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13/10/2023

TAREK SUBHI HAJJAJ
Lettre de Gaza : Israël nous impose un black-out pour cacher le massacre

Tareq Subhi HajjajMondoweissTraduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Tareq Subhi Hajjaj est le correspondant du site Mondoweiss à Gaza et membre de l’Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l’université Al-Azhar de Gaza. Il a commencé sa carrière dans le journalisme en 2015 en tant que rédacteur et traducteur pour le journal local Donia al-Watan. Il a fait des reportages pour Elbadil, Middle East Eye et Al Monitor. @Tareqshajjaj.

Israël coupe peu à peu les communications de Gaza avec le monde extérieur, car il veut nous empêcher de révéler les massacres qu’il commet.

J’emballe quelques-uns de mes vêtements, mes documents d’identité, mes affaires et des piles pour charger mon téléphone et rester en contact avec la situation autour de moi. Ma famille et moi évacuons notre maison dans le quartier d’Al Shuja’iyya, à l’est de Gaza. J’ai vraiment besoin d’un sac plus grand pour y mettre toute ma vie.

Des Palestiniens inspectent les dégâts causés par une frappe aérienne israélienne sur la mosquée Soussi, dans la ville de Gaza, le 9 octobre 2023. (Photo : Naaman Omar/APA Images)

Dans l’après-midi du deuxième jour de l’attaque, l’armée israélienne a envoyé un message à mon frère aîné - nous vivons tous dans le même immeuble - lui disant qu’il devait évacuer l’immeuble et se diriger vers le centre de la ville de Gaza.

J’habite au rez-de-chaussée. Ma mère âgée, qui est aveugle, vit avec moi et ma femme aux côtés de notre petit garçon de neuf mois, qui a déjà été témoin de deux guerres israéliennes au cours de sa courte vie.

Mon frère Hani me dit : « Nous devons évacuer tout de suite pendant qu’il en est encore temps. Si la nuit tombe et que nous sommes encore là, nous serons en danger ».

J’essaie de lui dire que nous devrions rester - je pense qu’aucun endroit à Gaza n’est à l’abri des avions de guerre israéliens. Mais nous avons tous les deux raison.

Je passe des dizaines d’appels pour trouver un appartement pour ma famille, mais je ne veux pas aller dans une autre tour résidentielle - j’ai déjà rapporté que beaucoup d’entre elles sont les premiers sites à disparaître lors d’une frappe aérienne israélienne.

Toutes les personnes que j’appelle me disent que si je parviens à trouver un endroit sûr, je devrais les emmener avec moi. Tout le monde cherche désespérément un endroit, un lieu sûr.

Je mets ma valise dans la voiture et j’aide ma mère à s’asseoir à l’arrière. Nous nous rendons à la maison de mon beau-père, qui se trouve dans la partie ouest d’Al Shuja’iyya. Alors que le bombardement du quartier se poursuit, nous nous dirigeons vers l’ouest. La fumée s’élève derrière nous, remplissant l’air et nous plongeant dans l’obscurité.

Tout autour de nous, on dirait une nouvelle Nakba. Les gens portent des sacs sur le dos, attachent des meubles sur les voitures et fuient à pied dans toutes les directions. Ils ne savent même pas s’ils pourront revenir et retrouver leurs maisons intactes. Moi non plus. Avant de partir, je me suis tenu au milieu de ma maison et j’ai dit au revoir à chaque coin et à chaque pierre.

Lentement, la fumée commence à se dissiper, laissant place à la lumière. À l’odeur, on peut dire que nous nous sommes éloignés de la zone.

Pourtant, dans ces circonstances, je me considère comme chanceux. J’ai pu trouver un endroit pour ma famille. Des milliers de personnes à Gaza n’ont pas cette possibilité. Ils vont dans les écoles de l’UNRWA, qui ne sont pas équipées pour accueillir autant de personnes. Ils n’ont même pas d’endroit où utiliser la salle de bain ou la douche.

Mon beau-père, qui est journaliste et directeur retraité du ministère de l’information, connaît les circonstances de mon travail. Il m’a préparé un bureau pour que je puisse continuer à travailler.

Je vais sur Internet et je continue à suivre l’actualité. Mais parfois, j’aimerais ne pas avoir à le faire.

La première chose que je vois est une vidéo d’une femme à l’hôpital Al Shifa’, le principal hôpital de la ville de Gaza. Elle porte une blouse blanche, ce qui signifie qu’elle est médecin ou infirmière. Elle sort de l’hôpital en courant et en levant les deux mains en l’air, ses doigts dessinant le signe de la “victoire” en pleurant. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit d’un médecin qui est entrée dans la chambre d’un patient mourant et qui s’est rendue compte qu’il s’agissait de son mari, décédé alors qu’elle s’occupait d’autres patients. Sous le choc, elle a quitté l’hôpital en courant, en pleurant et en criant devant des dizaines de caméras.

« Mon mari a été tué, mon mari a été tué, mon mari a été tué », répète-t-elle, faisant toujours le signe V.

La vidéo suivante que je regarde est tellement horrible que je ne peux pas détourner le regard. À Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, un homme cherche sa famille sous les décombres de sa maison. Il tient dans ses mains des morceaux de corps coupés - une partie de la tête d’un enfant, quelques doigts et d’autres morceaux de chair mutilés au point d’être méconnaissables.

« C’est ma famille », dit l’homme en ouvrant la main, montrant les morceaux qu’il ramasse. « C’est ce qui reste de mes enfants. Je ne peux pas en trouver d’autres ». Il hurle.

Nous n’en sommes qu’au début d’une des guerres les plus longues et les plus brutales de l’histoire de Gaza. Je redoute les jours à venir. C’est peut-être le moment de quitter ce monde, déchiré par une frappe aérienne israélienne aléatoire.

Le lendemain, l’électricité, l’internet et l’eau sont coupés. Je commence à penser que, petit à petit, nous sommes coupés du monde extérieur jusqu’à ce qu’il n’existe plus. Israël veut délibérément provoquer un black-out, afin que nous ne puissions pas rendre compte des massacres qu’il commet à Gaza. Ils se préparent à quelque chose d’énorme, et sans moyen de le dire au monde, personne ne le saura avant qu’il ne soit trop tard.