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14/09/2025

GIDEON LEVY
“Un père de 10 enfants qui a travaillé en Israël pendant plus de 30 ans : comment les soldats peuvent-ils le tuer si facilement ?”

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 12/09/2025
Traduit par Tlaxcala

Exécution au poste de contrôle : Un éleveur de volailles palestinien quitte un mariage et se rend acheter des plateaux de carton pour ses œufs dans une ville voisine. Des soldats israéliens à un poste de contrôle lui tirent près de 20 balles à bout portant, alors qu’il était déjà blessé.


Des proches en deuil chez Ahmed Shahadeh, au village d’Urif, non loin de Naplouse

Un coup de feu, puis un autre, puis un troisième. À travers les fentes entre les blocs de béton, on distingue un homme s’effondrer, étendu sur le dos, bras écartés sur la route. Le tir continue, balle après balle.

Deux soldats israéliens se tiennent sous un toit de toile rouge à un poste de contrôle, visant leur victime de leurs fusils, alors qu’elle gît blessée. À ce moment-là, il est déjà certainement mort. En un clin d’œil, un père de dix enfants est abattu. Sa voiture est garée à proximité. La vidéo entière dure 22 secondes, y compris le moment où, pour une raison obscure, la caméra est tournée ailleurs.

C’est ce qui s’est passé vendredi dernier au crépuscule. Le poste de contrôle d’Al-Murabba’a, au sud-ouest de Naplouse, est l’un des rares points de passage restés ouverts pour entrer et sortir de la ville, après que le poste principal de Hawara a été fermé lorsque la guerre à Gaza a éclaté il y a presque deux ans.


Le corps d’Ahmed Shahadeh, entouré de soldats israéliens. Photo fournie par la famille

C’est une barrière de blocs de béton avec une installation de fortune pour les soldats, derrière laquelle se dresse une grille de fer jaune. Parfois les soldats contrôlent les voitures et leurs conducteurs, parfois non. Vendredi dernier, ils ont contrôlé la voiture de leur victime.

Que s’est-il passé durant les instants où l’éleveur de volailles, Ahmed Shahadeh – qui avait travaillé des décennies en Israël et parlait hébreu couramment – est sorti de son véhicule, apparemment sur ordre des soldats, avant d’être abattu par près de vingt balles tirées à bout portant ?

Peut-être ne le saura-t-on jamais. La vidéo – on ne sait pas qui l’a publiée – diffusée sur les réseaux sociaux montre peu et dissimule beaucoup. On n’y comprend pas pourquoi les soldats ont tiré sur leur victime avec une telle rage.

Il est douteux qu’Ahmed ait représenté un danger, même un instant. Mais alors qu’il gisait blessé sur la route, près du poste de contrôle, les soldats ont apparemment décidé de l’exécuter coûte que coûte. Qu’est-ce qui a bien pu provoquer un tel acte ?

Un appartement du village d’Urif, près de Naplouse. C’est le troisième jour de deuil de la famille. Au rez-de-chaussée, un petit poulailler, avec son odeur désagréable. Le défunt vivait à l’étage avec son épouse malade ; dans un autre appartement du même immeuble vivait l’un de ses fils avec sa famille. Depuis le 7 octobre 2023, deux attentats ont été perpétrés par des habitants d’Urif.

Ahmed Shahadeh avait travaillé en Israël durant des décennies, comme certains de ses enfants avant la guerre. Âgé de 57 ans, il avait travaillé dans une imprimerie à Holon, dans la banlieue de Tel-Aviv, puis 15 ans dans l’usine de plastiques Keter, dans la zone industrielle de Barkan, près de la colonie d’Ariel. Ses fils affirment qu’il avait des amis juifs.

Il y a un an, il a pris sa retraite. Ou peut-être a-t-il été licencié. Il a alors monté une petite activité à domicile pour rester occupé et gagner un peu d’argent. Il vendait les œufs de ses quelque 200 poules aux magasins d’Urif.

Vendredi après-midi, les Shahadeh ont assisté au mariage d’un proche, dans une salle du village. Le matin, Ahmed avait nettoyé le poulailler, nourri les poules, s’était bien habillé et était parti avec son épouse à l’événement. Aelia, 55 ans, souffre d’atrophie musculaire et a besoin d’aide pour se déplacer ; Ahmed s’occupait d’elle.


Une banderole commémorative d’Ahmed Shahadeh cette semaine à Urif.  “Un homme qui a 10 enfants et travaillé en Israël plus de 30 ans – comment les soldats peuvent-ils le tuer si facilement ?”, demande son frère.

Ses trois fils s’appellent Jihad (37 ans), Abdelfatteh (33 ans) et Mohammed (32 ans), ouvrier du bâtiment dans la colonie de Beit Arye, qui parle hébreu. Vendredi, Ahmed est resté environ une heure au mariage, puis a dit à ses fils qu’il partait pour le village de Tal, à 15 minutes en voiture, acheter des plateaux en carton pour les œufs récoltés. Il les a invités à l’accompagner mais ils ont préféré rester. Leur père leur a dit qu’au retour il ramasserait leur mère. Personne n’imaginait qu’il ne reviendrait jamais.

Vers 17h40, une demi-heure après son départ, ses fils ont vu un message sur le groupe WhatsApp local signalant un incident au poste de contrôle d’Al-Murabba’a, où un Palestinien avait été blessé. La photo jointe montrait une Ford Focus bleu métallisé, la voiture de leur père. Les fils ont quitté en hâte le mariage et se sont rendus au poste de contrôle.

À une centaine de mètres de la barrière, les soldats leur ont fait signe de s’arrêter et ont pointé leurs armes sur eux. « C’est mon père, c’est mon père ! », a crié Mohammed. Les soldats leur ont ordonné de sortir du véhicule, de relever leurs chemises et de lever les mains. Seul Jihad a été autorisé à avancer, très lentement. Cette semaine, il dit avoir aperçu une partie du corps encore découvert de son père, dépassant entre les blocs de béton.


Deux petites-filles d’Ahmed dans le poulailler

« Mon père est  vivant ou mort ? », a-t-il demandé avec agitation. L’un des soldats a répondu en arabe approximatif : « Ton père est mort. »

« Pourquoi vous avez tué mon père ? », a-t-il demandé. Le soldat a répondu qu’Ahmed avait lancé quelque chose vers eux. « Vous auriez pu lui tirer dans la jambe, s’il avait vraiment jeté quelque chose », a répliqué Jihad. Pas de réponse.

Quelques minutes plus tard, raconte Jihad, un autre soldat s’est approché, lui a serré la main et a dit : « Je suis désolé. » Jihad a demandé à voir le corps de son père. Le soldat a répondu qu’il le verrait lorsque les autorités israéliennes, via la COGAT (Coordination des activités gouvernementales dans les territoires), le transféreraient à l’hôpital.

Les trois fils sont rentrés à la maison, en deuil, pour annoncer la terrible nouvelle à leur mère. Vers 20h, ils ont reçu un appel de la COGAT : l’armée avait transféré le corps au camp de Hawara et il se trouvait désormais dans une ambulance palestinienne en route vers l’hôpital Rafidia de Naplouse.

Toute la famille s’y est rendue. Jihad dit avoir compté pas moins de 18 impacts de balles sur le corps de son père, la plupart dans le cou, la poitrine et l’abdomen.

Le corps est resté une nuit à Rafidia. Le lendemain, les fils l’ont enterré. Le seul témoin oculaire a rapporté avoir seulement vu les soldats ordonner à Ahmed de sortir de sa voiture, rien de plus.


Les frères d’Ahmed lors du deuil

Selon Salma al-Deb’i, chercheuse de terrain pour l’ONG israélienne B’Tselem, les soldats au poste de contrôle d’Al-Murabba’a se comportent souvent de façon très agressive, surtout lorsqu’ils voient un véhicule avec un seul conducteur. Parfois un soldat dit au conducteur d’avancer, un autre lui ordonne de s’arrêter : la situation est tendue.

Elle dit n’avoir trouvé aucun témoin capable d’éclairer ce qui s’est passé lors de ces instants fatidiques, ni pourquoi les soldats ont tué Ahmed Shahadeh. Elle ajoute que chaque poste de contrôle de Cisjordanie est équipé d’innombrables caméras de surveillance : l’armée sait donc exactement ce qui s’est passé.

Cette semaine, Haaretz a posé une question à l’armée, partant du fait que les fils de la victime avaient retrouvé la carte d’identité de leur père à la maison. Nous avons demandé si Ahmed avait été tué parce qu’il conduisait sans sa carte. Voici la réponse du porte-parole de l’armée :

« Le 5 septembre (vendredi), un suspect est arrivé à un poste de contrôle militaire près du village de Burin, dans le secteur de la brigade de Samarie de Tsahal. Lors de l’inspection, le suspect a contourné imprudemment les véhicules devant lui, est entré en collision avec une autre voiture, puis a poursuivi à pied vers les forces, tout en tenant à la main un objet identifié comme suspect.

Les soldats ont suivi la procédure d’arrestation d’un suspect, qui comprend des sommations et des tirs de sommation en l’air. Le suspect n’a pas obéi, a continué à avancer vers les forces et a lancé l’objet. En réponse, les forces ont tiré sur lui afin d’éliminer la menace, conformément aux règles d’engagement en vigueur. »

Le frère d’Ahmed arrive. Il demande que son nom ne soit pas mentionné. « Comment pouvez-vous être assis dans notre maison ? On peut venir  me dire : prends 10 millions de shekels [2,5 millions d’€] et tue-les, mais je ne le ferai jamais. Vous avez une maison, des enfants, une famille. Voilà ce qui est arrivé à mon grand frère. Un homme qui a 10 enfants et travaillé en Israël plus de 30 ans – comment les soldats peuvent-ils le tuer si facilement ? », demande-t-il, luttant pour ne pas éclater en sanglots.

Dans un coin du poulailler d’Ahmed, trois plateaux d’œufs en carton ; les poules caquettent sans cesse. Lundi, la rentrée scolaire a commencé avec retard en Cisjordanie, et la maison était pleine d’enfants dégustant des Krembos lorsque nous sommes venus en visite. Ce sont les petits-enfants d’Ahmed.

Un peu plus haut dans la rue, sur un terrain vague, la Ford Focus bleue est garée. Seule une balle parmi les nombreuses tirées a atteint le côté de la voiture : on distingue un impact et la vitre côté passager est brisée. Les baskets de la victime se trouvent encore dans le coffre.

14/07/2025

DAWN
Les USA doivent enquêter sur le meurtre du citoyen usaméricain Saif al-Din Musalat par des colons israéliens et traduire ses auteurs en justice

 DAWN, 12/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 


Musalat, l’un des sept citoyens usaméricains assassinés par des Israéliens en Cisjordanie depuis 2022

Washington, DC, 12 juillet 2025 – Le gouvernement usaméricain devrait enquêter et garantir que les responsables du meurtre de Saif al-Din Musalat, un jeune homme de 20 ans originaire de Floride, battu à mort par des colons israéliens le 11 juillet 2025 dans le village de Sinjil, en Cisjordanie, dans les territoires palestiniens occupés, soient traduits en justice. Les USA n’ont pas mené d’enquête sérieuse ni traduit en justice les meurtriers israéliens d’au moins six autres citoyens usaméricains depuis 2022.

« Le moins que le président Trump puisse faire est d’exiger une enquête sur le meurtre sauvage de ce jeune Américain et d’insister pour que les colons extrémistes israéliens qui l’ont battu à mort soient tenus responsables », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de DAWN. « Si les Israéliens continuent de tuer des citoyens américains, c’est parce qu’ils savent qu’ils peuvent s’en tirer à bon compte, convaincus que le gouvernement américain ne leur demandera pas de rendre des comptes. »

Le 11 juillet 2025, des colons israéliens ont envahi le village de Sinjil, en Cisjordanie, où ils ont affronté Musalat et l’ont battu à mort. Musalat, qui rendait visite à sa famille pour l’été, protestait contre la construction d’un nouvel avant-poste israélien illégal sur les terres du village d’al-Mazra’a ash-Sharqiya lorsque des colons israéliens l’ont attaqué, selon sa famille. La famille de Musalat a rapporté que les colons ont empêché les secours d’accéder à Musalat pendant plus de trois heures ; il a été déclaré mort à son arrivée à l’hôpital. Les mêmes colons ont également tué Mohammed Rizq Hussein al-Shalabi, 23 ans, qui a aussi été laissé pour mort pendant des heures.

« L’ambassadeur Huckabee devrait faire son travail et exiger que le gouvernement israélien traduise en justice les responsables de ce crime odieux », a déclaré Charles Blaha, conseiller principal de DAWN et vétéran du département d’État usaméricain depuis 32 ans. « Il convient de rappeler que la protection des citoyens américains à l’étranger est le premier devoir de nos ambassades. »

L’armée israélienne a déclaré qu’elle examinait la question, confirmant que les colons se livraient à « des actes de vandalisme contre des biens palestiniens, à des incendies criminels et à des affrontements physiques ». Au 12 juillet 2025, la police israélienne avait arrêté six personnes en relation avec le meurtre de Musalat, mais aucune accusation n’avait été prononcée.

Le bilan d’Israël en matière d’enquêtes et de poursuites contre des soldats et des colons israéliens pour le meurtre de citoyens usaméricains, de Palestiniens-USAméricains, de journalistes et de Palestiniens n’est ni transparent, ni crédible, ni fiable. Les autorités israéliennes n’ont pris aucune mesure punitive sérieuse contre les auteurs des meurtres antérieurs de citoyens USaméricains, notamment Rachel Corrie, Orwah Hammad, Mahmoud Shaalan, Omar Asad, Shireen Abu-Akleh, Ayşenur Eygi et trois enfants usaméricains : Amer Rabee, un enfant palestino-usaméricain de 14 ans originaire du New Jersey ; Tawfic Abdel Jabbar, un enfant palestino-usaméricain de 17 ans originaire de Louisiane ; et Mohammad Alkhdour, un enfant palestino-usaméricain de 17 ans originaire de Floride.

Selon des données de l’organisation israélienne de défense des droits humains Yesh Din, « la probabilité qu’un soldat israélien soit poursuivi pour avoir tué un Palestinien n’est que de 0,4 % – soit une poursuite pour 219 décès signalés à l’armée ». En ce qui concerne les violences commises par les colons israéliens à l’encontre des Palestiniens en Cisjordanie, les chances que les responsables soient tenus pour responsables sont tout aussi minces. Entre 2005 et 2024, Yesh Din a constaté que « seulement 3 % des enquêtes sur les crimes à motivation idéologique commis contre des Palestiniens en Cisjordanie ont abouti à une condamnation totale ou partielle. Ce faible taux de condamnation indique, depuis au moins deux décennies, que les forces de l’ordre ne prennent pas au sérieux la violence des colons, ce qui renforce le sentiment d’impunité des auteurs et encourage la répétition de ces actes ».

Le gouvernement usaméricain peut prendre plusieurs mesures pour garantir qu’il soit fait justice pour les citoyens usaméricains tués à l’étranger, notamment exercer des pressions diplomatiques, mener ses propres enquêtes indépendantes, demander l’extradition et la poursuite des auteurs, et imposer des sanctions à leur encontre. Dans le cas présent, l’administration Trump devrait au minimum ouvrir une enquête du ministère de la Justice sur ce meurtre, exiger du gouvernement israélien qu’il autorise l’accès aux auteurs et aux témoins, poursuivre les meurtriers si Israël ne le fait pas, et leur imposer des sanctions usaméricaines.

« Le système judiciaire israélien s’est révélé totalement incapable de tenir ses propres citoyens responsables du meurtre de Palestiniens, y compris de citoyens usaméricains », a déclaré Raed Jarrar, directeur du plaidoyer de DAWN.

Alors que le gouvernement usaméricain a activement enquêté et sanctionné le meurtre d’Israéliens par des Palestiniens, il n’a pas protégé les USAméricains assassinés par des Israéliens. À la suite des attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, au cours desquelles 40 citoyens usaméricains ont été tués, le ministère de la Justice a lancé une enquête approfondie et a engagé des poursuites pénales contre des responsables du Hamas pour meurtre et terrorisme.  En revanche, le gouvernement américain n’a jamais a annoncé les conclusions de l’enquête qu’il affirme avoir été lancée par le ministère de la Justice en 2022 sur le meurtre, le 11 mai 2022, de la journaliste usaméricano-palestinienne Shireen Abu-Akleh. Le ministère de la Justice n’a même pas tenté d’enquêter sur le meurtre de la militante usaméricano-turque Aysenur Eygi, abattue par les forces israéliennes en Cisjordanie occupée le 6 septembre 2024.

Au lieu de cela, le gouvernement usaméricain a continué à récompenser Israël par un soutien militaire et politique, et à garantir l’impunité des criminels israéliens devant les instances internationales, y compris la Cour pénale internationale (CPI). L’administration Trump a également imposé des sanctions à la procureure de la CPI et à plusieurs juges, ainsi qu’à la rapporteure spéciale des Nations unies Francesca Albanese, pour leurs efforts visant à tenir les responsables israéliens responsables de leurs crimes.

Le 20 janvier 2025, lors de son premier jour au pouvoir, le président Trump a annulé le programme de sanctions mis en place par le président Biden pour punir les colons israéliens violents en Cisjordanie.

« Le meurtre du citoyen usaméricain Saif al-Din Musalat est une conséquence directe de la décision du président Trump, dès son premier jour au pouvoir, de lever les sanctions contre les colons israéliens violents », a déclaré Jarrar. « Lorsque vous supprimez les mesures visant à responsabiliser les colons extrémistes, vous leur donnez en fait le feu vert pour intensifier leurs violences contre les Palestiniens, y compris les citoyens usaméricains. »

USAméricains assassinés par les forces armées israéliennes ou les forces paramilitaires des colons soutenues par l’État depuis 2022

1.                  Saif al-Din Musalat, 11 juillet 2025

2.                 Amer Rabee, un enfant palestino-usaméricain de 14 ans originaire du New Jersey, a été mortellement abattu par des Israéliens dans la ville de Turmus Ayya, au nord de la ville de Ramallah, le 6 avril 2025.

3.                 Mohammad Alkhdour, un jeune Palestinien de 17 ans originaire de Floride, s’est fait tuer par un tir dans la tête le 10 février 2024 par les forces israéliennes à Biddu, en Cisjordanie, alors qu’il conduisait une voiture.

4.                Tawfic Abdel Jabbar,  un adolescent palestino-usaméricain de 17 ans originaire de Louisiane, a été abattu par les forces israéliennes près de Ramallah le 19 janvier 2024.

5.                 Ayşenur Eygi, militante turco-usaméricaine, a été abattue par les forces de défense israéliennes le 6 septembre 2024 alors qu’elle participait à une manifestation à Beita, en Cisjordanie.

6.                Shireen Abu-Akleh, journaliste palestino-usaméricaine, a été tuée le 11 mai 2022, par Alon Scoglia, membre de l’unité Duvdevan des Forces de défense israéliennes, dans ce qui semble être un assassinat ciblé.

7.                 Omar Assad, 78 ans, a été tué le 12 janvier 2022 à Jiljilya, en Cisjordanie, par la tristement célèbre brigade Netzah Yehuda, que le secrétaire d’État Blinken a refusé de sanctionner en application des lois Leahy usaméricaines.

05/07/2025

GIDEON LEVY
Une grand-mère palestinienne se trouvait sur sa terrasse à Jérusalem-Est avec sa famille lorsque la police israélienne l’a exécutée

Gideon Levy  & Alex Levac, Haaretz , 5/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Les fils de Zahia Jawda affirment que la rue était calme lorsqu’une unité de la police des frontières est passée près de leur domicile; lun des agents a tiré un seul coup de feu, la touchant au front et la tuant sur le coup.


La famille a entouré 
de parpaings l’endroit où leur matriarche est tombée , préservant les traces de sang

Le matin de sa mort, l’agneau qu’elle chérissait tant est décédé. Zahia Jawda s’occupait de cet animal depuis sa naissance, le nourrissait deux fois par jour au biberon. Mardi matin dernier, l’agneau est mort dans son enclos.

Son mari Qaid a été envahi par le chagrin en voyant l’animal mort, avant de partir à 5h30 pour son travail à Jérusalem. Il savait à quel point Zahia était attachée, corps et âme, à cet agneau. Il a appelé des proches dans la ville de Hora et leur a commandé cinq agneaux. Ils ont promis de les apporter dans la soirée. Qaid voulait atténuer la peine de Zahia après la mort de l’animal qu’elle avait tant soigné.

Les animaux sont arrivés ce soir-là. Nous les avons vus cette semaine, blottis les uns contre les autres dans le petit enclos au rez-de-chaussée de la maison des Jawda, située dans le quartier du Waqf – ou le «Quartier dEn-Bas» au pied du camp de réfugiés de Shoafat à Jérusalem-Est.

Zahia n’a pu nourrir les nouveaux agneaux qu’une seule fois. Quelques heures plus tard, un policier des frontières l’a abattue d’une balle tirée à distance, directement dans le front, alors qu’elle se trouvait sur la terrasse de sa maison. Ses enfants endeuillés doivent maintenant nourrir les agneaux.

Pour atteindre la maison des Jawda, il faut traverser l’ensemble du camp tentaculaire, où des dizaines de milliers de personnes s’entassent – un spectacle qui rappelle celui du camp de Jabaliya à Gaza avant qu’il ne soit bombardé. Amer Aruri, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, nous a guidés.

Les rues sinueuses sont étroites et en pente – le camp étant construit à flanc de colline – la circulation y est infernale et le point de contrôle permanent imposant rappelle la profondeur de l’apartheid à Jérusalem et le fait qu’elle est, pour l’éternité, une ville divisée.

Les Jawda sont à l’origine des Bédouins de Jordanie. Zahia et Qaid, respectivement âgés de 66 et 67 ans, y sont tous deux nés mais possèdent des cartes d’identité bleues (israéliennes), comme tous les habitants de Jérusalem-Est. Qaid explique qu’ils essaient d’éviter tout contact avec les habitants du quartier difficile à proximité, le camp de réfugiés lui-même.


Zahia Jawda

La maison qu’ils ont construite il y a des années ressemble presque à une maison bédouine traditionnelle: le rez-de-chaussée abrite un enclos pour animaux et un poulailler, dont les odeurs remontent jusquau toit. Qaid dit quil doit entretenir lenclos à moutons pour honorer les invités qui viennent chez eux, en leur servant de la viande de mouton.

Certaines parties du bâtiment de trois étages ne sont pas terminées; ce ne sont que des squelettes en cours de construction. Les fils du couple et leurs familles vivent dans les parties achevées. Laccès à la terrasse, où Zahia a été tuée, ne se fait pas par les escaliers mais par une rampe plutôt dangereuse.

Une scène terrible attend le visiteur: la famille a entouré de parpaings lendroit où leur matriarche est tombée, elle a préservé les traces de sang et les fragments de cerveau qui sen sont écoulés, recouverts dune bâche plastique. Ils ne veulent pas que le sang soit effacé.

Dans un autre coin de la terrasse, les derniers vêtements portés par Zahia, tachés de son sang, sont suspendus.

Qaid, qui travaille depuis des années comme contrôleur de la circulation en Israël, porte un uniforme dont il est fier et conduit un véhicule officiel stationné en bas. Il parle couramment l’hébreu. Assis dans son salon, il raconte comment Zahia a été tuée. D’une voix calme, il nous corrige: «Zahia na pas été tuée elle a été assassinée,» dit-il, éclatant en sanglots pour la première fois de notre visite, mais pas la dernière. Le couple était marié depuis 50 ans.

Ce lundi, lorsqu’on lui rend visite, il est veuf depuis six jours. Il raconte que ses filles sont en dépression depuis l’événement et qu’il ne sait plus quoi faire. Le couple a sept enfants et 50 petits-enfants, certains courant d’un étage à l’autre du bâtiment.


Qaid Jawda avec les vêtements que portait sa femme Zahia lorsqu'elle a été assassinée la semaine dernière.

Autrefois, Qaid a conduit des bus pour la compagnie Egged, puis a dirigé une équipe d’inspecteurs chez New Way. Il a aussi travaillé trois ans sur le projet de tramway de la rue Ben Yehuda à Tel-Aviv. Lorsqu’il est parti, commerçants et habitants lui ont adressé une lettre d’adieu émouvante, datée du 11 novembre 2022.

«Nous, commerçants et propriétaires sur la rue Ben Yehuda, tenons à exprimer notre reconnaissance à Qaid Jawda pour son travail dévoué. Cet homme affable aime aider et servir les passants avec une grande politesse, pour la satisfaction de tous.»

Qaid conserve cette lettre, parmi d’autres recommandations accumulées au fil de ses années de travail en Israël, dans un dossier qu’il montre fièrement.

Mardi dernier, rentrant du travail, il a dîné puis est descendu avec Zahia s’occuper des moutons. Qaid raconte que le comportement de sa femme ce soir-là était inhabituel sans en expliquer la raison: «Cest comme si elle sentait que quelque chose allait se produire. C’était étrange.»

Vers 22h, Qaid est allé se coucher: il avait une mission tôt le matin à Jérusalem avec son équipe. Après minuit, il a été réveillé par des cris épouvantables. En ouvrant la porte de la chambre, il a vu des membres de la famille crier. En demandant ce qui se passait, il a vu ses fils descendre Zahia du toit, du sang coulant de sa tête.

Qaid a immédiatement appelé le 101 pour faire venir une ambulance du Magen David Adom au checkpoint de Shoafat – aucune ambulance israélienne n’ose entrer dans le camp – expliquant que la vie de sa femme était en danger. Il est descendu dans la rue, où tout le quartier était déjà rassemblé. Ses fils ont placé leur mère dans une voiture, en route vers le checkpoint. Qaid a suivi en voiture. L’ambulance attendait et Qaid s’est frayé un chemin pour voir Zahia. Il a vu le crâne fracturé, le sang, et a compris qu’elle était morte. Il l’a embrassée.

Au checkpoint, on lui a dit que sa femme était conduite à l’hôpital Hadassah du mont Scopus. Arrivé là, on l’a dirigé vers Shaare Zedek, puis vers l’hôpital Makassed à Jérusalem-Est. Il a alors compris qu’elle avait sûrement été transférée à l’Institut médico-légal de Tel Aviv, où l’on transporte les corps, non les blessés. Il est alors rentré chez lui.

À 3h30 du matin, une importante force de la police des frontières israélienne est arrivée chez lui, armes au poing. Qaid raconte avoir interpellé le commandant: «Une minute, attendez, baissez vos armes. Personne ici ne vous fera de mal. Je vous demande, baissez vos armes.» Ils se sont exécutés.

Les pandores sont montés sur le toit, ont photographié la scène et les traces de sang sur l’escalier. «Imaginez que cest votre mère,» leur a lancé Qaid. «Je veux seulement la justice. Que le policier qui a tiré sur ma femme soit jugé. Cest tout ce que je demande. Ma femme ne reviendra pas, mais je veux que le tireur soit jugé.»


Le camp de réfugiés de Shoafat, cette semaine

Il a ensuite reçu plus de détails de ses enfants sur ce qui s’était passé. Zahia se trouvait sur le toit avec leur fille Ala, 40 ans, et quelques petits-enfants, comme chaque soir. Il fait chaud à l’intérieur mais agréable sur la terrasse; ils discutent, grignotent des graines de tournesol. Tout autour, c’était calme, lorsque, disent-ils, ils ont remarqué des soldats marchant dans la rue, à plusieurs dizaines de mètres, alors quils étaient sur le toit, en hauteur.

La police des frontières revenait d’un nouveau raid nocturne sur le camp, parmi tant d’autres, presque toujours inutiles et même dangereux – des incursions dont le but est seulement de terroriser les habitants et d’afficher la brutalité dans la «capitale unifiée» de l’État dIsraël.

Vers 0h30, l’un des agents a tiré un seul coup de feu à distance, atteignant Zahia au front. Elle s’est effondrée devant sa fille et ses petits-enfants. Selon un des fils, immédiatement après, la police des frontières a quitté les lieux.

Un porte-parole de la police israélienne a déclaré cette semaine en réponse à une question: «Des agents des unités spéciales et des combattants opérant dans le camp de Shoafat ont été pris à partie par des émeutiers leur lançant des pierres. Un agent a été blessé à la tête et conduit à lhôpital. En réponse, la force, se sentant en danger de mort, a ouvert le feu sur les fauteurs de troubles. Lincident est en cours dexamen par les services compétents.»

Cette réponse, notons-le, est totalement hors sujet. Quel est le rapport entre la femme sur le toit et le danger prétendument ressenti par les troupes? Quel est le lien entre les «jets de pierres», avérés ou non, et le tir précis qui a touché à la tête une femme innocente sur un toit situé hors du camp?

Qaid: «Je porte luniforme. Pour moi cest un honneur. Un policier qui ne respecte pas son uniforme ne devrait pas exercer. Il a détruit ma vie. Pourquoi la-t-il tuée? Pourquoi nest-il pas humain? Sil était humain, avec une mère et un père, il naurait pas fait ça. Sil avait un cœur, il naurait pas fait ça. Je nai jamais fait aucun mal à l’État. Je donne tout à l’État. Jai une grande famille dans le Néguev. Jai même un petit-fils soldat. Pendant la guerre, jai dirigé des gens vers des abris sur les sites où je travaille.

«Mon rôle de contrôleur de la circulation est de sauver la vie des Israéliens. Pourquoi mériter que ma femme soit tuée? Qua-t-elle fait? Je veux juste que ceux qui ne respectent pas luniforme ne servent pas. Quils se regardent dans le miroir et fassent leur examen de conscience. Je ne sais pas si ce policier était juif, druze ou bédouin. Je veux juste quil se regarde en face, et sache quil a tué une femme innocente de 66 ans. Une femme bonne. Une âme merveilleuse.»