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17/06/2025

La capacité de défense, le contrôle des armements et la compréhension mutuelle, conditions du maintien de la paix en Europe
Un manifeste de responsables sociaux-démocrates allemands

 Alors que le congrès fédéral du SPD doit se tenir du 27 au 29 juin à Berlin, plus d'une centaine de dirigeants et responsables sociaux-démocrates, rejoints par 12 000 citoyens, viennent de publier un Manifeste appelant à la désescalade et à une reprise du dialogue avec la Russie, remettant ainsi en cause la politique menée par leurs dirigeants suprêmes, coalisés au sein du gouvernement fédéral avec la CDU de Friedrich Merz. Ci-dessous une traduction de ce manifeste

 


07/06/2025

GABOR STEINGART
“Si tu veux la paix, parle à tes ennemis, pas à tes amis” : entretien avec Klaus von Dohnanyi

     NdT

“La plus grande menace pour l’Allemagne ne vient pas de Poutine, mais des conséquences sociales, humanitaires et démocratiques du changement climatique.”

Klaus von Dohnanyi, Hamburger Abendblatt, 23/6/2023

Klaus von Dohnanyi, 97 ans, est un dinosaure de la „bonne Allemagne”, celle qui n’a pas oublié l’histoire et qui a tout simplement une conscience. Il a de qui tenir : son père Hans fut un résistant, exécuté par les nazis en avril 1945 à Sachsenhausen, sa mère Christel échappa de peu à la pendaison, son oncle Dietrich, pasteur militant de l’Église confessante, fut lui aussi pendu, en avril 1945, au camp de concentration de Flossenburg. Klaus, militant du SPD depuis 1957, fut ministre de Willy Brandt et Premier maire de Hambourg de 1981 à 1988. Très critique à l’égard de la politique belliciste des dirigeants du SPD et des Verts, il a déclaré en juillet 2024 qu’il soutenait l’Alliance Sahra Wagenknecht pour ses positions sur la guerre d’Ukraine tout en restant membre du SPD. Ci-dessous un entretien avec von Dohnanyi, Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

 Gabor Steingart, The Pioneer, 7/6/2025

À 97 ans, Klaus von Dohnanyi est le témoin d’un siècle mouvementé. En tant qu’ancien membre du Bundestag, comment voit-il les événements mondiaux actuels ? Il s’entretient avec Gabor Steingart sur le pouvoir de la diplomatie, la sécurité de l’Europe dans l’ombre de la Russie et Donald Trump.

The Pioneer : Donald Trump affirme que l’UE a été fondée pour obtenir des avantages commerciaux vis-à-vis des USA. Les USAméricains, que nous avons connus comme des transatlantistes, sont-ils encore nos amis ?

Klaus von Dohnanyi : ça dépend des USAméricains auxquels vous faites référence. Dans l’ensemble, ils ne l’ont jamais été. Ils ont toujours eu leurs propres intérêts. L’USAmérique est toujours intervenue en Europe et nous a en réalité plus nui qu’aidé.

Mais au départ, l’Amérique nous a tout de même aidés – non seulement avec le plan Marshall, mais aussi plus tard avec l’OTAN, qui nous a énormément aidés à devenir le pays que nous sommes aujourd’hui. Ce ton hostile n’est apparu qu’avec Donald Trump. Ou diriez-vous plutôt que ce ton s’inscrit dans la continuité des intérêts ?

Il s’inscrit dans la continuité des intérêts, qui ont bien sûr évolué en fonction des circonstances. Pendant la guerre froide et après la chute du mur, c’était différent.

Devrions-nous donc nous imposer la sérénité et ne pas nous énerver autant ? Ou devrions-nous reconnaître nos intérêts, peut-être aussi européens, et répondre à la grossièreté par la grossièreté ?

Je trouve cette façon de penser trop euro-américaine. La Russie fait bien sûr partie de l’Europe et du reste du monde, d’une manière particulière. La Russie est voisine de l’Europe et n’est manifestement pas sans danger. Et plus un voisin est dangereux, plus il faut s’intéresser à lui et lui parler. J’ai lu récemment cette belle phrase : « Si tu veux la paix, parle à tes ennemis, pas à tes amis. »

C’est à mon avis un avertissement important. Nous nous sommes complètement laissé exclure de tout contact avec la Russie et continuons aujourd’hui encore à agir comme si les USAméricains étaient nos tuteurs – ils doivent tirer les marrons du feu pour nous, alors qu’ils ont en partie jeté eux-mêmes ces marrons dans le feu.

Ça veut dire que nous devons nous prendre en main et prendre notre destin en main, d’autant plus que l’homme à la Maison Blanche ne veut plus être notre tuteur.

C’est exact. Et pour ça, nous devons avoir le courage de faire deux choses : premièrement, parler nous-mêmes avec la Russie et Poutine. Et deuxièmement, expliquer aux USAméricains que c’est aussi notre devoir. Si nous suivons vraiment le principe « Si tu veux la paix, parle avec tes ennemis », je pense que nous avons plus de chances d’instaurer la paix en Europe que si nous attendons Trump.

Vladimir Poutine à Moscou le 26 mai 2025 © Imago

La Russie est-elle notre ennemie historique ?

Non, et la Russie ne doit pas être notre ennemie historique. Nous avons également connu de bonnes périodes et de bonnes formes de coopération, et le fait que nous n’y parvenions pas actuellement est d’ailleurs peut-être aussi un problème qui sert les intérêts des USA. Il existe un livre célèbre du politologue et conseiller à la sécurité du présidentus américain Jimmy Carter, Zbigniew Brzeziński, qui postule qu’une amitié entre la Russie et l’Allemagne serait dangereuse pour les USA. C’est pourquoi je pense que certains problèmes trouvent leur origine non seulement en Russie, mais sont également alimentés par les USA.

Vous voulez dire que USA ont intérêt à ce que nous ne nous engagions pas trop avec notre grand voisin géographique – qui nous surpasse à bien des égards, non seulement en termes de ressources naturelles, mais aussi en termes de superficie – du point de vue usaméricain ?

Tout à fait. Même en temps de paix, avant la guerre en Ukraine, les USAméricains sont intervenus dans le projet Nord Stream 1 et 2, car ils trouvaient que ça rapprochait trop l’Allemagne et la Russie. Cette relation historique, qui remonte à l’époque où le tsar a été l’un des libérateurs de l’Allemagne pendant la guerre napoléonienne, est une épine dans le pied des USAméricains. Brzeziński le décrit très intensément dans son ouvrage important intitulé Le grand échiquier.

Vous avez toutefois également constaté que vous vous étiez trompé dans votre évaluation des intérêts stratégiques de Poutine, d’où la réédition de votre livre. Comment le voyez-vous aujourd’hui ?

Lorsque j’ai écrit cela, je partais du principe que le président Joe Biden était un homme raisonnable et qu’il ne se laisserait pas entraîner à aller à l’encontre des intérêts des USA et de l’Europe en soulevant à nouveau la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Trump avait tout à fait raison lorsqu’il a déclaré récemment que nous étions d’accord, en USAmérique et en Occident, de ne pas accepter l’Ukraine dans l’OTAN. Pourquoi Biden doit-il revenir là-dessus en 2021, 2022 ? Lui et son secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, ont, à mon avis, une grande part de responsabilité dans cette affaire. C’était inutile et provocateur – et on peut comprendre que Poutine ne veuille pas de l’Ukraine dans l’OTAN et donc en Crimée.

Joe Biden, Olaf Scholz et Jens Stoltenberg (à droite) lors du sommet de l’OTAN le 10 juillet 2024 © dpa

Poutine a-t-il vraiment servi ses intérêts, même en gardant à l’esprit les exemples historiques, ou les a-t-il plutôt exagérés ? Même après trois ans de guerre, il n’a pas réussi.

Eh bien, que signifie « exagérés » ? Imaginez un peu : l’Ukraine conserve la Crimée. La Crimée décide de l’accès de la Russie à des eaux chaudes. Croyez-vous vraiment que Poutine serait resté les bras croisés jusqu’à ce que l’OTAN s’installe à Sébastopol ? Tout est lié.

Mais qu’est-ce que ça signifie pour la suite des événements ? Quel peut être notre intérêt, qu’avons-nous à lui offrir et qu’a-t-il à nous offrir ?

C’est très, très difficile à dire. Poutine veut une Ukraine faible qui ne se mette plus en travers de son chemin. Et l’Ukraine elle-même veut être forte et, si possible, récupérer tous les territoires conquis par la Russie. C’est une situation sans issue.

À l’époque, le SPD et le chancelier Helmut Schmidt, dont vous faisiez partie du cabinet, avaient organisé la situation grâce à toute une série d’accords et de négociations – par exemple la conférence d’Helsinki – sur la réorganisation de l’Europe et une coexistence fondée sur des règles entre le bloc communiste et le bloc capitaliste. Cela pourrait-il servir de modèle pour les négociations actuelles ?

Permettez-moi de revenir un peu en arrière : Lorsque Bismarck est parti en 1890, son successeur, le secrétaire d’État Holstein, a rompu le traité dit « de réassurance » deux ans plus tard, quelques années seulement après la démission de Bismarck. Plus tard, Willy Brandt – et j’en ai moi-même été témoin – a compris, avec Egon Bahr, au prix d’un travail minutieux, que la paix et la sécurité sont le fruit d’un travail quotidien. Ces efforts du gouvernement Brandt ont tout simplement été réduits à néant. Les gens disent que c’était une erreur, que c’était trop conciliant et que la politique de paix passe par le recours aux armes. C’est absurde. Bien sûr, la dissuasion peut garantir la sécurité, mais cela ne suffit pas. Il faut avoir la volonté d’instaurer la paix.

Congrès électoral du SPD en 1980 à Essen : Egon Bahr et Willy Brandt.  © Imago

C’est pourquoi, rétrospectivement, votre gouvernement de l’époque n’était pas pacifiste, mais a même investi une part plus importante du produit intérieur brut dans l’armement que le gouvernement actuel.

C’est vrai, Brandt n’était pas pacifiste. Brandt et Bahr étaient conscients de la nécessité de la force. Mais ils savaient aussi que cela ne suffisait pas. Si vous voulez la paix, vous devez respecter les intérêts de l’autre partie, même si vous ne les suivez pas toujours. Helmut Schmidt l’a très bien écrit dans son livre à l’époque : « S’il y a une réunification, nous devons d’abord veiller à ce qu’elle ne porte pas trop atteinte à la sécurité de l’Union soviétique. » Et malheureusement, nous ne l’avons pas fait. Dès la chute du mur, nous avons veillé à ce que les pays du côté soviétique soient admis dans l’OTAN. Ce fut une erreur fondamentale.

Beaucoup en Europe disent qu’il faut maintenant plus que jamais se réarmer pour montrer à Poutine où sont les limites. Ou diriez-vous qu’il faut abandonner l’Ukraine ?

Non, mais il faut discuter sérieusement avec l’Ukraine pour qu’elle rétablisse une situation qu’elle ne peut pas créer elle-même. Et les USAméricains disent actuellement que la patate est trop chaude pour eux. Il faut dire à Volodymyr Zelensky qu’il y a des choses sur lesquelles il ne peut pas insister. À mon avis, l’Ukraine n’a aucun droit sur la Crimée et le Donbass. Le Donbass est tellement russe dans sa structure que l’Ukraine doit comprendre que cette partie ne lui appartiendra pas à l’avenir. Et il va sans dire que la Crimée n’appartient pas à l’Ukraine. Elle appartient à la Russie depuis 1783.

Explosion en Crimée en août 2022. © Imago

Et l’Ukraine devrait se contenter de ce reste d’État amputé ? Pour garantir quoi ? Sa vie et sa survie à l’Ouest, dans l’UE et dans l’OTAN ?

Pas dans l’OTAN, mais dans l’UE. En ce qui concerne l’OTAN, je pense que la décision est prise depuis longtemps. Même les USAméricains ne le veulent plus, et ne l’ont d’ailleurs jamais voulu. Je ne comprends pas pourquoi Biden est revenu sur sa position. Je pense qu’il faut remonter plus loin que la période où il luttait pour la présidence pour comprendre l’état d’esprit de Biden.

L’Ukraine doit donc être pacifiée le plus rapidement possible – et après ?

L’Ukraine entrera dans l’UE, comme ça a été promis. Ce sera une situation très difficile pour l’UE, car il n’est pas facile d’avoir un membre qui est structurellement hostile à notre grand voisin. Mais c’est probablement la solution. L’Ukraine doit renoncer aux territoires qu’elle ne peut récupérer.

Si nous supposons un accord de paix sur cette base, que se passera-t-il ensuite ? Le commerce germano-russe reprendra-t-il là où il s’était arrêté avant les sanctions ?

Nous ne devons en aucun cas nous préparer à une hostilité permanente avec la Russie. La guerre en Ukraine, déclenchée par Poutine et la Russie, a considérablement compliqué la situation. Mais nous devons essayer de nous entendre à nouveau avec ce grand voisin. Il n’est pas nécessaire de viser immédiatement une amitié. Nous devons être prêts à parler nous-mêmes avec Poutine et ne pas laisser cette tâche à Trump. Nous ne sommes pas sous la tutelle de Washington.

Mais dans quel but ? La Russie a trouvé de nouveaux partenaires entre-temps.

Les relations commerciales ne seront plus ce qu’elles étaient avant la guerre en Ukraine, ni ce qu’elles étaient peut-être dans la grande tradition entre la Russie et l’Europe occidentale. Mais nous devons les relancer.

Le ministre-président de Saxe, Michael Kretschmer, se dit favorable à des discussions avec la Russie sur Nord Stream – les gazoducs pourraient être réactivés.

Les deux gazoducs ont en fait été abandonnés à cause des sanctions usaméricaines. Ces sanctions ont été mises en place par Biden et ses prédécesseurs, y compris Barack Obama. Elles pourraient être levées un jour avec Trump. Les USAméricains pourraient eux-mêmes avoir intérêt à rapprocher la Russie de l’Occident.

Friedrich Merz a trouvé votre point de vue sur l’USAmérique scandaleux. Pensez-vous être aujourd’hui plus proche de lui, ce qui pourrait être dû non seulement à sa candidature à la chancellerie, mais aussi à l’évolution de la situation avec l’USAmérique ?

Le président Trump reçoit le chancelier Merz à la Maison Blanche  © dpa

J’apprécie beaucoup Merz, c’est notre chancelier fédéral et je le soutiendrais partout si possible. Mais il s’est mis en travers de mon chemin et je pense qu’il ne le ferait plus aujourd’hui. Je pense qu’il doit reconnaître aujourd’hui que mon évaluation de l’égocentrisme des intérêts usaméricains s’est confirmée depuis lors et que je ne faisais pas fausse route.

Vous aviez déjà une attitude très, très critique envers les USA à l’époque. Depuis que Trump sévit, y compris envers ses amis allemands, on a l’impression que vous avez peut-être même minimisé les choses.

Un ancien Premier ministre anglais, Lord Palmerston, disait déjà au XVIIIe siècle : « En politique internationale, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. » C’est toujours vrai aujourd’hui. Si nos intérêts s’opposent, les USAméricains choisiront toujours les leurs – et je pense que l’Allemagne devrait en faire autant.

Votre livre s’intitule “Nationale Interessen” (Intérêts nationaux). Je ne fais pas partie de ceux qui veulent abandonner précipitamment l’État-nation. Néanmoins, sous la pression de l’USAmérique et de Moscou, quelque chose de nouveau est en train de se former. L’UE ne semble-t-elle pas heureusement se révéler être plus qu’une simple solution d’urgence après la guerre ?

Oui, c’est tout à fait vrai. Nous faisons également des progrès en matière de politique commerciale. En matière de politique étrangère, je ne pense pas que ce sera le cas, ne serait-ce que parce que les intérêts au sein de l’UE sont très divergents. Chacun est responsable de sa propre politique étrangère et il serait de notre devoir de diriger l’Europe en matière de politique étrangère.

Vous ne voyez donc pas de politique étrangère européenne, mais plutôt un rôle de leader pour l’Allemagne ? En matière de politique de défense, nous sommes déjà plus proches de la réalité paneuropéenne.

Je ne partage pas votre avis selon lequel nous sommes plus avancés en matière de politique de défense européenne. Essayez donc de trouver un point commun entre l’Espagne, la France et la Pologne. Je ne pense pas non plus que la bombe atomique française, ou même britannique, offre une quelconque protection à l’Europe.

L’Europe ne doit-elle pas alors se débrouiller seule et penser par elle-même, y compris en ce qui concerne l’OTAN ?

C’est une question très difficile. À l’heure actuelle, une stratégie de dissuasion sur le continent européen est inconcevable sans les USAméricains – et ils ne le souhaitent pas non plus. Car les USA savent que s’ils perdent leur domination en Europe, ils perdent aussi leur domination mondiale. La tête de pont est d’une importance cruciale pour la politique mondiale usaméricaine.

On ne peut pas être tout à fait sûr que Trump reconnaisse l’importance de cette tête de pont eurasienne pour la puissance mondiale usaméricaine.

Trump ne sera pas éternel. C’est pourquoi je pense que l’intérêt usaméricain pour l’Europe ne disparaîtra pas complètement.

Dans le même temps, on se demande où se situe votre parti, le SPD, dans ce débat stratégique sur l’Europe et les relations avec la Russie et les USA.

Vous me demandez où se situe le SPD en matière de politique étrangère et de sécurité ? Je vous réponds : nulle part.


Willy Brandt lors du congrès fédéral du SPD en 1972 © Imago

Comment est-ce possible ?

On a enterré l’héritage de Willy Brandt. On ne comprend toujours pas aujourd’hui l’importance qu’a eu cette tentative de maintenir et de développer un pont pendant la guerre froide.

Mais à qui revient-il de répondre à cette question aujourd’hui ? Le SPD occupe tout de même le poste de ministre de la Défense. Helmut Schmidt l’a également occupé pendant un certain temps – c’est une position qui permet, voire qui oblige à participer à ces débats.

Avez-vous déjà entendu le collègue Boris Pistorius [ministre SPD de la Défense, NdT] dire que la diplomatie est également un facteur de sécurité ? On ne l’entend parler que lorsqu’il s’agit de canons, de chars, de dépenses pour l’armement ou la Bundeswehr. Et c’est une erreur. La politique de sécurité dépend fortement de la diplomatie – et de la volonté de connaître son adversaire, de dialoguer avec lui et de le rallier à sa cause. Je trouve que c’est une véritable lacune de ce ministre de la Défense par ailleurs très estimé.

Lorsque le nouveau ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, a récemment évoqué un budget de défense de 5 % du produit intérieur brut, soit le double, le ministre de la Défense du SPD s’est contenté de répondre qu’il était compétent en la matière. Cela ne m’a pas semblé être une réponse adéquate à cette demande. Que répondriez-vous ?

Je ne peux pas juger du montant nécessaire pour disposer d’une Bundeswehr dissuasive dans le cadre de la défense européenne. Mais je lierais toujours cela à la nécessité d’un dialogue diplomatique avec la Russie. Je n’ai jamais entendu Pistorius dire un mot à ce sujet. Et je trouve cela effrayant, car c’était toujours un thème central pour le ministre de la Défense Helmut Schmidt.

Le ministre des Finances Lars Klingbeil © dpa

Le président du SPD, Lars Klingbeil, aurait très bien pu briguer le poste de ministre des Affaires étrangères, qui avait servi de tremplin à Willy Brandt pour accéder à la chancellerie. Était-ce une erreur de se présenter au poste de ministre des Finances pour des raisons de politique intérieure ?

Si Klingbeil l’avait fait, cela n’aurait eu de sens qu’avec une autre politique étrangère. La politique étrangère doit reposer sur deux piliers : la sécurité, c’est-à-dire l’armement et le développement d’une capacité de défense, qui n’est toujours pas pleinement effective, et la tentative d’une politique de sécurité fondée sur la diplomatie, la conciliation des intérêts, etc. Tout l’héritage de Willy Brandt a été trahi, et ce dès l’époque d’Olaf Scholz.

Scholz sait ce que vous savez sur la politique étrangère, et il n’a fait aucune tentative sérieuse pour s’opposer aux souhaits de Washington en faveur d’un changement de régime à Moscou.

Je pense que c’est là que réside le grand échec du SPD. Le parti a toujours puisé sa grande force dans deux racines : la politique sociale et la politique de paix. On a trahi cette partie du SPD qui prônait la paix. On aurait peut-être dû s’armer davantage, en particulier à l’époque d’Angela Merkel. C’est possible, je n’y connais pas grand-chose. Mais on ne doit jamais renoncer à la nécessité de combiner l’armement avec le dialogue avec l’autre partie. On s’est laissé entraîner dans cette politique antirusse qui, à mon avis, n’était pas utile à la paix en Europe.

Conseilleriez-vous au nouveau chancelier de se rappeler la politique de détente de Brandt et Helmut Kohl et de ne pas se laisser mettre dans le pétrin ?

Je l’encouragerais principalement à poursuivre le développement des relations diplomatiques avec la Russie. D’après ce que je sais, l’ambassadeur allemand à Moscou, Alexander Graf Lambsdorff, est un ennemi déclaré de la Russie. Je ne sais pas si je le nommerais à ce poste, j’ai des doutes.

Avez-vous une meilleure nomination en tête ?

Non, mais il y a des gens intelligents qui pourraient éventuellement être recrutés. Les USA ont eu de grands ambassadeurs comme William Burns, qui est devenu plus tard le chef de la CIA sous Biden. Nous devons renouer avec cette tradition.

Aujourd’hui, de nombreux politiciens disent que c’est une image naïve et peut-être aussi romantique de Poutine. La situation a changé, l’homme n’est plus accessible par le dialogue.

Une chose est absolument certaine : si l’on n’engage pas les meilleurs diplomates pour traiter avec la Russie, on ne réussira pas.

The Pioneer : Il ne s’agit donc pas de simplifier l’adversaire, mais de laisser agir la diplomatie à long terme, avec une issue incertaine ?


Willy Brandt et Klaus von Dohnanyi, 1982. © Imago

Oui, tout est incertain dans la vie. Nous le savons bien. J’ai accompagné Willy Brandt pendant une grande partie de son travail, et lui aussi a connu des moments de désespoir où il pensait ne pas parvenir à ses fins dans les négociations avec l’Union soviétique. Et à la fin de sa carrière politique, il y avait aussi Mikhaïl Gorbatchev, si vous voulez. Du côté russe, une confiance s’est installée dans l’idée qu’il était vraiment possible de dialoguer et de traiter avec cette Allemagne. Le nouveau gouvernement fédéral doit comprendre que sa mission n’est pas de défendre le statu quo actuel, mais de le changer.

Vous avez vécu la Seconde Guerre mondiale, vous aviez dix ans au début du conflit. Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle phase d’entente ou au début d’une situation guerrière dans toute l’Europe ?

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une grande guerre. Il existe des possibilités de concilier les intérêts et de parvenir à nouveau à une entente, y compris avec la Russie et la Chine. Mais si l’on veut absolument avoir raison, si l’on se moque des intérêts de l’autre partie et que l’on considère que cette autre partie a de toute façon tort et est mauvaise, alors on ne pourra peut-être pas éviter la guerre.

Monsieur von Dohnanyi, merci beaucoup pour cet entretien.

 

27/02/2025

Allemagne : l’Alliance Sahra Wagenknecht et ses cinq contradictions principales


L’Alliance Sahra Wagenknecht, le nouveau parti né d’une scission du parti Die Linke en janvier 2024, échoué à entrer au parlement fédéral allemand le 23 février 2025, 13 435 voix lui manquant pour passer le seuil des 5% [de nombreux électeurs résidant à l'étranger [213 000 inscrits] ont reçu leurs bulletins de vote trop tard pour voter et des votes pour l'Alliance SW ont été comptabilisés comme votre pour une autre liste, celle de l'Alliance pour l'Allemagne, de droite]. Dans un article publié avant ces élections, ses deux auteurs analysent les contradictions principales de cet OVNI, « ni de gauche ni de droite », ou « de gauche et de droite », qui a échoué dans sa tentative de récupérer une partie des électeurs de l’AfD en reprenant le discours anti-immigration du parti d’extrême-droite, lequel a obtenu 20% des voix et 152 députés, ce qui en fait le 2ème parti d’Allemagne en termes électoraux. Une fois de plus, il semble bien que les électeurs préfèrent les originaux aux photocopies.-FG

Lors des élections régionales est-allemandes, l’Alliance Sahra Wagenknecht a connu un grand succès. Mais à l’approche des élections fédérales, les sondages sont en baisse.

Sebastian Friedrich et Ingar Solty, Junge Welt, 18/1/2025
 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Sebastian Friedrich est un chercheur en sciences sociales et journaliste allemand.
Ingar Solty est un collaborateur de la fondation allemande Rosa-Luxemburg.

Des cris de joie ont retenti lors du congrès fédéral de l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) lorsque la fondatrice, présidente et éponyme du parti est finalement montée sur scène vers la fin. Une grande partie des 600 personnes présentes se sont levées de leurs chaises, ont applaudi et acclamé. « Bon sang, quelle bonne ambiance ! », a-t-elle dit. Ceux qui pensent que l’ambiance est mauvaise ont dû se tromper de salle, selon Wagenknecht.

Un an après sa création officielle, la BSW se bat pour faire son entrée au prochain Bundestag. Les sondages actuels placent le parti autour de quatre à six pour cent - une zone critique qui détermine le succès ou l’échec. Il s’agit de la première crise sérieuse du jeune parti, après avoir fait sensation avec un départ impressionnant : lors des élections européennes de juin, la BSW a obtenu 6,2 pour cent des voix en partant de zéro, et lors des élections régionales dans le Brandebourg, la Saxe et la Thuringe, il a même obtenu des résultats à deux chiffres. Mais la crise actuelle ne vient pas de nulle part. Elle est le résultat de cinq contradictions centrales qui accompagnent la BSW depuis sa création.

« Bon sang, quelle bonne ambiance ! » : Sahra Wagenknecht lors du congrès fédéral de la formation politique qui porte son nom, Bonn, 12 janvier 2025)

 Capital contre travail

Lors de la conférence de presse fédérale de l’automne 2023, au cours de laquelle la création a été annoncée, et lors du congrès fondateur du 27 janvier 2024, la jeune formation a mis l’accent sur quatre thèmes centraux : la raison économique, la justice sociale, la paix ou la politique de détente ainsi que la revendication de la liberté d’expression. Ces thèmes centraux révèlent déjà des contradictions. Celles-ci sont particulièrement évidentes dans le rapport de tension entre l’orientation plutôt à gauche de la politique salariale et du marché du travail et le concept de “raison économique”. Ce dernier s’oriente en premier lieu vers les intérêts des classes moyennes et des petites et moyennes entreprises (PME) en crise et promet d’éviter les augmentations d’impôts. Dans le même temps, le parti prône la justice sociale, par exemple en augmentant les salaires minimums et le niveau des retraites, ce qui est toutefois en contradiction avec son orientation favorable aux classes moyennes.

Cette contradiction n’est pas résolue au sein de la BSW, mais elle est masquée par des priorités. Depuis sa création, la “raison économique” a toujours occupé la première place, avant même des thèmes comme la "justice sociale" ou le travail. Cela se reflète également dans le programme électoral pour le Bundestag, qui commence par un “come-back pour l’économie allemande”, avant que le deuxième chapitre ne traite de la justice sociale. Cet ordre peut être interprété comme une décision stratégique d’un nouveau parti qui souhaite se démarquer - notamment de la gauche en crise - et qui reste volontairement vague sur le plan programmatique afin de gagner le plus de voix possible dans différents camps politiques. Le fait de se décrire comme le représentant d’un “conservatisme de gauche”, comme l’a formulé Wagenknecht, renforce le caractère d’un parti “attrape-tout”.

Le programme politico-économique de la BSW reflète également le changement idéologique de la fondatrice du parti. Dans ses publications, Wagenknecht est passée de ses débuts socialistes au sein de la Plateforme communiste du PDS et de ses convictions marxistes, qui ont marqué par exemple son livre “Kapitalismus im Koma” (2003) ainsi que des travaux sur la théorie marxienne de la valeur travail, à des approches ordolibérales. Cela apparaît clairement dans ses livres ultérieurs tels que “Freiheit statt Kapitalismus” (2011) et “Reichtum ohne Gier” (2016). Cette transformation idéologique marque également l’orientation fondamentale de la politique économique de la BSW, qui se distingue clairement de la politique de classe et du programme social-démocrate de gauche de la gauche.

Néanmoins, une certaine évolution se dessine au sein de la BSW. Alors que dans la phase initiale, la rhétorique était encore très axée sur les PME, les revendications concrètes du programme électoral pour le Bundestag sont désormais davantage orientées vers les intérêts des salariés. Le parti offre étonnamment peu aux PME. D’un côté, il promet de réduire la bureaucratie. Cela correspond à l’expérience bien réelle des petites entreprises, à savoir que la dérégulation profite aux grands groupes, mais que pour elles-mêmes, le néolibéralisme s’est accompagné d’un nombre croissant de réglementations. D’autre part, il y a la promesse des conséquences macroéconomiques possibles d’une politique conjoncturelle intérieure plus forte. La solution proposée pour sortir de la crise économique - le soi-disant retour de l’économie allemande - repose sur un mélange d’investissements dans l’avenir et d’augmentation de la demande agrégée.

La contradiction fondamentale entre l’orientation de la politique économique et l’accent mis sur la classe ouvrière demeure cependant. La BSW veut- elle être un parti ordolibéral dans l’intérêt de la classe moyenne, ce qui le mettrait en concurrence avec le FDP et l’AfD ? Ou veut-il être un parti de la classe ouvrière ? Cette question est centrale pour l’orientation stratégique et le développement futur de la BSW. Elle reste pour l’instant sans réponse.

La BSW tente de traiter la contradiction entre la raison économique et la justice sociale en soulignant le lien évident entre la crise économique actuelle et les conséquences de la gestion de la guerre en Ukraine par le gouvernement fédéral. Une préoccupation centrale est de réduire les coûts énergétiques pour l’industrie et les ménages. Pour cela, la BSW propose d’entamer des négociations avec la Russie après un accord de paix diplomatique en Ukraine, afin que la partie encore opérationnelle du gazoduc Nord Stream soit à nouveau utilisée pour les livraisons de gaz en provenance de Russie. L’objectif est de réduire la dépendance vis-à-vis du gaz de schiste coûteux en provenance des USA, qui pèse sur la compétitivité de l’industrie et sur le coût de la vie des ménages.

D’autres mesures prises par le gouvernement actuel, telles que la loi sur le chauffage et la tarification du CO2, qui, selon la BSW, font peser les coûts de la protection du climat de manière inégale sur les individus, doivent également être retirées. Le parti reconnaît néanmoins la nécessité de protéger le climat et demande des investissements dans les technologies d’avenir. En matière de politique fiscale, la BSW plaide pour la réintroduction de l’impôt sur la fortune et une réforme du frein à l’endettement, à l’instar de Die Linke, du SPD, de l’Alliance 90/Die Grünen et d’une partie de l’Union - non pas pour augmenter les dépenses d’armement, mais pour financer des projets sociaux et économiques.

La croissance économique, la BSW l’espère surtout en renforçant la demande intérieure. Le parti réclame entre autres un salaire minimum plus élevé de 15 euros, une augmentation des conventions collectives et une plus grande cogestion au sein des entreprises, ce qui la rapproche des positions du SPD et de La Gauche. L’État social doit être renforcé : Il est prévu de réformer les retraites en vue d’une assurance citoyenne à laquelle cotiseraient également les fonctionnaires. En matière de politique de santé, une caisse d’assurance maladie obligatoire doit également être introduite sous forme d’assurance citoyenne, couvrant des prestations supplémentaires telles que les prothèses dentaires et les lunettes. En outre, la BSW demande un système de soins dans lequel les coûts seraient pris en charge par les pouvoirs publics.

Il est frappant de constater que la BSW dirige désormais l’idée de la méritocratie moins fortement contre les bénéficiaires du revenu citoyen que contre les bénéficiaires de revenus non performants issus de capitaux boursiers ou immobiliers. L’objectif est un pays « où les travailleurs, et non les héritiers, sont récompensés ».

En matière de politique du marché du travail et de politique sociale, la BSW se positionne ainsi à gauche du SPD, notamment par rapport à sa pratique gouvernementale. Le programme semble en grande partie classiquement social-démocrate et réformiste et s’engouffre dans le vide laissé par le SPD. En même temps, le programme apparaît en grande partie comme une version édulcorée de l’ancien programme du parti et de l’actuel programme électoral du Parti de gauche moins une systématique globale. En effet, Die Linke, qui se rapproche lentement de la barre des 5 % et mise sur une entrée tout à fait réaliste au Bundestag grâce à au moins trois mandats directs, propose toujours des concepts plus élaborés, même si sur certains points, il existe encore (ou à nouveau) des recoupements programmatiques importants.

La contradiction entre l’orientation vers les PME d’une part et la classe ouvrière d’autre part va s’accentuer pour la BSW dans les années à venir, car celles-ci seront probablement marquées par de durs affrontements de classe, notamment par une lutte de classe accrue par le haut. La tentative de la BSW de s’adresser à la fois aux PME et aux salariés sera mise à rude épreuve dans le contexte de l’“Agenda 2030” annoncé par le nouveau chancelier putatif Friedrich Merz (CDU). Ces plans comprennent des mesures telles que des réductions d’impôts pour les entreprises et les personnes aisées, un démantèlement social, une retraite “volontaire” à 70 ans, des luttes pour le maintien du salaire en cas de maladie et une extension du temps de travail normal à 42 heures par semaine.

Sahra Wagenknecht vue par Paolo Calleri

Visions illusoires

Dans cette situation, le « modèle allemand de la fin du XXe  siècle » propagé par la BSW, dans lequel règne l’harmonie des classes et où le capital profite de l’État social , s’avère être une dangereuse illusion. La crise actuelle du modèle d’exportation allemand - due à la somnolence du passage à l’électromobilité, à la concurrence croissante de l’étranger et à l’inflation liée aux prix de l’énergie en raison de la guerre économique usaméricaine contre la Chine et de la guerre en Ukraine - rend cette idée irréaliste.

Ce qui sera décisif, ce sont les lignes de front et les antagonismes que la BSW ouvrira dans le débat public. Wagenknecht a souvent formulé sa critique du gouvernement de coalition “feu tricolore” [SPD, FDP, Verts] et des conséquences de la guerre et de la crise dans une perspective de classe moyenne. Ce faisant, elle voit la contradiction principale entre l’Allemagne et les USA, mais moins celle entre les classes. Cela pose problème, car les PME apparaissent souvent comme les adversaires les plus véhéments des syndicats, des comités d’entreprise, des conventions collectives régionales, des salaires minimums, des impôts et de la redistribution. Leur dépendance structurelle vis-à-vis du grand capital et leur position dans la lutte concurrentielle font d’elles une base peu fiable pour un parti qui souhaiterait également défendre les intérêts des travailleurs.

Certains observateurs considèrent que la mise en avant de vagues intérêts nationaux, comme l’exprime le slogan central de la BSW « Notre pays mérite mieux », n’est ni une rhétorique populiste ni une stratégie durable, mais une alliance temporaire entre le capital non monopoliste et les salariés. Même dans un tel contexte, la perspective des salariés pourrait être défendue plus clairement. Or, c’est précisément ce que Wagenknecht omet souvent de faire, comme l’a critiqué Torsten Teichert, ancien social-démocrate, devenu par la suite politicien de Die Linke et qui a entre-temps quitté le BSW.

Dans la critique nécessaire de l’alliance étroite du gouvernement fédéral avec les USA, il est important d’utiliser des formulations précises afin de ne pas tomber dans des discours nationalistes qui masquent l’antagonisme de classe à l’intérieur et attisent les illusions politiques sur un nouveau compromis de classe dans une situation de crise.

Verticalisme contre capacité d’action

La deuxième contradiction occupe également la BSW depuis sa création : celle qui existe entre la forme choisie pour le parti et les exigences d’une force politique capable d’agir. Les fondateurs du parti ont opté pour une structure verticale stricte, organisée du haut vers le bas. Il ne s’agit toutefois pas d’un retour au modèle marxiste-léniniste du parti d’avant-garde ou de cadres. Le caractère autoritaire et hiérarchique du parti n’est pas motivé par l’idéologie, mais résulte plutôt d’une nécessité pragmatique.

Il résulte des conditions particulières qui ont permis l’émergence même de la BSW. Le parti n’aurait probablement pas existé si nous n’étions pas dans un moment propice au populisme, caractérisé par la conjonction de trois évolutions : une crise économique, une crise politique et une méfiance croissante d’une partie significative de la population envers les partis établis. De plus en plus de personnes se détachent des partis traditionnels et cherchent des alternatives - comme la BSW.

Mais une telle situation de départ entraîne également des défis spécifiques pour les partis populistes. Parmi les nombreuses personnes en recherche qui servent de surface de projection à une nouvelle force politique comme la BSW, on trouve souvent des personnes qui n’ont été politisées qu’au moment de la crise. Ces personnes sont souvent inexpérimentées sur le plan politique et n’ont pas de vision du monde solide. Beaucoup ont été politisées par la gestion sociale de la pandémie de coronavirus – la BSW demande une commission d’enquête sur la politique pandémique du gouvernement, des indemnités pour les victimes de la vaccination, etc. De plus, la BSW - comme tout nouveau parti - est confronté à des aventuriers, des intrigants et des fouteurs de merde, qui représentent un potentiel de perturbation considérable pour le projet du parti.

Pour faire face à de tels défis, la BSW a mis en place des règles strictes concernant la composition de ses membres. Les demandes d’adhésion doivent être approuvées par le conseil d’administration et peuvent être refusées sans justification. En outre, un délai d’opposition d’un an a été introduit pour les adhésions, afin de pouvoir agir ultérieurement contre les membres indésirables. Ce contrôle strict a pour conséquence que le nombre de membres du parti est très faible. Selon ses propres informations, la BSW compte 25 000 soutiens, mais seulement environ 1 100 membres.

La composition du noyau interne du parti reflète également ce besoin de contrôle. Sahra Wagenknecht, marquée par les conflits internes acharnés au sein du Parti La Gauche, a créé un environnement d’affidés qui se caractérise en premier lieu par la loyauté et moins par des convergences idéologiques.

Cette approche comporte toutefois des défis. D’une part, la BSW veut tenir à l’écart du parti ceux qui pourraient mettre le projet en péril. D’autre part, elle doit maintenir l’enthousiasme et l’engagement militant - une tâche qui ne peut guère être accomplie sans une base plus large. Les flyers ne se distribuent pas tout seuls, des stands d’information doivent être mis en place et tenus, des affiches électorales doivent être collées. Même la BSW, qui bénéficie de quelques dons individuels très importants, ne peut pas compter à long terme sur des forces rémunérées. Après les campagnes électorales passées et l’organisation de deux congrès du parti, les millions de dons pourraient être en grande partie épuisés.

Cette contradiction a déjà des conséquences négatives. Le mécontentement grandit, même parmi les membres éminents du parti. Ainsi, le député européen BSW Friedrich Pürner a critiqué dans une interview au Spiegel l’admission restrictive des membres, la qualifiant de “catastrophique” : « On doit travailler et payer pour le parti, mais on ne peut pas être membre ». Les querelles internes autour de différentes associations BSW à Hambourg sont également l’expression de ce conflit. Il semble que le parti ait actuellement du mal à mobiliser sa base et ses partisans. Jusqu’à présent, seuls quelques événements ont été annoncés pour la campagne électorale, et il n’y a plus eu de mobilisation de masse - par exemple contre la politique ukrainienne du gouvernement fédéral - depuis longtemps. La BSW tente de désamorcer cette contradiction en assouplissant les règles strictes d’adhésion. Lors du congrès du parti à Bonn, Oskar Lafontaine a annoncé vouloir ouvrir davantage le parti aux personnes qui le soutiennent.

Anti-establishment contre participation à des gouvernements régionaux

La troisième contradiction réside dans l’autoprésentation simultanée de la BSW en tant que parti anti-establishment et la volonté formulée d’assumer des responsabilités gouvernementales. C’est surtout dans le traitement des mesures Corona, dans la guerre en Ukraine et dans la critique des crimes de guerre du gouvernement israélien et de son soutien par le gouvernement fédéral que la BSW peut se positionner comme une véritable alternative aux partis établis. Dans ces domaines, le parti donne l’impression d’être rebelle et inadapté. C’est surtout sur la question de la paix que la BSW apparaît, pour de nombreux anciens fonctionnaires et électeurs de Die Linke, comme le parti pour la paix le plus conséquent, libre de l’attitude d’opposition “oui, mais” de l’organisation mère. Pour de nombreux anciens électeurs de Die Linke qui ont soutenu la BSW pour la première fois lors des élections européennes de l’année dernière, le comportement des anciens dirigeants de Die Linke en est la preuve : alors que la tête de liste sans étiquette Carola Rackete a voté en faveur de nouvelles livraisons d’armes à l’Ukraine, l’ex- président du parti Martin Schirdewan s’est abstenu - un acte qui a été perçu comme un abandon d’une politique de paix conséquente.

Mais la BSW a souligné sa volonté de participer aux gouvernements de Länder, notamment lors des campagnes électorales en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg. Cette volonté, qui n’était peut-être que rhétorique au départ, est rapidement devenue réalité : en Thuringe et dans le Brandebourg, la BSW a effectivement assumé des responsabilités gouvernementales. Cela est sans doute moins dû à l’enthousiasme des partenaires de coalition potentiels pour le nouveau projet qu’au fait que, compte tenu du fort score de l’AfD aux trois élections, il n’aurait guère été possible d’obtenir des majorités en dehors d’alliances avec l’extrême droite. Le fait que la BSW soit désormais aux affaires devrait également être lié au soutien de ses propres partisans. Selon une enquête menée par ARD-Deutschlandtrends peu avant les élections régionales en Saxe et en Thuringe, 99 % des partisans de la BSW au niveau national étaient favorables à une participation à un gouvernement régional. Dans le même temps, Wagenknecht s’est privée de sa propre position de négociation lorsque, le soir des élections, elle a elle-même et sans nécessité écarté la possibilité de tolérer un gouvernement minoritaire en déclarant à la télévision que les Länder est-allemands avaient besoin d’un gouvernement stable.

Le double rôle de la BSW, à la fois parti de gouvernement et alternative populiste anti-establishment crédible, recèle cependant une contradiction insoluble. La BSW hérite ainsi en quelque sorte d’une contradiction de son ancien parti mère, Die Linke, dont la résistance au feu tricolore a été freinée avant les élections par des espoirs illusoires d’un gouvernement fédéral rouge-rouge-vert” et ensuite par la force des fédérations régionales dans lesquelles Die Linke gouverne ou a gouverné avec le SPD et les Verts. Pour la BSW, la contradiction de l’establishment pourrait également être une cause de son bas niveau actuel dans les sondages. Depuis les élections régionales dans les Länder est-allemands en septembre dernier, où la BSW se situait encore à environ neuf pour cent au niveau national, les valeurs ont chuté de manière presque linéaire. L’aggravation de ce conflit interne semble peser durablement sur le parti.

Socio-économie contre choc des cultures

L’autodésignation de la BSW comme force conservatrice de gauche, souvent entendue surtout au début, repose sur l’hypothèse qu’il existe en Allemagne un déficit de représentation : un groupe de personnes plutôt conservateur sur les questions sociopolitiques, mais de gauche sur les questions socio-économiques. Cette thèse, longtemps débattue en sciences politiques, a été l’une des conditions centrales de sa fondation. Indépendamment du bien-fondé de cette hypothèse et de la question de savoir si l’ampleur réelle de cet écart de représentation correspond aux attentes des politologues, le fait de se concentrer sur les positions conservatrices en matière de politique sociétale et sur les positions sociales-démocrates (de gauche) en matière socio-économique comporte le risque d’une nouvelle contradiction.

La politique migratoire est un sujet particulièrement sensible. Au début, celle-ci jouait un rôle secondaire au sein de la BSW, mais elle est devenue une priorité à partir de l’été 2024. Outre les thèmes de la guerre en Ukraine, de l’économie et du social, la politique migratoire a été reprise activement et à plusieurs reprises, notamment par Wagenknecht. En juillet 2024, elle a durci sa rhétorique en parlant de “bombes à retardement” à propos des demandeurs d’asile gravement criminels. Sur le plan programmatique également, la BSW défend ici des positions qui sont plutôt à classer à droite : ainsi, le parti demande que les procédures d’asile se déroulent autant que possible en dehors de l’UE et que les immigrants gravement criminels soient refoulés et, si nécessaire, expulsés. Aucun droit de séjour ne doit être accordé aux ressortissants de “pays tiers” [hors UE et Suisse] et il est souligné que l’Allemagne a besoin d’un “répit” par rapport à l’immigration incontrôlée.

En se concentrant de plus en plus sur les thèmes de la politique migratoire, la BSW se place dans l’arène politique de l’AfD et reprend les champs de discours de celle-ci. Cette orientation provoque également des tensions au sein du parti. D’une part, les représentants de la BSW les plus proches des syndicats et les plus à gauche misent notamment sur la politisation des conflits, c’est-à-dire sur les conflits de classe entre le ceux d’en haut et ceux d’en bas D’autre part, il y a une tendance à lier la question sociale à la question de la migration. Wagenknecht a par exemple mis en relation les coûts mensuels des réfugiés - par exemple pour les prestations en espèces, le logement et l’infrastructure - avec la retraite d’une femme « qui a travaillé dur toute sa vie et a élevé deux enfants » [exemple classique des discours de l’extrême-droite en Europe, notamment Vox en Espagne, NdT].

Au-delà de la gauche et de la droite ?

Enfin, la cinquième contradiction réside dans l’auto-description du parti comme se positionnant au-delà des catégories de gauche et de droite, considérées comme dépassées, et le problème d’un manque de clarté sur ce que le parti représente réellement. C’est justement sur le thème de la « gauche et de la droite » que règne un désaccord considérable, même au sein du parti. Aujourd’hui, gauche signifie souvent tout et rien, y compris des choses opposées. Mais la BSW ne veut pas non plus être “socialiste”. Christian Leye, secrétaire général de la BSW, l’a qualifiée de parti de gauche au sens classique du terme dans une interview accordée à Neues Deutschland - Der Tag. Une telle classification est toutefois en contradiction avec l’auto-classification que l’ancienne députée de Die Linke au Bundestag, Sabine Zimmermann, a effectuée lors de la campagne électorale du Land de Saxe, lorsqu’elle a déclaré - en s’emmurant ainsi dans l’establishment - que l’on se situait « à droite du SPD et à gauche de la CDU ».

Cette désorientation politique se manifeste également dans l’approche contradictoire de l’AfD. Au début, la BSW se positionnait comme une “alternative sérieuse” au parti d’Alice Weidel et de Björn Höcke. Wagenknecht, en particulier, a souligné la différence entre ceux qui, au sein de l’AfD, sont considérés comme des fascistes et ceux qui, selon elle, ne sont pas d’extrême droite. En février 2024, Wagenknecht a déclaré à propos d’Alice Weidel que la coprésidente de l’AfD « ne défend pas des positions d’extrême droite, mais des positions conservatrices et économiques libérales ». Weidel tient certes des discours agressifs, mais Wagenknecht ne voit pas d’idéologie völkisch [national-populiste] chez elle.

Alors que Wagenknecht et ses compagnons de route avaient misé, dans la phase de fondation, sur le fait de ne pas s’attaquer à l’AfD, mais de se présenter comme une opposition résolue aux Verts, l’AfD semble désormais avoir été choisie comme adversaire stratégique principal de la BSW dans la phase chaude de la campagne électorale pour le Bundestag. Quoi qu’il en soit, l’AfD a également été durement attaquée lors du congrès fédéral du parti à Bonn.

Ce changement de cap pourrait s’expliquer par les résultats actuels des sondages : Alors que la BSW perd continuellement des voix depuis septembre, l’AfD enregistre des valeurs en hausse. Avec 21% actuellement, elle n’a aucun souci à se faire pour entrer au Bundestag - contrairement à la BSW qui doit craindre pour son existence.