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04/09/2024

FRANCO ‘BIFO’ BERARDI
Israël aurait-il pu ne pas devenir un État raciste, colonialiste et fasciste ?
La dernière conférence d’Amos Oz et le livre de Gad Lerner ne répondent pas à cette question

Franco Bifo Berardi, il disertore, 18/8/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Alors que la communauté internationale tente d’arrêter le génocide et que l’on dénombre quarante mille morts, les Israéliens poursuivent leur action d’extermination, en utilisant toutes les techniques avec lesquelles les Juifs ont été persécutés et exterminés au cours des siècles - de la déportation aux pogroms et à la torture.

Même si l’on ne peut imaginer comment évoluera cette tragédie, il semble chaque jour plus probable que l’Etat sioniste soit destiné à se désintégrer à la suite de conflits internes, d’un isolement externe et, surtout, d’une horreur de soi.

Il est légitime de se poser la question : aurait-il pu en être autrement ?

 « Wolf, commandant du village d’Abwein » : autoportrait de Vladimir Ze’ev [=Wolf, Loup] Jabotinsky envoyée à sa femme en 1918, lorsqu’il commandait la Légion Juive de l’armée britannique en Palestine contre l'armée ottomane/turque. Abwein est un village du gouvernorat de Ramallah et Al Bireh. Jabotinsky est l’ancêtre idéologique de Netanyahou

L’Etat voulu par les sionistes, cautionné par les colonialistes britanniques, protégé par les impérialistes usaméricains, armé et financé par les Occidentaux pour dominer la région d’où vient le pétrole, cet Etat né d’un massacre et soutenu par la menace armée permanente pouvait-il évoluer différemment ?

L’État occupant, haï par un milliard de musulmans contraints de subir sa présence, pouvait-il ne pas évoluer dans le sens du fondamentalisme religieux, du racisme et du suprémacisme nazi ?

Non, il ne le pouvait pas. Il est difficile de croire que les Britanniques et les USAméricains, principaux responsables (avec les nazis allemands, bien sûr) de la déportation des Juifs sous le nom de retour à la terre promise, ne savaient pas qu’ils les exposaient à des conditions très dures, destinées à évoluer vers un nouvel Holocauste.

Aujourd’hui, l’Holocauste est une réalité pour les Palestiniens, mais c’est aussi la perspective pour les Juifs que le sionisme a exposés à la haine d’innombrables ennemis.

Israël jouit d’une supériorité militaire incontestable, mais le temps ne joue pas en sa faveur.

Aurait-il pu en être autrement, ou l’évolution d’Israël était-elle inscrite dans sa naissance violente ? Le sionisme aurait-il pu évoluer dans un sens pacifique, ou l’hostilité dont les occupants ont été entourés dès le début était-elle destinée à forcer Israël à devenir ce qu’il est devenu ?

 Aurait-il pu en être autrement ?

Peu avant sa mort en 2018, Amos Oz a donné une conférence qui est publiée par Feltrinelli sous le titre : « Tant de choses restent à dire », et le sous-titre : « Dernière leçon ».

Je suis depuis longtemps un lecteur d’Oz, et grâce à des livres comme Une histoire d’amour et de ténèbres, ou Judah, je crois que j’ai pu réfléchir aux questions fondamentales de l’identité juive, et de l’identité en général.

L’identité comme problème, comme construction illusoire et comme piège.

À tort ou à raison, j’en suis venu à considérer l’œuvre d’Amos Oz comme l’expression de la vocation internationaliste du judaïsme européen.

« Mon oncle David était un Européen convaincu à une époque où personne ne l’était en Europe ne se sentait européen, en dehors des membres de ma famille et de leurs semblables. Les autres étaient panslaves, pangermanistes ou de simples patriotes lituaniens, bulgares, irlandais slovaques. Dans les années vingt et trente, les seuls Européens étaient les Juifs. « Trois nations coexistent en Tchécoslovaquie », disait mon père, les Tchèques, les Slovaques et les Tchécoslovaques, c’est-à-dire les Juifs. En Yougoslavie, il y a des Serbes, des Croates, des Slovènes et des Monténégrins, mais il se trouve aussi une poignée de Yougoslaves indéfectibles. Et même chez Staline, il y a des Russes , des Ukrainiens, des Ouzbeks, des Tchoukchtes et des Tatares, parmi lesquels  vivent nos frères qui font partie du peuple soviétique. (…) De nos jours l’Europe a changé, elle est pleine à craquer d’Européens. Soit dit en passant, les graffitis aussi ont changé du tout au tout en Europe : l’inscription « Les Juifs en Palestine ! » recouvrait tous les murs quand mon père était enfant, en Lituanie. Lorsqu’il retourna en Europe une cinquantaine d’années plus tard, les murs lui crachèrent au visage : « Les Juifs hors de Palestine ». (Une histoire d’amour et de ténèbres, Gallimard, 2004, pp. 117-118).

Ce ne sont pas les Juifs qui voulaient retourner en Palestine. Ce sont les nazis européens qui les ont poussés à partir, ce sont les sionistes qui, avec les Britanniques, ont préparé le piège dans lequel les Juifs sont tombés. Ce piège s’appelle Israël.

Comme beaucoup d’autres Juifs européens, les parents de l’écrivain ont quitté l’Europe pour se réfugier en Palestine, pendant les années où le projet sioniste semblait pouvoir se réaliser dans des conditions pacifiques.

« On savait bien sûr à quel point c’était dur en Israël : qu’il y faisait très chaud, qu’il y avait le désert, les marais, le chômage, les Arabes pauvres dans les villages, mais on voyait sur la grande carte accrochée en classe que les Arabes n’étaient pas nombreux, peut-être un demi-million, moins d’un million en tout cas, on était sûr qu’il y avaient assez de place pour quelques millions de Juifs de plus, que les Arabes étaient peut-être simplement excités contre nous, comme les masses en Pologne, mais qu’on pourrait leur expliquer et les convaincre que nous serions une bénédiction pour eux, sur la plan économique, médical, culturel, etc. Nous pensions que dans peu de temps, quelques années au plus, les Juifs seraient la majorité dans le pays – et que nous donnerions immédiatement au monde entier l’exemple de ce qu’il fallait faire avec notre minorité, les Arabes : nous qui avions toujours été une minorité opprimée, nous traiterions naturellement la minorité arabe avec justice et intégrité, avec bienveillance, nous les associerions à notre patrie, nous partagerions tout, nous ne les changerions jamais en chats. C’était un beau rêve. » (Une histoire d’amour… p. 326-327)

À l’époque dont parle Oz, il semblait y avoir de la place pour une conscience solidaire, égalitaire et internationaliste. Mais comme le nationalisme dominait la politique européenne, même les Juifs, s’ils voulaient survivre, devaient s’identifier à un peuple, à une nation.

« ... à l’époque, les Polonais étaient des patriotes fantastique, comme les Ukrainiens, les Allemands et les Tchèques, tout le monde, même les Slovaques, les Lituaniens et les Lettons, sauf nous qui n’avions pas de place dans ce carnaval, nous n’appartenions à rien et personne ne voulait de nous. Il n’y avait donc rien d’extraordinaire à ce que nous désirions devenir un peuple comme tout le monde ; nous n’avions pas le choix. » (p. 328)

Finalement, on sait ce qui s’est passé : après les avoir exterminés, les Européens ont jeté dehors (l’expression est d’Oz) la communauté juive qui était aussi la plus profondément européenne, parce qu’elle incarnait plus pleinement les valeurs du rationalisme et du droit. C’est précisément parce que les Juifs n’avaient pas de relation ancestrale avec la terre européenne que leur européanisme était fondé sur la raison et le droit, et non sur l’identité ethnique.