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23/05/2021

Cinq siècles et nos veines sont toujours ouvertes

Aram Aharonian, Periferia, 22/5/2021

Traduit par Fausto Giudice

Aram Aharonian (Montevideo, 1946) est un journaliste et communicologue uruguayen. Master en intégration. Créateur et fondateur de Telesur. Il préside la Fondation pour l'intégration latino-américaine (FILA) et dirige le Centre latino-américain d'analyse stratégique (CLAE). 

J'étais en plein confinement covidien, écoutant la chanson de León Gieco, «  cinco siglos igual » (La même chose pendant cinq siècles), ce qui, évidemment, m'a amené à me souvenir qu'il y a un demi-siècle paraissait un livre qui a d'abord fait le tour de l'América Lapobre [L’Amérique Lapauvre], puis du monde entier. Un texte qui était peut-être en avance sur son temps mais qui nous a contaminés avec le virus de nous mettre à en savoir beaucoup plus sur nous-mêmes, sur notre histoire.


Pour beaucoup d'entre nous, âgés d'une vingtaine d'années, c'était l'une des rares fois où nous voyions l'Amérique latine comme si c’était avec nos propres yeux. Eduardo Hughes Galeano avait 27 ans lorsqu'il a commencé le travail ardu de collecte de données, d'histoires, d'expériences. Il l'a terminé quatre ans plus tard, après avoir interviewé des personnes réelles, après avoir écouté leurs histoires et celles de leurs parents et grands-parents, après avoir voyagé dans des territoires peu faits pour des intellectuels en tour d’ivoire, et aussi après trois mois d'enfermement pour pouvoir l'écrire.

Pour beaucoup, le début était déjà une gifle : « La division internationale du travail fait que certains pays se spécialisent dans les profits et d'autres dans les pertes ». Et notre Uruguay, qui rêvait de révolution, allait entamer cette année-là l'une de ses heures les plus sombres, celle des mesures de sécurité expéditives, de l'ingérence de la CIA et de ses manuels de torture, de la persécution et de l'emprisonnement des militants, de la répression. Comme si les gouvernants avaient lu Les Veines : « L'Empire, incapable de multiplier les pains, fait de son mieux pour supprimer les mangeurs ».

Il n'est pas étonnant que la plus grande publicité pour ce livre ne soit pas venue des critiques littéraires mais de nos dictatures et dictateurs, qui l'ont interdit. Et tandis que certains pensaient qu'il s'agissait d'un livre médical, d'autres disaient même que c'était un instrument pour corrompre la jeunesse. Et Galeano a quitté le pays, laissant derrière lui ses amis, dont beaucoup, d'ailleurs, sont partis dans les années suivantes.

Mais il serait plutôt mesquin de commencer l'histoire en 1970 ou 1971. Revenons à la fin des années 50, lorsqu'un gamin, un pitchoun mignon, se rendait à la Casa del Pueblo et à l'hebdomadaire El Sol, bastions du parti socialiste. Quand ils lui ont demandé ce qu'il voulait, il a répondu qu'il voulait adhérer au parti et collaborer à l'hebdomadaire.

Et il suscita la curiosité de dirigeants tels que don Emilio Frugoni, Vivián Trías, Raúl Sendic, Guillermo « Yuyo » Chifflet, José Díaz, Reinaldo Gargano. Une chronique de ces années-là - El botija Gius [Le gamin Gius], de Garabed Arakelián - raconte que Bebe Sendic (qui deviendra plus tard le leader suprême du Movimiento de Liberación Nacional-Tupamaros) l'a convaincu de rejoindre d'abord la Jeunesse Socialiste, et aussi que don Emilio « s'occupait de lui, lui parlait beaucoup et l'invitait souvent à aller au cinéma et à prendre un café ».