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22/11/2024

GIDEON LEVY
Adnan Al Bursh, le docteur fantôme de Gaza

Gideon Levy, Haaretz,  22/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le docteur Adnan Al Bursh était chirurgien, chef du service d’orthopédie de l’hôpital Al Shifa de la ville de Gaza. C’était un homme charismatique et séduisant qui utilisait les médias sociaux pour montrer qu’il travaillait dans des conditions invraisemblables, sans électricité, sans médicaments ni anesthésiques, et souvent sans lits pour les patients. Une vidéo le montre, pelle à la main, en train de creuser une fosse commune dans la cour de l’hôpital pour y déposer les cadavres des patients, après que les congélateurs ont été débordés par le nombre de corps. Il est devenu un héros local de son vivant et un héros international après sa mort. Il n’est presque jamais rentré chez lui après le début de la guerre, explique sa veuve, Yasmin. Après le début de la guerre, lui et son équipe ont été contraints de fuir trois hôpitaux que l’armée israélienne a détruits dans le cadre de leur « respect scrupuleux du droit international ».

En décembre, Al Bursh a été arrêté par l’armée dans le dernier hôpital où il travaillait, l’hôpital Al Awda à Jabalya. On lui a dit de sortir et on l’a enlevé. Au cours des mois suivants, il a apparemment subi d’horribles tortures dans un centre d’interrogatoire du Shin Bet et, plus tard, dans le camp de détention de Sde Teiman. Il a ensuite été transféré à la prison d’Ofer, où il est décédé le 19 avril. « Nous pouvions à peine le reconnaître », a déclaré un médecin palestinien qui l’a vu dans le centre de détention. « Il était évident qu’il avait vécu l’enfer. Ce n’était pas l’homme que nous connaissions, mais l’ombre de cet homme ». Al Bursh, qui restait en forme et nageait souvent, s’est transformé en fantôme. Spécialiste de l’orthopédie chirurgicale, il avait étudié en Jordanie et en Grande-Bretagne ; s’il avait vécu ailleurs, les choses auraient pu être bien différentes.

Sa mort en prison a été accueillie par un haussement d’épaules caractéristique en Israël, bien que l’acteur et rappeur Tamer Nafar lui ait consacré une belle élégie dans Haaretz, où j’ai également écrit sur Al Bursh. Les autorités ont évité de prendre la responsabilité de sa mort. L’administration pénitentiaire, contrôlée par le ministre de la sécurité nationale Ben-Gvir, a déclaré qu’elle ne s’occupait pas des « combattants illégaux ». Il s’agit donc soudainement de « combattants », avec lesquels ils ne traitent pas. L’armée a déclaré qu’elle ne détenait pas Al Bursh au moment de sa mort.

Des dizaines de détenus sont morts dans les prisons israéliennes cette année, comme dans les pires prisons du monde - et ce n’est pas un sujet qui mérite d’être discuté par le mouvement de protestation pour la démocratie en Israël. Des centaines de membres du personnel médical ont été tués à Gaza, et cela n’intéresse même pas l’Association médicale israélienne. Quelle honte !

Mais Al Bursh est devenu un médecin fantôme, dont le personnage, la vie et la mort refusent de disparaître. La semaine dernière, son image a été évoquée dans un reportage de John Sparks sur Sky News. Alors que la journaliste d’investigation israélienne Ilana Dayan se plaint auprès de Christiane Amanpour sur CNN que « nous ne couvrons pas suffisamment les souffrances humaines à Gaza » et présente ensuite un autre reportage héroïque sur l’armée, la chaîne de télévision pour laquelle elle travaille ne montre même pas un aperçu de ce qui se passe à Gaza. « Les téléspectateurs ne sont pas intéressés », a déclaré cette semaine l’un des responsables de la deuxième autorité israélienne pour la télévision et la radio. Cette déclaration résume le nouveau concept du journalisme : le paiement à la séance.

Mais dans un monde où il existe d’autres sources médiatiques, le Dr Al Bursh n’a pas été oublié. Le rapport d’enquête de Sky News a révélé qu’il avait été jeté dans la cour de la prison d’Ofer alors qu’il était gravement blessé, nu à partir de la taille. Francesca Albanese, rapporteure spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, a évoqué la possibilité qu’il ait subi des abus sexuels avant sa mort, étant donné qu’il a été retrouvé à moitié nu.

Qui a tué al-Bursh, et comment ? Nous ne le saurons jamais. Cependant, nous avons appris une fois de plus à quel point la préoccupation sélective d’Israël pour la vie humaine est immorale. Une société dans laquelle au moins quelques personnes sont horrifiées et ébranlées par le sort des otages israéliens - se préoccupent d’eux jour et nuit, protestent avec véhémence et accrochent des banderoles dans les rues - est la même société qui ne se préoccupe pas d’autres êtres humains et détermine leur sort cruel. Cette hypocrisie est indéfendable. Il est impossible de faire le lien entre le choc profond des Israéliens face à la mort d’otages du Hamas et leur indifférence totale face à la mort d’Al Bursh, un otage détenu par Israël. Il n’y a aucun moyen de résoudre ces contradictions, si ce n’est de conclure que la conscience d’Israël a été irrémédiablement altérée.


 

01/08/2024

Révélations du New York Times : Ismail Haniyeh aurait été tué par une bombe télécommandée placée dans la maison d’hôtes de Téhéran il y a deux mois

Un engin explosif caché dans un complexe lourdement gardé où Ismail Haniyeh était réputé séjourner en Iran est à l’origine de sa mort, selon une enquête du NY Times.

 
Une photo circulant sur Telegram et parmi les officiels iraniens mercredi montre un bâtiment endommagé dans le nord de Téhéran.

 Ronen Bergman, Mark Mazzetti et  Farnaz Fassihi, The New York Times, 1/8/2024

 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ismail Haniyeh, l’un des principaux dirigeants du Hamas, a été assassiné mercredi par un engin explosif introduit clandestinement dans la maison d’hôtes de Téhéran où il séjournait, selon sept responsables du Moyen-Orient [manière élégante de dire « israéliens », NdT], dont deux Iraniens, et un responsable usaméricain.

La bombe avait été dissimulée il y a environ deux mois dans la maison d’hôtes, selon cinq des responsables du Moyen-Orient. La maison d’hôtes est gérée et protégée par le Corps des gardiens de la révolution islamique et fait partie d’un grand complexe, connu sous le nom de Neshat, dans un quartier huppé du nord de Téhéran.

M. Haniyeh se trouvait dans la capitale iranienne pour assister à l’investiture présidentielle. La bombe a été déclenchée à distance, selon les cinq responsables, une fois qu’il a été confirmé que M. Haniyeh se trouvait dans sa chambre à la maison d’hôtes. L’explosion a également tué un garde du corps.

L’explosion a secoué le bâtiment, brisé quelques fenêtres et provoqué l’effondrement partiel d’un mur extérieur, selon les deux responsables iraniens, membres des gardiens de la révolution informés de l’incident. Ces dégâts sont également visibles sur une photographie du bâtiment communiquée au New York Times.

M. Haniyeh, qui a dirigé le bureau politique du Hamas au Qatar, avait séjourné dans la maison d’hôtes à plusieurs reprises lors de ses visites à Téhéran, selon les responsables du Moyen-Orient. Tous ces responsables ont parlé sous le couvert de l’anonymat afin de ne pas divulguer de détails sensibles sur l’assassinat.

Des personnes en deuil se sont rassemblées à Téhéran jeudi pour les funérailles du chef du Hamas, Ismail Haniyeh. L’Iran a déclaré qu’Israël était derrière son assassinat. Photo Arash Khamooshi pour le New York Times

Des responsables iraniens et le Hamas ont déclaré mercredi qu’Israël était responsable de l’assassinat, un avis partagé par plusieurs responsables usaméricains ayant requis l’anonymat. Cet assassinat risque de déclencher une nouvelle vague de violence au Moyen-Orient et de compromettre les négociations en cours pour mettre fin à la guerre à Gaza. M. Haniyeh avait été l’un des principaux négociateurs des pourparlers sur le cessez-le-feu.

Israël n’a pas reconnu publiquement sa responsabilité dans l’assassinat, mais les services de renseignement israéliens ont informé les USA et d’autres gouvernements occidentaux des détails de l’opération dans les jours qui ont suivi, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.

Mercredi, le secrétaire d’État Antony J. Blinken a déclaré que les USA n’avaient pas été informés à l’avance du projet d’assassinat.

Dans les heures qui ont suivi l’assassinat, les spéculations se sont immédiatement concentrées sur la possibilité qu’Israël ait tué M. Haniyeh à l’aide d’un missile, peut-être tiré à partir d’un drone ou d’un avion, de la même manière qu’Israël avait lancé un missile sur une base militaire à Ispahan en avril dernier.

Cette théorie du missile a soulevé des questions sur la manière dont Israël aurait pu échapper à nouveau aux systèmes de défense aérienne iraniens pour exécuter une frappe aérienne aussi effrontée dans la capitale.

Il s’avère que les assassins ont pu exploiter un autre type de faille dans les défenses iraniennes : une faille dans la sécurité d’un complexe supposé étroitement gardé, qui a permis de poser une bombe et de la dissimuler pendant de nombreuses semaines avant qu’elle ne soit finalement déclenchée.

Un panneau d’affichage à Téhéran en avril représentant des missiles. Photo Arash Khamooshi pour The New York Times

Trois responsables iraniens ont déclaré qu’une telle violation constituait un échec catastrophique en matière de renseignement et de sécurité pour l’Iran et un énorme embarras pour les Gardiens, qui utilisent le complexe pour des retraites, des réunions secrètes et l’hébergement d’invités de marque tels que M. Haniyeh.

La manière dont la bombe a été dissimulée dans la maison d’hôtes n’a pas été élucidée. Les responsables du Moyen-Orient ont déclaré que la préparation de l’assassinat avait pris des mois et avait nécessité une surveillance approfondie du complexe. Les deux responsables iraniens qui ont décrit la nature de l’assassinat ont déclaré qu’ils ne savaient pas comment ni quand les explosifs avaient été placés dans la chambre.

Israël a décidé de procéder à l’assassinat en dehors du Qatar, où vivent M. Haniyeh et d’autres hauts responsables politiques du Hamas. Le gouvernement qatari joue le rôle de médiateur dans les négociations entre Israël et le Hamas en vue d’un cessez-le-feu à Gaza.

L’explosion meurtrière survenue tôt mercredi a brisé des fenêtres et fait s’effondrer une partie du mur de l’enceinte, comme l’ont montré des photographies et comme l’ont indiqué les responsables iraniens. Des dégâts minimes au-delà du bâtiment lui-même, comme l’aurait probablement fait un missile, n’ont été que minimes.

Vers 2 heures du matin, heure locale, l’engin a explosé, selon les responsables du Moyen-Orient et les sources iraniennes. Les membres du personnel de l’immeuble, surpris, ont couru à la recherche de la source de l’énorme bruit, ce qui les a conduits à la chambre où M. Haniyeh se trouvait avec un garde du corps.

Une image satellite prise le 25 juillet ne montre pas de dégâts visibles ni de bâche verte sur le bâtiment, ce qui suggère que l’image avec les dégâts visibles a été prise plus récemment. Photo Maxar Technologies

Le complexe dispose d’une équipe médicale qui s’est précipitée dans la pièce immédiatement après l’explosion. L’équipe a déclaré que M. Haniyeh était mort immédiatement. L’équipe a tenté de ranimer le garde du corps, mais il était lui aussi mort.

Le chef du Jihad islamique palestinien, Ziyad al-Nakhalah, se trouvait dans la chambre voisine, ont déclaré deux des responsables iraniens. Sa chambre n’a pas été gravement endommagée, ce qui laisse supposer que M. Haniyeh a fait l’objet d’un ciblage précis.

Khalil al-Hayya, le commandant adjoint du Hamas dans la bande de Gaza, qui se trouvait également à Téhéran, est arrivé sur les lieux et a vu le corps de son collègue, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.

ABDALJAWAD OMAR
La véritable raison pour laquelle Israël assassine des dirigeants du Hamas et du Hezbollah, et pourquoi cela n’arrêtera pas la résistance

 

Emad Hajjaj

L’assassinat par Israël de dirigeants du Hamas et du Hezbollah ne vise pas à affaiblir la résistance. Son véritable objectif est de restaurer l’image de sa supériorité militaire et de ses services de renseignement aux yeux de l’opinion israélienne.

Abdaljawad Omar, Mondoweiss, 31/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala  

Abdaljawad Omar (Aboud Hamayel) est un auteur palestinien vivant à Ramallah. Docteur en philosophie sur le thème de la Grande Intifada (1987-2006), il est actuellement maître de conférences au département de philosophie et d’études culturelles de l’université de Birzeit. @HHamayel2 Aboud Hamayel

Dans la nuit du 30 juillet, Israël a intensifié ses opérations militaires, ciblant ses adversaires sur plusieurs fronts, dont le Liban, l’Iran et la Palestine. Le gouvernement israélien a revendiqué un succès significatif avec l’assassinat d’un commandant du Hezbollah dans un quartier densément peuplé du sud de Beyrouth. Simultanément, Israël a lancé une frappe audacieuse au cœur de Téhéran, tuant Ismail Haniyeh, le chef en exercice du bureau politique du Hamas.

Après dix mois de perte lente mais constante de la maîtrise de l’escalade qu’il avait maintenue pendant des décennies, Israël tente aujourd’hui de reprendre l’initiative et de rétablir l’avantage en ciblant à la fois Beyrouth et Téhéran en moins de 24 heures.

Les actions d’Israël ne visent pas seulement à projeter sa force ; elles sont également conçues pour accroître la pression sur l’axe de la résistance. L’objectif stratégique est de briser l’unité de cette coalition en tirant parti de ses capacités militaires pour flirter avec la perspective d’une guerre totale - une issue que ni Israël, ni le Hezbollah, ni, par extension, l’Iran, ne souhaitent vraiment. Cette politique de la corde raide vise à déstabiliser les adversaires, à les forcer à reconsidérer leur position unifiée et, éventuellement, à faire des concessions en faveur d’Israël.

Des ouvriers iraniens installent une immense banderole sur un mur montrant un portrait du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, et la mosquée du Dôme du Rocher dans l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, sur la place Felestin (Palestine), à Téhéran, en Iran, le mercredi 31 juillet 2024. Vahid Salemi/AP Photo

Israël mise sur l’idée que la crainte d’une nouvelle escalade poussera le Hezbollah et l’Iran à faire pression sur le Hamas pour qu’il réponde à certaines des exigences d’Israël lors des négociations sur le cessez-le-feu. En outre, Israël prévoit que toute escalade réelle - en particulier celle provoquée par ses actions ciblées - obligerait les USA et leurs alliés à offrir un soutien militaire et diplomatique. Même si Washington ne recherche pas activement un conflit majeur, Israël est convaincu que les USA n’hésiteront pas à lui venir en aide si la situation s’aggrave. En d’autres termes, Israël poursuit une politique d’imbrication et, ce faisant, prend des risques calculés, sachant que si les choses tournent mal, l’armée usaméricaine se précipitera à sa défense dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient.

Depuis un certain temps, Israël jauge les réactions de ses adversaires, notant en particulier la faible réaction des Palestiniens à ses proclamations selon lesquelles il avait réussi à assassiner le commandant militaire du Hamas à Gaza, Mohammed Al-Deif. Cette observation a conduit les planificateurs stratégiques israéliens à conclure que si un accord diplomatique reste une priorité, il est peu probable que de tels assassinats ciblés fassent dérailler ces efforts.

22/07/2024

WAQAS AHMED/RYAN GRIM
Un tribunal kényan conclut que le journaliste pakistanais Arshad Sharif a été torturé avant d’être assassiné par la police
Le juge a rejeté en bloc les arguments peu convaincants de l’État

Waqas Ahmed et Ryan Grim, Drop Site News, 15/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Waqas Ahmed est un journaliste pakistanais, ancien rédacteur en chef du Daily Pakistan et du Business Recorder. @worqas

 

 

Ryan W. Grim (Allentown, Pennsylvanie, 1978) est un auteur et journaliste usaméricain. Il a été chef du bureau de Washington du HuffPost et chef du bureau de Washington de The Intercept. En juillet 2024, Grim et Jeremy Scahill, cofondateur de The Intercept, ont quitté The Intercept pour cofonder Drop Site News. Grim est l’auteur des livres The Squad, We’ve Got People et  This Is Your Country On Drugs. @ryangrim

Dans une décision historique, un juge kényan a rejeté la défense de la police dans l’affaire de l’assassinat en 2022 du célèbre journaliste pakistanais Arshad Sharif et a déclaré qu’il avait été torturé avant d’être assassiné, selon des documents judiciaires examinés par Drop Site. Dans une sentence tranchante, le tribunal, dont la décision a été publiée la semaine dernière, a en outre estimé que sa mort constituait une violation de ses droits humains.


Arshad Sharif interviewe Imran Khan en mai 2022

Le fait que la police kényane  ait tué Sharif, qui était en exil et fuyait les persécutions de l’armée pakistanaise, n’a jamais été mis en doute. La police kényane , pour sa part, a fourni à plusieurs reprises des explications contradictoires et changeantes sur l’assassinat de Sharif. L’une des principales affirmations de la police, à savoir que quelqu’un dans la voiture de Sharif avait tiré sur des agents, en touchant un, n’a jamais été mentionnée au cours de la procédure judiciaire et ne figure nulle part dans le jugement, ce qui indique que l’explication fournie par la police à l’équipe pakistanaise chargée d’enquêter sur l’assassinat ne pouvait être étayée par la preuve qu’un policier avait été blessé. Les alliés de Sharif soutiennent qu’il avait fui le Pakistan vers les Émirats arabes unis, puis vers le Kenya, où il a finalement été assassiné, une affirmation confortée par la nouvelle décision du tribunal.

L’affaire, portée par la veuve de Sharif, Javeria Siddique, a abouti à une décision qui tient plusieurs organismes publics pour responsables de leurs actions et ordonne aux gouvernements pakistanais et kényan un examen plus approfondi.

Sharif, connu pour ses reportages et ses critiques intrépides de l’establishment militaire pakistanais, s’est réfugié d’abord aux Émirats arabes unis, puis au Kenya, après avoir fait l’objet de graves menaces dans son pays, lorsque le gouvernement démocratiquement élu d’Imran Khan a été renversé sous l’effet d’une intense pression militaire et d’une motion de censure soutenue par les USA. Moins de trois mois après avoir quitté le Pakistan, il a été tué par la police kényane sur un chemin de terre alors qu’il revenait d’un camp situé dans la banlieue de Nairobi. Une autopsie, dont les résultats ont été divulgués, a ensuite révélé qu’il avait peut-être été torturé.

Son assassinat brutal au Kenya a choqué la communauté journalistique internationale et soulevé de graves questions sur la sécurité des dissidents en exil. Au Pakistan, les militaires ont déployé des efforts considérables pour contrôler le récit de la mort de Sharif et faire taire les enquêtes sur son assassinat. De même, au Kenya, pays dont les liens militaires et économiques avec le Pakistan sont étroits, les enquêtes sur le meurtre ont été interrompues sans explication.

Les enquêtes de Sharif visaient souvent des personnalités influentes, notamment Shehbaz Sharif, qui avait été nommé premier ministre après l’éviction d’Imran Khan. Au moment de la mort de Sharif, l’armée pakistanaise entrait dans une période des plus sombres, le gouvernement dirigé par les militaires emprisonnant des milliers de militants, intensifiant la censure des médias et manipulant les élections.

Le juge kényan S.N. Mutuku a noté dans le jugement final, rendu le 8 juillet, que Mme Siddique avait dû introduire l’affaire un an après la mort de Sharif parce qu’“aucune information n’a été fournie [...] concernant la mise à jour de l’état d’avancement des enquêtes ou toute action entreprise contre les auteurs de la fusillade”.

Le jugement demande des comptes à plusieurs organes de l’État, notamment au bureau du procureur général - qui, selon le juge, a un devoir de conseil en matière de droits de l’homme -, à la police et à l’Autorité indépendante de surveillance de la police (Independent Policing Oversight Authority, ou IPOA).

La police, désignée comme le “troisième défendeur” dans le dossier, a été particulièrement critiquée pour n’avoir pas mené d’enquête indépendante et efficace. « Le troisième défendeur a la responsabilité de donner suite aux recommandations de l’Autorité indépendante de surveillance des services de police, notamment en ce qui concerne l’indemnisation des victimes de fautes policières », peut-on lire dans le jugement. « Le fait que les défendeurs n’aient pas mené d’enquête indépendante, rapide et efficace, qu’ils n’aient pas engagé de poursuites, qu’ils n’aient pas achevé ces enquêtes ou qu’ils n’aient pas donné suite de toute autre manière aux résultats de ces enquêtes, constitue une violation de l’obligation positive d’enquêter sur les violations du droit à la vie et d’engager des poursuites contre les auteurs de ces violations ».

18/06/2024

REINALDO SPITALETTA
Bananes sanglantes : Chiquita condamnée aux USA pour ses crimes en Colombie (ce n’est qu’un début...)

Reinaldo Spitaletta, El Espectador, 18/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les actions de l’United Fruit Company, rebaptisée en 1989 Chiquita Brands International, dans une grande partie de l’Amérique centrale et de la Colombie sont terrifiantes. Son histoire d’iniquités comprend, parmi une vaste collection d’infamies, les méthodes d’acquisition des terres depuis la fin du XIXe siècle, y compris les manœuvres de sabotage propageant le sigatoka noir, l’exploitation impitoyable des travailleurs, souvent réduits en esclavage, et la participation à des massacres, comme celui de 1928 dans la zone bananière colombienne.

Détail d'une toile de Diego Rivera montrant le secrétaire d'État usaméricain John Foster Dulles tendant une bombe au colonel putschiste Carlos Castillo Armas.

Il convient de rappeler, par exemple, l’ingérence de la compagnie transnationale dans le coup d’État contre le président guatémaltèque Jacobo Árbenz en 1954, encouragé par la CIA, alors que ce président démocratiquement élu avait mis en œuvre des réformes agraires et du travail avec l’objectif social d’améliorer la situation des travailleurs. En substance, outre la production de bananes et d’autres fruits, l’entreprise, aux mains maculées de sang depuis ses origines, a soutenu des gouvernements autoritaires.


Récemment, un tribunal de Floride aux USA a condamné la compagnie que l’écrivain costaricien Carlos Luis Fallas avait baptisé “Mamita Yunai”*, fer de lance du néocolonialisme, pour avoir financé les Autodéfenses unies de Colombie et parrainé leurs actions criminelles, qui ont conduit à la violation systématique des droits humains de la population civile dans l’Urabá et le Magdalena. En 2007, comme on l’a peut-être déjà oublié, il avait été prouvé que Chiquita Brands avait soutenu les paramilitaires avec de l’argent et d’autres ressources entre 1997 et 2004.

Le tribunal du district sud de Floride a jugé la multinationale responsable des conséquences pénales de son financement du paramilitarisme, suite à l’action en justice intentée par certaines familles qui ont subi les conséquences désastreuses de ce parrainage. Bien qu’il existe des milliers de plaintes contre Chiquita Brands émanant de milliers de victimes de ses abus, dans ce cas-ci, la décision est favorable à huit des neuf familles qui, depuis près de vingt ans, persistent à demander justice pour l’assassinat de leurs proches.

16/06/2024

GIDEON LEVY
Un général qui a tué impunément un adolescent palestinien reçoit maintenant un doctorat honorifique pour “héroïsme israélien”

Gideon Levy, Haaretz, 16/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les bottes militaires poignent sous la robe noire, chaque tête est couverte d’un mortier noir. Il s’agit des récipiendaires d’un doctorat honoris causa [ou plutôt opprobrii causa, NdT] de l’université Reichman* en 2024, décerné cette année « en reconnaissance de l’héroïsme israélien » : une propagandiste de quat’sous (Noa Tishby) ; la commandante d’une compagnie de chars [la première compagnie féminine de tankistes, hashtag #metooIcankill] (la capitaine Karni Gez) ; un fondateur de Frères et sœurs d’armes (Eyal Naveh) ; un dirigeant des communautés de la frontière de Gaza (Haim Jelin) et le général de brigade Yisrael Shomer, commandant de la 146e Division.

Shomer a été honoré pour avoir « consacré de nombreuses années à la force et à la sécurité de l’État d’Israël ». Selon le site ouèbe de l’université, « cet honneur est décerné à des personnes dont les actions illustrent les valeurs du sionisme, de l’esprit d’entreprise, de la responsabilité sociale et de l’intégrité académique, et en reconnaissance de leurs contributions importantes à l’État d’Israël, au peuple juif et à l’université Reichman ».

Le général Yisrael Shomer lors d'une réunion d’évaluation de la situation, en avril. Photo : Unité du porte-parole de l'armée israélienne

Retour en arrière : Vendredi matin, 3 juillet 2015, point de contrôle de Qalandiyah en Cisjordanie. La circulation est lente. Un adolescent palestinien s’approche de la voiture du commandant de la brigade Binyamin, le colonel Yisrael Shomer, lance une grosse pierre dans le pare-brise et s’enfuit. Personne n’est blessé. Le sang du futur docteur honoraire ne fait qu’un tour : il sort de sa voiture et se lance à la chasse.

09/03/2024

GIDEON LEVY
Des soldats israéliens ont exécuté deux des frères Shawamra, en ont blessé un troisième et arrêté un quatrième
Scènes de la survie quotidienne en Cisjordanie occupée

Gideon Levy &Alex Levac (photos), Haaretz,  8/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Trois frères de Cisjordanie qui, comme tous les Palestiniens, n’ont plus le droit de travailler en Israël, franchissent la barrière de séparation pour récolter des plantes afin de subvenir aux besoins de leur famille. Sur le chemin du retour, les soldats ouvrent le feu sur eux

Suleiman Shawamra tient son fils Noureddine , qui a survécu : « Regardez-nous. Est-ce que vous voyez de la haine ? »

La chasse à l’homme. Il n’y a pas d’autre façon de décrire ce que les soldats des forces de défense israéliennes faisaient jeudi dernier à la barrière de séparation  [mur de la honte, mur d’annexion ou mur de l’apartheid, officiellement appelé clôture de sécurité, “Geder Habitahon”, NdT], dans le sud de la Cisjordanie. Repérant un jeune homme qui escaladait le mur à l’aide d’une échelle de corde, et d’autres qui attendaient leur tour, des tireurs embusqués ont ouvert le feu sur eux, atteignant deux d’entre eux dans le dos, l’un après l’autre. Ils sont tombés au sol l’un sur l’autre, ensanglantés.

Les soldats auraient pu facilement arrêter les hommes, les interpeller, tirer des coups de semonce en l’air ou les ignorer et les laisser rentrer chez eux, comme ils le font souvent dans de telles situations. Mais cette fois-ci, ils ont apparemment préféré tirer avec l’intention de tuer, d’abattre des jeunes hommes dont le seul péché était de se faufiler en Israël pour trouver un moyen de subvenir aux besoins de leur famille, de cueillir une espèce de chardon comestible appelé akkoub dans le sol rocailleux et de rentrer chez eux sains et saufs.

Les deux hommes abattus étaient des frères qui avaient des permis de travail en Israël, tout comme leur père ; tous les membres de la famille parlent un excellent hébreu. Mais depuis le 7 octobre, les Palestiniens n’ont plus le droit d’entrer en Israël pour y travailler. Ensemble, trois frères et un ami se sont mis en route pour les champs d’akkoub, dont certains appartiennent en fait à leur famille - la barrière de sécurité a en fait annexé une partie des terres de leur village à Israël - mais sont devenus des champs de la mort.

Deux frères ont été tués, un troisième a été légèrement blessé par une balle qui l’a miraculeusement manqué, et un quatrième a été placé en détention. Sa famille éplorée ne sait toujours pas où il se trouve, et il ne sait probablement même pas que deux de ses frères ont été tués. Israël n’envisage même pas de libérer ce quatrième frère, qui a tenté d’escalader le mur avec d’autres membres de sa famille après l’incident pour voir ce qui s’était passé. Les autorités n’ont pas fait preuve d’un iota d’humanité ou de compassion à l’égard de cette famille doublement endeuillée. Aucune compassion ou humanité à l’égard des Palestiniens ne doit être manifestée ici - et c’est un ordre.

La tente de deuil dans le petit village de Deir al-Asal, avec les posters des frères. À gauche, Salaheddine, et à droite, Nazemeddine.

Dura est une petite ville située au sud-ouest d’Hébron. La plupart des routes d’accès qui y mènent, comme dans pratiquement toutes les villes et tous les villages de Cisjordanie, ont été bloquées par l’armée depuis le début de la guerre à Gaza. La principale voie d’accès à Dura passe aujourd’hui par les rues encombrées d’Hébron. Pour notre part, en nous rendant à Dura, nous avons assisté à un phénomène dont nous n’avions jamais été témoins auparavant : la résistance dans toute sa splendeur.

03/02/2024

GIDEON LEVY
Dans cette “zone folle” de Cisjordanie, ils tirent aussi sur des USAméricains


Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 3/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des colons israéliens et/ou des forces de sécurité ont tiré sur une voiture en Cisjordanie, tuant un jeune USAméricain d'origine palestinienne qui était sur le point de commencer des études d'ingénieur dans sa ville natale, la Nouvelle-Orléans, et qui rêvait de travailler à la NASA.

Hafeth Abdeljabbar avec la photo de son fils, Taoufik, cette semaine. « D'autres générations grandiront et se battront pour la liberté. Je veux que votre gouvernement le sache »

Taoufik Abdeljabbar rêvait d'étudier l'ingénierie aéronautique dans une université de Louisiane, où il était né. Il y a neuf mois, sa famille a décidé de retourner en Palestine et s'est installée à Al-Mazra’a ash-Sharqiya, la ville natale du père, au nord-est de Ramallah, pour permettre à ses enfants de connaître leur culture et leurs racines palestiniennes. La maison familiale du village, où les ancêtres du jeune défunt sont nés il y a plus de quatre générations, a été construite en 1870. Aujourd'hui, la vieille structure en pierre est abandonnée, mais la famille envisage de la rénover et de la transformer en maison d'hôtes.

Taoufik était un garçon usaméricain, sa langue maternelle était l'anglais, mais il parlait aussi l'arabe, la langue de ses ancêtres. Son père, Hafeth Abdeljabbar, et le frère de Hafeth, Rami, l'oncle de Taoufik, possèdent une chaîne de magasins de chaussures de sport en Louisiane ; les deux hommes font constamment la liaison Al-Mazra’a ash-Sharqiya-Nouvelle-Orléans. Au printemps 2023, le père a laissé l'un de ses fils gérer l'entreprise familiale et s'est installé avec sa femme et leurs quatre autres fils dans le village de ses ancêtres en Cisjordanie. Personne n'imaginait que la décision de retourner en Palestine coûterait la vie à l'un de leurs fils.

Al-Mazra’a ash-Sharqiya - dont certains des 10 000 originaires sont dispersés aux USA et en Amérique du Sud - est un village aisé d'environ 4 500 habitants, avec de belles et spacieuses maisons en pierre. Elles se dressent au sommet d'une colline qui domine la route 60, le principal axe de circulation de Cisjordanie, et offrent une vue splendide.

En contrebas, accessible par un sentier serpentin escarpé qui descend du village, se trouve l'endroit que la population locale appelle Wadi al-Baqar (la vallée du bétail) - l'endroit d'où, au fil des ans, trois jeunes hommes de la région ne sont jamais revenus vivants. Le 13 mai 2010, Aysar al-Zaban, 15 ans, a été abattu par des colons ; le 5 novembre 2022, Musab Nafal, 18 ans, a été tué et son ami grièvement blessé par des soldats en embuscade qui ont ouvert le feu sur eux ; et le 19 janvier 2024, il y a deux semaines, Taoufik Abdeljabbar - un adolescent à lunettes, un gentil garçon de l'État du Bayou - est devenu la dernière victime en date. Des colons et des soldats étaient présents sur les lieux, et l'on ne sait pas exactement qui a tiré au moins 10 balles sur la voiture qui passait. Selon un témoin oculaire, c'était les deux.

Lundi dernier, alors que nous nous rendions à Al-Mazra’a ash-Sharqiya, peu après avoir traversé Silwad, nous avons appris que les soldats d'un convoi qui passait juste après nous, avaient abattu un adolescent qui avait peut-être jeté des pierres sur les véhicules. Cet après-midi-là, lorsque nous sommes repassés par Silwad pour retourner à Tel Aviv, tous les magasins étaient fermés en signe de deuil et de protestation. Le même jour, cinq jeunes Palestiniens ont été tués de la même manière en Cisjordanie, dans des incidents qui n'ont pratiquement pas été couverts par les médias israéliens.

La maison de la famille à Al-Mazra’a ash-Sharqiya

De retour dans la maison endeuillée des Abdeljabbar, Hafeth, 41 ans, et son frère Rami, 47 ans, parlent couramment l'anglais usaméricain. Rami a été le premier à quitter la Cisjordanie pour s'installer aux USA y a 30 ans. Deux ans plus tard, ses deux frères et leurs familles l'ont rejoint. Hafeth et Rami ont ouvert leur chaîne de magasins et ont prospéré. Tous les deux ou trois ans, Hafeth et sa femme ramenaient leurs cinq enfants au pays, à Al-Mazra’a ash-Sharqiya,. En mai dernier, ils ont décidé de rentrer pour de bon. « Je voulais donner à mes fils ce que j'ai : des racines », explique le père.

Hafeth avait d'abord espéré que Taoufik resterait à la Nouvelle-Orléans pour y terminer ses études secondaires, mais le jeune homme, qui avait eu 17 ans en août, a insisté pour rentrer avec le reste de la famille. Le moment venu, a-t-il dit, il irait à l'université aux USA : son rêve était de travailler à la NASA. En attendant, il prévoyait de suivre des cours d'ingénierie à l'université voisine de Bir Zeit, afin de découvrir la vie en Palestine. Il poursuivrait ensuite ses études à la Nouvelle-Orléans.

30/12/2023

GIDEON LEVY
Un Palestinien désespéré de se rendre à son travail est abattu par des soldats israéliens


Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 29/12/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis le début de la guerre, la famille Hajar n’a plus le droit d’accéder à son usine d’aluminium en Cisjordanie. Lorsque deux des fils ont tenté de se faufiler à travers la barrière de sécurité, les soldats ont abattu l’aîné.

Le frère de Selim, Seif (à droite), et son oncle, Raad.

 Barta’a est un village divisé - plus ou moins. Sa partie orientale, palestinienne, a longtemps été située en Cisjordanie, tandis que sa partie occidentale se trouvait en Israël. Toutefois, lorsque la barrière de sécurité a été érigée il y a une vingtaine d’années, tout le village a été laissé à l’ouest de celle-ci, comme s’il avait été annexé à Israël. Ainsi, aujourd’hui, les Palestiniens de Cisjordanie qui souhaitent visiter ne serait-ce que la partie orientale de Barta’a ont besoin d’un permis d’entrée spécial. En outre, les Palestiniens de Cisjordanie qui possèdent une entreprise à Barta’a mais n’y résident pas ont besoin d’un permis d’entrée pour accéder à leur propriété dans la partie palestinienne.

La vie sous l’occupation est remplie d’autres absurdités kafkaïennes, avec lesquelles les habitants ont appris à vivre, jusqu’à ce que la guerre à Gaza éclate et bouleverse la situation en Cisjordanie également. Les propriétaires d’entreprises et les travailleurs sont désormais empêchés de se rendre sur leur lieu de travail dans la ville palestinienne de Barta’a. Pourquoi ? À cause de la guerre. Ainsi, il ne suffit pas que 150 000 Palestiniens soient empêchés depuis plus de deux mois de se rendre à leur travail en Israël - certains ne peuvent même pas se rendre à leur travail dans les territoires palestiniens.

Que peut faire quelqu’un dans cette situation ? Essayer de se faufiler. Que font les Forces de défense israéliennes ? Elles vous abattent. Des Palestiniens désespérés qui tentent de se rendre à leur travail dans un village palestinien sont abattus. Le désespoir est omniprésent.

La famille Hajar vit dans une maison spacieuse à Shuweika, un village palestinien situé au nord de Toulkarem et devenu une banlieue de cette ville. Le père de famille, Nasser, 54 ans, a deux filles et deux fils. Il possède une usine d’aluminium à Barta’a, non loin de là. Lui et ses fils - Selim, un ingénieur automobile de 27 ans, et Seif, 19 ans, qui étudie l’ingénierie automobile à Kadoorie, un collège technique de Toulkarem - avaient l’habitude de se rendre tous les matins en voiture à leur usine, qui fabrique des produits tels que des cadres de fenêtres, des stores et des portes, pour des clients en Israël.

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Nasser et ses deux fils ont un permis d’entrée permanent en Israël, et leur entreprise reposait sur des bases solides. Le frère aîné de Nasser, Raad, possède un garage à Barta’a ; lui aussi travaille principalement avec des clients israéliens. Cette semaine, le téléphone de Raad n’a pas cessé de sonner ; toutes les conversations se déroulaient en hébreu et portaient sur l’achat et la vente de voitures, ainsi que sur des devis pour des travaux de réparation. Les membres de ce foyer travaillent en hébreu.

« Nous avons vécu parmi vous », nous a dit Nasser lundi dernier lorsque nous lui avons rendu visite chez lui en compagnie d’Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem.

La route vers Shuweika passe par le camp de réfugiés de Nur Shams, que les FDI ont à nouveau attaqué la semaine dernière, ajoutant de nouvelles destructions aux anciennes. On a parfois l’impression que les soldats de Cisjordanie sont jaloux de leurs copains de la bande de Gaza - qui peuvent tuer et détruire à leur guise - et qu’ils essaient de prendre des mesures semblables à celles d’un temps de guerre ici aussi. La route principale menant à Toulkarem, en face de l’entrée de Nur Shams, a été sérieusement endommagée par les opérations de l’armée, si bien que la circulation se fait de manière léthargique, les conducteurs contournant les nids-de-poule. Lorsqu’il pleut, ceux-ci se remplissent d’eau et de boue et la route devient presque impraticable. Mais pourquoi l’armée israélienne s’en soucierait-elle ? Les colons n’empruntent pas cette route.

Jusqu’à ce que la guerre éclate, les Hajar allaient travailler à leur usine et en revenaient tous les soirs. Ils devaient laisser leur voiture au poste de contrôle de Reihan et continuer jusqu’à Barta’a dans un taxi collectif ; ils n’étaient pas autorisés à utiliser leur propre véhicule pour se rendre à leur usine. Ils ont suivi la même procédure le samedi 7 octobre. « Au début, nous ne savions pas qui était contre qui ici », raconte Nasser. Ils sont rentrés chez eux le soir même et ont fait profil bas pendant un certain temps. Le mardi, ils ont repris le chemin du travail en empruntant le point de passage de Reihan à 7 h. À 7 h 15, celui-ci a été fermé - pour une durée indéterminée. Les trois hommes ont réussi à rentrer chez eux ce soir-là, mais n’ont pas pu se rendre à leur usine depuis lors.

Ils ont pourtant essayé : deux ou trois fois par semaine, ils se sont rendus à Reihan et ont introduit leurs cartes d’identité magnétiques dans le scanner afin de passer comme d’habitude, mais elles ont été rejetées. Personne n’entre dans la partie palestinienne de Barta’a ces jours-ci. Après tout, il y a la guerre à Gaza. La dernière fois qu’ils ont essayé, c’était le 12 décembre, et la carte a de nouveau été rejetée. Ils se sont renseignés à plusieurs reprises, mais l’administration palestinienne chargée de la coordination et de la liaison leur a simplement répondu que personne ne savait avec certitude quand la route et le point de contrôle seraient rouverts.

Selim Hajar

Pendant ce temps, dans l’usine déserte des Hajar, les matières premières restent inutilisées et les commandes et autres documents administratifs s’accumulent. Il y a une grosse commande de Pardes Hanna (Karkour), une autre d’une école du centre d’Israël, etc. La pression des clients et des entrepreneurs s’accentue. La famille, qui n’avait jamais eu de problèmes avec les autorités israéliennes auparavant, était complètement désemparée. Il y a deux semaines, Selim et Seif ont persuadé leur père qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’essayer de passer clandestinement du côté israélien avec l’aide de l’un des contrebandiers locaux.

Leur plan était de se rendre à Barta’a et d’y rester jusqu’à la fin de la guerre afin de remettre sur pied leur entreprise qui s’effondrait. Ils ont préparé des sacs à dos avec des vêtements et d’autres articles pour un long séjour. Les fois précédentes, Nasser avait opposé son veto à l’idée, mais cette fois-ci, il s’est rendu compte que la guerre et la fermeture allaient s’éterniser et qu’il fallait bien que quelqu’un aille travailler.

Les passeurs palestiniens prélèvent 300 shekels (environ 80 €) pour l’entrée de chaque personne en Israël, via des brèches dans la barrière de séparation, et pour le transport jusqu’à Barta’a. L’argent est réparti entre les chauffeurs de chaque côté de la barrière et, selon les Hajar, également entre les Israéliens impliqués dans cette industrie du trafic d’êtres humains. Selon eux, des milliers de travailleurs ont utilisé ces services depuis le début de la guerre. Nasser affirme que de grands gangs sont impliqués, et peut-être même des soldats, mais Haaretz n’a trouvé aucune confirmation de cette information. L’unité du porte-parole des FDI a déclaré : 3Aucun incident n’a été signalé au cours duquel des combattants auraient aidé des éléments non autorisés à franchir la clôture de la ligne de démarcation ».

Le samedi 16 décembre, les deux frères ont pris leurs bagages et sont partis dans la voiture du passeur qui les avait pris à leur domicile. Quarante-six travailleurs ont tenté d’entrer en Israël ce jour-là, à raison de quatre par voiture, dans un convoi. Les brèches dans la barrière de sécurité étaient situées entre deux portes qui ferment des champs de culture, l’une à Atil, l’autre à Deir al-Ghusun. Les FDI y construisent un mur en béton pour remplacer la barrière, mais il n’est pas encore achevé.

Arrivés près de la barrière, Selim et Seif, qui se trouvaient dans la deuxième voiture du convoi, en sont sortis et ont couru à travers le trou de la barrière, se retrouvant dans l’oliveraie du côté israélien, en face de la communauté arabe de Zemer. La plupart des candidats à l’infiltration se sont également cachés dans les arbres, en attendant de faire la deuxième partie du voyage : des chauffeurs israéliens assurent le transport jusqu’à Barta’a. Les deux frères se précipitent vers la voiture qui est venue les chercher.

Ils n’avaient parcouru que quelques mètres lorsque, soudain, une jeep de l’armée a surgi de nulle part et leur a barré la route. Les frères sont immédiatement sortis de la voiture et ont couru pour sauver leur vie, mais les soldats à bord du véhicule ont ouvert le feu sur eux. Selim et Seif courent dans deux directions différentes. Seif s’est abrité derrière un rocher et s’est couvert de feuilles sèches et de brindilles. Il a entendu d’autres coups de feu.

Selim a été touché par une seule balle à la tête.

Seif avait peur de sortir de sa cachette - il est resté là pendant près de quatre heures, ne bougeant presque pas, craignant d’être attrapé ou tué. Au début, il ne savait pas que Selim avait été abattu, mais depuis sa cachette, il a vu des soldats déshabiller un homme blessé. Une ambulance israélienne du Magen David Adom est arrivée au bout d’une heure environ, se souvient Seif, et a évacué le blessé (vers l’hôpital Beilinson de Petah Tikva, comme il l’a appris plus tard).

Seif a pensé que leur chauffeur avait peut-être été blessé. Ce n’est qu’après que l’ambulance et les soldats ont quitté les lieux que Seif a remarqué les vêtements et les chaussures du blessé qui gisaient sur la route, à une vingtaine de mètres de là. Ils appartenaient à Selim. Seif n’avait aucune idée de l’état de santé de son frère, ni même s’il était en vie. Il a fini par se rendre à Zemer, puis au poste de contrôle de Reihan, avant de rentrer chez lui. Il ne savait toujours pas ce qui était arrivé à Selim.

Nasser Hajar dans le village de Shuweika cette semaine, avec un poster de son fils Selim, tué par des soldats. « Que vous ne voyiez jamais rien de tel dans votre vie », dit le père endeuillé avec amertume.

Alors qu’il se cachait encore, vers 10 h 45, Seif a envoyé un SMS à son père et lui a demandé de veiller à charger son téléphone portable afin qu’il puisse l’appeler. Il a prévenu Nasser de ne pas l’appeler parce qu’il avait peur de parler à voix haute. Nasser avait un mauvais pressentiment ; il n’avait aucune idée de ce qui se passait avec ses fils. Il a essayé, en vain, d’appeler Selim pour lui demander s’ils avaient traversé la frontière sans encombre et s’ils avaient atteint l’usine.

Vers midi, quelqu’un répond enfin au téléphone de Selim et parle en arabe. Il a dit à Nasser qu’il s’appelait Amir et que Selim avait été hospitalisé dans un état grave à l’hôpital Beilinson. Il a refusé de donner plus de détails et a raccroché. Nasser a commencé à appeler toutes les personnes qu’il connaissait en Israël, y compris un ami à Zichron Yaakov, des membres de la grande famille Hajar à Acre, Taibeh et Fureidis, ainsi qu’un beau-frère à Rahat.

Il appelle également Beilinson, mais ne parvient pas à obtenir d’informations sur son fils. Finalement, il joint un médecin arabe de l’hôpital et lui demande de lui confirmer que Selim a été admis comme patient et qu’il est dans un état grave, afin que lui, Nasser, puisse obtenir un permis d’entrée en Israël pour voir son fils avant qu’il ne soit trop tard.

Nasser a également appelé l’administration civile, où quelqu’un lui a dit, après quelques heures éprouvantes, que pendant la guerre, il lui serait impossible d’entrer en Israël pour voir son fils blessé. Entre-temps, Raad, le frère de Nasser, a appris par ses propres contacts que son neveu était dans un état critique, mais il n’a pas transmis cette nouvelle à son frère. Peu après, Raad apprend que Selim a succombé à ses blessures. Il demande au beau-frère de Rahat de se rendre à Beilinson et de photographier le corps, afin qu’ils sachent avec certitude quel sort a été réservé à leur proche. Le beau-frère s’est rendu à l’hôpital, mais il a été refoulé.

« Que vous ne voyiez jamais rien de tel dans votre vie », dit Nasser avec amertume.

Lundi, la famille a entrepris des démarches pour récupérer le corps de Selim. Dans un premier temps, l’unité de coordination et de liaison a promis qu’il serait rendu rapidement. « Votre fils est mort par erreur », a-t-on dit à Nasser. Mais le ton a changé lorsqu’il est apparu qu’un soldat avait trébuché et s’était apparemment cassé la jambe en poursuivant les infiltrés. On leur a alors annoncé, pour une raison inconnue ou aléatoire, qu’il faudrait attendre un mois ou un mois et demi avant que le corps du jeune homme ne soit rendu.

La famille est effondrée. Elle attend désespérément le corps de Selim, qui, d’après ce que l’on sait, n’a fait de mal à personne et voulait seulement se rendre à son lieu de travail dans l’usine familiale.

L’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : 3Les observateurs ont identifié des dizaines d’infiltrés qui ont franchi la barrière près du village de Deir al-Ghusun, sur le territoire de la brigade Menashe, le 16 décembre 2023. Une unité des FDI arrivée sur le site a lancé une poursuite des suspects, à l’issue de laquelle tous les suspects ont été appréhendés.

« Ensuite, des recherches ont été menées dans la zone, au cours desquelles l’un des suspects, blessé à la tête, a été localisé. La force a administré les premiers soins sur le terrain, après quoi l’infiltré a été évacué vers un hôpital. Son décès a été signalé par la suite. Les circonstances de l’incident sont en cours d’éclaircissement. Le corps de l’infiltré est détenu par les FDI conformément aux procédures habituelles, dans l’attente d’une décision des responsables politiques ».