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13/05/2023

AMEER MAKHOUL
L’union sacrée d’Israël autour de la nouvelle agression contre Gaza ne tiendra pas longtemps

Ameer Makhoul, Middle East Eye, 11/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La décision de frapper le Djihad islamique a donné à Netanyahou un regain de popularité, mais cela ne tiendra pas sur le long terme.

Carlos Latuff

Cette semaine, Israël a effectué une frappe cruciale en éliminant quatre dirigeants du Djihad islamique, ses médias soulignant la précision des missiles et l’exactitude des renseignements recueillis.

Mais cette couverture est restée largement indifférente au fait que l’opération s’est traduite par un massacre dévastateur.

Certains médias israéliens ont présenté le nombre de victimes - dont des enfants, des femmes et des professionnels de la santé - comme un bilan acceptable, fanfaronnant même sur le nombre relativement faible de victimes civiles palestiniennes. Un sentiment de célébration, de fierté et d’honneur a envahi Israël.

Un consensus national s’est dégagé lorsque les leaders de l’opposition parlementaire ont exprimé leur soutien aux actions du gouvernement Netanyahou. Les analystes estiment que l’opération pourrait prolonger la durée de vie du gouvernement assiégé, qui était aux prises avec des dissensions internes et semblait sur le point de s’effondrer.

Itamar Ben-Gvir, le leader d’extrême droite du parti Puissance juive, avait boycotté les sessions de la Knesset. Pourtant, même lui a fait l’éloge de l’opération, suggérant que ses pressions avaient porté leurs fruits, et vantant son propre rôle. Haut du formulaire

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Entre-temps, des milliers d’Israéliens ont fui leurs maisons dans les communautés proches de Gaza, tandis que l’armée supervisait un plan d’évacuation plus large.

Israël s’est félicité du succès de ses opérations militaires, citant la bonne coordination des renseignements entre l’armée et l’agence de sécurité Shin Bet. Cette démonstration de sa capacité à cibler les dirigeants palestiniens, même dans leurs propres chambres à coucher, vise à envoyer un message à toutes les factions du Sud-Liban, de la Cisjordanie occupée et de Gaza : le rayon d’action d’Israël est tous azimuts.

Assassinats ciblés

La stratégie israélienne d’assassinats ciblés démontre sa politique impitoyable d’éradication des dirigeants du Djihad islamique, en raison des opérations très médiatisées du groupe et de sa philosophie de résistance à l’occupation. Les responsables israéliens ont à plusieurs reprises exhorté le Hamas à ne pas s’impliquer dans la confrontation actuelle.

Pourtant, alors qu’Israël s’attendait à ce que la réponse palestinienne soit à l’image des précédentes agressions contre Gaza, ce n’est pas ce qui s’est produit immédiatement. Les tensions ont été exacerbées au sein de l’establishment sécuritaire, politique et médiatique israélien, alors que le pays attendait de voir ce qui allait se passer.

Bien que des roquettes aient été tirées de Gaza dans la nuit de mercredi à jeudi, le retard pris dans la réponse a semblé indiquer qu’Israël ne contrôlait plus la manière dont ces situations se développaient.

Les factions palestiniennes semblent agir selon leurs propres plans et calendriers, contrairement au rythme dicté par Israël.

Dans le même temps, Israël a perdu le soutien de l’Égypte qui, malgré ses efforts de médiation à Gaza, a fortement critiqué les récentes frappes contre le Djihad islamique, estimant que le massacre sapait les efforts visant à établir une stabilité à long terme et violait les engagements pris par Israël lors des récentes conférences d’Aqaba (Jordanie) et de Charm el-Cheikh (Égypte).

De nombreuses factions palestiniennes et forces régionales estiment que le pouvoir de dissuasion qu’Israël détenait autrefois a considérablement diminué au cours des cinq mois qui se sont écoulés depuis l’entrée en fonction du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou, et qu’il n’a pas réussi, sur le plan stratégique, à renforcer son influence régionale et à consolider ses défenses nationales. 

Un autre défaut d’Israël réside dans son incapacité à anticiper l’intensité de la réponse palestinienne à son agression. À Tel-Aviv, les services de sécurité ont choisi cette semaine d’ouvrir des abris anti-bombes publics et de fermer des écoles. Ces coûts sécuritaires, politiques et économiques supplémentaires pourraient inciter Israël à lancer une offensive plus large sur plusieurs fronts, afin de tenter de reprendre le contrôle de la trajectoire et des conséquences de la confrontation.

Neutraliser le Hamas

Bien qu’il n’y ait aucune preuve que la dernière agression d’Israël soit une conséquence directe de ses profonds troubles internes, la diminution du pouvoir de dissuasion de l’État peut certainement être attribuée au climat politique actuel et à la crise intérieure. Par conséquent, l’agression doit être considérée dans ce contexte. 

Si cette stratégie agressive s’avère fructueuse du point de vue israélien, le premier bénéficiaire politique en sera Netanyahou, dont la cote de popularité est sur le point de grimper.

Mais ce regain de popularité ne sera pas durable et ne garantira pas non plus la longévité du gouvernement de Netanyahou, compte tenu des conflits intérieurs profondément enracinés et des manifestations publiques en cours. Il ne permettra pas à Netanyahou de relever les défis les plus pressants auxquels il est confronté. Dans le même temps, les sondages ont montré que la confiance des citoyens israéliens dans le chef de l’opposition, Benny Gantz, s’accroît.

Entre-temps, Israël fait le pari de neutraliser le Hamas - qui gouverne effectivement la bande de Gaza et détient la plus grande puissance militaire - et de garantir un cessez-le-feu durable.

Cependant, la situation s’est encore aggravée après que le ministre de l’Énergie, Israel Katz, a menacé cette semaine d’assassiner Yahya Sinwar, le chef du Hamas à Gaza, et son chef militaire Mohammed Deif, en cas de représailles de la part du Hamas. Le Hamas a publié mercredi une déclaration suggérant que ses forces participaient aux tirs de roquettes de représailles, bien que cela n’ait pas été immédiatement vérifié.

L’appareil de sécurité israélien est perplexe face à la réaction tardive et imprévisible des Palestiniens, car il s’attendait à une réaction immédiate de tirs de roquettes, suivie d’une médiation, de pressions et finalement d’une trêve jusqu’à la prochaine agression. Mais la réalité s’est avérée plus complexe.

Des inquiétudes sont apparues quant à la possibilité que l’état d’urgence israélien se prolonge indéfiniment, les coûts associés pouvant dépasser ceux d’un engagement militaire limité. La possibilité que les Palestiniens prennent pour cible les manifs des colons dans la partie occupée de Jérusalem-Est suscite également des craintes.

Toutes les options semblent être sur la table, une trêve paraissant peu probable. Les factions palestiniennes semblent agir selon leurs propres plans et calendriers, par opposition au rythme dicté par Israël, passant d’un cycle réactif à un plan d’action plus délibéré. Bien que cela crée une nouvelle dynamique, cela ne modifie pas fondamentalement l’essence du conflit.

 

 

12/05/2023

AMIRA HASS
Chaque attaque sur Gaza entraîne son lot de “dommages collatéraux” et de dégâts absurdes

Amira Hass, Haaretz, 11/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les termes comme “dommages collatéraux” et “proportionnalité” ne tiennent pas compte des civils dont les vies ont été prises dans le dernier cycle inutile de douleur et de souffrance. Lorsque la logique qui sous-tend les attaques est si incompréhensible, les mots manquent.

L’hôpital Shifa dans la ville de Gaza, mercredi. Photo : AHMED ZAKOT/Reuters

Pour cette femme de 87 ans, malade dans sa maison de Khan Younis, les 75 dernières années se sont réduites à un seul moment, qui remonte à avril ou mai 1948. Csest à ce moment-là qu’elle et sa famille ont fui leur maison de Jaffa après qu’elle avait été bombardée par les miliciens de l’Irgoun et de la Haganah, qui existaient avant la création de l’État. Ils pensaient rentrer chez eux au bout de deux ou trois jours, une semaine ou deux tout au plus.

Mardi, elle a surpris sa famille en se réveillant d’un coma de deux jours. Ses enfants ont compris, à travers ses marmonnements, qu’à son réveil, elle se croyait redevenue celle qu’elle était à l’âge de 12 ans, une fille dont le monde avait été bouleversé en l’espace de quelques heures.

« Cela n’a rien à voir avec les récents attentats. Je ne pense pas qu’elle sache qu’il y a une nouvelle guerre », m’a dit sa petite-fille. « C’est courant. Même lorsque nos aînés perdent la mémoire, ils se souviennent d’eux-mêmes pendant la Nakba. Alors je me suis dit que peut-être, quand je serai vieille et atteinte d’Alzheimer, je ne me souviendrai de rien d’autre que de cette terrible guerre en 2008, quand j’avais 12 ans ».

Nous avons ici tout ce qu’il faut pour faire une remarque factuelle sur la Nakba en cours. Non pas une remarque conflictuelle, argumentative ou narrative, mais un simple fait : la Nakba, un désastre de dépossession et d’expulsion, n’a pas cessé un seul instant depuis que nous avons transformé le peuple palestinien en une nation de réfugiés. Et les Palestiniens - comme c’est irritant - refusent de s’adapter ou de se rendre à cette réalité. C’est le point de départ nécessaire pour comprendre les facettes politiques, militaires et sociales de la situation israélo-palestinienne.

 

Des garçons palestiniens dans une maison détruite par les frappes des FDI à Gaza, mercredi. Photo : MOHAMMED SALEM/Reuters

Mais les oncles de ma jeune interlocutrice sont préoccupés par un problème plus prosaïque. Leur mère a un rendez-vous pour une dialyse, mais ils ont peur de la conduire à l’hôpital. Que se passe-t-il si les FDI reçoivent l’image d’une voiture depuis l’un de leurs drones en vol stationnaire au-dessus de Gaza et que le commandant en charge décide que toute personne conduisant à cette heure-ci doit être un lanceur de roquettes et qu’un missile doit donc être tiré sur elle ?

Un militant du Hamas qui n’était  pas membre de l’aile militaire de l’organisation m’a dit un jour avec fierté : « Pendant la première Intifada, nous avons jeté des pierres - mais maintenant, nous avons des roquettes ». Pour notre part, nous, Israéliens, avions le mortier artisanal Davidka, et aujourd’hui nous avons le genre de bombes et d’avions militaires que la censure militaire nous interdirait de nommer. Chaque camp se vante du développement et de l’efficacité de ses armes, mais les organisations palestiniennes vivent dans un déni constant alors que l’écart entre leur arsenal et celui d’Israël ne cesse de se creuser.

« Je m’apprêtais à dormir. Soudain, j’ai ressenti des ondes de choc. Comme un tremblement de terre. Ce n’est qu’ensuite que le son a suivi », raconte la petite-fille, que je connais depuis qu’elle est enfant, à propos des bombardements de mardi matin. « J’ai pensé que, comme toujours, les Juifs bombardaient des zones ouvertes, des bases vides du Djihad ou du Hamas ». Elle a utilisé un terme blessant pour moi, qui est couramment utilisé par les Palestiniens, ne ressentant pas le besoin de remplacer “les Juifs” par “l’armée” par égard pour moi.

« Dans les cas précédents, nos organisations de résistance ont tiré sur Israël et savaient qu’aucun Israélien ne serait tué », a-t-elle poursuivi. « L’armée a bombardé et savait qu’aucun Palestinien ne serait tué », a-t-elle ajouté. « Chacun répondait à l’autre et nous pouvions revenir à la normale ».

 

Un homme marche parmi les ruines d’un bâtiment à Gaza, mercredi. Photo : IBRAHEEM ABU MUSTAFA/Reuters

C’est pourquoi le choc a été si grand cette fois-ci. « Quinze minutes seulement après le bombardement, nous avons commencé à entendre des informations faisant état de femmes et d’enfants tués. Mon amie et sa famille vivent dans le même immeuble que la famille du commandant du Jihad islamique, Tareq Izzeldeen. Ils se trouvaient dans l’appartement lorsque la maison a été bombardée, mais heureusement ils n’ont pas été blessés. Par contre, tout leur appartement est en ruine. Il est complètement détruit. Mon amie a quitté l’appartement et a vu des cadavres dans les escaliers ».

Ses propos rappellent l’inimaginable résilience des Palestiniens. « Nous sommes des héros malgré nous », m’ont dit mes amis de Gaza en 2008, 2012, 2014, 2021 et à de nombreuses occasions entre-temps, lors d’invasions militaires et d’attaques qui n’ont pas reçu le titre de “guerre”. Pourtant, à chaque guerre, cet “héroïsme à contrecœur” devient plus difficile.

Je discutais avec cette jeune amie mercredi en début d’après-midi, alors que les lance-roquettes du Djihad islamique étaient encore silencieux et que les alarmes de missiles n’avaient pas encore interrompu les émissions de la radio israélienne. « Tout le monde s’attend à ce que le Djihad réagisse », dit-elle. « La vue des enfants assassinés par Israël a choqué tout le monde ».

Je lui ai demandé, comme si elle était une experte du Djihad islamique ou une stratège militaire, pourquoi elle pensait qu’ils ne réagissaient pas. « Maintenir les Israéliens dans la peur est aussi une arme », a-t-elle expliqué. « Le problème, c’est que nous avons également peur. L’attente est parfois plus difficile que le moment même de l’attentat. Je pense aussi que le Jihad islamique doit réagir. Mais je ne souhaite pas une nouvelle guerre ».

 Des secouristes au travail à Gaza, mercredi. Photo : MOHAMMED SALEM/Reuters

C’est un témoignage de première main des contradictions internes dans le cœur de chacun. Je n’ai pas remarqué si elle a dit que le Hamas devait également réagir. En tant que parti au pouvoir, il a des considérations différentes de celles de la petite organisation militaire [le Djihad islamique, NdT]. Le Hamas n’aime pas la comparaison, mais il est passé par des étapes similaires à celles que son rival, le mouvement Fatah, a traversées au cours de la deuxième Intifada. Le Hamas ressent également la contradiction et la tension entre un mouvement de libération et un gouvernement au pouvoir avec des fonctionnaires et la responsabilité de payer les salaires et d’entretenir les écoles.

Une autre amie de la jeune femme à qui je parlais a survécu au cancer, après de nombreux traitements et un amour inébranlable pour la vie. Un rendez-vous a été fixé pour elle mercredi, dans un hôpital de Jérusalem. Il a été coordonné après de nombreux efforts et après que l’Autorité palestinienne a garanti la prise en charge des coûts du traitement. Mais les points d’entrée en Israël étaient fermés. « Combien d’autres patients qui devaient voyager pour recevoir un traitement vital n’ont pas pu le faire ? », s’est demandé mon amie.

La procureure générale d’Israël, Gali Baharav-Miara, qui a approuvé l’assassinat des hauts responsables du Jihad islamique et de leurs familles, a dû penser à des termes tels que “dommages collatéraux” et “proportionnalité” Mais ces dommages collatéraux et proportionnels sont les civils dont les vies ont été prises, et les nombreux autres cycles de douleur et de souffrance. Tous ceux qui ont été blessés et traumatisés à vie ; tous ceux qui auront besoin de traitements contre le stress et l’anxiété et contre le diabète qui pourrait se développer en raison de leur inquiétude et de leur peur ; tous ceux qui souffriront de dépression, d’apathie, d’une perte de jours d’école et même de mois sans éducation ; tous les traitements médicaux qui ont été reportés ou annulés. Et tout cela sans parler de l’immense dévastation matérielle.

L’écriture est un acte humain qui combine la logique et l’apprentissage, l’expérience et la créativité pour transmettre un message clair et éclairant. Mais il est difficile de faire appel à la créativité, encore et encore, pour décrire la destruction. Il est difficile de décrire la logique qui sous-tend chaque série d’obus, de bombardements, de tirs et de meurtres.

Que cette logique soit dictée par des considérations politiques et organisationnelles momentanées, des plans militaires à long terme ou des considérations nationales et patriotiques, lorsque la logique est si illogique, les mots manquent.