita les missions d’opérations spéciales à la fin de son second mandat et renforça la supervision, réservant les raids complexes de commandos à des situations extraordinaires, comme les sauvetages d’otages.

La première administration Trump annula bon nombre de ces restrictions et réduisit le niveau de délibération nécessaire pour les missions sensibles. Quelques jours après son entrée en fonction en 2017, Trump court-circuita en grande partie le processus décisionnel établi pour approuver un raid de la Team 6 contre un village au Yémen. Cette mission laissa 30 villageois et un SEAL morts, et détruisit un avion de 75 millions de dollars.

Lorsque le président Joseph R. Biden Jr. succéda à Trump, la gravité de la mission en Corée du Nord attira un regain d’attention. Son secrétaire à la Défense, Lloyd J. Austin III, ordonna une enquête indépendante, confiée au lieutenant-général à la tête du bureau de l’inspecteur général de l’armée.

En 2021, l’administration Biden informa les principaux membres du Congrès des conclusions, selon un ancien responsable gouvernemental.

Ces conclusions restent classifiées.