Gideon Levy & Alex Levac
(photos), Haaretz, 7/3/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Alors qu’il se trouvait par hasard près d’un jardin d’enfants géré par Save the Children dans le village de Sebastia, en Cisjordanie, Ahmad Jazar, 15 ans, a été abattu par un soldat israélien. « Depuis le début de la guerre à Gaza », déclare le chef du conseil local, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens ».
Rashid et Wafa Jazar, avec un poster de
leur fils Ahmad, chez eux cette semaine dans le village de Sebastia
Une photo déchirante d’Ahmad
Jazar, prise la veille de son assassinat. La main de sa mère est posée sur son
épaule, comme si elle s’apprêtait à le serrer dans ses bras ; tous deux
sourient légèrement en regardant l’appareil photo. La photo a été prise par
Mira, la sœur aînée d’Ahmad, étudiante en décoration d’intérieur âgée de 19
ans, à Naplouse, alors qu’Ahmad rendait visite à sa mère. Ahmad avait demandé à
sa sœur de les prendre en photo. Personne n’imaginait que ce serait sa
dernière.
Le lendemain, 19 janvier, Ahmad a
été abattu par un soldat des forces de défense israéliennes à une distance de
quelques dizaines de mètres, dans sa ville natale de Sebastia, dans le nord de
la Cisjordanie. Il se tenait alors près de l’entrée d’un jardin d’enfants géré
par l’organisation internationale Save the Children. Des images d’enfants
joyeux, naïfs et colorés, ornent la clôture en pierre qui entoure le bâtiment.
À côté, Ahmad, un jeune homme de 15 ans issu d’une famille pauvre, s’est
effondré sur le sol, en sang, et est mort.
Trois jours plus tard, Mira a
fait imprimer la photo, y a ajouté un cœur blanc et l’a placée sous le grand
poster de son frère, dans le cadre d’un coin commémoratif improvisé dans le
salon.
À Sebastia, près de Naplouse, les
colons ont fondé une véritable terre de colonisation. C’est dans la vieille
gare abandonnée de l’époque ottomane, près du village, que les membres de l’organisation
Gush Emunim ont convergé durant l’été 1969 - accompagnés de trois futurs
premiers ministres : Menachem Begin, Ariel Sharon et Ehud Olmert - et s’en sonr
emparés.
L’accord conclu la même année,
parfois appelé « compromis de Sebastia » (qui n’était pas du tout un
compromis), a laissé les colons sur place même après qu’ils étaient censés
évacuer, ce qui a été le signe avant-coureur d’une entreprise de colonisation
tentaculaire dans tout le Shomron, alias la Samarie. Cinquante-six ans plus
tard, les FDI y tuent des enfants, dans la partie nord de la Cisjordanie.
Sebastia est le site de la ville
biblique de Shomron, dont les ruines se trouvent à la périphérie du village
palestinien ; l’accès à cette zone est interdit à ses habitants depuis juillet
dernier. Pendant ce temps, à environ sept kilomètres de là, se profile la
colonie de Shavei Shomron.
Lorsque nous nous sommes rendus
dans la région cette semaine, toutes les voitures palestiniennes circulant sur
la route étaient bloquées par un véhicule militaire blindé garé en diagonale,
afin d’ouvrir la voie à deux véhicules de colons se dirigeant vers le nord, en
direction de la colonie de Homesh. Il est évident qu’ici, ce sont les seigneurs
de la terre qui sont en place.
Dans son bureau, le chef du
conseil du village de Sebastia, Mahmoud Azzam, nous montre des vidéos de colons
attaquant son village. Il ne se passe pas un jour sans que ces maraudeurs n’attaquent
ou que l’armée ne fasse une incursion, dit-il. « Depuis le début de la
guerre à Gaza », ajoute-t-il, « il n’y a rien de plus facile pour les
Israéliens que de tirer sur les Palestiniens. Depuis le 7 octobre, ils ont
également commencé à mettre la main sur nos terres ».
Sebastia est un village coloré
qui, dans un autre univers, serait un site touristique prospère - une
combinaison d’anciennes structures en pierre et d’attractions historiques plus
récentes. Les résidents locaux gèrent deux maisons d’hôtes bien tenues, mais
les touristes et les pèlerins n’ont pas vraiment afflué depuis un an et demi.