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30/08/2024

SAMY DJEMAOUN
L'expulsion d'un Gazaoui vers la Palestine annulée par la justice administrative française

 Samy Djemaoun, avocat, 23/8/2024

 On pourrait se croire dans un cauchemar, mais c'est bien une réalité française.

Mon client, ressortissant palestinien né à Gaza a été placé, le vendredi 9 août 2024, en centre de rétention administrative par la préfecture de la Seine-Saint-Denis [1].

Le même jour, le préfet avait fixé le pays de destination vers lequel il sera éloigné : l’État de Palestine, donc. Le tribunal administratif de Montreuil avait fixé une audience au 23 août 2024 à 9h30 pour l’arrêté fixant le pays de destination.

 La préfecture avait sollicité « le consul de Palestine » pour obtenir un laissez-passer consulaire afin de pouvoir l’éloigner rapidement vers la Palestine.

Le samedi 17 août 2024, la Cour d’appel de Paris avait estimé, à rebours de la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les perspectives d’éloignement en première prolongation. Rappelons que la rétention administrative n’a pour but que l’éloignement, de sorte que si l’éloignement est impossible, la rétention administrative est injustifiée. La Cour d'appel a ensuite indiqué, en substance, que seul le juge administratif était compétent s’agissant du pays de destination.

 Aujourd'hui, le cabinet obtient devant le tribunal administratif de Montreuil l'annulation de cet arrêté en tant qu'il n’exclut pas la Palestine comme pays de renvoi :

On retiendra donc que la France n'hésite pas à prendre attache avec un État qu'elle ne reconnaît pas comme tel – et qui n'a, au demeurant, pas le contrôle de ses frontières – afin qu'un de ses ressortissants soit exposé à un risque de mort imminente.

La phrase de Badinter n’a jamais été aussi à-propos : « lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’homme, c’est une figure de style, elle est la patrie de la déclaration des droits de l’homme, aller plus loin relève de la cécité historique. »

27/06/2023

GIDEON LEVY
Un appartement du Quartier musulman de Jérusalem raconte l'histoire de l'apartheid israélien

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 16/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

ACTUALISATION
L'expulsion par la police du couple Sub Laban est prévue entre le 28 juin et le 13 juillet

Une lutte de 47 ans pour un appartement dans le quartier musulman de Jérusalem devait prendre fin cette semaine avec l'expulsion d'un couple de Palestiniens âgés. La paperasserie bureaucratique a retardé cet acte, mais la police continue de harceler le couple

Norat Gheith Sub Laban : « Si vous étiez né dans cette maison, si tous vos frères et sœurs y étaient nés et y avaient grandi, si votre mère et votre père y étaient morts, si votre frère en avait été exilé, est-ce que vous vous rendriez et l'abandonneriez ? »

L'existence de l'apartheid en Israël peut être prouvée au moyen d'un climatiseur. Un simple appareil qui souffle de l'air frais en été et de l'air chaud en hiver, fixé au mur d'un appartement avec très peu de fenêtres, dont les occupants, un couple âgé et souffrant, pourraient avoir besoin de ses services.

Il y a quelques années, Norat Gheith Sub Laban, 68 ans, et Mustafa Sub Laban, son mari de 74 ans, ont installé un climatiseur dans leur petit appartement de Jérusalem. Peu de temps après, ils ont été contraints de l'enlever sur ordre des autorités israéliennes, au motif que l'immeuble dans lequel ils vivent est une structure historique dans laquelle il est interdit d'installer un climatiseur. Les “propriétaires de l'appartement”, à savoir l'État d'Israël, n'ont pas autorisé l'installation d'un tel appareil. Le climatiseur a été arraché du mur, la niche est restée.

Aujourd'hui, un climatiseur similaire est visible sur le mur extérieur de l'appartement des voisins, la famille Friedman. Soudain, le bâtiment n'est plus historique. Un climatiseur juif, fier et provocateur, dépasse du mur de l'ancienne structure musulmane, comme pour dire : l'apartheid est bien vivant ici. Ce qui est permis aux Juifs est interdit aux Palestiniens.

Ici, on a le droit d'expulser des centaines de familles palestiniennes de leurs maisons, dans la honte et le dénuement, parce qu'avant 1948, les logements appartenaient à des Juifs. Mais personne n'envisage de faire la même chose pour les Palestiniens qui ont perdu leurs biens la même année, dans les mêmes circonstances, dans la même ville. Et tout cela se fait, bien sûr, avec l'autorisation générale du fameux système judiciaire israélien à tous ses niveaux, dont l'autonomie fait aujourd'hui l'objet d'une bataille au sein de la société israélienne. Les Juifs peuvent retrouver les propriétés qu'ils ont perdues à Jérusalem-Est, mais les Palestiniens ne peuvent pas retourner dans les maisons qu'ils ont perdues dans la partie occidentale de la ville, avec l'approbation du tribunal. Si ce n’est pas de l'apartheid, alors c’est quoi ?

Selon les Nations unies, 218 familles, soit près de 1 000 personnes, risquent d'être expulsées de la même manière à Jérusalem. La semaine dernière, devant la maison de la famille Sub Laban, des colons ont crié : « Le quartier musulman est juif ! » Attendez un peu : Ce qui s'est passé à Hébron pourrait se reproduire ici. « Dieu est le roi », a écrit quelqu'un en énormes lettres hébraïques en face de la maison de la famille Sub Laban, au 33 de la rue Aqbat Al Khalidiyah, au cœur du quartier musulman. Sur le mur, une plaque commémore Eliyahu Amedi, assassiné ici en 1986. La municipalité de Jérusalem autorisera-t-elle l'apposition d'une plaque similaire à la mémoire d'Eyad al-Hallaq, le Palestinien handicapé que des policiers israéliens ont tué devant la porte de Damas en 2020 ? Ou pour Mohammed Abu Khdeir, l'adolescent que des Juifs ont brûlé à mort dans la forêt de Jérusalem en 2014 ?

La literie de la famille Sharabi, les colons de l'étage du dessus, s'agite dans la brise au-dessus du petit balcon qui appartient encore pour quelques jours au couple palestinien susmentionné. L'immeuble voisin, au 35 de la rue Aqbat Al Khalidiyah, est déjà complètement tombé aux mains des juifs ; au numéro 33, c'est la famille Sub Laban qui a survécu. Roni et Hadar Friedman vivent dans l'appartement en face du leur, le débarras des Sub Laban est devenu l'appartement de la famille Wermesser et, comme indiqué, les Sharabi se trouvent à l'étage du dessus.

Les voisins du dessus ont aplati l'ancien dôme de pierre de l'immeuble pour créer un balcon, détruisant ainsi - certainement en violation de la loi - un autre joyau architectural ancien, mais qui compte ? Les colons ont rénové leurs appartements, mais Norat et Mustafa n'ont pas le droit de réparer quoi que ce soit, et le plâtre des murs de leur maison s'écaille. Des portes électriques intelligentes enferment les colons non invités dans leurs appartements ; certains d'entre eux se promènent armés de pistolets.


Linge appartenant aux Sharabi, les voisins du dessus, suspendu au-dessus de l'appartement des Sub Laban.

Mardi dernier, des policiers se sont à nouveau présentés au domicile de Norat et Mustafa, comme ils le font presque tous les jours, pour fouiller, vérifier et surtout pour harceler et intimider. Ahmad, l'aîné du couple, a demandé à l'un des policiers : « Vous contrôlez toutes les maisons de Jérusalem-Est ? » Réponse :  « Nous essayons d'identifier tous les résidents ». Ahmad, qui travaille pour Ir Amim, une organisation à but non lucratif qui s'efforce de faire avancer les causes de l'égalité et de la durabilité à Jérusalem pour les Israéliens et les Palestiniens qui y vivent, a rétorqué : « Très bien. Je ne savais pas. Quels gentils garçons ! »

À la fin du mois, Norat et Mustafa ne seront plus là. Une lutte de 47 ans contre la bureaucratie de l'occupation s'achèvera par une douloureuse défaite. Mais le frère de Norat, Anwar Gheith, qui a été expulsé de cet immeuble il y a de nombreuses années, a écrit sur le mur du salon lors de sa dernière visite : « Nous reviendrons ». Parmi les autres déclarations qui y figurent, on peut lire : « La Palestine sera libre ».

En attendant, les Sub Laban tentent de s'accrocher à leur maison, jusqu'à la dernière minute. Les seules choses qu'ils ont enlevées sont les photographies, des souvenirs qui ne peuvent être remplacés. Pour le reste, ils ont tout laissé derrière eux, même s'ils savent que la fin est proche. Chaque coup frappé à la porte fait sursauter le couple ; Norat dit que son cœur bat la chamade à chaque bruit. Ils savent que la police est en route. Norat nous montre un réfrigérateur plein, pour montrer qu'ils n'ont pas encore cédé. Leur appartement est un 67 mètres carrés, divisé en deux petites pièces, dont l'entrée d'origine a été bloquée par des voisins malveillants, et qui a besoin d'être rénové de toute urgence, compte tenu de ses murs moisis et de sa cage d'escalier étroite. C'est ici que Norat est née, et c'est ici qu'elle ne mourra apparemment pas.

Norat et Mustafa sont un couple sobre et respectable, parents de cinq enfants. Mustafa était auparavant membre de la police israélienne. Cette semaine, il s'est reposé pendant de longues périodes sur son lit dans l'étroite chambre à coucher, après avoir été transporté en urgence à deux reprises au centre médical Hadassah dans le quartier Ein Karem de la ville, où il a subi un cathétérisme cardiaque, son cœur ayant été affaibli au moins en partie par les tensions de ces dernières semaines. Norat a dû utiliser un inhalateur pendant notre conversation.

À l'extérieur, un guide de colons explique à un groupe d'Australiens le droit des Juifs au quartier musulman. Rifaat, 34 ans, le plus jeune fils de Norat et Mustafa, qui travaille au bureau de l'agence des Nations unies pour les droits de l'homme à Ramallah, tente de corriger la propagande du guide, et les Australiens sont prêts à l'écouter. Une yeshiva de la secte hassidique Bratslav se trouve également en face de la maison de la famille Sub Laban, et un panneau signale la synagogue Tzuf Dvash de l'Eidat Hama'aravi'im, datant du XIXe siècle.

Un jeune homme haredi ouvre la porte de l'appartement des Wermesser à l'aide d'une carte électronique. Pour leur part, les Friedman vivent ici depuis 1984, date à laquelle ils ont repris l'appartement de la famille Karaki. Le linge des Sharabis pend si bas au-dessus de la maison des Sub Labans qu'ils doivent se pencher lorsqu'ils sont sur le balcon. Les relations de voisinage sont inexistantes ici. Norat dit qu'elle voit la haine dans les yeux des colons, “comme des animaux sauvages”.


Rifaat, le plus jeune fils de Norat et Mustafa, parle à des touristes australiens.

L'histoire de la lutte épuisante et sans fin de la famille, qui s'étend sur 47 ans et des milliers d'heures de procès, a été relatée dans ces pages par Amira Hass au début de l'année [lire ici]. En commençant par la possession avant 1948, attribuée à Samuel Moshe Ben David Shlomo Gangel, qui possédait le bâtiment à la fin du XIXe siècle, en passant par le gardien des biens ennemis du Royaume hachémite de Jordanie, jusqu'à l'entrée des parents de Norat dans le bâtiment en 1949 en tant que locataires protégés. Du dépositaire israélien des biens des absents à la cession de la propriété en 2010 au “Little Galicia Endowment”, en passant par Aviezer Zelig Asher Shapira, Joshua Heller et Avraham Avishai Zinwirth, les mystérieux individus qui ont revendiqué l'immeuble pour eux-mêmes par l'intermédiaire d'un fonctionnaire des colons, Eli Attal, qui gère partout la dépossession dans la Vieille Ville ; de Shuvu Banim à Ateret Kohanim et Ateret Leyoshna, les obscures associations de colons, dont les différences sont imperceptibles.

La lutte des Sub Laban a traversé toutes les instances juridiques, allant jusqu'à la Cour suprême, et s'est achevée par une décision de 2016 autorisant le couple à rester dans l'appartement pendant 10 années supplémentaires, en supposant qu'ils décéderaient, si Dieu le veut. Depuis longtemps, il est interdit à leurs enfants de vivre dans la maison. Mais comme l'explique Rifaat, chaque décision de justice a toujours laissé une ouverture pour une nouvelle décision, qui n'a d'ailleurs pas tardé à venir - sous la forme de la dernière et définitive décision d'expulsion immédiate.

Rifaat qualifie le système juridique israélien de “tribunal des colons”. Les décisions concernant l'appartement de ses parents montrent à quel point il a raison. Dans un cas, un juge du tribunal de première instance de Jérusalem a dû sauter par-dessus le mur des colons voisins pour entrer dans la maison des Sub Laban, car il insistait pour voir de ses propres yeux que les colons avaient en fait bloqué l'entrée, après quoi il a rendu une décision consistant en des procédures d'ingénierie compliquées pour permettre au couple d'entrer dans leur maison.

À une autre occasion, le couple a été accusé de ne pas habiter l'appartement. Cela s'est produit lorsque la municipalité a décrété qu'il devait être rénové parce qu'il était devenu dangereux d'y habiter - et lorsque le couple a déménagé temporairement pendant les rénovations, le gardien des biens des absents a interdit les rénovations et le couple n'a pas pu revenir. À une autre occasion, lorsque Norat a déménagé pour quelques mois afin de vivre avec son fils - qui n'était pas autorisé à vivre dans l'appartement - parce qu'elle souffrait d'une hernie discale et avait besoin d'aide pour se déplacer, les colons l'ont dénoncée aux autorités ; elle a été obligée d'apporter des documents des autorités médicales pour pouvoir retourner dans son logement.

Kafka vit également au 33, rue Aqbat Al Khalidiyah, dans la vieille ville de Jérusalem.

Et maintenant, la lettre du bureau de l'huissier de justice de l'État, datée du 4 mai 2023 : « Vous êtes informé par la présente que l'exécution de l'ordre d'évacuation est fixée au 11 juin 2023, à partir de 8 heures du matin ». Le 11 juin à huit heures du matin est passé cette semaine - il manquait un formulaire, on l'a laissé entendre à la famille. Auparavant, l'expulsion avait été programmée pour le 15 mars 2023, mais la police s'y était opposée en raison d'un manque d'effectifs.


Rifaat Sub Laban

Les requérants ont demandé une “ordonnance d'expulsion flexible”, qui permet de disposer d'un certain nombre de jours pour effectuer le travail, et cette demande a été acceptée. L'expulsion doit maintenant avoir lieu entre le 11 et le 26 juin - aujourd'hui, demain ou quelques jours plus tard. Rifaat est certain que la police ne les informe pas des plans exacts, ce qui fait partie de la guerre psychologique menée par les autorités pour les épuiser. Il pense que la police attend un moment propice où il n'y aura pas trop de monde dans la maison - ni les diplomates étrangers, ni les activistes, ni les nombreux journalistes qui ont visité la maison au cours des années de lutte. La famille devra payer 30 000 shekels (7 600€) pour sa propre expulsion, car elle ne partira pas de son plein gré.

Pendant ce temps, Norat et Mustafa vivent d'anxiolytiques. La bataille a été jouée. 

N'ont-ils jamais pensé à partir ? Norat : « Je répondrai par une question. Si vous étiez né dans cette maison, si tous vos frères et sœurs y étaient nés, y avaient grandi, s'y étaient mariés, si votre mère et votre père y étaient morts, si votre frère en avait été exilé, est-ce que vous vous rendriez et abandonneriez cette maison ? Je veux une réponse. Chaque minute passée dans cette maison est une minute supplémentaire de protection de mes souvenirs d'enfance. Chaque minute est l'occasion de me sentir embrassée par des membres de ma famille qui ne sont plus parmi nous. Je ne suis jamais seule dans cette maison, même quand je suis seule - toute ma famille et tous mes souvenirs sont toujours avec moi dans cette maison.

« S'ils viennent nous expulser, je n'ouvrirai pas la porte. Mais si je sens un danger pour moi et pour mon mari, je me rendrai et j'abandonnerai la maison pour protéger ma famille. Si je suis expulsée, je donnerai la maison à Dieu. Cette maison restera une prison jusqu'à ce qu'elle soit libérée. Je reviendrai. Et si ce n'est pas moi, ce seront mes enfants. Un jour, l'occupation prendra fin et nous reviendrons ».


Le 33 de la rue Aqbat Al Khalidiyah. Photos Emil Salman

 


 

 



 

28/09/2022

BETHAN McKERNAN
Masafer Yatta : « Chaque jour est pire que celui d'avant »
Une communauté palestinienne se bat pour sa survie

Bethan McKernan et Quique Kierszenbaum (photos), The Guardian, 28/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Bethan McKernan est correspondante du Guardian à Jérusalem. @mck_beth 

L'une des plus grandes décisions d'expulsion depuis le début de l'occupation israélienne des territoires palestiniens en 1967 met toute une communauté en danger

La nouvelle année scolaire a commencé et la saison des récoltes approche, mais certains des hommes et des garçons de Masafer Yatta sont occupés à travailler sur un projet différent – emménager dans une grotte.

Zaynab Mohammed Ayoub joue à côté des décombres de sa maison démolie

 À Khribet Al Fakhiet, un village reculé au cœur de la Cisjordanie occupée, les habitants utilisaient un treuil improvisé monté sur une camionnette pour aider à dégager une caverne abritant des moutons et des chèvres. Des seaux descendus par l'entrée et par un trou dans le plafond de la grotte sont ressortis remplis de paille et de fumier ; l'intérieur poussiéreux et chaud était éclairé par des lampes alimentées par un générateur. Face à la démolition de leur maison, de leurs enclos à bétail et d'autres structures, une famille se prépare à se réinstaller dans la grotte avant l'hiver.

Mohammed Ayoub, 46 ans

« Nous n'avons pas le choix », dit Mohammed Ayoub, le chef d'une famille élargie de 17 personnes. « Nous dormons dans le dispensaire du village depuis que notre maison a été détruite, mais nous devons trouver une alternative. »

Le Guardian a rencontré la famille en mai, juste après la décision de la Cour suprême israélienne qui a bouleversé la vie des quelque 1 000 Palestiniens vivant dans la série de hameaux de Masafer Yatta. La maison d'Ayoub a été démolie par des bulldozers lors d'une opération supervisée par les Forces de défense israéliennes quelques semaines après le jugement, les laissant dans une tente tout l'été.

Israël a désigné cette zone de 3 000 ha des collines arides du sud d'Hébron comme zone d'entraînement militaire – zone de tir 918 – dans les années 80. Après des décennies de batailles juridiques, cependant, il y a quatre mois, la Cour suprême a finalement accepté l'argument des FDI selon lequel les habitants de Masafer Yatta ne pouvaient pas prouver qu'ils étaient résidents avant la création de la zone de tir.

Cette décision, qui est contraire au droit international, a été l'une des plus importantes depuis le début de l'occupation israélienne des territoires palestiniens en 1967. Maintenant, les foyers et les moyens de subsistance de toute la communauté sont en danger, et l'armée, avec les colons israéliens illégaux, augmente la pression pour essayer de forcer les Palestiniens à partir.

La vie à Masafer Yatta était déjà difficile : la région est située dans la zone C, les 60% peu peuplés de la Cisjordanie sous plein contrôle israélien et sous la menace d'une annexion. Les citernes d'eau, les panneaux solaires, les routes et les bâtiments palestiniens sont souvent démolis au motif qu'ils n'ont pas de permis de construire, qui sont presque impossibles à obtenir, alors que les colonies israéliennes illégales environnantes fleurissent. La communauté est principalement constituée d’éleveurs, élevant des chèvres et des moutons tout au long des étés torrides et des hivers glacés.

Depuis que le vide juridique a pris fin en mai, la situation a rapidement empiré. Les démolitions se sont accélérées, les 80 personnes vivant à Khallet Athaba’ devant perdre leurs maisons lorsque les bulldozers arriveront jeudi 29 septembre. L'armée mène également davantage d'exercices de tir réel, endommageant parfois des bâtiments palestiniens ou laissant derrière elle des douilles et des débris dont les habitants craignent que ça soit des munitions non explosées.

Les bergers disent qu'on leur dit régulièrement de quitter les pâturages, qui sont ensuite repris par les colons. Les livraisons d'eau et d'aliments pour le bétail, ainsi que les visiteurs d'organisations caritatives et de militants qui aidaient à dissuader les colons de commettre des actes de violence, ont été arrêtés sur le périmètre de la zone de tir et renvoyés faute de permis de voyage.

De nouveaux postes de contrôle ont complètement isolé des villages tels que Janba, rendant difficile le départ des résidents : les Palestiniens sont parfois arrêtés et interrogés par des soldats pendant des heures, et une soixantaine de voitures sans permis ont été confisquées.

Pour éviter les FDI, les résidents font maintenant appel à d'autres villages pour essayer de comprendre le mouvement des véhicules blindés de transport de troupes, avant de se déplacer sur des routes non pavées.

De nombreuses familles ont recommencé à utiliser des ânes, plutôt que des voitures, pour se déplacer. Le Guardian a voyagé dans l'un des rares véhicules appartenant à des Palestiniens pour traverser la zone – et même à ce moment-là, personne n’osiat emprunter les routes avec des postes de contrôle de l'armée.

Les FDI ont répondu à une demande de commentaires : « La zone de tir 918 est une zone militaire fermée. Toute entrée dans la zone sans l'autorisation des FDI constitue une infraction pénale et met en danger des vies humaines. En conséquence, des soldats des FDI sont stationnés à l'entrée de la zone de tir afin d'empêcher toute entrée non autorisée dans la zone. En outre, les FDI opèrent afin de permettre à tous les civils de la région de mener une vie quotidienne normale. »

Le sentiment, comme l'a dit la famille Abu Aram, est d'être poursuivi en permanence. En dehors de leur maison à Markaz, un hameau sur un plateau venteux, Mina et Mohammed Abu Aram ont décrit la dernière fois qu'ils ont essayé d'emmener leur fils de trois ans, Ammar, pour un rendez-vous à l'hôpital dans la ville d'Hébron.

Mina Abu Aram, 35 ans, avec son fils Ammar, qui a une maladie cardiaque

« Ammar est né avec une maladie cardiaque. Il a besoin de médicaments tous les jours, et doit aller souvent à l'hôpital. La semaine dernière, nous avons été arrêtés par des soldats, et ils ont pris la voiture, ils ont pris [Mohammed] à la base, et nous ont laissés, Ammar et moi, sur le bord de la route », raconte Mina.

« Nous leur avons dit qu'Ammar avait un rendez-vous médical, mais ils s'en fichaient. Il a fallu deux heures à mon mari pour revenir. »

La communauté de Masafer Yatta n’a pas  seulement à faire avec l'armée, mais avec un nombre croissant de colons israéliens autour d'eux – dont certains sont notoirement violents.

« Les soldats poussent de l'ouest, et les colons de l'est, nous serrant dans toutes les directions », dit Nidal Younes, le chef du conseil du village de Masafer Yatta.

Dans le cadre de cette campagne d’usure, certaines personnes ont été forcées de partir pour la ville voisine de Yatta. L'effet est peut-être le plus perceptible dans la seule école secondaire de la région : les élèves sont maintenant en moyenne en retard d’ une heure chaque matin après avoir franchi les nouveaux points de contrôle, raconte le directeur, et le personnel venant de la ville de Yatta a été refoulé, arrêté ou s’est vu confisquer sa voiture.

Les FDI ont déclaré que lors d'un « cas particulier, spécifique dans lequel des étudiants ont été retardés, les directives ont été clarifiées sur la question afin d'éviter tout retard futur pour les étudiants », mais les résidents disent que cela se produit presque tous les jours. Les parents d'une vingtaine d'enfants ont déjà décidé de les déplacer dans une école à Yatta, où ils restent avec des parents pendant la semaine.

Bisan, 17 ans : « C'est une situation dangereuse et j'ai pensé à quitter l'école, mais je ne le ferai pas. C'est ce qu'ils veulent. »

 « Chaque jour est pire que celui d'avant », dit Bisan, une étudiante de 17 ans. « C'est une situation dangereuse et j'ai pensé à quitter l'école, mais je ne le ferai pas. C'est ce qu'ils veulent. »

Alors que les avocats des droits humains introduisent des injonctions provisoires pour essayer d'arrêter les exercices de tirs réels et de blouer les ordres d'évacuation, les voies légales en Israël pour sauver Masafer Yatta semblent être presque épuisées.

L'UE a adopté une position ferme contre la décision de la Cour suprême : son envoyé auprès des Palestiniens, Sven Kühn von Burgsdorff, a accusé les juges de ne pas respecter le droit international et de prendre une « décision politique, pas juridique du tout ». Il a également appelé la communauté internationale à faire pression sur Israël pour qu'il assume ses responsabilités à l'égard du peuple palestinien en tant que puissance occupante.

« Les choses allaient mal avant la décision du tribunal », dit Mohammed Ayoub, le fermier déplacé. « J'ai été berger toute ma vie. Je ne suis jamais allé en Israël, mais peut-être que je devrai vendre mes chèvres et demander un permis de travail là-bas. »

Sur le site où se trouvait autrefois le jardin des Ayoub un vieux bidon d'huile protège un olivier de la menace des bulldozers.

« C'est notre terre, c'est ma maison. Quoi qu'il arrive, nous ne partirons pas », dit Mohammed Ayoub.