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20/12/2023

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
Gaza : un silence radio tellement assourdissant qu’il s’est brisé


 

Luis E. Sabini Fernández, 19/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Depuis plus de deux mois, les forces israéliennes bombardent sans relâche la bande de Gaza, commettant le plus grand massacre télévisé de personnes désarmées de l’histoire du monde. Les dirigeants israéliens ont généralement utilisé un langage génocidaire explicite pour décrire leurs plans, certains suggérant même l’utilisation d’armes nucléaires pour anéantir complètement la population de Gaza, qui compte plus de deux millions d’habitants. Des dizaines de milliers de bâtiments ont été démolis, notamment des maisons, des hôpitaux, des écoles, des universités et tous les bâtiments liés à une société et à ses activités, qui, lorsqu’ils sont utilisés comme cibles d’artillerie dans des conflits militaires, ont toujours été considérés [jusqu’à présent] comme des crimes de guerre. Même lorsque le procureur général de la Cour pénale internationale s’est récemment rendu en Israël », et l’on aurait pu supposer que cette visite était liée à l’attaque surprise du 7 octobre et à la réaction sans précédent des commandants israéliens qui ont assassiné à gauche et à droite, nous avons pu constater, avec inquiétude, que leur objectif, rappelle Unz, « était de fabriquer des accusations et des actes d’accusation contre le Hamas et d’autres groupes palestiniens pour la mort de civils israéliens au début du mois d’octobre ».  [1]

Et pourtant, ce scandale éthique, politique, médiatique (et militaire, évidemment) est à peine discuté, car la grande majorité des médias d’incommunication de masse n’abordent guère le sujet, et s’ils le font, ils le réduisent à une confrontation à armes égales entre le Hamas et Israël. 


Nous pourrions même la formuler comme une loi sur les médias : plus un média se révèle établi et “honorable”, moins il s’intéressera à ce qu’Unz considère comme “le plus grand massacre télévisé d’une population désarmée dans l’histoire du monde”.

Parce que si la mort d’Israéliens a de l’importance sur la scène internationale, la mort de Palestiniens n’en a pas.

À cet égard, je comprends qu’il est approprié de dire quelque chose au sujet de l’action entreprise par les Palestiniens qui a déclenché/justifié/favorisé l’action militaire en réponse à l’opération de prise d’otages menée par le Hamas.

Au-delà de ma sympathie limitée pour les mouvements fondés sur des croyances divines, le Hamas « rejette le droit d’Israël à avoir dépossédé les Palestiniens de leur patrie en 1948 et de les avoir emprisonnés dans des ghettos surpeuplés comme Gaza ». Des paroles impeccables de Jonathan Cook (extrait de son article que je cite en note 3). Il convient de rappeler que même les Nations unies reconnaissent un droit de résistance à l’oppression coloniale et à la dépossession qui en découle. Et l’action du Hamas fait partie de cette lutte. En ce qui concerne la réalité de cette journée clé du 7 octobre, plusieurs enquêtes ont déjà noté qu’en plus de l’envahissement du quartier général régional israélien et de l’assassinat de militaires plus ou moins surpris qui s’en est suivi, le sang a coulé en raison de la réaction excessive de l’armée israélienne (de nombreux Israéliens ont été tués par des "tirs amis").


Bien qu’il y ait beaucoup d’occultation et que la partialité des médias soit abyssale, l’homme est incorrigible et il y a des exceptions. Je retranscris maintenant les paroles de René Pérez Joglar, le rappeur portoricain connu sous le nom de Residente de Calle 13 : « Depuis octobre, j’ai décidé de reporter la sortie de mon album face à tout le génocide macabre qui détruit lentement la Palestine. Je ne me sens pas bien, ça me fait trop mal et je me demande quand nous nous sommes déshumanisés au point de voir des têtes d’enfants exploser devant nous et de ne rien dire ».

Residente pose d’autres questions : « Pourquoi ne pas tout arrêter comme pour la pandémie, tout arrêter et se concentrer sur ce qui se passe à Gaza au lieu de mettre en ligne un article modélisant des vêtements [...] ou une soirée [...], s’arrêter un instant, chercher des informations sur la Palestine et dénoncer le génocide qu’Israël est en train de commettre avec le soutien des USA ». La citation de Residente date du 12 décembre.

 

En effet, nous vivons, comme dans la fable du roi nu qui se sentait si bien habillé, dans une situation schizoïde où de plus en plus de gens trouvent le comportement israélien méprisable, mais face à l’épée de Damoclès qui pèse sur eux s’ils osent critiquer quoi que ce soit de juif et s’exposent à l’accusation d’antisémitisme, ils choisissent tout simplement d’éviter le sujet.

Mais il s’agit bien de ce que décrit Unz : un massacre télévisé à une échelle jamais vue auparavant. Il y a eu, bien sûr, des massacres bien plus importants, mais le fait que nous les "regardions" en même temps, qu’ils se déroulent en toute impunité au vu et au su de tous et en particulier des références morales du monde, du Conseil de sécurité, de l’Assemblée de l’ONU, de nos gouvernants en général, élus par le vote des populations, de la Cour pénale internationale, dont on a déjà vu ce qu’elle a fait à Israël (sans envisager d’enquêter sur le massacre aveugle et massif de villageois palestiniens, hommes, femmes, enfants, vieillards, bébés). Dans cette opération, à laquelle Israël a initialement attribué 1 400 Israéliens tués, il a fallu écarter les militaires israéliens tués pendant l’opération, qui sont estimés entre 300 et 400, et ensuite, la traînée de morts laissée par la contre-attaque israélienne, dont on sait déjà qu’elle a éliminé des centaines d’êtres humains à partir d’hélicoptères, où un nombre énorme d’Israéliens ont perdu la vie (ceux qui ont tenté de quitter la rave party en voiture, par exemple, et surtout les Israéliens qui ont tenté de quitter la rave party en voiture), par exemple, et surtout les Israéliens qui étaient pris en otage par des Palestiniens et qui ont été tués avec leurs ravisseurs lors de la prétendue opération de sauvetage, l’armée israélienne ayant ainsi brutalement mis un terme à toute négociation. Les dernières estimations font état de dizaines de victimes civiles israéliennes.  

La prise d’assaut du quartier général israélien pour Gaza aux premières heures du 7 octobre, qui gardait le camp de concentration, et immédiatement après l’opération de prise d’otages ont rendu furieux les commandants militaires (si l’on admet qu’ils ont été pris par surprise, car la thèse selon laquelle Israël "a laissé faire le Hamas" pour justifier une terrible riposte est également répandue). D’une manière ou d’une autre, l’“armée brancaleone” (en armement, mais très efficace) a atteint une grande partie de ses objectifs : payer les militaires de la même monnaie que celle dont les Israéliens se servent impunément depuis des décennies,[2] et "récolter" des otages pour en faire de futures monnaies d’échange.

Tout cela est épouvantable, mais semble être une évolution soi-disant logique des mesures prises contre Gaza au moins depuis 2005, car rappelons-nous les paroles du boucher Ariel Sharon lorsqu’il a dû retirer les colonies sionistes de Gaza : « Nous partons, mais nous allons leur rendre la vie impossible ».

 

Quelque six heures après l’attaque par les Palestiniens, l’armée renforce avec encore plus de violence la dénégation qu’elle a entrepris depuis 17 ans maintenant ; non seulement des libertés les plus élémentaires, comme le droit de circuler, l’accès aux soins de santé ou à l’eau potable, mais maintenant le massacre aveugle et généralisé sous le prétexte de rechercher et de se venger des auteurs de l’opération. Mais, comme le rappelle à juste titre Cook, « Israël n’a jamais caché qu’il punit les habitants de Gaza parce qu’ils sont gouvernés par le Hamas, qui rejette le droit d’Israël à avoir dépossédé les Palestiniens de leur patrie en 1948 et de les avoir emprisonnés dans des ghettos surpeuplés comme celui de Gaza ». [3]

Comme l’explique Cook à juste titre, cette politique israélienne subvertit tous les efforts déployés après la Seconde Guerre mondiale pour empêcher les atteintes au droit le plus fondamental à la vie, comme le bombardement de Dresde en 1945, qui n’avait aucun but militaire, mais servait simplement à montrer qui commandait, et l’utilisation de bombes atomiques pour anéantir la vie de centaines de milliers de Japonais à Nagasaki et à Hiroshima (avec une mort immédiate et différée par contamination).

Cherchant à établir une base pour le droit international, les Conventions de Genève ont interdit les “punitions collectives”. Cook résume ainsi la situation : « Ce qu’Israël fait à Gaza est la définition même de la punition collective. C’est un crime de guerre : 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 52 semaines par an, pendant 16 [maintenant 17] ans (ibid.) ».

Pour compléter l’observation précise de Cook, je pense que, dans le même temps, la politique de massacre de la population civile, maintenant à un rythme industriel, répond à la politique déjà employée de vidage de la population, qui était la Nakba de 1948 et de “s’en tirer à bon compte”, pour garder “bibliquement” cette terre (Gaza n’était pas juive selon la Bible ; les références bibliques ne sont guère plus qu’une feuille de vigne).

Sur le site internet auquel participent le désormais nonagénaire Noam Chomsky et de nombreux intellectuels attachés à la vérité, ils titrent l’un de leurs derniers billets : « Une usine de meurtres de masse », en référence aux bombardements hautement calculés – y compris avec des outils d’intelligence artificielle - des villes et des routes de Gaza.[4]

Pour répugnante et monstrueuse qu’elle soit, cette expérience n’en est pas moins inédite. Parce que jusqu’à présent, ces politiques génocidaires étaient menées dans la discrétion, avec peu d’accès à ces événements, et en l’occurrence, depuis le 7 octobre, grâce à la ténacité des journalistes sur le terrain, presque tous palestiniens, mais aussi parce que les écrans technologiques actuels rendent visible en permanence l’information qui circule, si ce n’est sans restriction, avec beaucoup de dynamisme (malgré les digues de confinement des maîtres de l’info), nous sommes de plus en plus nombreux à “être au parfum”.

Et nous espérons que nous serons de plus en plus nombreux à remettre en cause les journalistes oiseux qui parlent de choses “importantes” ou insignifiantes en évitant autant que possible le mauvais sentiment d’être taxés d’antisémitisme.

Comme le dit avec pédagogie Andrew Anglin : « La définition officielle de l’“antisémitisme” avant le 7 octobre 2023 était “haïr les Juifs sans raison” ; la définition après cette date est “dire que les Juifs devraient arrêter de tuer des bébés”.[5]

Ce qu’Israël commence à récolter pourrait être le début de la fin de son impunité. Chutzpah comprise.

Notes

[1]  Ron Unz, "Eliminating the Entire Palestinian People", unz.review, 11 déc. 2023.

[2] Le nombre de soldats israéliens tués au cours de l'opération n'a pas de précédent.

[3]  Jonathan Cook, “Guerre Israël-Palestine : tout autant qu’Israël, l’Occident a le sang de Gaza sur les mains, 13 octobre 2023.

[4] Une fabrique d’assassinats masse » : Au cœur du bombardement « calculé » d’Israël sur Gaza de https://www.france-palestine.org/Une-fabrique-d-assassinats-de-masse-Au-coeur-du-bombardement-calcule-d-Israel

 

-"La mort des trois otages israéliens qui arboraient un drapeau blanc est due à une erreur lamentable.
-"Nos soldats les ont pris pour trois civils palestiniens arborant un drapeau blanc."

28/09/2023

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
NO FUTURE : ces lendemains qui ne chantent plus


 Luis E. Sabini Fernández, 26/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La notion de futur s’est considérablement modifiée.

Je suis assez âgé pour le savoir par expérience et pas seulement intellectuellement.

L’avenir révolutionnaire que le socialisme en général et le marxisme en particulier, critiquant la religion chrétienne qui plaçait la félicité dans “l’au-delà” et la revendiquant pour notre en-deçà, pour notre avenir même sur terre (sur la Terre), malgré son apparente prétention à des améliorations concrètes de la vie humaine, n’a pas cessé d’être une revendication post vitam.

 

 Le laboureur rouge, de Boris Zvorykin (1872-1945), 1920 : “Dans les champs sauvages, sur les décombres du féodalisme et du capital, nous labourerons notre champ”.

La description même de l’URSS comme “paradis des travailleurs” révèle son caractère de mauvais coup (comme un jeu de bonneteau). Elle a probablement été faite en toute mauvaise conscience, car au moins les échelons supérieurs de la nomenklatura le savaient : en URSS, la condition de la classe ouvrière était un néo-esclavage. Et de ce côté-là, l’accès au paradis était définitivement inaccessible.

Mais il y avait tout un peuple qui était plein d’espoir. C’est ainsi que la présence, l’existence de l’URSS a été vécue, grosso modo, entre les années 1950 et les années 1980 (avant, dans les années 1920, le feu révolutionnaire ne traversait aucun paradis et plus tard, dans les années 1980, les concessions tactiques successives à l’establishment ont mis fin à l’espoir du feu et à l’espoir du paradis).

La référence au futur (“socialiste”) exprimait le caractère d’un alibi idéologique, bien qu’en général les personnes qui adhéraient à de telles “convictions” (par exemple tous les membres des partis communistes et même socialistes), ne se percevaient guère comme l’objet d’une temporalité fallacieuse.


 

Le crash du futur socialiste

1956 est une année clé pour la “chute de ces engagements”, celle d’un socialisme naïf et massifié (certainement pas pour l’intelligentsia, qui a longtemps été impliquée dans des débats et des luttes à la vie à la mort).

Car pendant près de 40 ans, la liturgie officielle soviétique a ignoré les “accidents” de l’anarchisme, du trotskisme, du conseillisme et autres “malformations”, les considérant comme des anomalies qui n’altéraient pas le corpus (sacré) révolutionnaire.

Le 20e Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) a alors mis en évidence le caractère endogène du mal. D’un certain mal (et non de tous les maux, comme la droite traditionnelle a immédiatement tenté de l’exploiter en disculpant, comme s’ils n’existaient pas, le colonialisme, le racisme, le militarisme classique, bref le capitalisme).

C’est lorsque le 20e congrès du PCUS a révélé que Staline était un assassin, un dictateur omnipotent. 

1956 a été la première démolition de l’aspiration socialiste à l’avenir (que l’on appelait encore “le futur” [1]).

Le marxisme avait commis un abus intellectuel, un outrage psychique en logeant les rêves de manumission dans “l’avenir”. Et il a commis, en outre, une vulgaire répétition de l’appel des prêtres chrétiens à tolérer les iniquités du présent pour trouver le bonheur dans le futur.

La prétention scientifique à connaître “le futur” a alors fonctionné comme un alibi idéologique.

Car, stricto sensu, on ne peut pas connaître, ni même percevoir, l’avenir.

C’est le scientisme socialiste qui a imposé cette revendication, en modifiant notre propre localisation temporelle et spatiale : le passé était reconnaissable et séparable de toute rêverie passée. Il était certes difficile de le reconnaître, de le retrouver. Le travail historique, la recherche documentaire, pouvaient nous rapprocher asymptotiquement de lui, de ce que nous avions vécu. Notre présent s’évanouissait de seconde en seconde, notre passé devenait de plus en plus insaisissable.

Mais cette temporalité ne commence pas avec le socialisme. C’est l’optimisme bourgeois qui a développé l’idée de futur, un futur toujours meilleur.


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Edward Bellamy, combinant ses origines usaméricaines et l’expansion irrésistible des idées socialistes en Occident dans la seconde moitié du XIXe siècle, a écrit un roman utopique – Cent ans après ou l’An 2000 - d’un techno-optimisme radical, soutenant une société de rêve basée sur de nouveaux gadgets technologiques qui rendraient la vie agréable et enviable : véhicules motorisés tels que les hélicoptères, sermons religieux par téléphone, lave-vaisselle et autres appareils électroménagers, cartes de crédit. Bellamy l’a publié en 1892, alors que tous ces nouveaux gadgets, aujourd’hui banalisés, commençaient à faire leur apparition.

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Ce conte utopique, d’une simplicité candide, est l’une des dernières versions de la grande saga utopique de la modernité avec une charge entièrement positive. Il est très significatif qu’avec la création de l’Union soviétique en 1917, ce genre ait presque disparu dans sa version optimiste et positive. En 1920, Evgueni Zamiatine écrit Nous autres, dans la toute nouvelle URSS, qui raconte une société aux habitations vitrées, c’est-à-dire à la vie quotidienne sans secrets, et à l’esprit plutôt étouffant. Au bout d’un certain temps, il est emprisonné par son ami Joseph Staline. Mais ce dernier sera “magnanime” : il sera emprisonné pendant “seulement” 6 ans, puis exilé (de nombreux récalcitrants et dissidents commenceront dans les années 1930, lorsque Zamiatine sera finalement condamné, à “payer” leurs “déviations” (ou trahisons de la “dictature du prolétariat”), d’un emprisonnement beaucoup plus long et sévère, ou carrément de leur vie.

Notre temporalité, que nous avions l’habitude de décrire comme passé-présent-futur, comptait tout au plus deux membres ou instances tangibles, concrètes : notre présent et le passé que nous construisions ou défaisions au fur et à mesure. L’avenir n’était pas là. Il n’a jamais existé. Notre réalité a toujours été celle que nous abandonnions, en entrant dans notre présent, qui devient invariablement un passé continu (les rythmes, psychologiquement, peuvent varier et l’on peut sentir un présent continu à certains moments et à d’autres, un présent très fugace).

L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 a porté un coup fatal à l’idée même de futur. L’option politique a été radicalement rejetée, dans un certain sens, par Francis Fukuyama [2] dans un essai dans lequel il soutenait que l’avenir était déjà arrivé et qu’il s’agissait du système démocratique, de libération des capitaux, sans aucune perspective de changement politique en vue. Même si, des années plus tard, il tentera de faire l’autocritique de son opinion très hâtive, il est clair que l’idée d’un futur socialiste est entrée dans une crise irréversible.

La notion toxique de futur socialiste (qui devait servir d’aspiration, de stratégie de vie) en tant que “nécessité historique”, en tant qu’avenir inévitable, a très clairement révélé son invraisemblance, et sa projection politique a été mortellement blessée.

Le système de pouvoir fonctionnait d’une manière radicalement différente, dépouillé de cette image politiquement chargée d’un futur socialiste, affirmant le présent comme source de pouvoir et de satisfaction. Le monde dans lequel nous vivons, qui nous occupe, nous contraint, nous conditionne par une perpétuelle présentification, nous façonne. Nous percevons que c’est précisément ce qui est valable aujourd’hui, dans notre moment historique.

Cette présentification de nos sociétés s’est opérée par le biais d’une hybris technologique qui a permis à nos sociétés de plus en plus modernisées de répondre à toutes les nouveautés et possibilités offertes par les déploiements technologiques : aujourd’hui, on peut voyager plus vite et dans plus d’endroits ; le tourisme est une activité de loisir de plus en plus permanente et structurée dans nos vies.

Nous avons éliminé les saisons de notre alimentation et nous pouvons manger (presque) indifféremment, n’importe fruit ou légume, pendant les douze mois de l’année (l’accès matériel, c’est autre chose...).

Il en va de même pour la couverture énergétique, qui s’étend à de plus en plus de régions.

Bien sûr, tout cela a un coût, celui d’une usure planétaire de plus en plus importante. Mais compte tenu de la complexité des interrelations techniques, économiques, financières et de travail, il est très difficile de percevoir clairement, par exemple, les coûts environnementaux du fait que presque tout le monde a “presque tout” (et le téléphone portable en premier lieu, incarnation de la présentification consumériste de notre monde actuel).


Le téléphone portable : un élément clé de la vie au présent perpétuel

Le passé et l’avenir ont été mis en crise par une “présentisation” sans clémence et incessante. Le passé avec ses souvenirs, le futur avec ses projets.

Comment prétendre se souvenir de mon père, de ma sœur, de cette autre petite amie, de cette maison confortable, alors que nous avons assez de mal à vivre au jour le jour ! 

Car notre temporalité ne naît pas d’elle-même. Mais de tout l’attirail technologique qui est censé nous assister”.

Toutes les aides, toutes les choses que nous considérons comme des aides, mais qui en réalité nous conditionnent. Mais, bien sûr, sans nous le dire. L’hétéronomie devient très claire avec les adolescents, ceux qui sont déjà entrés dans la roue de la communication cybernétique, soutenue, permanente, mais ils ne sont que des apprentis et des consommateurs. Mais elle nous concerne et nous gouverne tous.

Tout le monde a déjà vécu cette anecdote triviale qui consiste à dire à son amie, à sa cousine ou à son père que l’on a envie d’une pizza et, quelques heures plus tard, son téléphone portable lui propose un flot de pizzerias toutes plus alléchantes les unes que les autres.

Cela révèle que le téléphone portable n’est pas comme les anciens objets technologiques qui nous entouraient de manière inerte. Le téléphone portable agit.

Il contre-agit (à proprement parler, il contre-attaque). C’est de l’intelligence artificielle. Et il n’y a même pas de dialogue socratique, celui qui, même sans être égalitaire, est à la recherche de la vérité. Non, il y a une panoplie innombrable d’invitations, dont beaucoup sont accessibles pour l’utilisateur du téléphone portable, ou plutôt c’est lui qui est “accédé”.

La situation actuelle, avec les “formes cachées de propagande” [3], comme le disent les personnes interrogées dans The Social Dilemma [4], est grave (au sens médical du terme ; elle peut causer la mort). Il ne s’agit pas ici des prouesses des bots, de la 3G, de la 4G, de la 5G, des vitesses de transmission, du téléchargement et d’autres inventions éblouissantes (et toxiques), mais des résultats sociaux qui sont de plus en plus clairs : les utilisateurs sont modifiés, défiés, interrogés à partir, par exemple, d’applications mobiles. Le résultat décrit dans The Social Dilemma (Le dilemme social) est le suivant : « chaos massif, indignation, manque de civilité, manque de confiance les uns envers les autres, solitude, aliénation, plus de polarisation, plus de piratage électoral, de populisme, de diversion et d’incapacité à réfléchir aux vrais problèmes ».

Les personnes interrogées dans cette docufiction, qui ont tous été à un moment donné des personnes clés des hauts-lieux du numérique actuels (anciens employés de Google, Twitter, Facebook, etc.), parlent de “monstres numériques hors de contrôle”. La description d’un futur par Jaron Lanier est frappante, au vu des affrontements croissants, des difficultés de compréhension qu’il voit poindre aux USA : “guerre civile, dans 20 ans au max”. “Nous détruirons notre civilisation par une ignorance délibérée”. Il précise : « nous pourrions ne pas être en mesure de résoudre la question du climat, nous pourrions dégrader les démocraties du monde et les faire tomber dans une sorte d’autocratie dysfonctionnelle, nous pourrions ruiner l’économie mondiale, nous pourrions ne pas survivre ».

Même l’auto-protagonisme déplaisant que cet USAméricain attribue aux USA et à leur peuple, ainsi qu’à leur nombrilisme (impérial, délibéré ou non), doit être considéré comme une part de vérité. Car si les USA ne sont pas seuls et n’ont pas réalisé leur rêve impérial de 1945, ils s’en sont pas mal rapprochés. Et c’est particulièrement visible dans les profils technologiques qui nous gouvernent, dans les modalités consuméristes qui nous ravagent.

Les personnages de cette docufiction posent bien le diagnostic final en écartant toute attitude de rejet primitiviste et absolu ; l’un des protagonistes (Tristan Harris) affirme clairement que ce qui a envahi nos vies est “à la fois une utopie et une dystopie".

Le dilemme social ne donne en tout cas aucune piste pour sortir du merdier.

Un autre personnage fait remarquer, de manière conciliante, qu’“il faut accepter que les entreprises veuillent faire de l’argent”, ce qui signifie que le problème et la solution ne transcendent pas ce que nous appelons le capitalisme. Mais sa description est essentielle : « le malheur, c’est qu’il n’y a pas de lois, pas de règles, pas de concurrence et que les entreprises agissent comme une sorte de gouvernement de facto ». Bref, une dictature. Parce qu’une entreprise, un dirigeant, une église qui agit pour son seul intérêt, sans rendre de comptes, c’est de la dictature.

Le problème est que c’est ainsi que le grand capital a agi dans tous les temps et circonstances “nécessaires” : c’est ainsi que l’extractivisme “originel” s’est développé à partir de 1492 ; c’est ainsi que la pétrochimie s’est développée, en pleine hybris, empoisonnant la planète entière ; c’est ainsi que la médecine, le Big Pharma, s’est développée, au-dessus de toutes les lois, générant l’iatrogénèse.

Jonathan Cook explique bien l’historique de cette question : « Les graines de la nature destructrice trop évidente du néolibéralisme d’aujourd’hui ont été plantées il y a longtemps, lorsque l’Occident “civilisé et industrialisé” a décidé que sa mission était de conquérir et d’assujettir le monde naturel en adoptant une idéologie qui fétichisait l’argent et transformait les humains en objets à exploiter ». [5]

Cook dit bien “néolibéralisme”. Dans toutes les Amériques, comme en Europe, c’est la catégorie conceptuelle de base, le cadre culturel dans lequel nous évoluons.

Et avec l’effondrement du socialisme, nous n’avons pas seulement perdu un rêve malheureux, nous avons aussi perdu, semble-t-il, la capacité de rêver, car je relève ici une autre observation de Cook lui-même, aussi révélatrice que la précédente : « l’idéologie qui est devenue une boîte noire, une prison mentale, dans laquelle nous sommes devenus incapables d’imaginer une autre façon d’organiser notre vie, un autre avenir que celui auquel nous sommes destinés en ce moment. Le nom de cette idéologie est le capitalisme ». Fukuyama reloaded. Le dilemme social ne va pas jusque-là.  

La notion de futur a donc pratiquement disparu. Et on ne peut que s’s’en réjouir : les mirages sont toujours de mauvais maîtres.

Sauf que la notion de no-future est si dévastatrice.

Parce que si l’idée d’un futur connaissable devient facilement oppressive, l’idée de ne pas avoir d’avenir est encore plus radicalement terrifiante.

 


No Future, par Maria Llovet, 2010

 

 Notes

[1] J’ai connu les effets du 20ème Congrès dans ma famille. Un oncle très imbu de lui-même et de son communisme, après avoir d’abord nié l’existence du 20ème  congrès, puis expliqué avec condescendance qu’il s’agissait de versions de “la presse bourgeoise”, a un jour pris une cuite qui a duré des mois (ayant retrouvé sa sobriété grâce à des mains très amicales, il est devenu un antistalinien fervent, comme tout son parti : il a perdu la plate-forme mais pas la ferveur, désormais “accroché au pinceau”).

[2] La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992, dans lequel l’auteur considère que la lutte des classes, et donc, de manière hégélienne, l’histoire - en tant que lutte des idéologies - est terminée.

[3] Voir ce que Vance Packard a écrit il y a plusieurs dizaines d’années. Et ce qui s’est passé depuis.

[4] Docufiction usaméricaine réalisé epar Jeff Ortowski. Avec Tristan Harris, Jaron Lanier, Shoshana Zuboff et d’autres. Septembre 2020. Visible sur Netflix ou ici gratuitement

[5]  Pourquoi le monde part en couilles

 

30/08/2023

Luis E. Sabini Fernández
La philosophie est-elle nécessaire ou superflue ?
L'Uruguay est-il périphérique et subalterne ou/et tout petit et autonome ?

Luis E. Sabini Fernández, Futuros Magazine, 14/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le gouvernement de Luis Lacalle Pou prend des mesures pour réduire la présence de la philosophie dans l'enseignement secondaire et pour restreindre l'astronomie, en en faisant une matière “optionnelle”, diminuant ainsi la contribution qu'elle peut apporter à la compréhension du monde par les jeunes élèves.

Cette attaque ou ce mépris de la pensée abstraite se fonde souvent sur l'accent mis sur des matières utiles et concrètes telles que l'anglais, la technologie, l'économie et la finance. Pour que les élèves « tirent le meilleur parti de leur temps d'étude ».

 

Il s'agit d'un vieux débat de l'histoire uruguayenne, qui a certainement existé aux USA, en Europe et dans les pays asiatiques.

Ce “rappel à l’ordre” et un certain dédain pour les sujets abstraits ou sans rapport avec les besoins en matière d’emploi ont eu un curieux précédent sous la présidence du père de l'actuel président, Luis Alberto Lacalle Herrera (1990-1995). Et l'on peut penser que ce sont les mêmes puissances idéologiques qui veulent voir la jeune génération intégrée “comme il se doit” dans un monde de plus en plus high-tech.

Mais nous nous n’avons pas affaire à des considérations désintéressées, comme le proclament nos hommes politiques.

 
"Citoyen, le pays a besoin de Vous
et Vous, vous devez aller travailler.
Ne portez pas préjudice à votre pays,
Donnez -vous à fond et vous verrez
comme nous avancerons"
"Publicité" du 7 juillet 1973 de la junte issue du coup d'État du 27 juin

La critique d'une éducation prétendument intellectualiste ne cache pas que, par exemple, l’entreprise papetière UPM promeut une éducation instrumentale pour nos enfants et nos jeunes dans les zones proches de ses usines, afin que ses travailleurs puissent exécuter leurs tâches de manière experte, même s'ils manquent d'expérience de discernement, et que tout effort visant à générer une aptitude critique se dilue.

Le type de formation que le monde des entreprises transnationales exige est celui d'une main d'œuvre à leur service, certes au fait des évolutions technologiques, mais oublieuse de toute réflexion (le monde hyper-technologique de notre époque a déjà ses spécialistes pour cela, comme toute société de maîtres en a toujours eu).

La question posée par les programmes de l'enseignement secondaire est complexe. Parce que les projets humanistes, érudits et intellectuels qui ont caractérisé l'Uruguay libéral, celui de la plus grande partie du XXe siècle, n'ont pas contribué à former des jeunes capables de gérer leur propre avenir et celui de la société dans laquelle ils vivent, de l'intérieur, d'en bas. Parce que, en tant que société périphérique, notre développement s'est fait de l'extérieur et d'en haut.

Néanmoins, l'Uruguay a une histoire relativement riche de philosophie, du moins dans le concert de l'Amérique du Sud et centrale.

Peut-être même cela est-il dû à son origine : un territoire séparé d'un concert politique plus large, qui a été contraint pour des raisons géopolitiques (par les puissants de l'époque et par ses voisins) à être “indépendant” ou ”libre”, ce qui l’a obligé à générer, sinon sa propre histoire, du moins son propre chemin. Peut-être est-ce à cause du poids politique des premiers projets d'indépendance sur ce territoire ; le rêve confédéral d'Artigas, peut-être à cause des nouveaux apports qui sont tombés sur notre terre sans concertation mais avec férocité, et l'ont fécondée, comme, par exemple, les émigrations ou plutôt les refuges politiques des pré-communards parisiens de 1848 et peu après, ceux des communards parisiens de 1871. [1]  Cet apport a façonné l'Uruguay et en particulier la Montevideo du XIXe siècle, “la Nouvelle Troie*”, ce qui s'est traduit culturellement par un phénomène particulier : tout au long du XIXe siècle, il y a eu en Uruguay plus de livres édités en français qu'en espagnol.

C'est avec ce bagage culturel, totalement européaniste bien que ne s'inscrivant pas dans la matrice ibérique qui caractérise tant de nouveaux États dans les Amériques au sud du Rio Bravo, que l'Uruguay entre dans le XXe siècle et que, presque immédiatement, José Batlle y Ordóñez, fils du président Lorenzo Batlle, lance dans ce petit pays une modernisation particulière qui aura pour mot d'ordre une démocratisation unitaire, qu'il qualifiera d'institutionnelle.

Le fondateur d'une des dynasties politiques uruguayennes, pour une raison circonstancielle et fortuite, a réussi à placer le pays sur une voie unique. Une chose qui, compte tenu des origines de l'Uruguay, s'était avérée difficile. Le pays a été divisé, bicéphale, pendant une bonne partie du XIXe siècle - blancs et rouges, gouvernement de la défense et des douanes d'Oribe, unitaires partisans de l’union avec l’Argentine (aporteñados) et pro-Brésiliens (abrasilerados), docteurs contre caudillos - et la mort au combat d'Aparicio Saravia, chef armé de l'armée de miliciens du Parti national, a mis fin à la “Révolution de 1904” [la guerre civile qui opposa les colorados urbains et “modernes”  aux blancos, ruralistes, caudillistes et “traditionalistes”, qualifiés de “révolutionnaires” NdT].

 


Affiches batllistes pour l'enseignement gratuit, le vote des femmes et contre le nazifascisme. Les femmes uruguayens ont été les premières à exercer le droit de vote vote en Amérique latine, en 1927

Avec JByO, un processus de démocratisation et de sécularisation face à l'Église catholique s'est amorcé : divorce par la seule volonté de la femme, abolition des mauvais traitements infligés aux prisonniers, acceptation des revendications syndicales, abolition de la peine de mort, de la tauromachie, des combats de coqs et de nombreuses autres mesures similaires, le tout (ou presque) au cours de la première décennie du XXe siècle.


La droite classique - celle des latifundia, du crucifix et des affaires entre gentlemen - déborde de haine. Elle est contre le communisme qu'elle croit voir dans le batllisme.

Luis E. Sabini Fernández
Filosofía: ¿necesaria o prescindible?
¿Uruguay periférico y subalterno o/y pequeñito y autónomo?

Luis E. Sabini Fernández, Revista Futuros, 14-8-2023

El gobierno de Luis Lacalle Pou está tomando medidas para achicar la presencia de la filosofía en los estudios secundarios y restringir los de astronomía, convertida su asignatura en “opcional”, con lo cual se empalidecen los aportes que puedan brindar a los jóvenes estudiantes para la comprensión del mundo.



Este ataque o desprecio al pensamiento abstracto suele ampararse en la relevancia que se quiere otorgar a materias útiles y concretas, como inglés, tecnología, economía y finanzas. Para que los alumnos “aprovechen su tiempo de estudio”.

Es un debate viejo en la historia uruguaya, y por cierto tiene que haber existido en EE.UU., en Europa, en los países asiáticos.

El “llamado de atención” y cierto desdén ante materias abstractas o ajenas a las necesidades laborales, tuvo un curioso antecedente en la presidencia del padre del actual presidente. Y uno podría considerar que se trata de las mismas usinas ideológicas que quieren ver a las generaciones jóvenes integrándose “como corresponde” en un mundo cada vez más altamente tecnificado.

Pero no estamos en medio de consideraciones desinteresadas, como proclaman nuestros políticos.

La crítica a una educación presuntamente intelectualista no tiene empacho en que, por ejemplo, UPM promueva una educación de tipo instrumental para nuestros niños y jóvenes en áreas cercanas a sus plantas, para que sus operarios puedan hacer sus tareas con pericia, aunque resulten carentes de toda experiencia de discernimiento, y se diluya consiguientemente todo empeño en generar capacidad crítica.

El tipo de capacitación que el mundo de los consorcios transnacionales demanda es para una mano de obra a su servicio, seguramente al día en desarrollos tecnológicos, pero ajena a toda reflexión (para esa instancia el mundo hipertecnologizado de nuestro presente ya tiene a sus especialistas, como por otra parte toda sociedad de amos ha tenido siempre).

La cuestión planteada con los planes de estudios secundarios es compleja. Porque a su vez, los proyectos humanistas, eruditos e intelectuales que han caracterizado al Uruguay liberal, al de la mayor parte del siglo XX, tampoco han ayudado a generar jóvenes capaces de gestionar su propio futuro y el de la sociedad en que viven, desde adentro, desde abajo. Porque, como sociedad periférica que somos, nuestros desarrollos han sido desde afuera y desde arriba.

Pese a todo, Uruguay tiene una historia relativamente rica con la filosofía, al menos en el concierto sur y centroamericano.

Tal vez hasta su origen –territorio desgajado de un concierto político mayor, que se vio forzado por razones geopolíticas (de los poderosos de entonces y de los vecinos) a ser “independiente” o “libre”– obligándose así a generar ya no una historia propia, pero sí un camino propio; tal vez por la carga política de los primeros proyectos independentistas sobre este territorio; el sueño artiguista confederal, tal vez por nuevas contribuciones que sin concierto pero con  feracidad cayeron en nuestra tierra, y la abonaron, como por ejemplo, las emigraciones o mejor dicho los refugios políticos de los comuneros de París de 1848 y poco después, los de los comuneros parisinos de 1871 [1]  aporte que configuró el Uruguay y particularmente el Montevideo del s XIX; ”la Nueva Troya*”, y que se tradujo culturalmente en el peculiar fenómeno que a lo largo de todo el siglo XIX fueron más las ediciones uruguayas en francés que en castellano.

Con ese bagaje cultural, totalmente europeísta aunque no en la matriz ibérica que caracterizara a tantos estados nuevos de las Américas al sur del Río Bravo, entra el Uruguay al siglo XX y casi enseguida José Batlle y Ordóñez, hijo del presidente Lorenzo Batlle, iniciará una peculiar modernización en el pequeño país que tendrá como  consigna una democratización unitaria, que denominará institucional.

El fundador de una de las dinastías políticas del Uruguay, por un motivo circunstancial, azaroso, logrará encauzar al país en una senda única. Algo que dado el origen del Uruguay, había resultado arduo. El país estuvo dividido, bicéfalo, buena parte del s XIX -blancos y colorados, el gobierno de la Defensa y la Aduana de Oribe, aporteñados y abrasilerados, doctores vs. caudillos-,  y la sorpresiva muerte de Aparicio Saravia, el jefe armado del ejército miliciano del Partido Nacional, acabará con la “Revolución de 1904”.

Con JByO se inicia así un proceso de democratización, de laicización enfrentado a la Iglesia Católica, se consigue el divorcio por la sola voluntad de la mujer, quedan abolidos los malos tratos a los presos, la aceptación de las demandas sindicales, se suprime la pena de muerte, la tauromaquia, la riña de gallos y muchas medidas por el estilo, todo ello (o casi todo) en la primera década del s XX.


La derecha clásica -la del latifundio, el crucifijo y los  negocios entre caballeros-  estaba que reventaba de odio. Contra ese comunismo que creía ver en el batllismo.